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01/06/1989 | CJUE | N°141/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 1 juin 1989., Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, région de Paris contre Alan Jordan., 01/06/1989, 141/88


Avis juridique important

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61988C0141

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 1er juin 1989. - Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, région de Paris contre Alan Jordan. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Sécurité sociale - Calcul des p

restations de vieillesse - Règlement n. 1408/71 du Conseil - Article 51. - ...

Avis juridique important

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61988C0141

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 1er juin 1989. - Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, région de Paris contre Alan Jordan. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Sécurité sociale - Calcul des prestations de vieillesse - Règlement n. 1408/71 du Conseil - Article 51. - Affaire 141/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 02387

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Dans l' affaire préjudicielle qui nous occupe aujourd' hui, la Cour de cassation française (" la juridiction de renvoi ") vous a déféré deux questions relatives à l' interprétation de l' article 51 du règlement n° 1408/71 du Conseil, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté .

2 . La disposition en question s' inscrit dans un système complexe de règles, qui font partie du chapitre 3 du titre III du règlement n° 1408/71 . Ce chapitre contient un certain nombre de dispositions relatives aux prestations en cas de vieillesse et de décès . Les dispositions importantes pour la présente espèce sont l' article 46 ( qui contient les règles relatives à la liquidation des prestations dans le cas de travailleurs ayant été assujettis à la législation de deux ou plusieurs États membres
), l' article 50 ( qui garantit, sous certaines conditions, le droit à des prestations de vieillesse minimales ) et l' article 51 ( qui concerne la revalorisation et le nouveau calcul des prestations de vieillesse ). Pour un résumé plus exhaustif de ces dispositions, nous nous permettons de renvoyer au rapport d' audience ( sous I.1 ).

Les faits

3 . M . Alain Jordan ( ci-après "Jordan "), qui est un travailleur salarié ayant la nationalité britannique, a exercé des activités professionnelles successivement au Royaume-Uni et en France . A compter du 1er janvier 1979, une pension de vieillesse lui a été accordée dans ces deux États . M . Jordan a toujours contesté le montant de la pension qui lui avait été accordée par l' organisme français compétent ( la "Caisse Nationale d' Assurance Vieillesse des Travailleurs", ci-après "CNAVTS ") et il a
engagé une procédure judiciaire qui dure déjà depuis 1979 . C' est dans le cadre de cette procédure que les questions dont il s' agit ont été posées à titre préjudiciel à la Cour . Plus précisément, ces questions procèdent du fait que la législation française applicable a été modifiée en 1983 . Pour que ces questions soient bien comprises, il est dès lors nécessaire que nous vous exposions succinctement la réglementation française en matière d' octroi de prestations de vieillesse, tant avant qu'
après ladite modification . Les données ci-après sont essentiellement basées sur les observations présentées par le gouvernement français .

4 . En France, le montant de la pension de vieillesse était et est calculé en affectant le salaire moyen des "10 meilleures années" revalorisées de deux coefficients . Le premier coefficient est le nombre de trimestres "justifiés" dans le régime français de sécurité sociale . Une carrière intégrale étant réputée comprendre 150 trimestres ( 37,5 années ), ce coefficient est obtenu en divisant le nombre de trimestres justifiés par 150 . Le deuxième coefficient est le taux applicable . A l' époque où
une pension de vieillesse a été accordée à M . Jordan, ce taux était fixé à 25 % à 60 ans, majoré de 1,25 % pour chaque trimestre suivant la date à laquelle l' intéressé atteint l' âge de 60 ans ( ce qui fait que le taux "normal" ou "maximal" de 50 % était obtenu en cas d' octroi de la pension à 65 ans ). Cela donne la formule suivante :

P = S x N x T

150

dans laquelle

P = le montant annuel de la pension;

S = le salaire moyen des dix meilleures années;

N = le nombre de "trimestres justifiés";

T = le taux applicable .

La législation applicable au moment de la mise à la retraite de M . Jordan prévoyait aussi encore une prestation minimale de vieillesse : la pension, liquidée selon les modalités précitées, ne pouvait pas être inférieure au montant de l' "allocation aux vieux travailleurs salariés" ( ci-après "AVTS "), à la condition que l' intéressé pouvait justifier d' au moins 60 trimestres . Si cette condition n' était pas remplie, le montant de l' AVTS réduit au prorata du nombre de trimestres justifiés .

Les règles relatives à la détermination du premier coefficient ( nombre de trimestres justifiés ) ont été modifiées à partir du 1er avril 1983 ( 1 ). A partir de cette date, un taux ( deuxième coefficient ) de 50 % était accordé lorsqu' un assuré social pouvait justifier de 150 trimestres . Pour celui qui justifiait de moins de 150 trimestres, ce taux était réduit en fonction soit de l' âge, soit du nombre de trimestres justifiés . Une modification ultérieure de la loi ( 2 ) a aussi encore introduit
une nouvelle prestation minimale, qui a remplacé l' AVTS . Cette nouvelle prestation minimale est désormais accordée aux personnes dont le salaire moyen pour les dix meilleures années n' atteint pas un montant déterminé . Le montant de cette prestation minimale est fixé en fonction du nombre de trimestres justifiés . Les deux textes législatifs qui modifient l' ancienne législation prévoient expressément qu' ils ne sont pas applicables aux prestations de vieillesse accordées avant la date d' entrée
en vigueur de ces textes .

5 . Il est clairement apparu au cours de l' audience que c' est l' application des ( anciennes ) règles françaises relatives à la prestation minimale qui a été à la base du litige opposant M . Jordan et le CNAVTS . Dans ses observations, M . Jordan affirme à cet égard que dans l' ancien système français, l' octroi de l' AVTS s' accompagnait toujours, pour les travailleurs ayant la nationalité française, de l' octroi d' une allocation complémentaire à la charge du "Fonds national de solidarité" (
ci-après "FNS "). Cette dernière allocation n' était pas une prestation de vieillesse ( contributive ), mais plutôt un "minimum de moyens d' existence" non contributif ( en ce sens qu' elle n' était pas fonction des cotisations versées par le bénéficiaire de ladite allocation ). Or, toujours selon les observations de M . Jordan, le CNAVTS ne lui a accordé en 1979 qu' une prestation de vieillesse ( la AVTS ), sans lui accorder ( c' est cela qu' il contestait ) le bénéfice d' une prestation minimale
non contributive . Selon M . Jordan, la modification législative de 1983 avait pour effet que les deux prestations précitées étaient désormais regroupées dans une "pension" unique; or, étant donné que sa pension de vieillesse avait été liquidée avant 1983, il ne pouvait pas prétendre à l' application des nouvelles règles ( 3 ).

M . Jordan estime que ce qui précède est contraire à l' article 50 du règlement n° 1408/71 . Le litige au principal porte donc sur la question de savoir si, en vertu de l' article 50, M . Jordan pouvait aussi prétendre à la prestation minimale complémentaire non contributive, soit avant, soit après la modification intervenue dans la législation française .

En ce qui concerne l' ancienne législation française, la Cour d' appel de Poitiers a décidé dans un arrêt du 14 février 1985 qu' en vertu de l' article 50, M . Jordan ne pouvait pas prétendre à l' allocation complémentaire à la charge du FNS . Toutefois, elle a aussi affirmé que la nouvelle réglementation française devait s' appliquer à M . Jordan en vertu de l' article 51, paragraphe 2 . M . Jordan avait dès lors droit au nouveau calcul ( conformément à l' article 46 ) de sa prestation de
vieillesse en vertu de la nouvelle réglementation et un complément devait dès lors aussi lui être attribué en application de l' article 50, si le montant de sa prestation de vieillesse, déterminé par le nouveau calcul, était inférieur à la prestation minimale, attribuée en vertu de la nouvelle législation française .

Le CNAVTS a formé un pourvoi en cassation contre l' arrêt de la Cour d' appel, en se fondant entre autres sur l' argument selon lequel la Cour d' appel avait donné une interprétation erronée de l' article 51 du règlement n° 1408/71 .

6 . Avant d' examiner les questions posées par la Cour de cassation, nous tenons à signaler la portée limitée de la saisine de la Cour dans la présente affaire . Comme nous l' avons déjà dit, la Cour d' appel de Poitiers a rejeté la demande de M . Jordan en ce qui concerne l' application de l' article 50 du règlement n° 1408/71 à l' ancien système français . Étant donné qu' aucun des moyens de cassation ne se rapporte à cette partie de l' arrêt de la Cour d' appel, celui-ci a à cet égard force de
chose jugée . Il s' ensuit que la seule question sur laquelle la juridiction de renvoi doit encore se prononcer est celle de savoir si, sur la base de l' article 51 du règlement n° 1408/71, le nouveau système français ( et, partant, aussi la nouvelle réglementation relative à l' attribution d' une prestation minimale de vieillesse, que nous avons décrite brièvement ci-dessus ) doit s' appliquer dans le cas de M . Jordan . En cas de réponse affirmative à cette question, M . Jordan aura droit, le cas
échéant, à l' octroi d' un complément sur la base de la nouvelle réglementation en vertu de l' article 50 . Cette dernière question, qui concerne l' application de l' article 50 au nouveau système français, ne vous a toutefois pas été posée, étant donné que la juridiction de renvoi vous interroge seulement sur l' interprétation de l' article 51 . Du reste, nous concluerons plus loin ( paragraphes 11 à 13 ) que l' article 51 ne peut pas être invoqué pour rendre des dispositions modificatives du droit
national, qui n' ont pas pour objet de régler des situations antérieures à la nouvelle réglementation, immédiatement applicables aux effets juridiques futurs d' anciennes situations . Il ne nous paraît dès lors pas nécessaire de nous interroger sur l' application de l' article 50 au nouveau droit français . Pour le cas où vous seriez d' un avis différent, nous examinerons néanmoins brièvement, à la fin de nos conclusions, la question de l' application de l' article 50 ( ci-après, paragraphes 14 et
15 ).

7 . Nous en venons maintenant aux questions posées par la juridiction de renvoi . Ces questions se lisent comme suit :

1 ) Les modifications apportées par la loi de l' État compétent au mode d' établissement de la prestation minimale de vieillesse relèvent-elles du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de l' article 51?

2 ) La règle édictée par l' article 51, paragraphe 2, doit-elle être appliquée sans restriction nonobstant toute disposition de la loi nationale fixant la date d' entrée en vigueur desmodifications apportées au mode d' établissement ou aux règles de calcul des prestations et excluant de leur champ d' application les pensions liquidées antérieurement à cette date?

Ainsi qu' il peut ressortir de ce que nous avons exposé plus haut, c' est surtout la réponse à la deuxième question qui sera importante pour la solution du litige au principal : en effet, si on admet ( comme nous le ferons plus loin ) que l' article 51, paragraphe 2, ne s' oppose en principe pas à l' application des dispositions nationales transitoires susmentionnées, la première question n' a plus qu' un intérêt théorique . Néanmoins, c' est cette question que nous examinerons en premier lieu,
parce que la Cour n' a pas encore eu l' occasion d' interpréter l' article 51 dans une situation de fait telle que celle visée dans le litige au principal .

La première question

8 . Ainsi qu' il ressort du texte de la première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si la modification législative française relève du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de l' article 51 . Il est évident que vous ne pouvez pas répondre à cette question dans le cadre d' une procédure au titre de l' article 177 du traité . Votre tâche se limite à fournir à la juridiction de renvoi les critères d' interprétation nécessaires pour lui permettre de qualifier correctement la modification
législative en question au regard du droit communautaire, en l' espèce le règlement n° 1408/71 ( 4 ). Les critères d' interprétation, que la juridiction de renvoi demande à la Cour de lui fournir, doivent en l' espèce être déduits du texte de l' article 51 lui-même et de la jurisprudence de la Cour relative à cette disposition .

L' article 51 établit une distinction entre les modifications des prestations "d' un pourcentage ou montant déterminé", résultant de "l' augmentation du coût de la vie, la variation du niveau des salaires ou d' autres causes d' adaptation" ( paragraphe 1 ), et les modifications "du mode d' établissement ou des règles de calcul" des prestations ( paragraphe 2 ). Cette distinction est précisée dans la jurisprudence de la Cour .

9 . Nous devons rappeler ici tout d' abord l' arrêt Sinatra ( 5 ). Le litige au principal dans cette affaire concernait un travailleur de nationalité italienne, M . Sinatra, qui percevait tant en Belgique qu' en Italie une pension d' invalidité et/ou une pension de vieillesse . L' épouse de M . Sinatra ayant accepté d' exercer une activité salariée, sa pension belge "au taux marié" a été convertie en une pension "au taux isolé", d' un montant sensiblement moins élevé, en vertu des règles anti-cumul
nationales . La question s' est posée de savoir comment cette modification de la situation de M . Sinatra devait être qualifiée au regard de l' article 51 du règlement n° 1408/71 .

La Cour a précisé que l' article 51 réglait les modalités d' application de l' article 46 ( et cela en prévoyant un mauvais calcul du montant de la prestation en cas de modification des prestations ) et a observé entre autres ce qui suit :

Le droit ainsi reconnu au travailleur migrant de bénéficier du régime de sécurité sociale le plus favorable implique en principe que soit effectuée, lors de chaque modification des prestations octroyées sous ce régime, une nouvelle comparaison, conformément à l' article 46 du règlement n° 1408/71, entre le régime national et le régime de totalisation et proratisation afin de déterminer lequel est, suite à la modification intervenue, le plus avantageux .

Toutefois, afin de réduire la charge administrative que représenterait le réexamen de la situation de l' assuré social pour toute modification des prestations perçues, l' article 51 du règlement n° 1408/71 établit une distinction entre les modifications des prestations "d' un pourcentage ou montant déterminé" résultant "de l' augmentation du coût de la vie, de la variation du niveau des salaires ou d' autres causes d' adaptation" et les modifications apportées au "mode d' établissement" ou aux
"règles de calcul" des prestations . Cet article prévoit en effet, dans son paragraphe 1, que les modifications du premier type doivent être appliquées directement aux prestations versées sans qu' il y ait lieu de procéder au nouveau calcul expressément prévu au paragraphe 2 pour les modifications du second type .

Le règlement a ainsi entendu exclure un nouveau calcul lorsque les adaptations des prestations procèdent d' événements étrangers à la situation individuelle de l' assuré et sont les conséquences de l' évolution générale de la situation économique et sociale .

Cette exclusion ne saurait, en l' absence de dispositions particulières à cet égard, être étendue aux modifications des prestations dues à un changement dans la situation personnelle de l' assuré social, tel son passage de la catégorie "marié" à celle d' "isolé ". Ceci d' autant qu' on ne saurait envisager dans de tels cas une application par analogie de l' article 51, paragraphe 1, puisque les changements dans la situation personnelle des assurés sociaux, contrairement aux "causes d' adaptation"
visées par ce paragraphe, ne sont pas d' ordre général ." ( points 8 à 11 des motifs de l' arrêt ).

L' analyse de l' arrêt Sinatra a été confirmée par l' arrêt Cinciuolo ( 6 ), dans lequel les faits étaient similaires .

10 . Alors que le paragraphe 1 de l' article 51 contient une disposition dérogatoire, ainsi qu' il ressort des arrêts précités, le paragraphe 2 contient la disposition générale . Dans les arrêts Sinatra et Cinciuolo, cette disposition générale a été interprétée dans le cas de modifications dans la situation personnelle de l' assuré social, en d' autres termes dans le cas d' une modification du "mode d' établissement des prestations ". Or, la disposition générale nous paraît aussi devoir trouver
application dans l' hypothèse où les règles d' octroi elles-mêmes ( selon les termes du paragraphe 2 de l' article 51 : "les règles de calcul des prestations ") sont modifiées . S' il est vrai que ( contrairement à ce qui était le cas dans les arrêts précités ) cette modification ne résulte pas d' une adaptation due à un changement dans la situation personnelle de l' assuré social, il ne s' agit pas non plus d' une modification d' un pourcentage ou montant déterminé, visée à l' article 51,
paragraphe 1, et résultant de l' évolution générale de la situation économique et sociale . Or, les modifications des règles régissant les conditions d' octroi et le calcul des prestations de vieillesse ne nous paraissent pas entrer dans le champ d' application de l' article 51, paragraphe 1, étant donné qu' elles ont des effets encore plus importants que les modifications de la situation personnelle de l' assuré social . Il nous paraît dès lors indéniable que la règle de l' article 51, paragraphe
2, selon laquelle "lors de chaque modification des prestations ((...)), une nouvelle comparaison est effectuée, conformément à l' article 46 du règlement n° 1408/71, entre le régime national et le régime de totalisation et proratisation afin de déterminer lequel est, suite à la modification intervenue, le plus avantageux" ( 7 ), doit trouver application dans un cas tel que celui de la présente espèce .

La deuxième question

11 . La deuxième question concerne la répartition des compétences entre le législateur communautaire et le législateur national en vertu de l' article 51 du règlement n° 1408/71 . Elle doit dès lors être appréciée dans un cadre plus large : en effet, elle soulève le problème de la portée de la réglementation communautaire, contenue dans le règlement n° 1408/71 . La Cour a déjà dû examiner ce problème à plusieurs reprises, ce qui fait que la réponse à la deuxième question peut, elle aussi, être
déduite de la jurisprudence de la Cour .

Tout d' abord, nous voudrions encore préciser brièvement l' objet de la deuxième question . Dans les observations présentées devant la Cour, il n' est pas dit très clairement de quel "effet" de la législation française il s' agit en l' espèce . Contrairement à ce que laissent entendre les observations du gouvernement français, du CNAVTS et de la Commission, M . Jordan ne demande pas l' "application rétroactive" de la nouvelle réglementation, c' est-à-dire l' application de la nouvelle réglementation
à des situations nées sous l' empire de l' ancienne réglementation, en l' espèce la naissance d' un droit à prestations, mais il demande que la nouvelle réglementation française soit "immédiatement applicable", en ce sens qu' elle est déclarée directement applicable aux effets juridiques ( prestations futures ) des demandes de prestations nées et liquidées antérieurement, à savoir avant la promulgation de la loi . Or, le législateur français n' a reconnu aux modifications législatives, décrites plus
haut, ni un effet rétroactif, ni un tel effet direct . Au contraire, il a indiqué expressément que l' ancienne réglementation restait en vigueur, et cela aussi à l' égard des effets juridiques futurs des droits à prestations nés avant la promulgation de la loi, et qu' elle n' était dès lors nullement affectée par la nouvelle réglementation . Vous êtes donc invité à répondre à la question de savoir si le droit communautaire applicable ( en l' espèce l' article 51 du règlement n° 1408/71 ) s' oppose à
ce que le législateur national introduise des modifications législatives ayant un tel effet ( consistant à ne pas porter atteinte à l' ancienne réglementation ).

12 . Dans l' arrêt Pinna I ( 8 ), vous avez affirmé en termes généraux, en ce qui concerne le fondement juridique du règlement n° 1408/71, à savoir l' article 51 du traité CEE, ce qui suit :

"Il faut signaler que l' article 51 du traité prévoit une coordination des législations des États membres et non une harmonisation . L' article 51 laisse donc subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale des États membres et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent . Les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale de chaque État membre, et partant, dans les droits des personnes qui y travaillent, ne sont donc pas touchées par
l' article 51 du traité" ( point 20 des motifs de l' arrêt ). ( 9 )

Dans votre jurisprudence, ce principe a été traité à plusieurs reprises en rapport avec certaines dispositions spécifiques du règlement n° 1408/71 . Prenons tout d' abord l' arrêt Brunori de 1979 ( 10 ). Le litige au principal dans cette affaire concernait la demande d' un ressortissant italien qui s' était établi comme artisan indépendant en Allemagne . La législation allemande prévoyait une dérogation à l' obligation d' affiliation au régime de sécurité sociale pour les artisans ayant cotisé
pendant au moins 216 mois au titre d' une activité pour laquelle l' affiliation à une assurance vieillesse étant obligatoire . M . Brunori estimait qu' aux fins de l' application de cette règle, les périodes d' assurance, qu' il avait déjàaccomplies en Italie, devaient également être prises en considération . C' est la raison pour laquelle la juridiction allemande de renvoi avait posé à la Cour la question de savoir si l' article 45 du règlement n° 1408/71, qui régit la prise en considération des
périodes d' assurance accomplies à l' étranger au titre de l' acquisition, du maintien ou du recouvrement du droit à prestations, doit également s' appliquer, par analogie, à l' existence d' une obligation d' assurance . La Cour, se ralliant à l' opinion de la Commission, a répondu par la négative . Le règlement n° 1408/71 n' a pour but que d' assurer une coordination entre les législations nationales de sécurité sociale . Dans ces circonstances, l' article 45 dudit règlement envisage la
totalisation des périodes d' assurance en vue de l' acquisition, du maintien ou du recouvrement du droit aux prestations . Cette totalisation est, comme telle, étrangère aux questions concernant l' affiliation et la terminaison de l' affiliation aux divers régimes de sécurité sociale, dont la réglementation relève des seules législations nationales ( cf . points 5 et 6 des motifs de l' arrêt ).

Vous vous êtes prononcés dans le même sens dans l' arrêt Coonan ( 11 ). Dans cette affaire, il vous était demandé si le règlement n° 1408/71 donne à un travailleur un droit à être affilié au régime de sécurité sociale de l' État membre où il vient travailler pour la première fois, alors que ce droit lui est refusé sur la seule base des dispositions nationales . Dans votre arrêt, vous avez affirmé entre autres ce qui suit :

"Ni l' article 18 ni l' article 46 du règlement n° 1408/71 ne permettent de répondre à cette question . Ces dispositions règlent en effet la totalisation des périodes de qualification et ses conséquences (...) dans le cas où dans un État membre une personne est déjà ou a été affiliée en qualité de travailleur au système national de sécurité sociale, alors que, d' autre part, elle a également accompli des périodes de qualification dans un autre État membre . Elles ne règlent pas la question préalable
de savoir dans quelles conditions un ressortissant d' un État membre peut ou doit être affilié au régime de sécurité sociale d' un autre État membre où il exerce une activité salariée" ( point 8 des motifs de l' arrêt );

"(...) Il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l' obligation de s' affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche de pareil régime du moment qu' il n' est pas fait à cet égard de discrimination entre nationaux et ressortissants des autres États membres" ( point 12 des motifs de l' arrêt ).

Les arrêts Brunori et Coonan ont encore été confirmés à une date récente par l' arrêt Schmitt ( 12 ), dans lequel vous affirmez ce qui suit :

"(...) tant l' article 51 du traité CEE que le règlement n° 1408/71, pris en application de cette disposition, prévoient uniquement la totalisation des périodes d' assurance accomplies dans différents États membres . Par contre, ces dispositions ne règlent pas les conditions de constitution de ces périodes d' assurance" ( point 15 des motifs de l' arrêt ).

13 . La jurisprudence de la Cour montre que les compétences sont clairement réparties : d' une part, le règlement n° 1408/71 impose aux organismes nationaux de sécurité sociale l' obligation de tenir compte, lors de la détermination ( entre autres ) du droit aux prestations d' assurance vieillesse des travailleurs migrants, des périodes d' assurance ou de résidence accomplies à l' étranger, mais, d' autre part, l' acquisition, le maintien ou le recouvrement d' un tel droit dépend en premier lieu de
la législation nationale applicable . A la lumière de cette répartition des compétences, nous pensons qu' on peut difficilement contester que dans l' état actuel du droit communautaire, la détermination de l' effet dans le temps d' une règle nationale relève de la compétence du législateur national . En effet, si on admet que le législateur national est compétent pour régler l' affiliation ou la terminaison de l' affiliation à un régime de sécurité sociale ( arrêts Brunori et Coonan ) et pour
déterminer les conditions d' accomplissement des périodes d' assurance ( arrêt Schmitt ), il faut aussi admettre qu' il est compétent pour régler l' effet dans le temps de ces règles du moment que, ce faisant, il ne viole pas les règles de totalisation, prévues par le règlement n° 1408/71, et n' introduit pas non plus de discrimination, prohibée par le traité ou par le règlement n° 1408/71 .

Résumons ce qui précède . Il est exact que - comme vous l' avez affirmé dans l' arrêt Sinatra ( cf . en particulier le point 8 des motifs, reproduit plus haut ) - l' article 46 ( combiné avec l' article 51 ) confère en principe aux assurés sociaux le droit à un nouveau calcul chaque fois que les prestations accordées sur la base du régime de sécurité sociale applicable sont modifiées . Or, il résulte des arrêts Brunori, Coonan et Schmitt que ce droit, fondé sur le droit communautaire, à l'
application du régime de sécurité sociale le plus favorable suppose que le législateur national déclare la nouvelle réglementation applicable, tant du point de vue matériel que du point de vue temporel, à l' assuré social .

Considération finale : article 50 du règlement n° 1408/71

14 . Nous estimons que les éléments ci-dessus peuvent suffire pour répondre aux questions de la juridiction de renvoi dans le sens indiqué ci-après dans le dispositif de nos conclusions . Toutefois, au cas où vous seriez d' un avis différent en ce qui concerne la deuxième question et conclueriez qu' en vertu du droit communautaire, il faut reconnaître un effet immédiat aux modifications législatives françaises, il peut être utile d' indiquer, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, les critères
que la juridiction de renvoi devra utiliser pour déterminer quelles composantes de la prestation minimale, accordée par la nouvelle législation française, doivent être considérées comme "prestation minimale" au sens de l' article 50 .

La jurisprudence de la Cour relative à cette question illustre une fois de plus la répartition des compétences, exposée brièvement ci-dessus, entre le législateur communautaire et le législateur national .

15 . Dans l' arrêt du 30 novembre 1977 ( affaire 64/77, Torri, Recueil 1977, p . 2299 ), vous avez affirmé ce qui suit :

"L' article 50 vise les cas où les carrières du travailleur au titre des législations des États auxquelles il a été soumis, ont été relativement brèves, de sorte que le montant total des prestations dues par ces États n' atteigne pas un niveau de vie raisonnable" ( point 5 des motifs de l' arrêt ) et

"(...) l' article 50 (...) ne saurait s' appliquer que dans les cas où la législation de l' État membre sur le territoire duquel le travailleur réside, connaît une pension minimale ." ( point 13 des motifs de l' arrêt ).

Cet arrêt a été confirmé et précisé dans l' arrêt du 17 décembre 1981 ( affaire 22/81, Browning, Recueil 1981, p . 3357 ), dans lequel la Cour a dit pour droit que l' article 50 doit être interprété en ce sens qu' il n' y a "prestation minimale" que si la législation de l' État de résidence comporte une garantie spécifique ayant pour objet d' assurer aux bénéficiaires de prestations de sécurité sociale un revenu minimal dépassant le niveau des prestations auxquelles ils pourraient prétendre en
fonction du seul état de leurs périodes d' affiliation et de leurs cotisations ( en d' autres termes, en application des règles de calcul, visées à l' article 46 ).

Dans deux arrêts préjudiciels antérieurs, vous vous êtes aussi déjà penchés sur la composante non contributive de la prestation assurance vieillesse minimale, prévue par la nouvelle législation française . Le litige de base dans ces deux affaires concernait spécifiquement l' allocation complémentaire, versée par le FNS, et il vous était demandé si, en vertu de l' article 4, paragraphe 4, du règlement n° 1408/71, cette allocation ne sortait pas, en tant que "mesure d' assistance sociale", du champ d'
application de ce règlement . Vous avez jugé dans ces deux affaires qu' une allocation supplémentaire versée par un fonds national de solidarité, financée par l' impôt et accordée aux titulaires de pensions de vieillesse, de réversion ou d' invalidité en vue de leur assurer un minimum de moyens d' existence, entre dans le champ d' application matériel du règlement n° 1408/71, pour autant que les intéressés ont un droit légalement protégé à l' octroi d' une telle allocation ( 13 ).

Si on lit les arrêts Torri et Browning en liaison avec les arrêts Giletti et Zaoui, on obtient le résultat suivant . L' article 50 est également applicable aux prestations minimales ( totalement ou partiellement non contributives ), par lesquelles une législation nationale vise à assurer un "niveau de vie raisonnable" à tous ( y compris à ceux qui ne pourraient pas y prétendre en application des règles de cotisation ordinaires ), mais seulement pour autant que les intéressés peuvent prétendre à ces
prestations minimales en vertu de la législation applicable .

Conclusion

16 . Sur la base des arguments développés ci-dessus, nous vous proposons de répondre dans les termes suivants aux questions de la Cour de cassation :

"1.L' article 51, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens qu' il est applicable aux modifications d' une législation nationale relative aux conditions d' octroi et aux règles de calcul des prestations de vieillesse .

2.Dans l' état actuel du droit communautaire, ni l' article 51 du traité, ni l' article 51 du règlement n° 1408/71 ne s' opposent à ce qu' un législateur national limite l' effet dans le temps d' une réglementation en matière de sécurité sociale aux prestations accordées après l' introduction d' une nouvelle réglementation, du moment que cette règle d' effet dans le temps ne viole pas les règles de totalisation, prévues par le règlement n° 1408/71, et n' introduit aucune inégalité de traitement,
prohibée par le droit communautaire ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) Cf . ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982, Journal Officiel de la République française du 28 mars 1982, p . 951 .

( 2 ) Loi n° 83-430 du 31 mai 1983, Journal Officiel de la République française du 1er juin 1983, p . 1639 .

( 3 ) Le gouvernement français fait observer que ( dans l' ancien système qui serait toujours applicable à son égard ), si son revenu le justifie et s' il introduit une demande en ce sens, M . Jordan peut prétendre à l' octroi d' une allocation complémentaire à la charge de FNS, mais que son salaire annuel moyen revalorisé dépasserait au 1er avril 1983 le montant qui ouvrirait un droit à cette allocation complémentaire .

( 4 ) Cf . encore à une date récente l' arrêt du 21 juin 1988, affaire 179/86, Brown, non encore publié, point 9 des motifs .

( 5 ) Arrêt du 2 février 1982, affaire 7/81, Recueil 1982, p . 137 .

( 6 ) Arrêt de la Cour du 1er mars 1984, affaire 104/83, Cinciuolo, Recueil 1984, p . 1285, en particulier les points 11 et 12 des motifs . Cf . aussi le récent arrêt du 4 mai 1988, arrêt 83/87, Viva, non encore publié, point 11 des motifs .

( 7 ) Point 8 des motifs de l' arrêt Sinatra, reproduit déjà in extenso ci-dessus, au paragraphe 9 des présentes conclusions .

( 8 ) Arrêt du 15 janvier 1986, affaire 41/84, Pinna, Recueil 1986, p . 1 .

( 9 ) Il est vrai qu' au point 21 des motifs de l' arrêt, il est dit que la libre circulation des travailleurs dans la Communauté est facilitée quand les conditions de travail sont aussi proches que possible dans les différents États membres . Il s' ensuit que la réglementation communautaire en matière de sécurité sociale doit s' abstenir d' ajouter des disparités supplémentaires à celles qui résultent déjà du défaut d' harmonisation des législations nationales . ( Ces considérations ont conduit à
l' annulation de l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 ).

( 10 ) Arrêt de la Cour du 12 juillet 1979, affaire 266/78, Brunori, Recueil 1979, p . 2705 .

( 11 ) Arrêt du 24 avril 1980, affaire 110/79, Coonan, Recueil 1980, p . 1445 .

( 12 ) Arrêt du 28 février 1989, affaire 29/88, Schmitt, pas encore publié .

( 13 ) Cf . arrêt du 24 février 1987, affaires jointes 379 à 381/85 et 93/86, Giletti, Recueil 1987, p . 955, en particulier le point 12 des motifs, et arrêt du 17 décembre 1987, affaire 147/87, Zaoui, non encore publié, en particulier le point 9 des motifs .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 141/88
Date de la décision : 01/06/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Sécurité sociale - Calcul des prestations de vieillesse - Règlement n. 1408/71 du Conseil - Article 51.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, région de Paris
Défendeurs : Alan Jordan.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Sir Gordon Slynn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:231

Source

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