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15/12/1988 | CJUE | N°25/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 décembre 1988., Procédure pénale contre Esther Renée Wurmser, veuve Bouchara et société Norlaine., 15/12/1988, 25/88


Avis juridique important

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61988C0025

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 décembre 1988. - Procédure pénale contre Esther Renée Wurmser, veuve Bouchara et société Norlaine. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Bobigny - France. - Libre circulation des marc

handises. - Affaire 25/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 01105

Concl...

Avis juridique important

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61988C0025

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 décembre 1988. - Procédure pénale contre Esther Renée Wurmser, veuve Bouchara et société Norlaine. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Bobigny - France. - Libre circulation des marchandises. - Affaire 25/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 01105

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le tribunal de grande instance de Bobigny vous soumet une question d' interprétation d' une grande portée . En effet, le renvoi préjudiciel pose le problème de la légalité, au regard des articles 30 et 36 du traité CEE, d' une obligation imposée à l' importateur de produits d' origine communautaire, sous peine d' engager sa responsabilité pénale, de vérifier si le produit qu' il importe est conforme aux prescriptions nationales de l' État d' importation . Un régime légal de responsabilité pénale
qui impose à l' importateur des obligations de contrôle particulières semble exister, aux dires de la Commission, dans plusieurs autres États membres . La Commission a d' ailleurs annoncé qu' elle envisage de faire une communication au sujet de tels régimes, au vu de la position que la Cour aura prise dans la présente affaire . Enfin, le renvoi préjudiciel peut avoir des retombées sur la jurisprudence des institutions judiciaires des États membres sur le plan de la responsabilité de l' importateur
tant pénale que civile .

En l' espèce, le cadre légal est établi par la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services . La loi n° 83-660, du 21 juillet 1983, a ajouté un article 11, paragraphe 4, à cette loi, aux termes duquel :

"Dès la première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs .

Le responsable de la première mise sur le marché d' un produit est donc tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur .

A la demande des agents habilités pour appliquer la présente loi, il est tenu de justifier des vérifications et contrôles effectués ."

Rappel sommaire des faits

2 . La société Norlaine est une centrale d' achat de textiles destinés à être revendus dans les magasins exploités sur le territoire français par diverses sociétés à l' enseigne "Bouchara ". En 1984, la société a importé de la République italienne et de la République fédérale d' Allemagne un certain nombre de tissus dit "fantaisie ". Ces tissus ont été livrés par les fabricants italiens et allemands, accompagnés de factures sur lesquelles figurait la composition des tissus . La société Norlaine a
procédé à la revente de ces articles sans les manipuler ni les étiqueter, et a reproduit sur les factures de vente la composition des marchandises telle qu' indiquée sur les factures de ses propres fournisseurs étrangers .

3 . Dans le cadre d' une opération ponctuelle, le service de la répression des fraudes a opéré 18 prélèvements sur différents tissus mis en vente par le magasin Bouchara à Toulouse et livrés par la société Norlaine . Sur les 18 échantillons analysés par un laboratoire officiel, 7 ont été reconnus non conformes . C' est dans ces conditions que Mme Wurmser, veuve Bouchara, et M . Bloch, dirigeants de la société Norlaine, sont poursuivis devant le tribunal de grande instance de Bobigny pour tromperie
sur la composition des marchandises, en ayant mis ou laissé mettre en vente des produits textiles portant des indications fausses sur leur composition, faits qui sont réprimés par la loi du 1er août 1905 .

Les questions préjudicielles et leur formulation

4 . Par jugement rendu le 29 octobre 1987, le tribunal a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1 ) Les dispositions de l' article 11, paragraphe 4, de la loi du 1er août 1905, modifiée, sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services, sont-elles compatibles avec les dispositions de l' article 30 du traité de Rome, prohibant les restrictions à l' importation ainsi que les mesures d' effet équivalent?

2 ) En cas de réponse négative à cette première question, la réglementation française constitue-t-elle une exception aux dispositions de l' article 30 du traité de Rome, justifiée par l' article 36 du même traité?"

Ces questions ne semblent pas devoir être comprises en ce sens que le juge national demanderait à la Cour de constater la compatibilité ou l' incompatibilité de certaines dispositions du droit français avec le droit communautaire . Nous vous suggérons de les formuler à nouveau de la manière suivante :

"Les articles 30 et 36 du traité CEE font-ils obstacle à l' introduction ou au maintien d' une obligation imposée au responsable de la première mise sur le marche d' un produit de vérifier, sous peine d' engager sa responsabilité pénale, la conformité de ce produit aux prescriptions nationales visant la santé et la protection des personnes, la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs?"

5 . Nous nous proposons d' abord d' évoquer l' origine de l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905 et d' analyser la portée de la disposition . Nous constaterons ensuite qu' en l' espèce la matière n' est pas réglée en droit communautaire . La plus grande partie de notre exposé sera consacrée à l' examen de la licéité de régimes tels que ceux prévus par la loi française, au regard des articles 30 et 36 du traité CEE . Nous constaterons, à cet égard, qu' on se trouve devant une "mesure pouvant
produire un effet équivalant à des restrictions quantitatives à l' importation ". Cela étant établi, nous examinerons si la mesure peut être justifiée, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, sur la base des articles 30 et 36 du traité CEE .

Le régime de la responsabilité pénale en droit français

6 . Aux termes de l' article 11, paragraphe 4, deuxième phrase, de la loi française du 1er août 1905, le "responsable de la première mise sur le marché d' un produit est ... tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur ". Cette disposition a été introduite par une loi de 1983, qui a entériné une jurisprudence assimilant l' absence de vérification à une négligence grave . Il nous paraît utile d' indiquer sommairement le cadre et la portée de cette jurisprudence .

L' article 1er de la loi du 1 août 1905 prévoit des sanctions pénales à l' égard de quiconque aura trompé ou tenté de tromper le contractant sur, notamment, la composition des marchandises livrées . Ce délit de tromperie nécessite une intention frauduleuse . Dans l' appréciation de cette intention, la jurisprudence antérieure à la loi de 1983 opérait une différence entre le producteur et le distributeur de produits .

La jurisprudence considérait que la mauvaise foi du producteur pouvait être déduite d' un défaut de vérification . De la sorte, le délit de tromperie était pratiquement devenu, à l' égard du producteur, une infraction matérielle, c' est-à-dire une infraction pouvant être établie au vu de la simple négligence du producteur sans devoir démontrer dans son chef une intention coupable .

La jurisprudence en matière de responsabilité pénale du distributeur était différente . Le défaut de vérification n' était pas retenu comme un élément suffisant pour établir l' intention frauduleuse dans son chef . Ce n' est que dans l' hypothèse où il manipulait lui-même la marchandise que la jurisprudence le tenait pour pénalement responsable .

Si la loi du 1er août 1905 sanctionne quiconque a trompé ou tenté de tromper le contractant, en principe c' était donc le producteur qui était présumé responsable des tromperies, au motif, évident, qu' il est le mieux placé pour connaître et indiquer la composition de ses propres marchandises . Toutefois, la jurisprudence dérogeait à ce régime dualiste en ce qui concerne le distributeur/importateur de produits autres que français . Celui-ci était mis, quant à sa responsabilité pénale en cas de
tromperie, sur le même pied que le producteur de produits français . Les difficultés pratiques auxquelles se heurte la mise en cause de la responsabilité pénale de fabricants étrangers semble avoir été à l' origine de cette assimilation de la position de l' importateur à celle du producteur . Quoi qu' il en soit, la loi du 21 juillet 1983 a consacré cette jurisprudence . Il est à présent explicitement prévu que le responsable de la première mise sur le marché d' un produit - c' est-à-dire tant le
producteur français que l' importateur d' un produit autre que français - est tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur .

7 . La disposition légale comporte cependant des lacunes qu' il faut avoir présentes à l' esprit lors de l' examen de sa licéité au regard du droit communautaire . Ainsi, la disposition est muette sur la portée de l' obligation de vérifier la conformité des produits qui sont mis sur le marché avec les prescriptions nationales . Cette vérification implique, en réalité, une double connaissance de la part de l' importateur . Elle implique, d' une part, la connaissance des prescriptions nationales en
vigueur, celles-ci devant, le cas échéant, être conformes à des dispositions de droit communautaire ( voir infra points 9 et 16 ). Elle implique, d' autre part, une connaissance suffisante des caractéristiques et de la composition des produits importés pour pouvoir se rendre compte si ceux-ci sont conformes aux règles du pays d' importation . Sur ce dernier point, il faut constater que la disposition légale ne donne pas d' indication sur le comportement attendu de l' importateur pour qu' il puisse
dégager sa responsabilité pénale . L' importateur est-il supposé faire systématiquement analyser tout produit importé par un laboratoire, comme l' envisagent les défendeurs au principal? Ou peut-il dégager sa responsabilité pénale en produisant les certificats établis par le producteur étranger, comme l' affirme le gouvernement français? A l' audience, ces vues divergentes des parties n' ont pas pu être rapprochées .

L' autre point sur lequel la disposition est imprécise concerne l' énumération des dispositions nationales auxquels les produits importés doivent être conformes . L' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905 se limite à indiquer de manière générale que les "produits doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs ". Les produits importés doivent donc être conformes à
toutes les règles arrêtées par une autorité nationale dans les matières qui sont prévues par ladite disposition ( 1 ).

La matière n' est pas harmonisée en droit communautaire .

8 . Il convient d' observer, en premier lieu, que la responsabilité pénale pour non-conformité des produits distribués avec les indications de l' étiquette n' est actuellement réglée par aucune directive communautaire . Certes, la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse ( JO L 250, p . 17 ), énonce une série de dispositions juridiques que les
États membres doivent arrêter pour protéger le public contre la publicité trompeuse . En outre, la directive 71/307/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dénominations textiles ( JO L 185, p . 16 ), harmonise les dénominations des fibres textiles ainsi que les mentions figurant sur les étiquettes qui accompagnent les produits textiles .

Cependant, ni la directive générale de 1984, ni la directive spécifique pour les produits textiles de 1971 ne font obstacle à ce que les États membres maintiennent des dispositions visant à assurer une protection plus étendue, notamment, comme en l' espèce, une obligation imposée à ceux qui mettent des produits sur le marché d' en vérifier la composition sous peine de s' exposer à une responsabilité pénale plus lourde .

9 . Ce préalable ne donne pas de réponse à la question plus générale qui est de savoir si, pour l' ensemble des matières couvertes par l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905, l' on se trouve ou non devant une réglementation harmonisée en droit communautaire . Il n' est bien entendu pas possible - ni nécessaire dans le cadre de la présente affaire - de répondre à cette question de manière générale, compte tenu de l' étendue des matières couvertes par la disposition et de l' absence d'
indication précise des normes régissant ces matières ( voir point 7 ). Il suffit de souligner, d' une part, que, dans le cas où la réglementation concernée a été harmonisée, l' obligation de vérifier imposée à l' importateur, comme, par ailleurs, celle imposée au fabricant, doit s' exercer au regard des dispositions communautaires, et, d' autre part, que si une telle harmonisation n' a pas été réalisée, l' obligation de vérifier peut néanmoins soulever des problèmes délicats, notamment dans l'
appréciation de la validité de la disposition nationale concernée au regard du droit communautaire .

Dans la suite du présent exposé, nous nous placerons dans l' hypothèse rencontrée en l' espèce, à savoir celle où le produit importé est assujetti dans le pays d' importation à des règles particulières, celles-ci n' ayant cependant pas été harmonisées en droit communautaire .

L' obligation de vérifier est susceptible d' entraver le commerce intracommunautaire

10 . Aux termes de l' article 30 du traité CEE, sont interdites dans le commerce entre États membres les restrictions quantitatives à l' importation ainsi que toutes mesures d' effet équivalent . Une mesure qui impose à un importateur/distributeur, sous peine de se voir appliquer un régime plus sévère en matière de responsabilité pénale, une obligation de vérifier la conformité des produits importés avec les prescriptions nationales, alors que la loi pénale n' impose pas la même obligation au
distributeur de produits nationaux, constitue à première vue une mesure pouvant défavoriser le commerce intracommunautaire . Certes, une telle obligation n' entraîne pas nécessairement des coûts directs ou indirects importants qui défavorisent réellement les produits importés . L' importance de ces coûts dépend en réalité de la portée qu' on donne à cette obligation . Ainsi, si on suit le point de vue du gouvernement français selon lequel l' importateur peut dégager sa responsabilité pénale en
produisant les certificats établis par les fabricants des produits importés, les coûts ne paraissent nullement dissuasifs . Nous reviendrons ultérieurement sur cette question ( voir point 19 ). A ce stade du raisonnement, il suffit de constater que la mesure examinée rentre dans la définition de la notion "mesure d' effet équivalent" donnée par la Cour dans son arrêt Dassonville et reprise dans de nombreux arrêts ultérieurs . Aux termes de l' arrêt Dassonville, on se trouve devant une mesure d'
effet équivalent "dès qu' elle est susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire" ( arrêt du 11 juillet 1974, 8/74, Rec . p . 837 ). Ces conditions se trouvent assurément réunies dans le cas d' espèce . En effet, il ne peut être exclu qu' un distributeur renonce à l' importation de produits par crainte de voir sa responsabilité pénale engagée .

L' obligation de vérifier peut-elle néanmoins être justifiée au titre de l' article 30 du traité CEE?

11 . Dans l' arrêt "Cassis de Dijon" ( arrêt du 20 janvier 1979, Rewe, 120/78, Rec . p . 649 ) et a plusieurs reprises depuis lors, la Cour a constaté que, en l' absence d' une réglementation commune de la commercialisation des produits concernés, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle réglementation est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés,
et où l' entrave qu' elle cause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives concernant, entre autres, la défense des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales .

La Cour a ainsi établi la règle de la proportionnalité en vertu de laquelle les contraintes imposées au commerce intracommunautaire ne peuvent être admises que si elles ne sont pas disproportionnées par rapport aux objectifs légitimement poursuivis . La Cour a cependant réservé cette cause de justification à des mesures nationales qui ne sont pas discriminatoires par nature à l' égard des produits importés; ces mesures doivent, au contraire, être indistinctement applicables aux produits nationaux et
aux produits importés . En d' autres termes, alors qu' une mesure nationale qui est discriminatoire par nature ( ou formellement discriminatoire ) tombe de toute évidence sous l' interdiction de l' article 30 et ne peut être justifiée qu' en vertu de l' article 36 du traité CEE ( voir arrêt du 17 juin 1981, Commission/Irlande, 113/80, Rec . p . 1625, point 11 ), une mesure nationale qui est indistinctement applicable n' est, elle, interdite en vertu de l' article 30 que dans la mesure où la
condition énoncée dans l' arrêt "Cassis de Dijon" n' est pas remplie, c' est-à-dire si la mesure concernée va au-delà de ce qui est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives .

Il convient donc d' examiner, en premier lieu, si la mesure concernée est discriminatoire par nature ou si, au contraire, elle est indistinctement applicable .

L' obligation de vérifier s' applique-t-elle indistinctement aux produits nationaux et communautaires?

12 . Les défendeurs au principal ne se prononcent pas clairement sur le point de savoir si l' obligation imposée par l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905 s' applique indistinctement aux produits nationaux et communautaires . Les distributeurs, disent-ils, sont traités plus sévèrement lorsqu' ils commercialisent des produits d' origine communautaire que lorsqu' ils commercialisent des produits français, puisque, dans le premier cas, l' élément moral du délit de tromperie sera présumé, alors
que, dans le second cas, cet élément devra être prouvé . Ils n' examinent donc pas le champ d' application de l' obligation de vérifier la conformité des produits avec les prescriptions nationales, mais, sautant une étape du raisonnement, se placent directement sur le terrain de la sanction applicable aux distributeurs en cas de violation de l' obligation de vérifier .

Plus cohérente est la position du gouvernement français . Sur ce point, il rappelle que l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905 impose au responsable de la première mise sur le marché d' un produit de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions nationales . L' obligation de vérifier concerne donc tous les produits qui viennent pour la première fois sur le marché français . Selon le gouvernement français, que nous vous suggérons de suivre sur ce point, l' obligation s' applique ainsi
indistinctement à tous les produits qui sont mis pour la première fois sur le marché français et, partant, à tous ceux qui sont responsables de cette première mise sur le marché, à savoir les fabricants de produits nationaux et les importateurs de produits d' origine communautaire .

Le fait que cette obligation, selon la portée qu' on lui donne, peut être plus onéreuse pour l' importateur que pour le fabricant ( en raison du fait que ce dernier possède la maîtrise du produit ) et, partant, peut avoir un effet dissuasif plus ou moins important sur le commerce intracommunautaire, ne change pas la nature non ( formellement ) discriminatoire de la disposition . Cet examen de la portée de l' obligation de vérifier est cependant important pour déterminer si cette obligation peut être
justifiée en application de la règle de la proportionnalité, c' est-à-dire pour déterminer si l' entrave au commerce intracommunautaire inhérente à l' obligation de vérifier est justifiée au regard de l' objectif impératif poursuivi par la mesure concernée .

L' obligation de vérifier va-t-elle au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés par la disposition?

13 . Les objectifs poursuivis par l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905 se dégagent du texte lui-même . En vertu de celui-ci, les produits doivent répondre, dès la première mise sur le marché, aux prescriptions en vigueur relatives "à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs ". Les objectifs tenant à la sécurité et à la santé des personnes sont des objectifs qui sont expressément mentionnés à l' article 36 du
traité CEE . Les mesures qui constituent une entrave au commerce intracommunautaire, mais qui répondent à des objectifs de cette nature peuvent, le cas échéant, être justifiées au titre de cet article 36 . Nous y reviendrons sous les points 20 et 21 .

Quant aux deux autres objectifs poursuivis en l' espèce ( la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs ), ils rentrent dans les matières pour lesquelles, en vertu de la jurisprudence constante de la Cour, des dispositions faisant obstacle au commerce intracommunautaire peuvent être justifiées, dans la mesure où ces dispositions n' imposent pas de contraintes qui vont au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs visés .

Au reste, il se peut fort bien qu' une disposition nationale poursuive simultanément plusieurs objectifs, sans qu' il soit possible de déterminer l' objectif dominant . Ainsi, il existe des dispositions qui visent à protéger le consommateur non seulement sur le plan de sa santé, mais aussi sur le plan de la loyauté des pratiques commerciales . Dans ce cas, la disposition pourrait, aux conditions énoncées ci-dessus, être justifiée tant sous le régime de l' article 36 que sous celui de l' article 30
du traité ( voir arrêt du 6 juin 1984, Melkunie, 97/83, Rec . p . 2367, et les conclusions de l' avocat général VerLoren van Themaat ).

14 . Jusqu' où va le devoir de vérification prévu à l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905? Comme nous l' avons indiqué sous le point 7, les parties donnent des réponses fort différentes à cette question . Toutefois, il n' appartient pas à la Cour de déterminer la portée de l' obligation de vérifier prévue à l' article 11, paragraphe 4, de la loi de 1905 . C' est le juge national qui doit clarifier ce problème . La Cour, elle, doit se prononcer sur les conditions dans lesquelles une mesure
qui impose de vérifier la conformité des produits importés aux prescriptions du pays importateur est conforme au traité CEE .

15 . A cet égard, il convient d' abord de prendre position sur le principe même d' une telle mesure . Dans l' état actuel du droit communautaire, les prescriptions en matière de loyauté des transactions commerciales et de protection des consommateurs sont loin d' être harmonisées . Les États membres peuvent donc exiger que les produits importés d' origine communautaire répondent aux prescriptions nationales dans ces domaines . Dans le prolongement de cette exigence, ils peuvent également imposer à
l' importateur de vérifier que les produits importés sont conformes aux prescriptions en vigueur, étant entendu que cette obligation de vérifier vaut pour tous les produits, y compris les produits nationaux, qui sont mis sur le marché pour la première fois .

En effet, dans l' état actuel des conventions concernant l' exécution à l' étranger des décisions en matière pénale, il est compréhensible qu' une obligation, sanctionnée pénalement, de vérifier les produits importés ne soit pas imposée au fabricant étranger . Il faut d' ailleurs constater que la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait de
produits défectueux ( JO L 210, p . 29 ) a opté pour une solution similaire en ce qui concerne les produits importés dans la Communauté : en vertu de cette directive, l' importateur est responsable au même titre que le producteur . Bien qu' il s' agit dans ce cas d' une responsabilité civile, la comparaison n' est pas sans intérêt .

Dans le respect du principe de proportionnalité, les États membres sont libres de déterminer la sanction applicable en cas de violation de l' obligation de vérifier . Un régime de responsabilité pénale qui prévoit dans ce cas que l' élément intentionnel du délit de tromperie ne doit plus être prouvé ne nous paraît pas disproportionné par rapport aux objectifs à atteindre, dans la mesure où la portée de l' obligation de vérifier est elle-même raisonnable .

16 . Venons-en précisément à la portée de l' obligation de vérifier la conformité des produits importés aux prescriptions nationales . Cette vérification implique, comme nous l' avons déjà indiqué, une double connaissance . Elle implique, d' une part, la connaissance par l' importateur des prescriptions nationales concernées . Cet aspect ne pose pas de difficultés immédiates dans l' affaire en question . Il peut néanmoins soulever des problèmes délicats de compatibilité des prescriptions nationales
avec le droit communautaire . Toutefois, les difficultés qui en résultent se posent de manière identique pour l' importateur de produits communautaires et pour le fabricant de produits nationaux . La vérification implique, d' autre part, une connaissance suffisante par l' importateur des caractéristiques des produits importés pour pouvoir se rendre compte de la conformité de ceux-ci aux règles du pays d' importation . En vue d' acquérir cette connaissance des produits importés, quelles démarches
peuvent être exigées dans le respect de l' article 30 du traité CEE et de la règle de la proportionnalité qu' il contient? Quelles mesures défavorisant le commerce intracommunautaire peuvent néanmoins être justifiées, en raison de l' objectif légitiment poursuivi, de manière à ne pas tomber sous le coup de l' interdiction de mesures d' effet équivalent prévue à l' article 30 du traité CEE? Voilà les questions cruciales dans la présente affaire .

Au cours des dernières années, la Cour a rendu plusieurs arrêts concernant la conformité de dispositifs de contrôle avec les articles 30 et 36 du traité CEE . De manière générale, on peut dire que la Cour n' a pas admis, en application de la règle de la proportionnalité, des mesures de contrôle longues et coûteuses qui ne sont pas justifiées, eu égard aux objectifs recherchés par le dispositif de contrôle . Dans le prolongement de cette même règle, la Cour n' a pas admis non plus que les États
membres demandent des renseignements dont la production renchérit les produits importés, lorsque des renseignements équivalents existent dans l' État membre d' origine .

17 . Les défendeurs au principal citent tout particulièrement les deux arrêts suivants . Dans son arrêt du 17 décembre 1981, Frans-Nederlandsche Maatschappij voor Biologische Produkten BV ( 272/80, Rec . p . 3277 ), la Cour a dit pour droit que les autorités d' un État importateur ne sont pas :

"en droit d' exiger sans nécessité des analyses techniques ou chimiques ou des essais de laboratoires lorsque les mêmes analyses et essais ont déjà été effectués dans un autre État membre et que leurs résultats sont à la disposition de ces autorités ou peuvent sur leur demande être mis à leur disposition ".

Dans la ligne de la position adoptée par la Cour dans l' arrêt précité, une première conclusion peut être formulée dans la présente affaire . Si l' importateur ne peut dégager sa responsabilité pénale qu' en procédant systématiquement, pour tout produit importé, à des analyses de laboratoire qui sont longues et coûteuses, alors que les mêmes analyses portant sur un même objet ont déjà été effectuées dans un autre État membre par ou à la demande du fabricant, il va de soi qu' on se trouve devant un
régime visé par l' interdiction de l' article 30 du traité CEE .

18 . L' arrêt de la Cour du 15 décembre 1976, Donckerwolcke ( 41/76, Rec . p . 1921 ) est également cité par les défendeurs au principal . Dans cet arrêt, la Cour a d' abord jugé que l' article 30 fait obstacle, dans les rapports intracommunautaires, à une législation nationale qui maintiendrait l' exigence, fût-elle purement formelle, de licences d' importation ou tout autre exigence similaire ( ce qui constituerait une mesure formellement discriminatoire et donc, en soi, une mesure d' effet
équivalent ). A cette occasion, la Cour a également considéré que même si l' exigence de l' indication du pays d' origine des marchandises ne constitue pas, en soi, une mesure d' effet équivalent,

"une telle exigence tomberait sous la prohibition de l' article 30 du traité CEE s' il était demandé à l' importateur de déclarer, au sujet de l' origine, autre chose que ce qu' il connaît ou peut raisonnablement connaître ".

Il faut néanmoins préciser que l' affaire Donckerwolcke portait sur la conformité, au regard du droit communautaire, d' une mesure administrative qui imposait l' indication du pays d' origine sur le document de déclaration en douane, et cela à des fins purement statistiques . La Cour a pris en considération le déséquilibre entre la contrainte que représentait pour l' importateur l' obligation de fournir des renseignements qu' il ne pouvait raisonnablement connaître et l' importance relativement
limitée de l' objectif visé par la mesure . Il nous semble cependant hasardeux de dégager de l' arrêt du 15 décembre 1976 une orientation générale de la Cour, selon laquelle les États membres ne pourraient pas demander aux importateurs autre chose que ce qu' ils connaissent ou peuvent raisonnablement connaître au sujet des produits importés .

19 . Au vu de ce qui précède, il nous semble que les dispositions du traité CEE ne font pas obstacle à une obligation imposée aux importateurs, comme aux fabricants nationaux, de disposer des documents qui indiquent les caractéristiques des produits mis sur le marché et qui leur permettent de vérifier la conformité de ces produits aux prescriptions nationales de l' État d' importation ( voir arrêt du 17 décembre 1981 dans l' affaire 272/80, déjà citée, point 15, Rec . p . 3291, et les conclusions de
l' avocat général VerLoren van Themaat dans l' affaire Commission/Royaume Uni, 124/81, Rec . 1983, p . 248-249 ). Cette obligation ne peut cependant conduire l' importateur à devoir établir à sa charge les documents concernés lorsque ceux-ci existent déjà . En règle générale, l' importateur doit pouvoir procéder à la vérification de la conformité des produits en se fondant sur les documents établis par ou à l' initiative du fabricant du produit d' origine communautaire, si, nous le répétons, ces
documents lui permettent de vérifier la conformité du produit avec les prescriptions de l' État d' importation . Normalement il doit donc pouvoir se fier aux déclarations du fabricant établi dans un autre État membre, déclarations faites à l' initiative du fabricant ou à la demande de l' importateur .

Toutefois, dans certaines circonstances, les États membres doivent pouvoir exiger des diligences accrues de la part des importateurs . Dans le cas où les documents établis par le fabricant ne permettent pas de vérifier si les produits importés sont conformes aux prescriptions nationales du pays d' importation, a fortiori lorsque le fabricant n' est pas à même ou refuse de déterminer objectivement la composition de son produit pour établir cette conformité, l' importateur peut être tenu de procéder,
fût-ce par sondage, aux analyses requises pour pouvoir apprécier la conformité des produits aux prescriptions nationales . De même, dans le cas où l' importateur a des raisons de mettre en doute la sincérité des documents produits par le fabricant, les États membres peuvent se fonder sur le devoir de vigilance du revendeur, pour exiger qu' il s' assure, fût-ce par sondage, de l' exactitude des renseignements obtenus .

L' obligation de vérifier peut-elle être justifiée au titre de l' article 36 du traité CEE?

20 . Nous avons indiqué ci-dessus les limites dans lesquelles une obligation de vérifier la conformité des produits importés avec des prescriptions nationales, visant la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs, nous paraît justifiée au titre de l' article 30 du traité CEE . Il nous reste à examiner s' il y a lieu de modifier la réponse lorsque l' obligation consiste à vérifier la conformité des produits importés avec des prescriptions nationales, non harmonisées en
droit communautaire, visant la sécurité et la santé des personnes . Ces deux dernières matières sont, en effet, expressément visées par l' article 36 du traité CEE .

21 . A notre avis, les données du problème ne changent pas fondamentalement selon que la vérification porte sur la conformité avec des prescriptions visant l' un ou l' autre objectif . Certes, en droit communautaire, la base de la justification sera différente selon l' objectif poursuivi . Si les prescriptions nationales concernent la loyauté des transactions commerciales ou la protection des consommateurs, c' est sur l' article 30 du traité qu' il convient de fonder la justification . Si, au
contraire, les prescriptions nationales concernent la santé ou la sécurité des personnes, c' est l' article 36 du traité qui offre la base juridique appropriée . Toutefois, dans les deux cas, la mesure concernée ne peut être justifiée que si elle n' impose pas de contraintes qui vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis ( voir arrêt du 20 mai 1976, de Peijper, 104/75, les points 16 à 18, Rec . p . 613-636 ). Tout au plus pourrait-on affirmer que les États membres
sont en droit d' exiger une vigilance accrue de la part des intéressés, lorsqu' ils sont amenés à vérifier la conformité d' un produit avec des prescriptions nationales visant à réaliser des objectifs énoncés à l' article 36 du traité . En d' autres termes, compte tenu de l' importance que les auteurs du traité ont attachée aux matières prévues à l' article 36 du traité, les États membres pourraient imposer dans ce cas - tout en respectant la règle de la proportionnalité - des contraintes
relativement plus lourdes par rapport à ce qui est admissible sur la base de l' article 30 du traité .

Appliqué à une disposition qui vise à réaliser des "objectifs mixtes" ( c' est-à-dire des objectifs qui peuvent justifier des mesures au titre tant de l' article 30 que de l' article 36 du traité ), ce raisonnement nous paraît néanmoins devoir être nuancé . Ce n' est que dans l' hypothèse où le législateur national instituerait lui-même une hiérarchie entre les objectifs poursuivis par la disposition, faisant clairement apparaître la priorité qu' il attache aux objectifs concernant la santé et la
sécurité des personnes par rapport aux autres objectifs poursuivis, que les contraintes découlant de l' obligation de vérifier des prescriptions en matière de santé et de sécurité pourraient être renforcées sans que ces contraintes accrues puissent être considérées comme des entraves injustifiées . En l' occurrence, on se trouve devant une obligation de vérifier établie de manière très générale et sans que la disposition elle-même fasse une distinction entre les divers objectifs poursuivis . En
outre, la disposition ne concerne pas les produits pharmaceutiques régis par un code spécifique ( voir footnote sous le point 7 ). La disposition concernée ne nécessite donc pas de distinction selon qu' on se trouve dans le champ de l' article 30 ou de l' article 36 du traité CEE .

Réponse suggérée

22 . En conclusion, nous vous suggérons de répondre comme suit aux questions préjudicielles :

"Les articles 30 et 36 du traité CEE ne font pas obstacle à l' introduction ou au maintien d' une obligation imposée à l' importateur de produits d' origine communautaire - sous peine de se voir appliquer un régime plus sévère en matière de responsabilité pénale que celui applicable au distributeur de produits nationaux - de vérifier, avant leur mise sur le marché du pays d' importation et à l' instar de ce qui est imposé au fabricant de produits nationaux, la conformité de ces produits avec les
prescriptions nationales, non harmonisées en droit communautaire, visant la santé et la protection des personnes, la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs, dans la mesure où l' importateur peut satisfaire à cette obligation en se fondant sur les certificats établis par ou à l' initiative du fabricant étranger, lorsque ceux-ci permettent de procéder à la vérification en question et que l' importateur n' a pas de raison de mettre en doute leur sincérité ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) L' expert du gouvernement français a précisé à l' audience que la disposition visait tous les produits, à l' exception des produits pharmaceutiques, qui sont régis par un code spécifique .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25/88
Date de la décision : 15/12/1988
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Bobigny - France.

Libre circulation des marchandises.

Mesures d'effet équivalent

Restrictions quantitatives

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Esther Renée Wurmser, veuve Bouchara et société Norlaine.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:551

Source

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