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10/01/1990 | CJUE | N°C-350/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 10 janvier 1990., Société française des Biscuits Delacre e.a. contre Commission des Communautés européennes., 10/01/1990, C-350/88


Avis juridique important

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61988C0350

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 10 janvier 1990. - Société française des Biscuits Delacre e.a. contre Commission des Communautés européennes. - Agriculture - Aide au beurre destiné à la fabrication de produits de pâtisserie - Adjudication - Décision de

la Commission réduisant le niveau de l'aide - Recours en annulation. - Affaire...

Avis juridique important

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61988C0350

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 10 janvier 1990. - Société française des Biscuits Delacre e.a. contre Commission des Communautés européennes. - Agriculture - Aide au beurre destiné à la fabrication de produits de pâtisserie - Adjudication - Décision de la Commission réduisant le niveau de l'aide - Recours en annulation. - Affaire C-350/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-00395

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A - Les faits

1 . L' affaire sur laquelle nous allons nous prononcer a pour objet un recours en annulation formé au titre de l' article 173 du traité CEE par trois sociétés françaises fabriquant des produits de pâtisserie, à savoir : 1 ) la Société française des Biscuits Delacre, société anonyme dont le siège est à Nieppe ( France ), 2 ) les Établissements J . Le Scao, société anonyme dont le siège est à Briec-de-l' Odet ( France ), et 3 ) la Biscuiterie de l' Abbaye, société à responsabilité limitée dont le
siège est à Lonlay-L' Abbaye ( France ) ( ci-après "requérantes ").

2 . Les requérantes ont participé à une adjudication permanente en vue de l' octroi d' une aide au beurre au titre des dispositions du règlement ( CEE ) n° 570/88 de la Commission, du 16 février 1988, relatif à la vente à prix réduit de beurre et à l' octroi d' une aide au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires ( 1 ).

3 . Par décision du 30 septembre 1988 adressée aux États membres, la Commission a fixé un niveau maximal de l' aide pour l' adjudication n° 8, ce qui a entraîné le rejet des soumissions des requérantes ( 2 ). Les aides maximales pouvant être octroyées selon la décision se situaient à la fois au-dessous du niveau des adjudications précédentes et en deçà des montants d' aides proposés par les requérantes dans leurs soumissions . Depuis l' adjudication n° 4 ( 3 ) en juillet jusqu' à l' adjudication
litigieuse n° 8 en septembre 1988, on a enregistré une baisse constante du niveau maximal de l' aide . De 167 à 154 écus/100 kg de beurre en septembre 1988 en passant par 166, 163 et 159 écus, l' aide a évolué à la baisse; lors de l' adjudication n° 9, elle a même baissé à nouveau de 4 écus, soit 150 écus .

4 . Une diminution des stocks de beurre avait ébranlé l' ensemble de la structure des prix sur le marché du beurre . Les prix minimaux de vente de beurre de stockage public ont connu, au cours du second semestre de 1988, une augmentation constante . De même, on a pu constater une hausse substantielle du prix du beurre de marché .

5 . Du fait que le prix de marché augmentait et qu' en même temps le niveau de l' aide accordée pour l' achat de beurre de marché diminuait, les coûts d' achat du beurre se sont trouvés, en fin de compte, en augmentation d' environ 50 %. Cette évolution a touché également les requérantes, qui s' approvisionnaient régulièrement en beurre de marché .

6 . Les requérantes estiment que la Commission a agi illégalement en baissant le niveau de l' aide de manière relativement brusque sans en informer au préalable les transformateurs . La décision du 30 septembre 1988 serait, par ailleurs, illégale pour plusieurs raisons . Les requérantes font, d' abord, valoir une violation des formes substantielles en soutenant que la décision n' est pas régulièrement motivée au sens de l' article 190 du traité CEE . Selon elles, elle aurait dû énoncer l' avis du
comité de gestion ainsi que les motifs de la baisse du niveau de l' aide . Elles font, en outre, valoir une violation des principes généraux du droit communautaire . Auraient ainsi fait l' objet d' une violation les principes de proportionnalité, de confiance légitime et de non-discrimination .

7 . Les requérantes concluent à ce qu' il plaise à la Cour :

- déclarer leur requête recevable;

- annuler la décision attaquée;

- condamner la Commission aux dépens .

8 . La Commission, défenderesse, conclut à ce qu' il plaise à la Cour :

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner les requérantes aux dépens de l' instance .

9 . En ce qui concerne les détails des faits ainsi que l' argumentation des parties, nous prions la Cour de bien vouloir se reporter au rapport d' audience . Les faits ne sont rappelés que dans la mesure nécessaire à la discussion .

B - Discussion

I - Sur la recevabilité

10 . Il y a lieu d' examiner d' office la question de la recevabilité du recours ( 4 ). Cette question pose un problème dans la mesure où la décision attaquée était adressée non pas aux requérantes, mais aux États membres . En vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, les personnes morales peuvent former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous l' apparence d' une décision adressée à une autre personne, les concernent directement et individuellement . Il s' agit donc
de savoir si les requérantes sont concernées directement et individuellement .

11 . Dans la procédure d' adjudication permanente, les organismes d' intervention ont en partie un rôle d' intermédiaire . Ils centralisent les soumissions qui leur parviennent au cours de chaque période déterminée et les transmettent à la Commission . La Commission fixe ensuite, compte tenu des soumissions provenant de l' ensemble de la Communauté, un prix minimal de vente du beurre d' intervention et un montant maximal de l' aide pour l' achat de beurre de marché . Ces fixations font l' objet d'
une décision adressée aux États membres et s' imposent aux organismes d' intervention dans le cadre de l' adjudication particulière correspondante .

12 . La décision consistant, selon le cas, à déclarer un soumissionnaire adjudicataire ou à lui octroyer une aide est matériellement prise par la Commission, puisque les organismes d' intervention n' ont aucune latitude de s' écarter des fixations de prix de la Commission . La communication par laquelle les organismes d' intervention informent les soumissionnaires que leur soumission est exclue de l' adjudication particulière relève du pouvoir lié et ne se caractérise par aucune appréciation
autonome de l' organisme d' intervention .

13 . L' exclusion des requérantes, intervenue par communication du 3 octobre 1988, a donc été déterminée exclusivement par la décision attaquée du 30 septembre 1988 . Dès lors, la décision de la Commission, bien que prise sous la forme d' une décision adressée aux États membres et, par leur intermédiaire, aux organismes d' intervention, a statué directement sur l' acceptation ou le rejet de chacune des offres soumises dans le cadre de l' adjudication n° 8 . Comme il s' agissait donc, en réalité, d'
une adjudication pour l' ensemble de la Communauté, sur laquelle la Commission a statué sans que la décision ait pu être influencée par l' interposition, à des fins de technique procédurale, des organismes d' intervention, les requérantes sont concernées directement et individuellement par la décision attaquée ( 5 ). Elles le sont individuellement du seul fait qu' elles étaient individualisées par la participation à l' adjudication au moyen de l' introduction d' une soumission .

14 . Cette conclusion se trouve également corroborée par le fait que la Commission n' a soulevé dans la procédure aucune objection quant à la recevabilité .

II - Sur le bien-fondé

1 ) Défaut de motivation au sens de l' article 190 du traité CEE

15 . Les requérantes estiment que la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de l' obligation de motivation prévue par l' article 190 du traité CEE, au motif, d' une part, qu' elle n' énonce pas l' avis du comité de gestion et, d' autre part, qu' elle ne comporte pas d' explications sur la modification du niveau de l' aide .

16 . L' article 18 du règlement n° 570/88 règle la procédure de fixation du prix minimal de vente ainsi que du montant maximal de l' aide . Il renvoie, à cet égard, à l' article 30 du règlement ( CEE ) n° 804/68 ( 6 ), qui règle la procédure du comité de gestion .

17 . Il y a lieu de donner raison aux requérantes lorsqu' elles rappellent que la procédure prescrite doit être obligatoirement respectée . Ce qui peut prêter à discussion, c' est la question de savoir si la motivation de la décision en cause doit comporter l' exposé des différentes étapes du déroulement de la procédure ou si un simple renvoi aux dispositions procédurales applicables est suffisant . L' étendue de l' obligation de motivation d' une décision ne peut être déterminée de manière
abstraite, mais est fonction du contenu et de la portée de la décision .

18 . Il est vrai que la Cour a jugé dans une jurisprudence constante ( 7 ) que la motivation exigée devait faire apparaître, d' une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l' autorité communautaire, auteur de l' acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et à la Cour d' exercer son contrôle .

19 . Lors de l' appréciation concrète des décisions qui lui étaient soumises, la Cour a, cependant, toujours tenu compte du contexte juridique et de la portée de la décision ( 8 ). Dans cette optique, la Cour estime qu' il n' est pas exigé que la motivation spécifie tous les différents éléments de fait ou de droit pertinents . En effet, selon cette jurisprudence, une motivation doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l' ensemble des règles
juridiques régissant la matière concernée ( 9 ).

20 . Si l' on situe la décision attaquée dans le contexte d' ensemble des dispositions visant à la réduction de la pléthore de beurre et notamment du règlement n° 570/88, on voit clairement que la fixation des montants maximaux des aides et des prix minimaux constitue une procédure uniforme, reprise d' une fois sur l' autre, dans le cadre de laquelle les décisions ne diffèrent sensiblement les unes des autres ni quant à leur mode d' adoption ni quant à leur contenu .

21 . Par ailleurs, les décisions sont également déterminées par des circonstances de fait sur lesquelles l' autorité qui les prend n' exerce pas d' influence . La Commission statue après réception de toutes les soumissions introduites pour une adjudication particulière en tenant compte du niveau des stocks, du prix de marché et de l' évolution du marché . Les éléments entrant en ligne de compte pour la décision sont si limités qu' une référence aux bases juridiques applicables tenant compte du
contexte factuel doit normalement constituer une motivation suffisante .

22 . a ) En ce qui concerne maintenant le grief concret selon lequel l' avis du comité de gestion ne ressort pas de la décision, ce grief est matériellement mal fondé, puisque la décision du 30 septembre 1988 ( 10 ), telle qu' elle a été notifiée à la représentation permanente de la France, énonce expressément dans ses considérants : "considérant que le comité de gestion du lait et des produits laitiers n' a pas émis d' avis dans les délais impartis par son président ...".

23 . Il est vrai que la publication des conséquences de la décision au JO 1988, C 259, ne comporte pas l' ensemble de la motivation . Cependant, la forme abrégée de la publication ne pourrait entraîner l' illégalité de la décision que si la publication était nécessaire pour la prise d' effet de la décision et si, en conséquence, la forme donnée à cette publication était déterminante .

24 . Or, la décision attaquée - même si elle produit des effets directs à l' égard des requérantes - est adressée aux États membres . En application de l' article 191, deuxième alinéa, du traité CEE, elle a donc pris effet par la notification . La publication ne vise qu' à une information générale, puisque les soumissionnaires participant à la procédure d' adjudication sont également informés directement par l' organisme d' intervention du résultat de leur participation .

25 . La publication abrégée est, du reste, fondée sur une communication de la Commission ( 11 ) annonçant la simplification des publications purement déclaratoires . Eu égard à l' uniformité et à la fréquence déjà décrites des décisions, cela apparaît tout à fait adéquat .

26 . Il faut avouer qu' il est peu satisfaisant pour la défense des droits des soumissionnaires que ceux-ci ne disposent pas, immédiatement après l' adoption des décisions, de leur motivation complète . Cette conséquence constitue un désavantage dont il faut, dans une certaine mesure, s' accommoder et découlant exclusivement de la situation juridique qui fait que les soumissionnaires attaquent une décision dont ils ne sont pas eux-mêmes les destinataires . Ce désavantage de fait doit cependant
trouver sa limite dès lors que les droits de la défense des soumissionnaires sont menacés .

27 . Le droit de recours prévu par l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE exige que l' accès à une décision adressée à un tiers, mais faisant grief directement et individuellement à l' intéressé soit possible, sous peine de faire obstacle à une protection juridictionnelle effective . Les soumissionnaires doivent donc, en cas de besoin, être mis en mesure, s' ils en font la demande, de prendre connaissance dans son intégralité de la décision leur faisant grief .

28 . L' observation faite dans le cadre de la procédure, selon laquelle les soumissionnaires peuvent obtenir des informations plus complètes, n' est pas de nature à éliminer totalement ces objections, puisque, pour qu' il soit satisfait aux exigences de la protection juridictionnelle, la demande d' information doit avoir pour pendant une obligation de renseigner . Le processus décrit au cours de la procédure, selon lequel les requérantes avaient adressé à l' organisme français d' intervention
Onilait une demande de renseignements qui est cependant demeurée sans réponse, n' est pas satisfaisant du point de vue de la protection juridictionnelle .

29 . Néanmoins, ce vice de procédure ne permet pas, en l' espèce, de conclure à l' illégalité de la décision, puisqu' il est constant que le prétendu défaut de motivation de la décision attaquée, dans la mesure où il s' agit de l' avis du comité de gestion, n' existe pas .

30 . b ) Dans la mesure où le grief de défaut de motivation est fondé sur le fait qu' il n' a pas été fourni d' explications de la baisse du montant maximal de l' aide, l' argumentation des requérantes ne saurait prospérer . La modification de prix minimaux et de montants maximaux d' aides est un phénomène inhérent au système ( 12 ). L' adjudication permanente, qui donne lieu à des adjudications particulières d' une durée de l' ordre de 15 jours, vise précisément à permettre une réaction souple à
des situations de marché, à des niveaux de stocks et à des soumissions introduites . Le caractère modifiable des fixations de prix fait ainsi partie en tant que tel du mécanisme, de sorte qu' il n' a pas besoin de faire l' objet d' une motivation autonome .

2 ) Principe de la confiance légitime

31 . Les requérantes estiment que l' obligation de motivation s' imposait précisément en raison du fait que la fixation du prix résultant de la décision du 30 septembre 1988 représente un changement par rapport à une pratique antérieure constante .

32 . Cet argument ne pourrait être accueilli que si une confiance légitime dans le maintien d' un montant d' aide atteint à un moment donné avait pu naître dans le chef des soumissionnaires ( 13 ).

33 . Ainsi que nous l' avons déjà indiqué, le caractère modifiable du montant de la fixation est en principe voulu . S' il en était autrement, il serait possible de prendre une décision unique, qui serait valable pour une période plus longue, les producteurs pouvant alors se fier à un montant d' aide demeurant inchangé .

34 . Or, le système des prix minimaux et des aides prévu par le règlement n° 570/88 constitue, par définition, un système transitoire visant en première ligne à réduire les importants stocks de beurre dans la Communauté . Dans ce contexte, le régime des aides au beurre de marché doit servir à combattre un accroissement du niveau des stocks . Les coûts d' achat réduits pour les transformateurs de beurre constituent à cet égard un effet induit, qui est certes voulu, mais qui n' est pas le but du
régime .

35 . Dans la mesure où l' adoption du règlement n° 570/88 a fait naître une confiance dans le maintien des mesures visant à favoriser l' écoulement, cette confiance n' a pas été ébranlée, puisque le système des aides a été maintenu comme par le passé . Seul le montant de l' aide a fait l' objet d' une modification .

36 . Aussi bien, l' augmentation susbtantielle des coûts d' achat ne provient-elle que pour partie de la modification de l' aide . L' augmentation du prix de marché a eu une incidence au moins aussi grande . Or, l' évolution de celui-ci échappe à l' influence directe de la Commission, de sorte qu' elle ne saurait encourir une responsabilité à cet égard .

37 . La Commission n' est pas davantage tenue de garantir un prix d' achat demeurant inchangé pour les opérateurs . Dans la mesure où l' augmentation des coûts d' achat apparaît disproportionnée, elle est due à l' accumulation de différents facteurs, la baisse du montant de l' aide ne constituant que l' un d' eux . Une confiance méritant protection dans le fait que les coûts d' achat demeureraient inchangés, dont la Commission devrait, au surplus, être garante, n' a pas pu naître . Les avantages que
les requérantes ont retiré pendant une période relativement longue du système des mesures visant à favoriser l' écoulement ne bénéficient juridiquement d' aucune garantie de maintien à titre de droits acquis .

38 . Enfin, le règlement ( CEE ) n° 3206/88 ( 14 ) n' a pas pu davantage engendrer une situation de confiance légitime . Ce règlement se borne à donner aux États membres la possibilité d' accorder des aides à la consommation de beurre . Les seuls bénéficiaires potentiels sont les consommateurs finaux privés, de sorte que les réquérantes n' auraient pu, en aucun cas, profiter de cette disposition .

3 ) Principe de proportionnalité

39 . La question de savoir si la décision du 30 septembre 1988 était proportionnée à son objet s' apprécie en mettant en balance le but poursuivi et les moyens employés . Les termes du règlement ( deuxième considérant ) définissent ainsi qu' il suit l' objet de la disposition :

"considérant que la situation du marché du beurre dans la Communauté est caractérisée par l' existence d' importants stocks constitués à la suite d' interventions ...; qu' il apparaît impossible d' écouler à des conditions normales la totalité du beurre correspondant à ces stocks; que le règlement ( CEE ) n° 1723/81 du Conseil ..., établit des règles générales relatives à des mesures destinées à maintenir le niveau d' utilisation du beurre de marché par certaines catégories de consommateurs et d'
industries; que, dans les deux cas, constituent des mesures susceptibles de favoriser l' écoulement et l' utilisation de beurre la vente de beurre de stock à prix réduit ou l' instauration d' aides qui ramènent le prix de beurre de marché à un niveau comparable à celui pratiqué pour le beurre de stock, au bénéfice de certaines entreprises de transformation de la Communauté en vue de la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires ".

40 . Dès lors, le but à poursuivre en première ligne est celui de l' écoulement du beurre, la Communauté se servant à cet égard, dans une certaine mesure, des forces qui favorisent de toute façon l' utilisation de beurre, auxquelles elle accorde un soutien économique . Or, les stocks de beurre dans la Communauté ont diminué sensiblement au cours de l' année 1988, cette évolution s' étant amorcée dès l' année 1986 . En septembre 1988, le niveau des stocks dans la Communauté était tombé pratiquement à
moins d' un tiers par rapport aux quantités existant en septembre 1986 ( 1 473 000 tonnes pour 439 000 tonnes, source : Eurostat ).

41 . Dans le cas du stockage public, l' évolution a même été encore plus brutale . Selon les indications de la direction générale Agriculture, les réserves y ont chuté de 1 323 000 tonnes en septembre 1986 à 206 000 tonnes en septembre 1988, soit à moins d' un sixième . L' évolution constante à la baisse s' est poursuivie également après cette période .

42 . Aussi bien, les prix du beurre et du beurre concentré ont-ils connu une hausse constante depuis le début de l' année 1988 .

43 . Eu égard à ces circonstances de fait, il fallait que la Commission fût en droit d' adapter sa politique d' aides à l' évolution de la situation . Dans l' appréciation de la proportionnalité, il ne faut pas méconnaître que les requérantes ne se sont pas vu infliger un désavantage, mais qu' il leur a simplement été accordé un avantage moindre ( 15 ).

44 . Enfin, l' importance de la réduction de l' aide par rapport au changement de la situation du marché ne saurait donner lieu à critique . Les requérantes parlent, certes, d' une brusque réduction, brutale et imprévisible, des aides . Or, en fait, le niveau de l' aide a fait l' objet d' une baisse continue, au cours d' environ dix semaines, sur six adjudications particulières ( 16 ). La réduction s' est située à chaque fois entre 1 et 5 écus/100 kg de beurre .

45 . Le fait que les conséquences pratiques des décisions ont frappé plus sévèrement les requérantes, sous l' influence d' autres facteurs, ne peut affecter l' appréciation de la proportionnalité de la décision attaquée ni, partant, de sa légalité .

4 ) Principe de non-discrimination

46 . Les requérantes estiment qu' il y a une double violation du principe de non-discrimmination . D' une part, la disposition applicable de la législation alimentaire française imposerait de n' utiliser que du beurre pour la fabrication des produits dotés de l' appellation "au beurre", alors que les dispositions d' autres États membres permettraient d' utiliser également d' autres graisses .

47 . D' autre part, les requérantes voient une inégalité de traitement dans le fait qu' en leur qualité d' entreprises établies en France elles n' auraient été informées que du niveau des stocks en France . Elles prétendent que, faute d' informations suffisantes, elles n' ont pu, comme des entreprises d' autres États membres, s' approvisionner en temps utile en beurre à prix réduit .

48 . a ) En ce qui concerne le premier grief, il y a lieu de renvoyer à la théorie développée dans le contexte de la libre circulation des marchandises . Les conséquences négatives de dispositions nationales plus rigoureuses pour les opérateurs économiques nationaux doivent être traitées comme le serait une norme de commercialisation : une telle norme ne peut, certes, faire obstacle à l' accès au marché de marchandises étrangères dans la mesure où elles ont été régulièrement mises dans le commerce
dans le pays de fabrication; en revanche, le droit communautaire n' interdit pas à un État membre d' imposer à ses propres opérateurs des normes de commercialisation plus rigoureuses .

49 . Il y a lieu, en outre, de donner raison à la Commission lorsqu' elle énonce que la portée différente des prescriptions d' appellation des produits alimentaires dans les réglementations nationales ne saurait être imputée à la décision attaquée .

50 . b ) En ce qui concerne le deuxième grief, le seul point déterminant est celui de savoir si les opérateurs économiques peuvent effectivement s' informer complètement auprès des organismes d' intervention d' autres États membres du niveau des stocks qui y sont détenus . L' accès à l' information doit être garanti .

51 . Les requérantes n' ont pas contesté l' affirmation de la Commission selon laquelle des listes complètes concernant le niveau des stocks sont établies à l' occasion des adjudications . L' obligation de communication des informations peut être fondée sur les articles 13 et 15 du règlement n° 570/88 .

52 . Le fait que les niveaux des stocks dans les différents États membres peuvent varier ne saurait être constitutif d' une discrimination . Il s' agit là de circonstances de fait et non pas d' une inégalité de traitement . Le fait que l' approvisionnement dans un autre État membre entraînerait des frais supplémentaires n' implique pas non plus une discrimination . A cet égard également, la situation est la même pour tous les opérateurs . Tous les fabricants de produits de pâtisserie sont soumis de
la même façon aux conditions générales des adjudications . Il n' y a donc pas de discrimination .

III - Sur les dépens

53 . Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens .

C - Conclusion

54 . Nous proposons, en définitive, à la Cour de statuer ainsi qu' il suit :

"1 ) Le recours est rejeté .

2 ) Les requérantes sont condamnées aux dépens ."

(*) Langue originale : l' allemand .

( 1 ) JO L 55, p . 31 .

( 2 ) Conséquence de la décision de la Commission du 30 septembre 1988 ( JO C 259, p . 9 ).

( 3 ) Voir décision de la Commission du 1er août 1988 ( JO C 204, p . 12 ).

( 4 ) Voir arrêt du 6 mars 1979, Simmenthal, point 22 ( 92/78, Rec . p . 777 ).

( 5 ) Voir arrêt 92/78, précité, points 23 à 26 .

( 6 ) Règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968 ( JO L 148, p . 13 ).

( 7 ) Arrêt du 25 octobre 1984, Interfacultair Instituut Electronenmicroscopie der Rijksuniversiteit te Groningen/Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen Groningen, point 38 ( 185/83, Rec . p . 3623 ).

( 8 ) Voir arrêt du 1er décembre 1965, Firma C . Schwarze/Einfuhr - und Vorratsstelle fuer Getreide und Futtermittel ( 16/65, Rec . p . 1081 ); arrêt du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique et autres/Commission, points 30-33 ( 73/74, Rec . p . 1491 ); arrêt du 26 novembre 1981, Bernard Michel/Parlement européen, point 20-27 ( 195/80, Rec . p . 2861 ); arrêt du 8 novembre 1983, NV IAZ International Belgium et autres/Commission, point 37 ( 96/82 à 102/82, 104/82,
105/82, 109/82 et 110/82, Rec . p . 3369 ); arrêt du 17 janvier 1984, Vereniging ter Bevordering van het Vlaamse Boekwezen, VBVB, et autres/Commission, points 21 et 22 ( 43/82 et 63/82, Rec . p . 19 ).

( 9 ) Voir arrêt 185/83, précité, point 38; arrêt du 23 février 1978, AN Bord Bainne Co-Operative/Ministre de l' Agriculture, points 36 et 37 ( 92/77, Rec . p . 497 ); et arrêt du 25 octobre 1978, Koninklijke Scholten-Honig et De verenigde Zetmeelbedrijven "De Bijenkorf" BV/Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten, points 18 à 22 ( 125/77, Rec . p . 1991 ).

( 10 ) Décision C(88 ) 1778 .

( 11 ) JO 1982, L 360, p . 43 .

( 12 ) Voir arrêt du 5 mai 1981, Firma Anton Duerbeck/Hauptzollamt Frankfurt am Main/Flughafen, points 47-50 ( 112/80, Rec . p . 1095 ); arrêt du 12 avril 1984, SARL Unifrex/Commission et Conseil des Communautés européennes, points 25 et 26 ( 281/82, Rec . p . 1969 ); arrêt du 7 mai 1987, Nippon Seiko KK/Conseil des Communautés européennes, points 31 et 32 ( 258/84, Rec . p . 1923 ); et arrêt du 7 mai 1987, Minebea Company Limited/Conseil des Communautés européennes, points 26-28 ( 260/84, Rec . p .
1975 ).

( 13 ) Voir les affaires 112/80, 281/82, 258/84 et 260/84 .

( 14 ) Règlement ( CEE ) n° 3206/88 du Conseil, du 17 octobre 1988, modifiant le règlement ( CEE ) n° 1307/85 ( JO L 286, p . 1 ).

( 15 ) Voir arrêt du 27 septembre 1979, Eridania-Zuccherifici Nazionali et SpA Società italiana per l' industria degli zuccheri/Ministre de l' Agriculture et des Forêts, ministre de l' Industrie, du Commerce et de l' Artisanat et SpA Zuccherifici Meridionali, point 22 ( 230/78, Rec . p . 2749 ).

( 16 ) De l' adjudication n° 4 ( décision du 1er août 1988 ) à l' adjudication n° 9 ( décision du 17 octobre 1988 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-350/88
Date de la décision : 10/01/1990
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Agriculture - Aide au beurre destiné à la fabrication de produits de pâtisserie - Adjudication - Décision de la Commission réduisant le niveau de l'aide - Recours en annulation.

Produits laitiers

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Société française des Biscuits Delacre e.a.
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:4

Source

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