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22/06/1989 | CJUE | N°201/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 22 juin 1989., Carmen Atala, épouse Palmerini, contre Commission des Communautés européennes., 22/06/1989, 201/88


Avis juridique important

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61988C0201

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 22 juin 1989. - Carmen Atala, épouse Palmerini, contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Indemnité de dépaysement. - Affaire 201/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 03109

Conclusions

de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

...

Avis juridique important

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61988C0201

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 22 juin 1989. - Carmen Atala, épouse Palmerini, contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Indemnité de dépaysement. - Affaire 201/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 03109

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La présente affaire porte sur une demande d' indemnité de dépaysement présentée par une fonctionnaire de la Commission, Mme Atala-Palmerini .

2 . Mme Atala-Palmerini, née au Pérou en 1949 et de nationalité péruvienne, est venue en Belgique pour y suivre des études universitaires de licence de septembre 1970 à juin 1973 . Elle est rentrée au Pérou du 7 juillet au 25 août 1973 . Elle est ensuite retournée en Belgique, où elle a effectué un stage à la Commission du 1er septembre 1973 au 31 janvier 1974 . De septembre 1973 à octobre 1974, elle a également suivi des études de maîtrise à l' université d' Anvers . Le 7 décembre 1974, elle a
épousé un fonctionnaire de la Commission de nationalité italienne et a ainsi acquis elle-même la nationalité italienne . En novembre 1974, elle a été admise à la préparation d' un doctorat à l' université de Paris et elle a préparé ce doctorat tout en résidant en Belgique . Selon ce qui a été déclaré à la Cour, elle a été admise en deuxième année à l' université de Paris pour l' année universitaire 1975/1976 et n' a exercé aucune activité rémunérée jusqu' au 6 mars 1978 . La nature de ses activités
entre 1975 et 1978 n' a pas été précisée, mais il n' est pas contesté qu' elle a continué de résider en Belgique . Du 6 mars 1978 au 30 mars 1987, elle a travaillé à l' ambassade du Pérou à Bruxelles . Elle est entrée au service de la Commission à Bruxelles le 16 avril 1987 . Actuellement, elle soutient que la Commission doit lui verser une indemnité de dépaysement .

3 . L' indemnité de dépaysement est régie par l' article 4, paragraphe 1, sous a ), de l' annexe VII au statut, libellé comme suit :

"L' indemnité de dépaysement, égale à 16 % du montant total du traitement de base de l' allocation de foyer et de l' allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire, est accordée :

a ) au fonctionnaire :

- qui n' a pas et n' a jamais eu la nationalité de l' État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, et

- qui n' a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État . Pour l' application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération ."

4 . Mme Atala-Palmerini remplit manifestement la condition de nationalité prévue au premier tiret de l' article 4, paragraphe 1, sous a ). La question porte sur le point de savoir si elle a, de façon habituelle, habité ou exercé son activité professionnelle principale en Belgique pendant la période de référence de cinq années stipulée au second tiret de l' article 4, paragraphe 1, sous a ). La Commission estime que la période de référence s' établit de la façon suivante . Deux périodes sont à
écarter ( ou à "neutraliser ") en application de la seconde phrase du second tiret de l' article 4, paragraphe 1, sous a ): la période allant de septembre 1973 à janvier 1974 pendant laquelle Mme Atala-Palmerini a effectué un stage à la Commission et la période passée au service de l' ambassade péruvienne, allant du 6 mars 1978 au 15 octobre 1986 . La période de référence qui résulte de ce calcul va du 6 octobre 1972 au 5 mars 1978, avec une interruption de cinq mois correspondant au stage effectué
de septembre 1973 à janvier 1974 .

5 . Il est constant, et Mme Atala-Palmerini l' a expressément admis, que, pendant cette période de référence, elle a résidé de façon habituelle en Belgique à partir de la date de son mariage, le 7 décembre 1974, c' est-à-dire pendant les trois ans et trois mois correspondant à la fin de ladite période de référence .

6 . Avant d' examiner la partie de la période de référence qui se situe avant le mariage de Mme Atala-Palmerini, nous voudrions faire remarquer que la méthode suivie par la Commission, consistant à construire une période de référence de cinq ans antérieure en faisant abstraction de la période de stage à la Commission et de la période passée au service de l' ambassade du Pérou, n' est pas expressément imposée par l' article 4, paragraphe 1, sous a ). La Cour a adopté une approche différente à propos
de faits assez semblables dans l' affaire 211/87, Nuñez/Commission ( arrêt du 31 mai 1988 ). Dans cet arrêt, elle a déclaré ( attendus 11 et 12 ) que l' exception prévue par la dernière phrase de l' article 4, paragraphe 1, sous a ), second tiret, avait pour objet de ne pas pénaliser, par la perte de l' indemnité de dépaysement, les personnes qui se sont établies dans le pays d' affectation en vue d' y effectuer des activités au service d' un autre État ou d' une organisation internationale, sans
avoir aucun lien durable avec ce pays, et elle a estimé que cette exception ne pouvait pas s' appliquer à un fonctionnaire qui, tout en ayant travaillé à l' ambassade d' un autre État dans le territoire du pays d' affectation, avait déjà des liens durables avec ce pays auparavant, pour y avoir résidé habituellement et exercé ses activités professionnelles depuis longtemps . Si on adopte cette méthode d' approche, Mme Atala-Palmerini doit, selon nous, bien que la durée pendant laquelle elle a
séjourné en Belgique avant de travailler à l' ambassade du Pérou soit beaucoup plus courte que dans l' affaire Nuñez, être considérée comme ayant déjà eu des liens durables avec la Belgique en raison de son mariage et de la circonstance qu' elle y résidait de façon habituelle . Au surplus, comme l' exception en question prescrit de ne pas prendre en considération les "situations résultant" de services effectués pour un autre État, il est douteux, compte tenu des faits de l' espèce, que la période de
résidence en Belgique correspondant à la période pendant laquelle Mme Atala-Palmerini était au service de l' ambassade du Pérou doive être décomptée comme étant une situation résultant de services effectués pour un autre État puisque, précisément, Mme Atala-Palmerini résidait déjà de façon habituelle en Belgique .

7 . Nous devons maintenant revenir à la période de référence, qui commence le 6 octobre 1972, et examiner la partie de cette période qui se situe avant le 7 décembre 1974, date à partir de laquelle Mme Atala-Palmerini admet qu' elle résidait de façon habituelle en Belgique . Elle fait valoir que, pendant cette partie de la période de référence, du fait qu' elle était étudiante, elle ne peut pas être considérée comme ayant "résidé de façon habituelle" dans le pays de ses études . Elle invoque à cet
égard ses retours au Pérou, le fait qu' elle vivait dans une chambre meublée, le fait qu' elle a déménagé plusieurs fois, le fait qu' elle ne possédait qu' un permis de résidence provisoire et elle allègue qu' elle n' avait, à cette époque, nullement l' intention de demeurer en Belgique ou même en Europe . Elle soutient qu' en dépit de sa présence physique en Belgique elle doit être considérée comme ayant résidé de façon habituelle au Pérou à cette époque . A cet égard, elle se fonde en particulier
sur l' attendu 9 de l' arrêt rendu dans l' affaire 61/85 ( Urhausen, née von Neuhoff von der Ley/Commission, Rec . 1987, p . 2853, 2864 ), dans lequel la Cour a estimé que quelque deux ans et demi d' études universitaires à Innsbruck ne suffisaient pas pour considérer la requérante comme n' habitant plus de façon habituelle au Luxembourg . Mme Atala-Palmerini fait valoir qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour qu' un séjour dans un pays déterminé aux fins d' y poursuivre des études ne peut pas
véritablement interrompre les liens sociaux et professionnels de l' étudiant avec son propre pays .

8 . La jurisprudence de la Cour ne nous paraît pas avoir établi pareil principe . Au contraire, cette jurisprudence traite la poursuite d' études à l' étranger comme un simple élément de fait à prendre en considération en même temps que d' autres faits pertinents pour déterminer si l' intéressé a établi sa résidence habituelle dans un pays donné . Tant dans l' attendu 9 de l' arrêt Urhausen que dans l' attendu 8 de l' arrêt Richter/Commission ( affaire 330/85, Rec . 1986, p . 3439, 3447 ), la Cour a
considéré la poursuite d' études universitaires à l' étranger comme un élément de fait à apprécier avec tous les autres éléments de fait pertinents, considérés comme un tout, pour déterminer le lieu de résidence habituel du requérant .

9 . Cette approche de la question des études universitaires à l' étranger correspond à la façon générale de procéder adoptée par la Cour en matière de résidence habituelle dans les nombreux arrêts qu' elle a rendus sur cette question . L' expression "habitual residence" ( habiter de façon habituelle ) qui figure à l' article 4, paragraphe 1, de l' annexe VII au statut ne constitue pas un concept juridique technique ( voir conclusions de l' avocat général M . Warner dans l' affaire 42/75,
Delvaux/Commission, Rec . 1976, p . 167, 178 et 179 ). De fait, selon nous, le terme "habituel" indique qu' il faut appréhender la question comme une simple question de fait . Au surplus, la Cour a déclaré dans l' attendu 10 de l' arrêt Nuñez que, "si (( l' article 4, paragraphe 1, sous a ) )), se fonde, pour déterminer les cas de dépaysement, sur la résidence habituelle et les activités professionnelles principales du fonctionnaire sur le territoire de l' État du lieu d' affectation pendant une
certaine période de référence, elle retient ces points de rattachement en vue de donner des critères simples et objectifs pour appréhender la situation des fonctionnaires qui sont obligés, du fait de leur prise de fonctions auprès des Communautés, de changer de résidence et de s' intégrer dans leur nouveau milieu ". Ainsi, selon nous, il ressort de la jurisprudence que des demandes telles que celle qui nous occupe en l' espèce sont fonction des faits de l' affaire considérée . Pour ce qui concerne
en particulier les études universitaires, nous pensons qu' il est possible qu' un étudiant réside dans un État tout en poursuivant ses études dans un autre et qu' il est également possible qu' il réside dans l' État dans lequel il poursuit ses études : c' est là une question de fait qu' il faut apprécier dans chaque cas d' espèce .

10 . Dans le cas de Mme Atala-Palmerini, il y a lieu de prendre en considération le fait qu' elle a continué à vivre en Belgique après la fin de ses études universitaires . Il y a également lieu de prendre en considération le fait qu' au début de la période de référence, le 6 octobre 1972, elle avait déjà passé deux ans en Belgique pour ses études . En outre, à partir de cette date, elle est constamment demeurée en Belgique jusqu' à la fin de la période de référence, le 5 mars 1978 . Elle était en
Belgique pendant l' essentiel de la période en question et n' est pas souvent retournée au Pérou . Pendant la période de référence, il semble qu' elle soit retournée au Pérou une fois avant son mariage, pour un séjour de sept semaines en 1973, et une fois après son mariage, pendant quatre mois en 1975 . Il semble aussi qu' elle soit restée hors de Belgique pendant deux mois en 1974, lorsqu' elle est allée en Italie . Pareilles absences sporadiques ne suffisent pas à ôter à sa résidence en Belgique
son caractère habituel au sens de l' article 4, paragraphe 1, sous a ): voir affaire 188/83, Witte/Parlement, Rec . 1984, p . 3465, 3474 ( attendu 11 ). Réciproquement, ses retours au Pérou étaient loin d' être suffisants pour établir qu' elle continuait d' y résider de façon habituelle comme elle le prétend . Enfin, le maintien de liens familiaux et éventuellement affectifs avec le Pérou n' est pas incompatible avec l' établissement d' une résidence habituelle en Belgique . Mettant en balance tous
les faits à prendre en considération dans le cas de Mme Atala-Palmerini, nous estimons qu' elle a résidé de façon habituelle en Belgique pendant l' ensemble de la période de référence, y compris pendant la première partie de cette période ( la période d' un an et neuf mois qui a précédé son mariage ). Partant de ce point de vue, nous estimons qu' elle ne remplit pas les conditions requises pour avoir droit à l' indemnité de dépaysement .

11 . C' est là une conclusion qui correspond à la finalité de l' indemnité de dépaysement . Comme l' a déclaré la Cour dans sa jurisprudence, cette indemnité a pour objet de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonctions auprès des Communautés pour les fonctionnaires qui sont de ce fait obligés de changer de résidence du pays de leur domicile au pays d' affectation ( voir, notamment, l' affaire 246/83, De Angelis/Commission, Rec . 1985, p . 1253, 1263 ). Selon
nous, cette formule, bien que souvent reprise dans les arrêts de la Cour, met trop l' accent sur le seul fait de changer de résidence et de déménager vers le pays d' affectation et elle indique seulement de façon implicite ce qui constitue l' objet véritable de l' indemnité, qui est de compenser les désavantages persistants de l' expatriation . A notre avis, le seul changement de lieu de résidence est un élément qui est principalement destiné à être compensé par l' indemnité d' installation prévue à
l' article 5 de l' annexe VII au statut, laquelle consiste en un seul versement . L' indemnité de dépaysement prévue à l' article 4, paragraphe 1, de l' annexe VII est un versement mensuel permanent et elle vise, à ce titre, à compenser les désavantages continus résultant de l' obligation de vivre dans un pays étranger afin de travailler pour les Communautés . Cet aspect est mieux mis en évidence par les termes utilisés dans l' attendu 10 de l' arrêt Nuñez, déjà cité . Dans l' affaire 147/79,
Hochstrass/Cour de justice ( Rec . 1980, p . 3005, 3020 ), la Cour a en outre précisé que l' indemnité d' expatriation prévue à l' article 4, paragraphe 2, de l' annexe VII était destinée à compenser les désavantages que les fonctionnaires subissent en raison de leur statut d' étranger et elle a déclaré : "Il ne peut en effet être nié qu' un fonctionnaire, n' ayant pas et n' ayant jamais eu la nationalité de l' État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, peut subir en raison
de son statut d' étranger un certain nombre d' inconvénients, tant en droit qu' en fait, d' ordre civique, familial, éducatif, culturel et politique que ne connaissent pas les ressortissants autochtones ." Ces considérations s' appliquent, selon nous, à l' indemnité de dépaysement prévue à l' article 4, paragraphe 1, de l' annexe VII et il faudrait mettre l' accent sur le fait que cette indemnité vise à compenser les désavantages à long terme résultant de l' expatriation . Toutefois, que la finalité
de l' indemnité de dépaysement soit exprimée sous cette forme ou par la formule notamment utilisée dans l' arrêt De Angelis, on ne saurait soutenir, en l' espèce, qu' en prenant ses fonctions auprès des Communautés la requérante a été obligée de changer de résidence et de se déplacer vers le pays d' affectation; elle s' y trouvait déjà depuis très longtemps de son propre choix . Pareil cas ne correspond pas à la finalité de l' indemnité de dépaysement ( voir attendu 12 de l' arrêt Nuñez ).

12 . Cette conclusion nous paraît aussi être raisonnable eu égard à l' ensemble des faits, et en particulier au fait que Mme Atala-Palmerini avait résidé en Belgique pendant plus de seize ans avant d' entrer au service de la Commission et qu' elle admet y avoir résidé de façon habituelle pendant plus de douze ans avant cette date . Nous ajoutons que, si Mme Atala-Palmerini ne remplit pas, selon nous, les conditions permettant de prétendre à l' indemnité de dépaysement prévue à l' article 4,
paragraphe 1, de l' annexe VII au statut, elle a néanmoins droit à une indemnité d' expatriation égale à un quart de l' indemnité de dépaysement prévue à l' article 4, paragraphe 2, de ladite annexe VII au statut .

13 . Nous concluons donc au rejet de la requête et à ce que, en application de l' article 69, paragraphe 2, et de l' article 70 du règlement de procédure, chacune des parties supporte ses propres dépens .

(*) Langue originale : l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 201/88
Date de la décision : 22/06/1989
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Indemnité de dépaysement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Carmen Atala, épouse Palmerini,
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:258

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