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08/02/1990 | CJUE | N°C-199/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 8 février 1990., Giovanni Cabras contre Institut national d'assurance maladie-invalidité., 08/02/1990, C-199/88


Avis juridique important

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61988C0199

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 8 février 1990. - Giovanni Cabras contre Institut national d'assurance maladie-invalidité. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique. - Sécurité sociale - Prestations d'invalidité -

Règles communautaires du cumul - Répétition de l'indu. - Affaire C-199/88.
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Avis juridique important

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61988C0199

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 8 février 1990. - Giovanni Cabras contre Institut national d'assurance maladie-invalidité. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique. - Sécurité sociale - Prestations d'invalidité - Règles communautaires du cumul - Répétition de l'indu. - Affaire C-199/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-01023

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Dans la présente affaire, la Cour est saisie d' une demande de décision à titre préjudiciel sur les règles relatives au cumul de prestations de sécurité sociale et aux conséquences du nouveau calcul des prestations .

2 . M . Cabras a travaillé pendant 635 semaines en Italie et 506 semaines en Belgique . En incapacité de travail depuis le 19 septembre 1972, il a bénéficié, depuis le 1er octobre 1973, de prestations d' invalidité dans ces deux pays .

3 . La législation belge est une législation de type A ( c' est-à-dire que le montant des prestations ne dépend pas de la durée des périodes d' assurance accomplies ), alors que la législation italienne est une législation de type B ( c' est-à-dire que le montant des prestations dépend de la durée des périodes d' assurance accomplies ).

4 . Conformément aux dispositions de l' article 40, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 1408/71 du Conseil, tel que modifié (( voir annexe I au règlement ( CEE ) n° 2001/83, JO 1983, L 230, p . 6 )), les dispositions de l' article 46 du même règlement étaient applicables à la liquidation des prestations dues à M . Cabras . La prestation italienne a été calculée conformément au régime de totalisation et de proratisation prévu à l' article 46, paragraphe 2 . La prestation belge a été déterminée
conformément aux seules dispositions de la législation nationale en vertu de laquelle M . Cabras bénéficiait d' une pension complète . L' institution belge de sécurité sociale, l' Institut national d' assurance maladie-invalidité ( ci-après "Institut national "), a par la suite appliqué une règle nationale contre le cumul des prestations et a diminué la pension complète belge du montant de la prestation italienne .

5 . M . Cabras ne semble pas avoir contesté le calcul initial de la prestation qui lui était due ou l' application de la règle belge anticumul . Il conteste en fait une décision ultérieure portant nouveau calcul de la prestation belge et l' application avec effet rétroactif de cette décision . Les circonstances ayant entraîné un nouveau calcul de la prestation belge sont les suivantes .

6 . Au fil des ans, les prestations tant italiennes que belges ont été ajustées pour prendre en compte les augmentations du coût de la vie . La revalorisation de la prestation italienne a été particulièrement forte, apparemment en raison d' une erreur d' interprétation des dispositions italiennes en matière d' indexation . Initialement fixée à un taux équivalant à 51 francs belges ( BFR ) par jour au 1er octobre 1973, elle avait atteint, le 1er août 1981, un taux équivalant à 377 BFR . Durant cette
période, la prestation belge était également indexée, mais les augmentations de la prestation italienne n' ont pas été prises en considération aux fins de l' application de la règle anticumul . L' Institut national a continué à déduire le même montant que celui déduit en octobre 1973, bien que la prestation italienne, en fonction de laquelle la déduction a été opérée, ait septuplé . En fait, l' article 51, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, qui dispose que, lorsque des prestations sont modifiées
d' un pourcentage ou montant déterminé variant en fonction du coût de la vie, "ce pourcentage ou montant doit être appliqué directement aux prestations établies conformément aux dispositions de l' article 46, sans qu' il y ait lieu de procéder à un nouveau calcul selon les dispositions dudit article", s' opposait à ce que l' Institut national prenne en compte les augmentations de la prestation italienne .

7 . La législation belge applicable a été modifiée, avec effet au 1er juillet 1982, de sorte que M . Cabras, à cause des revenus de son épouse, n' a plus été considéré comme ayant la qualité d' assuré avec charge de famille . Il en est résulté une diminution de ses indemnités belges . Malheureusement pour M . Cabras, cela a également abouti à permettre à l' Institut national de procéder à un nouveau calcul de ses indemnités conformément aux dispositions de l' article 46 et de prendre en
considération, aux fins de l' application de la règle belge anticumul, les augmentations qu' avait connues la prestation italienne . L' Institut national était fondé à procéder ainsi parce que la modification de la législation belge constituait une modification du "mode d' établissement ou des règles de calcul des prestations" au sens de l' article 51, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 . Il peut paraître étrange que, pendant plusieurs années, les autorités compétentes belges ont été empêchées de
prendre en compte les augmentations de la prestation italienne aux fins de l' application de leur règle anticumul, alors qu' une simple modification de leur législation a suffi pour qu' elles soient habilitées à prendre en considération ces augmentations . Toutefois, tel semble être l' effet de l' article 51, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71, et cela est conforme à l' interprétation de ces dispositions que la Cour a donnée dans l' affaire Sinatra/FNROM ( 7/81, Rec . 1982, p . 137 ) et
dans l' affaire Cinciuolo/INAMI ( 104/83, Rec . 1984, p . 1285 ).

8 . En ce qui concerne M . Cabras, cela s' est traduit finalement par une double réduction de ses indemnités belges . En premier lieu, elles ont été réduites parce qu' il avait cessé d' avoir la qualité de titulaire avec personnes à charge; en second lieu, elles ont été réduites parce que l' Institut national était fondé à déduire de leur montant la totalité du montant revalorisé de la prestation italienne . Comble de malheur pour M . Cabras, l' Institut national a souhaité donner effet au nouveau
calcul à compter du 1er juillet 1982, date à laquelle la modification de la législation belge est entrée en vigueur . Toutefois, la décision portant nouveau calcul des prestations dues à M . Cabras ne lui a été notifiée que le 23 février 1984 . Par conséquent, l' Institut national entend récupérer le montant des prestations qui ont été versées en trop au cours de la période en cause . La somme en question s' élève à plus de 60 000 BFR .

9 . M . Cabras a introduit devant le tribunal du travail de Bruxelles une action dirigée contre la décision portant nouveau calcul de ses indemnités et contre la décision de répétition de l' indu . Le tribunal du travail a déféré les questions suivantes à la Cour :

"1)Le montant théorique visé à l' article 46, paragraphe 3, du règlement ( CEE ) n° 1408/71 constitue-t-il une limite absolue qui ne peut en aucune manière être dépassée, même pas lorsque, en cas d' application d' une législation de type A, la pension théorique correspond à la pension nationale?

En cas de réponse affirmative, est-il compatible avec l' article 51 du traité que la créance conférée dans un État par le droit communautaire soit entièrement absorbée par la créance conférée dans un autre État par le seul droit national?

En cas de réponse négative, comment s' établit le coefficient de correction dans le cas où une seule des prestations liquidées est déterminée selon les dispositions du paragraphe 1?

2 ) Lorsque l' institution d' un État membre procède à la révision de la situation d' un travailleur migrant sur la base de l' article 51, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 1408/71 et que ce nouveau calcul aboutit à un amoindrissement des droits de l' intéressé par la prise en considération de la prestation servie par un autre État où le nouveau calcul est inopérant, cette même institution est-elle fondée à récupérer, avec effet rétroactif, l' indu qui s' est créé par l' application du droit
communautaire ( articles 46 et 51 du règlement n° 1408/71 ) ou doit-elle renoncer à la récupération en application de l' article 112 du règlement n° 574/72, dès lors que l' institution de l' autre État, débitrice de la prestation non sujette à révision, ne dispose pas d' arrérages à retenir au profit de la première institution?"

Sur la première question

10 . Avant d' examiner les problèmes spécifiques soulevés par la première question, il nous paraît utile de résumer brièvement les dispositions de l' article 46 relatives au calcul des prestations, car seule la compréhension du mécanisme de cet article permet de saisir la ratio du paragraphe 3 .

11 . L' article 46, paragraphe 1, est applicable lorsque le droit à prestations d' une personne est ouvert sans qu' il soit nécessaire de faire appel à des périodes d' assurance accomplies dans d' autres États membres . L' institution de l' État membre concerné calcule, en application du premier alinéa, la prestation sur la base des périodes d' assurance accomplies sous la législation de cet État membre . Elle calcule aussi, en application du deuxième alinéa, la prestation qui serait due
conformément au régime de totalisation et de proratisation prévu à l' article 46, paragraphe 2, sous a ) et b ). Le montant le plus élevé est seul retenu .

12 . L' article 46, paragraphe 2, vise les situations dans lesquelles le droit aux prestations d' une personne n' est ouvert que compte tenu des périodes d' assurance accomplies dans un autre État membre . En pareil cas, l' institution dans le premier État calcule le montant théorique de la prestation à laquelle l' intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d' assurance accomplies par l' intéressé dans différents États membres avaient été accomplies dans l' État membre en cause (( article
46, paragraphe 2, sous a ) )). Elle détermine, ensuite, le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes d' assurance accomplies sous la législation qu' elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d' assurance accomplies dans les différents États membres (( article 46, paragraphe 2, sous b ) )). Par conséquent, si X a travaillé pendant dix ans dans un État membre A et pendant vingt ans dans un État membre B, même si selon la
législation de l' État membre A une période d' assurance de dix ans ne lui ouvre pas droit à une pension, il aura droit dans l' État membre A à un tiers de la prestation à laquelle il pourrait prétendre s' il avait travaillé trente ans dans l' État membre en cause . La méthode que nous venons de décrire constitue ce qu' il est convenu d' appeler le régime de totalisation et de proratisation .

13 . Dans certaines circonstances, le système précité pourrait aboutir au cumul injustifié de prestations . Cette éventualité devrait cependant être exclue dès lors que l' ensemble des prestations a été proratisé en application de l' article 46, paragraphe 2, parce que en pareil cas elles sont, par définition, proportionnées à la durée des périodes d' assurance accomplies . Le problème d' un cumul injustifié ne se pose que lorsqu' une ou plusieurs des prestations sont calculées conformément au
premier alinéa de l' article 46, paragraphe 1, en particulier dans le cadre d' une législation de type A, en vertu de laquelle une pension complète peut parfois être obtenue sur la base d' une période d' assurance relativement courte .

14 . C' est précisément en vue de régler ce genre de situation que le paragraphe 3 a été ajouté à l' article 46 . Celui-ci dispose :

"L' intéressé a droit, dans la limite du plus élevé des montants théoriques de prestations calculées selon les dispositions du paragraphe 2 sous a ), à la somme des prestations calculées conformément aux dispositions des paragraphes 1 et 2 .

Pour autant que le montant visé à l' alinéa précédent soit dépassé, chaque institution qui applique le paragraphe 1 corrige sa prestation d' un montant correspondant au rapport entre le montant de la prestation considérée et la somme des prestations déterminées selon les dispositions du paragraphe 1 ."

15 . A première vue, cette disposition peut paraître complexe et assez difficile à comprendre . Toutefois, si on la considère à la lumière du système de l' article 46, tel qu' il a été décrit ci-dessus, elle est très simple . Elle comporte deux éléments . Au premier alinéa, elle fixe un plafond à la somme des prestations que l' intéressé peut percevoir dans les différents États membres . Au deuxième alinéa, elle institue un mécanisme visant à assurer que le plafond ne soit pas dépassé . Le mécanisme
est défini en termes assez compliqués . Toutefois, répétons-le, on le comprend aisément à condition d' avoir à l' esprit le système de l' article 46 . L' hypothèse de base est que les prestations proratisées, calculées conformément à l' article 46, paragraphe 2, n' ont pas à être réduites parce qu' elles sont, par définition, proportionnées à la durée des périodes d' assurance accomplies . Seules les prestations calculées conformément au premier alinéa de l' article 46, paragraphe 1, nécessitent une
réduction, parce que, ainsi que nous l' avons déjà souligné, c' est elles qui donnent lieu à un cumul injustifié . Il est clair que pour respecter le plafond visé au premier alinéa de l' article 46, paragraphe 3, le montant intégral qui dépasse cette limite doit être déduit des prestations calculées conformément au premier alinéa de l' article 46, paragraphe 1 . Si une institution est la seule à fournir des prestations de cette nature, elle doit déduire de ces prestations le montant intégral à
concurrence duquel le plafond a été dépassé . C' est en ce sens que la Cour a statué dans l' affaire Collini/ONPTS ( 323/86, Rec . 1987, p . 5489 ), et c' est ainsi que l' Institut national a procédé dans le cas de M . Cabras . A vrai dire, la complexité de la formule établie au deuxième alinéa de l' article 46, paragraphe 3, tient au fait que cette disposition est destinée à couvrir également des situations plus compliquées qui se produisent lorsque plus d' une institution fournit des prestations
calculées conformément au premier alinéa de l' article 46, paragraphe 1 . En pareil cas, sa fonction consiste à répartir la réduction entre les institutions concernées . Une telle répartition n' est, à l' évidence, pas nécessaire lorsqu' il n' y a qu' une institution qui fournit des prestations de cette nature .

16 . La description que nous venons de donner aura, nous l' espérons, révélé qu' aucun doute n' est permis si nous nous bornons à l' interprétation de l' article 46, paragraphe 3, par opposition à la question de sa validité . Dans un cas tel que celui visé en l' espèce, l' Institut national, qui est la seule institution à servir une prestation calculée conformément au premier alinéa de l' article 46, paragraphe 1, était obligé de déduire de cette prestation le montant intégral à concurrence duquel
la limite du montant théorique le plus élevé avait été dépassée .

17 . M . Cabras soutient, toutefois, que l' article 46, paragraphe 3, dans la mesure où il y a lieu de l' interpréter en ce sens, est incompatible avec l' article 51 du traité . Il fait valoir en substance qu' il ne tire aucun avantage de ses périodes d' assurance accomplies en Italie, parce que sa prestation belge est réduite du montant intégral de sa prestation italienne . Il se trouve dans une situation qui, en termes de sécurité sociale, n' est pas plus favorable que celle d' un travailleur qui
a effectué toute sa carrière en Belgique . Aux fins de remédier à cette prétendue injustice, il propose une formule spéciale qui est censée lui permettre de bénéficier d' une partie de la prestation italienne .

18 . Une argumentation analogue a été avancée par le gouvernement italien, qui soutient en outre que, en déduisant de la prestation belge le montant intégral de la prestation italienne, l' Institut national a méconnu le "principe de proportionnalité", qui est à la base de la méthode de calcul prévue à l' article 46, paragraphe 3 . Le gouvernement italien propose également une formule spéciale qui, bien qu' elle soit légèrement différente de celle proposée par M . Cabras, aboutit au même résultat .
De l' avis du gouvernement italien, la prestation belge devrait être réduite selon un coefficient correcteur résultant d' une fraction ayant comme numérateur le "montant théorique le plus élevé" et comme dénominateur la somme des deux prestations .

19 . Malgré les arguments avancés par le conseil de M . Cabras et par l' agent du gouvernement italien ( qui, lors de l' audience, ont été unanimes à dénoncer les effets pervers de l' article 46 ), nous estimons qu' il ressort clairement des considérations que nous avons déjà exposées que la méthode de calcul prévue à l' article 46 est logique et cohérente . Elle vise principalement à garantir, conformément à l' article 51 du traité, que le travailleur migrant ne subisse pas un désavantage du fait
qu' il a travaillé dans différents États membres et qu' aucune des institutions concernées n' ait à supporter une charge disproportionnée . Ainsi que nous avons essayé de le démontrer, il existe des circonstances dans lesquelles un travailleur pourrait être indûment avantagé par un cumul de prestations, en particulier lorsqu' une des prestations ne dépend pas de la durée des périodes d' assurance accomplies . La décision de limiter la possibilité de cumul des prestations était donc appropriée . Le
plafond fixé par l' article 46, paragraphe 3, n' est pas dépourvu de générosité : le travailleur a droit au montant maximal qu' il aurait perçu si l' ensemble de ses périodes d' assurance avaient été accomplies dans un seul des États membres dans lesquels il a travaillé . Il importe peu que, dans le cas de M . Cabras, la limite fixée par l' article 46, paragraphe 3, est égale à la pension due au titre de la législation belge, de sorte qu' il ne perçoit aucune prestation supplémentaire pour les
périodes d' assurance accomplies en Italie . Cette circonstance ne peut revêtir de l' importance qu' à condition que l' on admette la thèse de M . Cabras, selon laquelle une personne qui a travaillé dans plusieurs États membres doit percevoir des prestations supplémentaires au titre des périodes d' assurance accomplies dans chaque État membre . Cette prémisse est toutefois erronée . Elle repose sur l' idée que, en vertu de l' article 51 du traité, une personne qui a travaillé dans plusieurs États
membres doit, en termes de sécurité sociale, se trouver dans une situation plus favorable que celle d' une personne qui a effectué toute sa carrière dans un même État membre . Ce point de vue est assurément erroné : l' article 51 exige simplement que la première ne soit pas moins bien traitée que la seconde .

Sur la deuxième question

20 . Cette question concerne en particulier l' article 112 du règlement ( CEE ) n° 574/72 tel que modifié ( voir annexe II au règlement n° 2001/83 du Conseil, JO 1983, L 230, p . 6 ), qui dispose :

"Lorsqu' une institution a procédé à des paiements indus, soit directement, soit par l' intermédiaire d' une autre institution, et que leur récupération est devenue impossible, les sommes en question restent définitivement à la charge de la première institution, sauf dans le cas où le paiement indu est le résultat d' une action dolosive ."

21 . Cette disposition ne saurait être appréhendée en dehors de son contexte . Elle fait partie du titre VI du règlement n° 574/72, intitulé "Dispositions diverses ". Les articles 111 et 112 forment la partie intitulée "Répétition de l' indu par les institutions de sécurité sociale et recours des organismes d' assistance ". Les paragraphes 1 et 2 de l' article 111 prévoient en substance que, lorsqu' une institution de sécurité sociale a servi des prestations qui excèdent le montant dû, elle peut
demander à l' institution de tout autre État membre qui sert des prestations à l' intéressé de retenir le montant payé en trop sur les montants qu' elle verse au bénéficiaire et de transférer le montant retenu à la première institution .

22 . M . Cabras infère du libellé de l' article 112 et de la proximité de l' article 111 que, dans les circonstances de l' espèce, l' Institut national ne pouvait pas récupérer les sommes payées en trop entre le 1er juillet 1982 et le 23 février 1984 .

23 . Quel que puisse être le sens exact de l' article 112 ( et nous concédons volontiers que cette question n' est pas sans soulever certains doutes ), nous ne voyons pas comment cette disposition pourrait avoir le sens qui lui est attribué par M . Cabras . Notre analyse se fonde sur les raisons suivantes .

24 . En premier lieu, ainsi que l' Institut national l' a souligné, les règlements n°s 1408/71 et 574/72 ne prévoient que la coordination des législations nationales, et l' interprétation avancée par M . Cabras est difficilement conciliable avec la notion de coordination . Les règlements n' ont pas instauré un régime commun de sécurité sociale, et des différences sensibles, tant de fond que de procédure, subsistent entre les régimes nationaux . Dans ce contexte, il serait illogique que le
législateur communautaire ait la prétention d' introduire une règle visant à déterminer dans quelles circonstances les institutions compétentes dans les États membres ne peuvent pas procéder à la récupération de sommes indues . Il appartient en principe aux seules législations nationales de régler ces questions .

25 . En second lieu, à supposer que le législateur ait voulu adopter une disposition en ce sens, nous nous demandons s' il l' aurait incluse dans les "Dispositions diverses" du règlement n° 574/72, qui fixe simplement les modalités d' application du règlement n° 1408/71 . Une disposition de fond aussi importante aurait assurément été incluse dans le règlement n° 1408/71 lui-même .

26 . Troisièmement, l' article 45, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, qui était applicable conformément à l' article 49, paragraphe 1, du même règlement, imposait à l' Institut national l' obligation de verser les prestations à titre provisionnel . L' éventualité qu' un versement puisse être récupéré lorsqu' il s' avère qu' il n' était pas dû est inhérente à la notion même de versement à titre provisionnel .

27 . Quatrièmement, l' interprétation soutenue au nom de M . Cabras est fondée sur une compréhension erronée de la portée et de la finalité de l' article 111 du règlement n° 574/72 . Les paragraphes 1 et 2 de l' article 111 permettent à une institution qui a effectué des versements en trop de demander à l' institution d' un autre État membre de retenir le montant payé en trop, d' abord, sur les arrérages que celle-ci verse à l' intéressé et, ensuite, sur toutes autres sommes qu' elle lui verse . Il
ne serait pas raisonnable de prétendre qu' il s' agit là du seul moyen d' obtenir d' une personne soumise à la réglementation communautaire le remboursement de sommes versées en trop et qu' une institution ne dispose pas d' un mode de récupération plus direct consistant, par exemple, à opérer une retenue sur les prestations dont elle est elle-même débitrice ou en engageant une action devant la juridiction nationale compétente . Ce point de vue est corroboré - si tant est que cela soit nécessaire -
par l' utilisation du terme "peut" dans l' article 111, paragraphes 1 et 2 . L' article 111 a uniquement pour finalité de faciliter la coopération entre les institutions de différents États membres en ce qui concerne la répétition de sommes payées en trop . Il ne vise pas à régler de manière exhaustive la procédure de recouvrement de ces sommes . Et nous disons cela malgré l' arrêt de la Cour, dans l' affaire Fanara/INAMI ( 111/80, Rec . 1981, p . 1269 ), aux termes duquel l' article 111 "règle de
manière exhaustive la question de la répétition de la somme payée en trop, en ce qui concerne les prestations de sécurité sociale dues à un travailleur auquel des prestations ont été versées à un titre prévisionnel en vertu de l' article 45, paragraphe 1, du règlement n° 574/72" ( point 14, Rec . p . 1281 ). L' utilisation de l' expression "de manière exhaustive" doit être comprise dans le contexte de ce cas d' espèce . A notre avis, cela signifiait uniquement que la législation nationale ne peut
pas prévoir que, lorsque les arrérages reçus d' un organisme étranger sont supérieurs au montant du paiement indu, le solde, dans certaines circonstances, n' a pas à être versé à l' intéressé .

28 . Cinquièmement, même dans le cadre d' une interprétation littérale, l' article 112 ne saurait être d' un grand secours pour étayer la thèse de M . Cabras, parce qu' il n' est d' application que lorsque la "récupération ( des paiements indus ) est devenue impossible ". Il existe au moins quatre voies par lesquelles une institution peut récupérer des paiements indus; elle peut : a ) demander à une institution étrangère, conformément à l' article 111, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, de
retenir le montant en question sur des arrérages que celle-ci verse à l' intéressé; b ) demander à une institution étrangère, conformément à l' article 111, paragraphe 2, de retenir le montant en question sur d' autres sommes que celle-ci verse à l' intéressé; c ) retenir le montant de prestations dont elle est elle-même débitrice en faveur de l' intéressé; d ) engager une action devant la juridiction nationale compétente . En l' espèce, seul le premier mode de récupération paraît impossible . On
pourrait certes faire valoir, au nom de M . Cabras, que le terme "impossible" utilisé à l' article 112 vise en fait l' impossibilité de récupérer le paiement indu en faisant appel à la première méthode . Nous estimons, toutefois, que si telle avait été l' intention des auteurs du règlement n° 574/72, ils l' auraient dit au lieu d' utiliser la formule vague que "la récupération est devenue impossible ".

29 . Si l' article 112 ne peut pas avoir le sens que lui attribue M . Cabras, il est permis de se poser la question de savoir comment il convient de l' interpréter . Force est de reconnaître que cette disposition est peu claire et aucune aide directe n' est fournie par la jurisprudence de la Cour, dans le cadre de laquelle cette disposition ne semble pas avoir été examinée . C' est en vue de dissiper les doutes soulevés par le libellé de l' article 112 que la Cour a adressé un certain nombre de
questions écrites à la Commission en ce qui concerne l' interprétation de l' article 112 et de l' article qui le précède . En particulier, la Cour a demandé à la Commission si elle disposait de travaux préparatoires de nature à fournir quelques indications sur les intentions des auteurs du règlement .

30 . Les réponses de la Commission à ces questions n' ont pas complètement dissipé nos doutes en ce qui concerne le sens exact de l' article 112, mais elles ont assurément été d' un certain secours . On apprend ainsi que l' insertion de l' article 112 a été décidée dans la dernière phase des discussions . Cela n' est guère étonnant et pourrait bien être la raison pour laquelle l' article 112 ne paraît pas cadrer facilement avec le système du règlement . Il apparaît également que l' insertion de l'
article 112 dans le règlement a été proposée pour la première fois au sein de la commission de vérification des comptes, un organisme dont la principale tâche consistait, conformément à l' article 78 du règlement n° 4 ( JO 1958, p . 597 ), à assister la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants dans l' établissement des comptes annuels en ce qui concerne les différentes dispositions du règlement n° 3 ( JO 1958, p . 561 ), relatives au remboursement, par l'
institution d' un État membre, des sommes servies par l' institution d' un autre État membre . Cet élément vient confirmer ce que nous avons déjà exposé à propos de l' interprétation de l' article 112, en ce sens qu' il paraît très improbable qu' un tel organisme souhaite arrêter une règle de fond qui fixe les conditions dans lesquelles un bénéficiaire de prestations de sécurité sociale devrait être dégagé de l' obligation de rembourser des paiements indus . Il est nettement plus probable qu' un tel
organisme s' efforcera de déterminer qui, parmi les institutions de différents États membres, aura à supporter la charge de la perte, lorsque des paiements indus ont été effectués et que leur récupération est devenue impossible, en particulier en raison du décès ou de l' insolvabilité du bénéficiaire ou de l' expiration des délais y afférents . Telle est en substance l' interprétation que la Commission propose dans ses réponses aux questions posées par la Cour, et c' est, à notre avis, la bonne
interprétation . Certes, cela ne dissipe pas tous les doutes qui entourent l' interprétation de l' article 112 : la pertinence de la réserve concernant l' action dolosive reste obscure . Toutefois, nous sommes convaincu que cette disposition ne saurait avoir le sens qui lui est attribué par M . Cabras et qu' elle n' était pas destinée à s' appliquer à des situations du genre de celle visée en l' espèce .

31 . Avant de conclure, nous voudrions ajouter une dernière observation . Bien que l' article 112 du règlement n° 574/72 n' étaye pas, à notre avis, la thèse de M . Cabras en l' espèce, nous estimons que dans certaines circonstances le principe de protection de la confiance légitime pourrait s' opposer à ce qu' une institution procède à la récupération de prestations indûment servies . Nous citerons deux exemples qui sont théoriques, parce que les dispositions en question n' ont pas été invoquées en
l' espèce .

32 . En premier lieu, l' article 49, paragraphe 2, du règlement n° 574/72 dispose que, "en cas de recalcul ..., l' institution qui a pris cette décision la notifie sans délai à l' intéressé ...". Lorsqu' une institution a indûment tardé à procéder au recalcul ou à notifier le résultat à l' intéressé, qui a entre-temps continué à percevoir de bonne foi des prestations à un taux plus élevé, on peut, nous semble-t-il, se trouver en présence de circonstances dans lesquelles la décision ne devrait pas
prendre effet avant la date à laquelle elle a été notifiée à l' intéressé . En second lieu, en vertu de l' article 49, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, les dispositions de l' article 45 du règlement d' application sont applicables par analogie chaque fois que des prestations sont recalculées conformément à l' article 51, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 . En vertu de l' article 45, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, une institution peut, par conséquent, être tenue de verser des
prestations à titre provisionnel; en vertu de l' article 45, paragraphe 4, elle doit alors "en ( informer ) immédiatement le requérant en attirant explicitement son attention sur le caractère provisoire ... de la mesure prise à cet effet ". De nouveau, si ces dispositions ne devaient pas être respectées, il est clair qu' une question de confiance légitime pourrait se poser .

33 . En conséquence, nous estimons que les questions déférées à la Cour par le tribunal du travail de Bruxelles appellent les réponses suivantes :

"1 ) Lorsque l' institution compétente d' un État membre applique la règle anticumul énoncée à l' article 46, paragraphe 3, du règlement ( CEE ) n° 1408/71, le fait que le 'plus élevé des montants théoriques de prestation' , au sens du premier alinéa de cette disposition, correspond à la prestation due au titre de la seule législation nationale, qu' elle applique, ne s' oppose pas à ce que l' institution réduise cette prestation de manière à assurer que le montant total des prestations perçues par
l' intéressé ne dépasse pas le montant théorique le plus élevé .

2 ) L' article 46, paragraphe 3, du règlement ( CEE ) n° 1408/71 n' est pas incompatible avec l' article 51 du traité, en ce qu' il a pour effet, en pareil cas, que la prestation due au titre de la législation nationale de l' État membre précité est diminuée du montant intégral de la prestation due dans un autre État membre .

3 ) Lorsque l' institution d' un État membre procède, conformément à l' article 51, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 1408/71, à un nouveau calcul qui conduit à une réduction du montant des prestations dues, l' article 112 du règlement ( CEE ) n° 574/72 ne s' oppose pas à ce que ladite institution procède à la répétition de paiements versés en trop par rapport au montant dû ."

(*) Langue originale : l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-199/88
Date de la décision : 08/02/1990
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique.

Sécurité sociale - Prestations d'invalidité - Règles communautaires du cumul - Répétition de l'indu.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Giovanni Cabras
Défendeurs : Institut national d'assurance maladie-invalidité.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Grévisse

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:59

Source

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