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24/01/1989 | CJUE | N°1/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 24 janvier 1989., Adalino Baldi contre Caisse de compensation pour allocations familiales., 24/01/1989, 1/88


Avis juridique important

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61988C0001

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 24 janvier 1989. - Adalino Baldi contre Caisse de compensation pour allocations familiales. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Namur - Belgique. - Sécurité sociale - Allocations familiales. - Affaire

1/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00667

Conclusions de l'avoc...

Avis juridique important

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61988C0001

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 24 janvier 1989. - Adalino Baldi contre Caisse de compensation pour allocations familiales. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Namur - Belgique. - Sécurité sociale - Allocations familiales. - Affaire 1/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00667

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le tribunal du travail de Namur nous pose une question préjudicielle au sujet de l' interprétation de l' article 78, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application du régime de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté ( JO L 149, p . 2 ).

Le requérant au principal, M . Adalino Baldi, a exercé une activité salariée en Belgique jusqu' au 6 avril 1977 . A la fin du mois de juillet 1977, il a transféré sa résidence en Italie . Depuis le 1er mai 1972, il perçevait déjà une pension d' invalidité italienne . Il résulte, en outre, du dossier mis à la disposition de la Cour par le tribunal du travail que par décision du 31 mars 1984 M . Baldi s' est vu accorder une pension d' invalidité belge qui a pris effet au 6 avril 1978 .

Du fait du décès de sa femme, survenu le 10 mars 1961, il a perçu pour son fils Renaldo des allocations familiales belges au taux majoré d' orphelin, et ce jusqu' au 31 août 1981, date à laquelle la Caisse de compensation pour allocations familiales de l' Union des classes moyennes ( ci-après "CCAF "), défenderesse au principal, a suspendu ses paiements . De plus,

cette institution a exigé, par lettre du 14 février 1984, la restitution des sommes versées à ce titre, et selon elle indûment, depuis le départ de M . Baldi pour l' Italie .

M . Baldi a alors introduit un recours devant le tribunal du travail de Namur, afin d' obtenir de la CCAF le paiement de la différence entre les allocations familiales perçues en Italie et celles, plus élevées, dues en vertu de la législation belge . Il base sa demande notamment sur l' article 78 du règlement n° 1408/71, précité, sur l' interprétation duquel le tribunal du travail de Namur nous pose la question suivante :

"L' article 78, paragraphe 2, du règlement européen n° 1408/71 doit-il être interprété en ce sens que l' orphelin, bénéficiaire d' allocations familiales au taux orphelin par suite du décès de sa mère, qui n' a pas eu la qualité de travailleur salarié, peut, par le fait d' un changement de résidence l' amenant sur le territoire d' un autre État membre à charge duquel il va bénéficier d' allocations familiales, mais à un taux différent, perdre le bénéfice des allocations familiales obtenues à charge
du premier État membre, ou en ce sens qu' il est en droit d' obtenir à charge de l' institution compétente du premier État membre la différence entre les allocations familiales perçues à charge du deuxième État membre et les allocations d' orphelin qu' il percevait précédemment?"

Le problème posé trouve son origine dans le fait que, selon la défenderesse au principal, la prétention du demandeur est privée de base légale tant en droit belge qu' en droit communautaire . Elle fait valoir, en effet, que, aux termes de la législation belge, et en particulier de l' article 51, dernier alinéa, des lois coordonnées belges du 29.12.1939, relatives aux allocations familiales des travailleurs salariés, ces dernières ne sont dues que si les enfants sont élevés à l' intérieur du royaume
. Tel n' étant plus le cas en l' espèce, M . Baldi aurait perdu son droit aux allocations familiales majorées belges .

La défenderesse au principal estime, par ailleurs, que M . Baldi ne saurait pas non plus baser sa prétention sur le droit communautaire, c' est-à-dire en l' espèce sur les dispositions du règlement n° 1408/71 du Conseil .

La juridiction nationale quant à elle se réfère dans sa question à l' article 78, paragraphe 2, de ce règlement, qui porte le titre "Orphelins ". Il y a lieu cependant de noter que le paragraphe 2 de cet article vise les orphelins "d' un travailleur", et non pas les orphelins dont le parent défunt n' exerçait aucune activité professionnelle, comme c' était le cas pour Mme Baldi . L' article 77, par contre, porte le titre "Enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes ". Or, le fils de M .
A . Baldi est bien un enfant à charge d' un titulaire de pension .

J' estime, dès lors, qu' une situation telle que celle visée par la juridiction nationale relève du champ d' application de l' article 77 . L' alinéa 1 dudit article précise que sont des "prestations" au sens de cet article les "allocations familiales prévues pour les titulaires d' une pension ou d' une rente de vieillesse, d' invalidité, d' accident du travail ou de maladie professionnelle, ainsi que les majorations ou les suppléments de ces pensions ou rentes prévus pour les enfants de ces
titulaires ".

En vertu de l' article 77, paragraphe 2, sous b ), i ), si le titulaire perçoit une pension au titre des législations de plusieurs États membres, les prestations susmentionnées sont accordées conformément à la législation de celui des États sur le territoire duquel il réside, si le droit à l' une de ces prestations y est ouvert en vertu de la législation de cet État . Comme tel est le cas en l' espèce, ce sont donc en principe les prestations italiennes qui doivent être accordées à M . Baldi .

Il résulte cependant d' une jurisprudence constante de la Cour ( 1 ), et notamment des arrêts Laterza et Patteri rendus à propos de litiges qui opposaient, comme en l' occurrence, des travailleurs migrants à des Caisses de compensation pour allocations familiales belges, que

"l' article 77, paragraphe 2, sous b ), i ), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que le droit à des prestations familiales à charge de l' État sur le territoire duquel réside le titulaire d' une pension d' invalidité ne fait pas disparaître le droit à des prestations familiales plus élevées précédemment ouvert à charge d' un autre État membre . Lorsque le montant des prestations familiales effectivement perçu dans l' État membre de résidence est inférieur à celui des prestations
prévues par la législation de l' autre État membre, le travailleur a droit, à charge de l' institution compétente de ce dernier État, à un complément de prestations égal à la différence entre les deux montants" ( dispositif de l' arrêt Laterza ).

La manière dont ce principe est motivé dans les arrêts susmentionnés m' amène à conclure qu' il n' y a aucune raison de faire une distinction entre le cas où les prestations de "l' autre État membre" sont, d' une façon générale, plus élevées que celles de l' État membre de résidence et celui où elles sont plus élevées parce que "l' autre État membre" accorde une majoration des allocations familiales en raison du fait que l' épouse du travailleur est décédée .

Cette solution s' impose indubitablement à partir du 6 avril 1978, puisqu' à partir de cette date M . Baldi était titulaire de pensions dues au titre de la législation de plusieurs États membres . Le problème se pose cependant en des termes différents en ce qui concerne la période antérieure pendant laquelle M . Baldi ne bénéficiait que d' une pension due au titre de la législation d' un seul État membre, à savoir l' Italie . Cette pension lui a été versée à partir du 1er mai 1972 . Il en
bénéficiait donc déjà au cours d' une partie de la période pendant laquelle il exerçait encore une activité professionnelle en Belgique . On pourrait dès lors se demander si les allocations familiales n' auraient pas dû être versées à partir de cette date par l' Italie, car l' article 77 paragraphe 2, sous a ), dispose que

"les prestations sont accordées ... au titulaire d' une pension ou d' une rente due au titre de la législation d' un seul État membre, conformément à la législation de l' État membre compétent pour la pension ou la rente ".

Tel n' est cependant pas le cas, car il résulte de l' article 79, paragraphe 3, que

"le droit aux prestations dues en vertu des dispositions du paragraphe 2 et des articles 77 et 78 est suspendu si les enfants ouvrent droit à des prestations ou allocations familiales au titre de la législation d' un État membre, du fait de l' exercice d' une activité professionnelle . Dans ce cas, les intéressés sont considérées comme les membres de la famille d' un travailleur salarié ou non salarié ."

Les allocations familiales devaient donc bien être versées par la Belgique aux taux belges, car, en vertu de l' article 13, paragraphe 2, sous a ), du règlement n° 1408/71, M . Adalino Baldi était soumis à la législation belge en raison du fait qu' il exerçait une activité salariée dans le pays .

Le 6 avril 1977, M . Baldi est tombé malade, et au cours de cette maladie, à la fin du mois de juillet 1977, il est retourné en Italie . Il devait cependant continuer à bénéficier de prestations-maladie au titre de la législation belge et, par conséquent, également des allocations familiales belges, car, comme l' a fait remarquer la Commission au cours de l' audience, "jusqu' au moment où l' on devient pensionné, on demeure travailleur ".

Mais les choses se compliquent, étant donné qu' il résulte de la décision n° 84 de la commission administrative instituée par l' article 80 du règlement n° 1408/71 que, dans le cadre de l' application de l' article 79, paragraphe 3, les prestations ou allocations familiales ne sont dues, au cours d' une période de suspension de l' activité professionnelle par suite de maladie, que dans la limite de six mois ( JO C 75, du 19.9.1973, p . 15 ). En vertu de cette décision, M . Baldi aurait perdu le
bénéfice des allocations familiales belges à partir du 6 octobre 1977 . La Cour a cependant dit pour droit ( 2 ) que les décisions de la commission administrative ne sont pas de nature à obliger les institutions de sécurité sociale à suivre certaines méthodes ou à adopter certaines interprétations lorsqu' elles procèdent à l' application des règles du droit communautaire . Une décision de la commission administrative, a ajouté la Cour, ne lie donc pas le tribunal du travail .

Si on acceptait néanmoins que le versement des allocations familiales belges ait pu valablement cesser six mois après que M . Baldi soit tombé malade, c' est-à-dire à partir du 6 octobre 1977, alors la situation du requérant au principal aurait été, à partir de cette date, celle d' un titulaire d' une pension d' invalidité due au titre de la législation d' un seul État membre . Le cas de M . Baldi aurait donc relevé du champ d' application de l' article 77, paragraphe 2, sous a ), et ce jusqu' à la
date du 6 avril 1978, où il est devenu titulaire d' une pension d' invalidité belge, ce qui a rendu applicable, comme nous l' avons vu antérieurement, l' article 77, paragraphe 2, sous b ), i ).

La règle de l' article 77, paragraphe 2, sous a ), aboutirait à désigner la législation italienne, en vertu de laquelle était versée la pension d' invalidité, comme étant compétente pour les allocations familiales .

Nous sommes toutefois d' avis que dans une telle situation doit s' appliquer également la jurisprudence précitée de la Cour sur le complément différentiel . Celle-ci se fonde, en effet, essentiellement sur le fait que le but de l' article 51, à savoir la libre circulation des travailleurs, ne serait pas réalisé si les avantages acquis en vertu de la seule législation d' un État membre pourraient être perdus par suite de l' exercice du droit de libre circulation . Or, une telle considération me
paraît tout aussi impérative dans le cas de la lettre a ) que dans celui de la lettre b ) de l' article 77, paragraphe 2 . Ces deux dispositions remplissent d' ailleurs des fonctions analogues au sein du chapitre 8 du règlement n° 1408/71 .

Il importe également de noter que l' arrêt D' Amario cité à la note n° 1 déclare la jurisprudence en cause applicable aux articles 77 et 78, sans autres distinctions . Enfin, la décision n° 129 de la commission administrative ( JO 1986, C 141, p . 7 ), qui tire les conséquences qui découlent de cette jurisprudence, ne fait elle non plus aucune distinction entre les différents alinéas de l' article 77 .

Force est donc de conclure que, également au cours de cette première période, c' est-à-dire celle qui s' est écoulée entre le moment où la CCAF a cessé de verser à M . Baldi les allocations familiales belges au taux orphelin et la date à partir de laquelle le requérant est devenu titulaire d' une pension d' invalidité belge, la Caisse de compensation était tenue de lui verser la différence entre le montant des allocations familiales belges au taux orphelin et celui des allocations familiales
italiennes .

Je propose en conséquence de donner au tribunal du travail de Namur la réponse suivante :

"L' article 77 du règlement n° 1408/71, qui est applicable à une situation telle que celle en cause dans le litige au principal, doit être interprété en ce sens que le droit à des allocations familiales à charge de l' État sur le territoire duquel réside le titulaire d' une pension d' invalidité, que ce droit soit basé sur le paragraphe 2, sous a ), ou sous b ), i ), de cet article, ne fait pas disparaître le droit à des allocations familiales plus élevées précédemment ouvert à charge d' un autre
État membre, même lorsque la différence de niveau est due au fait que dans ce dernier État membre le taux a été majoré en raison du décès de l' épouse du travailleur . Lorsque le montant des allocations familiales effectivement perçu dans l' État membre de résidence est ainsi inférieur à celui des allocations prévues par la législation de l' autre État membre, le travailleur a droit, à charge de l' institution compétente de ce dernier État, à un complément d' allocations égal à la différence des
deux montants ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Voir les arrêts du 12 juin 1980, CCAF/Laterza, 733/79, Rec . 1980, p . 1915, du 24 novembre 1983, D' Amario/Landesversicherungsanstalt Schwaben, 320/82, Rec . 1983, p . 3811, et du 12 juillet 1984, CCAF/Patteri, 242/83, Rec . 1984, p . 3171 .

( 2 ) Voir l' arrêt du 14 mai 1981, Romano/Institut national d' assurance maladie-invalidité, 98/80, Rec . 1981, p . 1241 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1/88
Date de la décision : 24/01/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Namur - Belgique.

Sécurité sociale - Allocations familiales.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Adalino Baldi
Défendeurs : Caisse de compensation pour allocations familiales.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Joliet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:31

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