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13/12/1989 | CJUE | N°C-267/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 13 décembre 1989., Gustave Wuidart e.a. contre Laiterie coopérative eupenoise société coopérative, e.a., 13/12/1989, C-267/88


Avis juridique important

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61988C0267

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 13 décembre 1989. - Gustave Wuidart e.a. contre Laiterie coopérative eupenoise société coopérative, e.a. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Verviers - Belgique. - Agriculture - Prélè

vement supplémentaire sur le lait. - Affaires jointes C-267/88 à C-285/88.
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Avis juridique important

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61988C0267

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 13 décembre 1989. - Gustave Wuidart e.a. contre Laiterie coopérative eupenoise société coopérative, e.a. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Verviers - Belgique. - Agriculture - Prélèvement supplémentaire sur le lait. - Affaires jointes C-267/88 à C-285/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-00435

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Nous voilà une nouvelle fois saisis de plusieurs questions préjudicielles portant sur la validité et l' interprétation de diverses dispositions de la réglementation communautaire en matière de prélèvement supplémentaire sur le lait .

2 . Ces questions ont été soulevées dans des procès que des producteurs de lait établis dans les régions de Liège et de la Haute Ardenne belge ont intentés devant le tribunal de première instance de Verviers contre, d' une part, les laiteries auxquelles ils sont affiliés et, d' autre part, l' Office national du lait et ses dérivés ainsi que l' État belge, en vue d' obtenir le remboursement de certaines sommes que les premières leur avaient retenues, au titre du régime de prélèvement supplémentaire
sur le lait, sur le prix du lait livré par ces producteurs .

3 . Les demandeurs au principal soutiennent que la réglementation communautaire et, partant, la réglementation nationale adoptée pour sa mise en oeuvre, sur base desquelles ces prélèvements ont été perçus, seraient illégales soit parce qu' elles seraient contraires à l' interdiction de discrimination entre producteurs de la Communauté, énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité CEE ( première et deuxième questions ), et/ou méconnaîtraient le caractère communautaire de la politique agricole
commune ( troisième question ), soit parce qu' elles ne tiendraient pas compte "des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles", tel que l' exige l' article 39, paragraphe sous 2, sous a ), du traité CEE ( quatrième question ).

4 . La réglementation applicable vous est amplement connue et ses dispositions pertinentes en l' espèce sont présentées en détail dans le rapport d' audience . Pour le libellé exact des questions posées, je renvoie également au rapport d' audience .

I - Quant aux deux premières questions

5 . Le règlement ( CEE ) n° 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984 ( 1 ), qui a introduit l' article 5 quater dans la réglementation communautaire portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( 2 ), laisse aux États membres le choix entre deux formules différentes de mise en oeuvre du prélèvement supplémentaire sur le lait qu' il institue .

6 . Or, tandis que, dans la formule A ( formule producteur ), le prélèvement est dû par le producteur de lait dès que les quantités de lait et/ou d' équivalent lait livrées à un acheteur ont dépassé la quantité de référence annuelle qui lui est attribuée, il n' est dû, dans la formule B ( formule acheteur ), comme vous l' avez dit pour droit dans votre arrêt du 28 avril 1988, Thévenot ( 61/87, Rec . p . 2375 ),

"que dans la mesure où la quantité de référence de l' acheteur a été dépassée ".

Il en découle que,

"dans le cadre de la formule B, les producteurs peuvent bénéficier, à l' intérieur de la période de douze mois en cause, des quantités de référence individuelles non utilisées par d' autres producteurs affiliés à la même laiterie, sous réserve de l' attribution de ces quantités à la réserve nationale de l' État membre concerné dans les cas prévus par la réglementation" ( voir le point 12 du même arrêt Thévenot ).

7 . L' absence d' une telle "compensation automatique" entre producteurs dans le cadre de la formule A, pour laquelle a opté la Belgique, entraîne-t-elle une discrimination entre producteurs de la Communauté interdite en vertu de l' article 40, paragraphe 3, du traité? Tel est l' objet de la première question .

8 . La deuxième question porte sur le point de savoir si l' article 1er, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 857/84 ( 3 ) dans sa version en vigueur entre le 2 avril 1984 et le 31 mars 1987 ne contrevient pas au même principe de non-discrimination en prévoyant que le prélèvement supplémentaire sera appliqué au taux de 75 % ou de 100 % du prix indicatif du lait, selon qu' un État membre choisit la formule A ou la formule B .

9 . J' estime qu' il y a lieu de traiter ensemble ces deux premières questions . La différence de taux a, en effet, été prévue expressément pour tenir compte des différences existant entre les deux formules de mise en oeuvre du régime de prélèvement qui font l' objet de la première question . Les deux taux font ainsi partie intégrante des deux formules prévues .

10 . Cette façon de voir me semble également être celle de la juridiction de renvoi, qui, tout en posant deux questions distinctes, les a fondées sur une motivation commune .

11 . Notons, tout d' abord, que le Conseil a manifestement considéré lui-même que si des taux différents n' avaient pas été fixés, l' application des deux formules aurait conduit à des discriminations .

12 . Le Conseil, en effet, a été conscient du fait que,

"lorsque le prélèvement est perçu au niveau de l' acheteur, son application ne frappe pas nécessairement toutes les quantités de lait livrées par chaque producteur et dépassant une quantité correspondant à celle retenue pour fixer la quantité de référence de l' acheteur ".

C' est pourquoi,

"afin d' obtenir une équivalence dans les résultats"

dans les deux formules, il a fixé, comme nous l' avons vu, un taux de prélèvement plus élevé pour la formule B que pour la formule A ( voir le premier considérant et l' article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 857/84 ).

13 . Cette différence entre les taux, loin d' être arbitraire et dès lors discriminatoire, a précisément eu pour objet d' éviter une discrimination entre les producteurs de lait suivant qu' ils étaient soumis à la formule A ou à la formule B . La question est donc de savoir si cette différenciation était suffisante pour combler les avantages susceptibles de découler, le cas échéant, de la formule B .

14 . A cet égard, il y a d' abord lieu de rappeler que, en vertu d' une jurisprudence constante,

"dans une situation impliquant la nécessité d' évaluer une réalité économique complexe, comme c' est le cas en matière de politique agricole commune, le législateur communautaire jouit d' un large pouvoir d' appréciation quant à la nature et à la portée des mesures à prendre" ( 4 ).

15 . En l' espèce, lorsqu' il s' agissait d' évaluer la différence de taux susceptible de contrebalancer les disparités pouvant résulter de l' application des deux formules en question, le Conseil se trouvait certainement dans une telle situation . Ce ne serait donc que dans la mesure où il aurait commis une erreur manifeste d' appréciation que la solution qu' il a retenue pourrait donner lieu à critique .

16 . Or, en l' absence de toute expérience en la matière, le Conseil a estimé qu' une différence de 25 points dans les taux de prélèvement aurait pour effet de mettre les producteurs dans une situation identique . Il a supposé qu' en moyenne les dépassements des producteurs affiliés à une laiterie seraient compensés à concurrence d' un quart . Supposons, en effet, deux producteurs soumis respectivement à la formule A et à la formule B et ayant chacun dépassé sa quantité de référence de 20 000 litres
. Supposons, par ailleurs, que le prix indicatif du litre soit de 1 écu . Le producteur soumis à la formule A paiera un prélèvement supplémentaire égal à 75 % de 20 000 écus, soit 15 000 écus . Si aucune compensation ne peut être effectuée, le producteur soumis à la formule B paiera 100 % de 20 000 écus, c' est-à-dire 20 000 écus . Il sera donc traité plus durement que le producteur soumis à la formule A . S' il y a compensation et si celle-ci couvre le quart du dépassement, il paie 100 % de 15 000
écus, c' est-à-dire 15 000 écus, comme son collègue soumis à la formule A . Si, par contre, la compensation couvre la moitié de son dépassement, il ne paiera que 10 000 écus . Enfin, dans l' hypothèse la plus extrême, si, au sein de la même laiterie, les dépassements et les sous-utilisations des quotas s' équilibrent, aucun prélèvement supplémentaire ne sera payé .

17 . La réglementation contient cependant des dispositions qui font que toutes les quantités non utilisées par certains producteurs ne profitent pas nécessairement aux autres producteurs affiliés à la même laiterie . Dans ce contexte, je renvoie, par exemple, à l' article 4, paragraphe 1, sous a ), et paragraphe 2, du règlement n° 857/84, qui prévoit l' attribution, à la réserve nationale, des quantités de référence libérées au cas où les États membres ont accordé une indemnité aux producteurs qui
se sont engagés à abandonner définitivement la production laitière . De plus, dans son arrêt du 25 novembre 1986, Klensch e.a . ( 201/85 et 202/85, Rec . p . 3447 ), la Cour a dit pour droit que cette règle doit s' appliquer par analogie au cas où un producteur a cessé spontanément son activité ( point 22 ).

18 . On peut donc considérer que ce ne sont que les baisses purement conjoncturelles des livraisons de certains agriculteurs qui peuvent profiter aux autres producteurs affiliés à la même laiterie, et il n' était, a priori, pas déraisonnable de supposer que ces baisses pourraient être de l' ordre d' un quart des livraisons .

19 . Ainsi que l' a montré le rapport spécial n° 2/87 de la Cour des comptes de la Communauté sur le régime des quotas et du prélèvement supplémentaire dans le secteur laitier ( JO C 266 du 5.10.1987, notamment p . 7 ), il semble cependant que, dans beaucoup de cas, la compensation ait couvert plus du quart des dépassements . La différenciation des taux, à elle seule, ne permettait donc pas d' assurer dans tous les cas de figure l' égalité de traitement entre les agriculteurs soumis à la formule A
et ceux soumis à la formule B, ni même à l' intérieur de cette catégorie .

20 . Mais le règlement ( CEE ) n° 590/85 du Conseil, du 26 février 1985 ( 5 ), modifiant le règlement n° 857/84, précité, a introduit dans ce règlement un article 4 bis qui permet une compensation au niveau des différents États membres, quelle que soit la formule appliquée par eux . Cette disposition autorise en effet les États membres à

"allouer les quantités de référence non utilisées des producteurs ou des acheteurs aux producteurs ou acheteurs de la même région et, le cas échéant, d' autres régions ".

Cette faculté des États membres de procéder à des compensations aux niveaux régional et interrégional n' a été initialement prévue que pour la première période de douze mois du régime ( du 1er avril 1984 au 31 mars 1985 ), mais a été prorogée plusieurs fois et est actuellement valable pour toute la durée d' application du régime .

21 . Il est vrai qu' elle n' a été créée qu' à la fin de la première campagne, c' est-à-dire à un moment où, selon les demanderesses au principal, les producteurs auxquels était appliquée la formule A ne pouvaient, de toute façon, plus en profiter en augmentant leur production qu' ils avaient entre-temps diminuée .

22 . Cette critique ne saurait cependant être accueillie, car l' article 4 bis ne leur donnait aucune assurance qu' un éventuel dépassement pourrait être compensé . D' autre part, la compensation au titre de l' article 4 bis n' a été initialement introduite que parce que au cours de la première année d' application du nouveau régime l' effort d' adaptation qu' il exigeait de la part de chaque producteur ou acheteur avait été rendu plus difficile

"par une notification tardive des quantités de référence individuelles, due aux difficultés rencontrées généralement pour la mise en oeuvre du régime dans les différents États membres" ( voir la fin du premier considérant du règlement n° 590/85 ).

L' article 4 bis devait donc profiter à tous les producteurs ou acheteurs qui, pour lesdites raisons, n' avaient pas encore suffisamment adapté leur production aux quantités de référence fixées .

23 . Il a été prorogé et finalement maintenu définitivement à cause des réductions de production décidées après la première année d' application du régime et des efforts d' adaptation que celles-ci continuaient à exiger de la part des agriculteurs ( voir notamment le premier considérant du règlement ( CEE ) n° 774/87 du 16 mars 1987, JO L 78, p . 3 ). Contrairement à ce que semblent penser les requérants, l' article 4 bis n' a donc pas pour objet de permettre une augmentation des quantités
produites, mais de tenir compte des difficultés que pouvaient éprouver certains producteurs à réduire leur production pour se conformer à leur quantité de référence .

24 . Il n' en reste pas moins que, grâce à l' introduction de l' article 4 bis, chaque État membre a pu, avec effet à partir de l' introduction du régime des quantités de référence, procéder à une compensation entre les quantités de référence non épuisées par les uns et la production excédentaire des autres . Cette compensation était de nature à permettre d' éliminer les désavantages que la formule A pouvait présenter dans certaines circonstances de fait par rapport à la formule B, malgré la
différenciation des taux du prélèvement supplémentaire .

25 . Par la suite, le Conseil a d' ailleurs constaté que la différenciation des taux n' était plus justifiée parce que

"les possibilités de compensation entre quantités produites et quantités non utilisées s' avèrent comparables dans les deux formules" ( deuxième considérant du règlement n° 774/87 du Conseil, du 16 mars 1987, modifiant le règlement n° 857/84, JO L 78, p . 3 ).

26 . Notons aussi que, par un autre règlement adopté le même jour, le Conseil a pris, en ce qui concerne la formule B, des dispositions ayant pour objet de sanctionner plus lourdement les producteurs qui dépassent leur quantité de référence . L' article 1er du règlement ( CEE ) n° 773/87 du Conseil, du 16 mars 1987, modifiant le règlement n° 804/68 ( JO L 78, p . 1 ), accroît en effet le caractère dissuasif du système en changeant la façon dont le prélèvement dû par une laiterie est répercuté sur
les producteurs ayant dépassé leur quantité de référence, et il autorise les États membres à prévoir que, même au cas où les quantités livrées à une laiterie sont égales ou inférieures à la quantité de référence de celle-ci, le prélèvement est dû dans sa totalité par tous les producteurs qui ont dépassé leur quantité de référence d' au moins 10 % ou d' au moins 20 000 kilogrammes . Cela représente un nouvel effort du Conseil en vue d' établir l' égalité de traitement entre tous les producteurs de
lait . Mais le règlement n° 773/87 n' a pu être appliqué qu' à partir du décompte final de la campagne 1986/1987 .

27 . Revenons donc à l' article 4 bis pour constater que si un État membre n' a pas utilisé les possibilités offertes par cette disposition, c' était en vertu d' une décision qui lui était propre . L' agent du gouvernement belge a cependant pu affirmer, à l' audience de la Cour, sans être contredit, que la Belgique avait effectivement fait usage de la faculté en question .

28 . Nous pouvons donc retenir que, par suite de l' introduction de l' article 4 bis ( qui, rappelons-le, a pu recevoir une application rétroactive à la première campagne d' application du régime ), la réglementation communautaire ne saurait, en elle-même, être considérée comme impliquant une discrimination entre les producteurs soumis à la formule A, par rapport à ceux soumis à la formule B, puisque, dans les deux cas, les quantités produites en dépassement peuvent être compensées à concurrence des
quotas non entièrement utilisés . Cette réglementation ne viole donc pas l' article 40 du traité . L' expérience a d' ailleurs montré qu' en Belgique les agriculteurs ne se sont vu infliger, en moyenne, qu' un prélèvement supplémentaire équivalant à 15,6 % du prix indicatif du lait .

29 . D' éventuelles différences de traitement susceptibles de se manifester malgré l' existence de taux différents et malgré l' application de l' article 4 bis ne pourraient résulter que des degrés divers selon lesquels, suivant les endroits, les quotas individuels auraient été sous-utilisés ou dépassés . Or, il s' agit là de facteurs objectifs se situant en dehors du contrôle des autorités communautaires et nationales . De telles différences de traitement ne sauraient être considérées comme des
discriminations arbitraires .

30 . Il ne faut d' ailleurs pas oublier que plus un producteur dépasse son quota, plus il rend difficile la compensation et plus il contribue lui-même à alourdir la charge qui le frappe . Dès lors, on peut même se demander si un producteur ayant dépassé son quota ne devrait pas se voir opposer l' adage "nemo auditur propriam turpitudinem allegans ".

31 . Pour toutes les raisons qui précèdent, je propose de donner une réponse négative aux deux premières questions posées par la juridiction de renvoi en indiquant que l' examen des questions posées n' a pas fait apparaître d' éléments de nature à affecter la validité de la réglementation considérée .

II - Quant à la troisième question

32 . La troisième question se décompose en deux branches . L' article 3, sous d ), du traité prévoit l' instauration d' une politique commune dans le domaine de l' agriculture . Celle-ci doit se faire aux fins, dans les conditions et selon les principes énoncés au chapitre du traité consacré à l' agriculture . Aux termes de l' article 40, l' établissement de la politique agricole commune a dû avoir lieu pour la fin de la période de transition au plus tard, au moyen notamment d' organisations
communes des marchés agricoles . Pour le secteur du lait et des produits laitiers, une telle organisation commune des marchés est actuellement régie par le règlement n° 804/68 du Conseil ( JO L 148, p . 13 ).

33 . Toute "renationalisation" de la politique agricole est donc exclue . Encore faut-il savoir ce qu' il y a lieu d' entendre par ce terme .

34 . Ne constitue certainement pas une mesure de "renationalisation" le fait que la réglementation communautaire comprend des mesures spécifiques tenant compte des particularités de l' activité agricole dans certaines régions, voire certains États membres . D' une part, l' article 39, paragraphe 2, sous a ), prescrit expressément qu' il soit tenu compte, dans l' élaboration de la politique agricole commune, des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles . D' autre
part, une telle différenciation selon les régions, voire les États membres peut s' imposer en vue, précisément, de garantir le respect du principe de non-discrimination énoncé à l' article 40, paragraphe 3, qui, aux termes de la jurisprudence de la Cour, ne veut pas seulement que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, mais également que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale ( à moins qu' un tel traitement ne soit objectivement justifié
).

35 . Ce qui précède vaut également pour celles des dispositions de la réglementation communautaire habilitant simplement les États membres à déroger à certaines de ses dispositions .

36 . Aussi n' y a-t-il lieu de considérer aucune des dispositions réglementaires mentionnées par la juridiction de renvoi comme constituant une mesure de "renationalisation", ni comme étant contraire au principe de non-discrimination entre producteurs .

37 . Trois d' entre elles ( mentionnées aux points 3, 4 et 5 de la question préjudicielle ) sont d' application générale dans tous les États membres . Il s' agit des articles 12, sous e ), et 7, paragraphe 4, du règlement n° 857/84, tels qu' ils ont été modifiés par le règlement n° 590/85, ainsi que des dispositions des règlements ( CEE ) n° 1335/86 ( 6 ) et ( CEE ) n° 1343/86 ( 7 ). Même si, en fait, les deux premières dispositions sont éventuellement susceptibles de profiter davantage à des
acheteurs ou producteurs établis dans certains États membres, elles sont applicables à tous ceux qui en remplissent les conditions et sont fondées sur des considérations objectives ( voir les deux derniers considérants du règlement n° 590/85 ).

38 . Quant aux deux dispositions mentionnées aux points 1 et 2 de la question préjudicielle, elles ont toutes les deux été adoptées pour tenir compte des situations particulières existant, d' une part, en Italie et, d' autre part, en Grèce, ainsi que l' indiquent le deuxième considérant du règlement ( CEE ) n° 1305/85 ( 8 ) ainsi que le troisième considérant du règlement n° 857/84 . Aucun argument n' a été avancé pour démontrer que les raisons invoquées pour faire bénéficier ces deux pays des
dérogations en question seraient erronées ou ne seraient pas de nature à les justifier . On doit donc considérer qu' elles sont objectivement justifiées et qu' elles ne constituent pas des sources de discriminations .

39 . En plus, on ne voit pas en quoi ces dérogations pourraient avantager ceux qui en bénéficient par rapport aux producteurs établis dans d' autres États membres . La dérogation prévue en faveur de l' Italie autorise cet État membre à reporter, pour les trois premières années d' application du régime, l' application de l' article 3, point 3, premier alinéa, du règlement n° 857/84, qui confère aux producteurs le droit d' obtenir, dans certaines conditions, la prise en compte d' une autre année de
référence que celle qui a été choisie pour déterminer leurs quantités de référence . Elle joue donc, tout au plus, au détriment des producteurs italiens . Quant à l' article 10 du règlement n° 857/84 qui prévoit qu' en Grèce, en cas d' application de la formule B, l' ensemble des acheteurs est considéré comme un seul acheteur, il n' ajoute, dans la relation entre les pays ou régions à formule A et ceux à formule B, aucun nouvel élément de différenciation à ceux déjà inhérents aux différences entre
ces deux formules . En outre, depuis que l' article 4 bis permet une compensation au niveau national quelle que soit la formule applicable, c' est-à-dire également entre acheteurs, l' article 10 du règlement n° 857/84 a perdu largement de son utilité, car, en fait, l' article 4 bis permet à tous les États membres où la formule B est applicable de considérer l' ensemble des acheteurs comme un seul acheteur .

40 . Je propose donc à la Cour de répondre comme suit à la troisième question préjudicielle :

"1 ) Les articles 3, sous d ), 38, 39 et 40 du traité ainsi que le règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, doivent être interprétés en ce sens qu' ils n' interdisent pas que, dans la mise en oeuvre de la politique agricole commune, des mesures spécifiques applicables à certains producteurs soient prévues, dès lors que ces mesures sont objectivement justifiées par la situation particulière dans
laquelle se trouvent ces producteurs .

2 ) L' examen de la troisième question n' a pas révélé d' éléments de nature à affecter la validité des dispositions visées des règlements ( CEE ) n°s 857/84, 590/85, 1305/89, 1335/86 et 1343/86 du Conseil ."

III - Quant à la quatrième question

41 . La quatrième question préjudicielle se décompose également en deux branches .

42 . La juridiction de renvoi interroge d' abord la Cour sur les conditions dans lesquelles un État membre est autorisé à considérer l' ensemble de son territoire comme une seule région au titre de l' article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 857/84 . Elle voudrait, plus particulièrement, savoir si un État membre est autorisé à ce faire alors même que son territoire ne constituerait pas une unité géographique dans laquelle les conditions naturelles, les structures de production et le rendement
moyen du cheptel sont comparables et que son territoire comporterait des zones agricoles défavorisées .

43 . En posant cette question, le tribunal belge part manifestement du postulat que la formule B est plus favorable aux agriculteurs que la formule A, et il se demande si les producteurs de lait des régions où les conditions naturelles sont plus difficiles et les exploitations plus petites ne doivent pas, dès lors, se voir appliquer la formule B .

44 . Or, nous avons vu que la formule B ne permet pas de transférer aux producteurs excédentaires d' une laiterie donnée les quotas des producteurs ayant cessé les livraisons de lait, que ce soit sur la base d' une indemnité ou spontanément . Une compensation n' intervient que dans les cas où certains affiliés n' épuisent pas leur quantité de référence pour des raisons purement conjoncturelles ( maladie des animaux, par exemple ).

45 . D' autre part, l' article 4 bis permet d' effectuer, dans les États membres qui appliquent la formule A, des compensations équivalentes à celles qui sont possibles dans le cadre de la formule B .

46 . Par conséquent, si, lors de l' adoption du règlement n° 857/84, la formule B semblait mieux à même que la formule A de faciliter les évolutions et les adaptations structurelles ( deuxième tiret de l' article 1er, paragraphe 2, du règlement ) ou d' assurer le développement régional et d' empêcher la désertification de certaines zones ( troisième tiret de la même disposition ), tel n' est plus le cas depuis l' introduction ( avec effet rétroactif ) de l' article 4 bis .

47 . La Commission a d' ailleurs signalé dans ses observations ( p . 26 ), sans être contredite, que depuis la seconde période d' application du régime tous les États membres considèrent l' ensemble de leur territoire comme une région unique .

48 . La seule raison qui puisse encore inciter un État membre à opter pour la formule B plutôt que pour la formule A réside dans les facilités plus grandes qu' elle peut offrir sur le plan administratif lorsque, par exemple, la quasi-totalité des producteurs de lait d' une zone géographique sont affiliés à une même laiterie .

49 . Si, par suite des éléments qui sont apparus au cours de la procédure devant la Cour, la quatrième question a donc perdu l' essentiel de son intérêt, cela ne nous dispense cependant pas d' y répondre .

50 . Or, tout comme les gouvernements belge, britannique et hellénique, le Conseil et la Commission j' estime qu' il résulte clairement du texte même du premier alinéa de la disposition en cause que les États membres ont la faculté de considérer l' ensemble de leur territoire comme une seule région et cela même si les conditions naturelles, de production et de rendement n' y sont pas partout comparables . La partie de la phrase qui énumère lesdites conditions ne se réfère, en effet, qu' à la partie
du territoire de l' État membre que celui-ci entend considérer comme une région distincte .

51 . Je propose, dès lors, de répondre à la première branche de la quatrième question que :

"L' article 1er, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 857/84 doit être interprété en ce sens qu' un État membre est autorisé à considérer tout son territoire comme une seule région même si les conditions naturelles, les structures de production et le rendement moyen du cheptel n' y sont pas partout comparables ."

52 . Par la seconde branche de la quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité de ladite disposition ainsi interprétée, notamment au regard de l' article 39, paragraphe 2, du traité et des directives du Conseil relatives à l' agriculture de montagne et de certaines zones défavorisées . Ici encore, le tribunal de première instance de Verviers part implicitement de l' idée que l' une des deux formules est plus intéressante pour les producteurs de lait
que l' autre, et que ceux qui habitent dans une zone défavorisée devraient normalement pouvoir bénéficier de la formule la plus favorable .

53 . Or, comme il résulte de tout ce qui précède, l' article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 857/84 n' est pas la seule disposition à prendre en considération, et la réglementation dans son ensemble permet d' éviter des inégalités de traitement revêtant un caractère discriminatoire selon qu' un État membre choisit la formule A ou la formule B .

54 . Dans ces conditions, l' application d' une seule des deux formules à l' ensemble du territoire d' un État membre ne peut pas être considérée comme une violation de l' article 39, paragraphe 2, qui prévoit, à sa lettre a ), que, dans l' élaboration de la politique agricole commune, il sera tenu compte notamment "des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles ".

55 . Force est, par ailleurs, de constater que la directive 75/268/CEE du Conseil, du 28 avril 1975, sur l' agriculture de montagne et de certaines zones défavorisées ( JO L 128, p . 1 ), a un tout autre objet que la réglementation communautaire en matière de prélèvement supplémentaire sur le lait . Elle vise à permettre aux États membres d' instaurer un régime particulier d' aides au bénéfice des exploitations agricoles établies dans certaines zones défavorisées dont la liste est arrêtée
conformément à des critères et suivant une procédure communautaires . Le fait que certaines zones du territoire d' un État membre sont reconnues comme zones agricoles défavorisées au sens de cette directive ne signifie donc pas qu' elles doivent nécessairement constituer des régions distinctes au sens de l' article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 857/84 .

56 . La Commission a cependant raison de souligner que le règlement, par le biais de plusieurs dispositions ( voir les articles 2, paragraphes 2 et 3, 3, point 1, 4, paragraphe 1, et 4 bis ) autorisant les États membres à tenir compte, dans le contexte de la fixation des quantités de référence, de la situation particulière de la production laitière dans certaines régions, permet d' accorder certains avantages aux zones défavorisées également lors de l' application du régime de prélèvement .

57 . Il y a donc lieu de répondre par la négative à la seconde branche de la quatrième question préjudicielle .

Conclusion

58 . L' ensemble des réponses proposées aux questions posées par le tribunal de première instance de Verviers se présente donc comme suit :

"1 ) L' examen des deux premières questions n' a pas révélé d' éléments de nature à affecter la validité de l' article 5 quater, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil ni de l' article 1er, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 857/84 du Conseil dans sa rédaction en vigueur entre le 2 avril 1984 et le 31 mars 1987 .

2 ) - Les articles 3, sous d ), 38, 39 et 40 du traité ainsi que le règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, doivent être interprétés en ce sens qu' ils n' interdisent pas que dans la mise en oeuvre de la politique agricole commune des mesures spécifiques applicables à certains producteurs soient prévues, dès lors que ces mesures sont objectivement justifiées par la situation particulière dans
laquelle se trouvent ces producteurs .

- L' examen de la troisième question n' a pas révélé d' éléments de nature à affecter la validité des dispositions visées des règlements ( CEE ) n°s 857/84, 590/85, 1305/89, 1335/86 et 1343/86 du Conseil .

3 ) - L' article 1er, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 857/84 doit être interprété en ce sens qu' un État membre est autorisé à considérer tout son territoire comme une seule région même si les conditions naturelles, les structures de production et le rendement moyen du cheptel n' y sont pas partout comparables .

- L' examen de la quatrième question n' a pas révélé d' éléments de nature à affecter la validité de l' article 1er, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 857/84, qui doit être lu en conjonction avec les autres dispositions du régime ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) JO L 90, p . 10 .

( 2 ) Règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968 ( JO L 148, p . 13 ).

( 3 ) Règlement ( CEE ) n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l' application du prélèvement visé à l' article 5 quater du règlement ( CEE ) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 90, p . 13 ).

( 4 ) Voir, notamment, l' arrêt du 17 mai 1988, Erpelding, point 27 ( 84/87, Rec . p . 2647 ).

( 5 ) JO L 68, p . 1 .

( 6 ) Règlement ( CEE ) n° 1335/86 du Conseil, du 6 mai 1986, modifiant le règlement ( CEE ) n° 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 119, p . 19 ).

( 7 ) Règlement ( CEE ) n° 1343/86 du Conseil, du 6 mai 1986, modifiant le règlement ( CEE ) n° 857/84 portant règles générales pour l' application du prélèvement visé à l' article 5 quater du règlement ( CEE ) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 119, p . 34 ).

( 8 ) Règlement ( CEE ) n° 1305/85 du Conseil, du 23 mai 1985, modifiant le règlement ( CEE ) n° 857/84 portant règles générales pour l' application du prélèvement visé à l' article 5 quater du règlement ( CEE ) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 137, p . 12 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-267/88
Date de la décision : 13/12/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Verviers - Belgique.

Agriculture - Prélèvement supplémentaire sur le lait.

Produits laitiers

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Gustave Wuidart e.a.
Défendeurs : Laiterie coopérative eupenoise société coopérative, e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Zuleeg

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:645

Source

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