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06/03/1990 | CJUE | N°C-61/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 mars 1990., Procédure pénale contre Marc Gaston Bouchoucha., 06/03/1990, C-61/89


Avis juridique important

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61989C0061

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 mars 1990. - Procédure pénale contre Marc Gaston Bouchoucha. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel d'Aix-en-Provence - France. - Liberté d'établissement - Exercice des professions paramédicales (ostéopathie

). - Affaire C-61/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-03551

Conclusi...

Avis juridique important

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61989C0061

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 mars 1990. - Procédure pénale contre Marc Gaston Bouchoucha. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel d'Aix-en-Provence - France. - Liberté d'établissement - Exercice des professions paramédicales (ostéopathie). - Affaire C-61/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-03551

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La question préjudicielle que vous a soumise, par arrêt du 23 janvier 1989, la cour d' appel d' Aix-en-Provence se rattache aux poursuites pénales engagées devant les juridictions françaises contre un ressortissant français, M . Marc Bouchoucha, sur le fondement des dispositions de droit interne qui punissent l' exercice illégal de la médecine, pour avoir pratiqué l' ostéopathie à Nice depuis avril 1981 sans être titulaire d' un diplôme de médecin . M . Bouchoucha possède à la fois un diplôme d'
État de masseur-kinésithérapeute délivré en France et un diplôme d' ostéopathe délivré le 1er octobre 1979 par l' École européenne d' ostéopathie de Maidstone en Grande-Bretagne . Dans la mesure où c' est en vertu de ce diplôme délivré dans un autre État membre qu' il pratique, en France, l' ostéopathie à titre professionnel, M . Bouchoucha a estimé que les dispositions du traité CEE relatives à la liberté d' établissement faisaient obstacle à ce que l' exercice de l' ostéopathie lui soit interdit
dans ce dernier État . C' est ce moyen de défense qui a amené la juridiction nationale à vous saisir .

2 . Avant toute autre considération, nous ferons observer que la situation à propos de laquelle la Cour est présentement saisie ne nous paraît pas pouvoir être considérée comme étant "purement interne" au sens que nous avons donné à cette expression en concluant, ce même jour, dans les affaires Nino, Prandina et Goti, et Pierini ( 1 ). La circonstance que l' activité litigieuse d' ostéopathe était exercée en vertu d' un diplôme délivré dans un autre État membre est, en effet, de nature à pouvoir
constituer, suivant certaines conditions, un élément de rattachement au droit communautaire selon votre jurisprudence, et, en particulier, votre arrêt du 7 février 1979, Knoors ( 2 ). Nous ne vous proposerons donc pas, comme nous venons de le faire dans les affaires précitées, de répondre au juge a quo que le droit communautaire ne s' applique pas à une situation telle que celle de M . Bouchoucha en vous référant à un caractère "purement interne" ici dépourvu d' évidence .

3 . Cela signifie-t-il que le droit communautaire, et plus précisément les dispositions du traité relatives à la liberté d' établissement, procurent à une personne dans la situation de M . Bouchoucha une habilitation pour l' exercice professionnel de l' activité d' ostéopathe et, partant, constitue un obstacle à l' application d' une législation nationale lui interdisant un tel exercice? Nous ne le pensons pas . Il nous semble que votre jurisprudence, illustrée notamment par l' arrêt du 12 février
1987, Commission/Belgique ( 3 ), fournit une réponse très claire dans un sens négatif .

4 . En nous tenant à l' essentiel, rappelons, tout d' abord, les éléments significatifs du cadre juridique dans lequel s' inscrit la situation de M . Bouchoucha . Sur le plan communautaire, il n' existe aucune réglementation de l' exercice de l' ostéopathie . Du point de vue de la législation française, un tel exercice a été réglementé en ce sens qu' il ne peut être pratiqué que par les docteurs en médecine, ainsi que cela résulte de l' article L 372 du code de la santé publique et de l' article 2
d' un arrêté ministériel du 6 janvier 1962 . Ainsi, en France, on ne peut être ostéopathe sans être médecin .

5 . L' affaire Commission/Belgique, précitée, vous a vus analyser, au regard des exigences de la liberté d' établissement, un dispositif juridique national présentant des analogies marquées avec celui qui vient d' être décrit . Il s' agissait de déterminer si, en prévoyant, dans un arrêté royal, l' exclusion du remboursement par la sécurité sociale des prestations de biologie clinique effectuées dans des laboratoires exploités par une personne morale de droit privé dont les membres, associés et
administrateurs, ne sont pas tous des personnes physiques habilitées à effectuer des analyses médicales, c' est-à-dire des médecins ou des pharmaciens, le royaume de Belgique avait manqué aux obligations lui incombant au titre de l' article 52 du traité CEE .

6 . Dans votre arrêt, vous avez d' abord souligné que

"la liberté d' établissement comporte l' accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation du pays d' établissement pour ses propres ressortissants"

et indiqué qu' il résultait de l' article 52 du traité et de son contexte que,

"sous réserve de respecter cette égalité de traitement, chaque État membre a, en l' absence de règles communautaires en la matière, la liberté de régler sur son territoire l' activité des laboratoires effectuant des prestations de biologie clinique" ( 4 ).

Vous avez, d' autre part, rappelé que l' article 52 visait

"à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d' un État membre qui s' établit ... dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité, en tant que restriction à la liberté d' établissement" ( 5 ).

Vous avez alors relevé que la loi belge n' empêchait pas que

"des médecins ou des pharmaciens, ressortissants d' autres États membres, s' établissent en Belgique et y exploitent un laboratoire d' analyses cliniques bénéficiant du remboursement par la sécurité sociale" ( 6 ),

pour en déduire qu' il s' agissait d' une législation

"indistinctement applicable aux ressortissants belges et à ceux des autres États membres, dont le contenu et les objectifs ne permettent pas de conclure qu' elle a été adoptée à des fins discriminatoires ou qu' elle produit des effets de cette nature" 6,

et pour estimer qu' il n' y avait pas manquement de la part de la Belgique .

7 . Dans une première approche du problème, il nous semble que, de la même façon, en l' absence de règles communautaires en matière d' exercice de l' ostéopathie, chaque État membre a la liberté de régler cet exercice sur son territoire et de décider qu' il sera réservé aux médecins, à condition, bien entendu, que soit assuré le bénéfice du traitement national pour l' accès des ressortissants communautaires à cette activité . Or, le bénéfice de ce traitement se trouve effectivement assuré pour l'
exercice de l' ostéopathie en France par le jeu des dispositions figurant aux articles L 356 et L 356-2 du code de la santé publique . Suivant ces dispositions, prises conformément aux directives 75/362/CEE ( 7 ) et 75/363/CEE ( 8 ), du 16 juin 1975, la loi française permet à tout ressortissant communautaire titulaire d' un diplôme de médecin délivré dans un autre État membre de s' établir en France, et d' y pratiquer éventuellement l' ostéopathie . Nous pensons que cette loi remplit ainsi les
exigences du principe posé par l' article 52 à l' égard d' une activité non réglementée sur le plan communautaire .

8 . La prise en considération de l' article 57 du traité, dont le troisième alinéa vise spécifiquement les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, ne conduit nullement à modifier cette manière de voir . A l' égard de l' accès à ces professions, cette disposition prévoit que "la libération progressive des restrictions sera subordonnée à la coordination de leurs conditions d' exercice dans les différents États membres ". En l' absence d' une coordination de l' exercice de l'
ostéopathie, le troisième alinéa de l' article 57 conduit à estimer que les restrictions résultant, dans un État membre, de ce que sa législation réserve l' exercice professionnel de l' ostéopathie aux médecins, et l' interdit, par voie de conséquence, aux personnes qui sont habilitées, dans d' autres États membres, à l' exercer sans avoir la qualité de médecin, doivent être acceptées . Dès lors que le bénéfice du traitement national est effectivement assuré pour l' accès à la profession de médecin
- ce qui est le cas, nous l' avons vu - et que l' interdiction d' exercer l' ostéopathie est opposée indistinctement aux non-médecins nationaux ou aux ressortissants d' un autre État membre, il n' y a pas de contrariété aux exigences de la liberté d' établissement .

9 . Certes, on ne peut, sur le plan intellectuel, exclure tout à fait l' hypothèse d' un abus consistant, dans un État membre, à rattacher artificiellement à l' exercice de la médecine une activité qui y serait étrangère . Mais il est clair que, dans un domaine tel que celui de la protection de la santé humaine, il convient d' être très circonspect dans la détermination de ce qui appartient aux activités d' ordre médical et de ce qui s' en distingue . En l' absence d' une coordination sur le plan
communautaire, il n' appartient, selon nous, qu' aux États membres de définir, au sein des activités se rattachant à la sphère médicale au sens large, ce qui relève exclusivement de la médecine proprement dite et ce qui pourrait donner lieu à un exercice distinct de l' activité de médecin . A cet égard, la formule que vous avez, dans votre arrêt du 18 mai 1989, Pharmaceutical Society ( 9 ), énoncée à propos de la libre circulation des marchandises nous semble être également d' application ici . En
l' absence de réglementation communautaire, c' est aux États membres

"de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et de la manière dont ce niveau doit être atteint" ( 10 ).

La décision d' un État membre selon laquelle la pratique de l' ostéopathie relève de l' exercice de la médecine nous semble se rattacher à la détermination du niveau auquel il entend assurer la protection de la santé, et donc ne pas excéder, au regard du droit communautaire, ses prérogatives .

10 . Il n' y aurait lieu de poser la question d' un éventuel abus que dans le cas d' un rattachement, manifestement artificiel, à la sphère médicale d' une activité qui lui est indiscutablement étrangère . La situation en cause dans la présente espèce, relative à une activité, l' ostéopathie, qui ne peut être considérée comme étrangère à la sphère médicale, nous paraît exclure que l' hypothèse d' un abus doive même être envisagée par votre Cour .

11 . Aussi, nous estimons que les dispositions du traité relatives à la liberté d' établissement ne s' opposent pas à ce que, en l' absence d' une réglementation communautaire de l' activité d' ostéopathe à titre professionnel, un État membre réserve exclusivement l' exercice de cette activité aux médecins, dès lors que, pour l' accès à l' exercice de la médecine, il assure à tous les ressortissants communautaires le bénéfice du traitement national et que l' interdiction aux non-médecins d' exercer
l' ostéopathie s' applique indistinctement aux ressortissants de cet État et à ceux des autres États membres .

12 . Nous concluons donc à ce que vous disiez pour droit :

"Les dispositions du traité CEE, et notamment celles relatives à la liberté d' établissement, ne s' opposent pas à ce que, en l' absence d' une réglementation communautaire de l' activité d' ostéopathe, la législation d' un État membre réserve l' exercice de cette activité exclusivement aux médecins, dès lors que, pour l' accès à l' activité de médecin, elle assure à tous les ressortissants communautaires le bénéfice du traitement national et que l' interdiction faite aux non-médecins d' exercer l'
ostéopathie s' applique indistinctement, dans cet État, à ses ressortissants et à ceux des autres États membres ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Respectivement 54/88, 91/88 et 14/89 .

( 2 ) 115/78, Rec . 1979, p . 399 .

( 3 ) 221/85, Rec . 1987, p . 719 .

( 4 ) 221/85, précité, point 9 .

( 5 ) 221/85, précité, point 10 .

( 6 ) 221/85, précité, point 11 .

( 7 ) Directive du Conseil visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l' exercice effectif du droit d' établissement et de libre prestation de services ( JO L 167 du 30.6.1975, p . 1 ).

( 8 ) Directive visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du médecin ( JO L 167 du 30.6.1975, p . 14 ).

( 9 ) 266/87, Rec . p . 1295 .

( 10 ) Point 21 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-61/89
Date de la décision : 06/03/1990
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel d'Aix-en-Provence - France.

Liberté d'établissement - Exercice des professions paramédicales (ostéopathie).

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Marc Gaston Bouchoucha.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Sir Gordon Slynn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:93

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