Avis juridique important
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61987C0023
Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 22 juin 1988. - Mareile Aldinger, épouse Tziovas, et Gabriella Virgili, épouse Schettini, contre Parlement européen. - Agents - Changement de lieu d'affectation. - Affaires jointes 23 et 24/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 04395
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le président,
Messieurs les Juges,
Mmes Aldinger et Virgili sont des agents temporaires des Communautés européennes qui travaillent pour le groupe du parti populaire européen ( ci-après "groupe du PPE ") du Parlement européen . Leurs contrats d' engagement, signés respectivement le 8 mai 1981 et le 2 avril 1981, spécifiaient Luxembourg comme lieu de travail . Elles travaillent avec certains comités du Parlement qui, depuis plusieurs années déjà, se sont réunis presque exclusivement à Bruxelles .
A la suite d' une série de discussions en 1984, le bureau du groupe du PPE a décidé de transférer à Bruxelles une partie du personnel travaillant avec ces comités, dont les requérantes . Mmes Aldinger et Virgili ne souhaitaient et ne souhaitent toujours pas partir . Par les présents recours, introduits devant la Cour le 28 janvier 1987, elles demandent l' annulation de différentes décisions générales du groupe du PPE relatives à l' intention d' établir la plus grande partie des activités du groupe à
Bruxelles; l' annulation de deux décisions individuelles, adressées respectivement à Mme Aldinger et à Mme Virgili, les informant de ces décisions générales et fixant le 1er juillet 1987 comme date de leur transfert à Bruxelles; et l' annulation de deux décisions du président du groupe du PPE confirmant la date du transfert, en réponse à la lettre de Mme Aldinger au secrétaire général du groupe, datée du 7 septembre 1986, et à la lettre similaire de Mme Virgili, datée du 17 septembre 1986 .
Par ordonnances du 22 juin 1987 ( 23/87 R, Rec . p . 2841, et 24/87 R, Rec . p . 2847),la Cour a sursis à l' exécution des décisions attaquées, dans la mesure où elles prévoient le transfert des requérantes à Bruxelles le 1er juillet 1987, jusqu' à ce que les affaires soient tranchées .
Le Parlement objecte que ces recours sont irrecevables . Les lettres du 7 septembre et du 17 septembre 1986 sont, d' après le Parlement, de simples demandes administratives aux termes de l' article 90, paragraphe 1, du statut, et non des réclamations administratives au sens de l' article 90, paragraphe 2 ( applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l' article 46 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes ). Si cela est exact, l' absence de réclamation
administrative avant le dépôt des requêtes devant la Cour rend les recours irrecevables . Cependant, à notre avis, ces lettres contiennent les éléments nécessaires pour être considérées comme des réclamations au titre de l' article 90, paragraphe 2; et le contenu des décisions prises par le président du groupe PPE dans ses réponses du 29 octobre 1986 confirme le fait que ces lettres devraient être interprétées en ce sens . Nous ne considérons pas que ces recours sont dans leur ensemble irrecevables
.
Toutefois, et sans en faire une lecture trop étroite, il nous semble que ces lettres ne contestent pas tant le transfert en tant que tel que la date du transfert . Leur objet est d' en retarder la date . Mme Aldinger dit que "quitter Luxembourg pour Bruxelles à la date indiquée lui poserait un problème particulièrement grave", et Mme Virgili demande que "la date de son transfert soit reportée", expliquant que "son recours n' est pas dirigé contre la mutation elle-même, mais a plutôt pour but d'
obtenir un délai suffisant qui lui permettrait de résoudre certains problèmes d' ordre familial ". Dans la mesure où par ces recours elles tentent d' écarter le transfert dans son ensemble, elles vont au-delà des moyens invoqués dans les réclamations . Dans cette mesure, les recours sont irrecevables ( voir affaire 242/85 Geist/Commission, arrêt rendu le 20 mai 1987, Rec . p . 2181, attendu 9 ).
En conséquence, selon nous, les moyens ne sont recevables que dans la mesure où ils contestent la validité de la date choisie pour le transfert .
La décision de transférer certains membres du personnel, dont les requérantes, a été confirmée par le président du groupe du PPE à une réunion qui s' est tenue le 17 juin 1986, mais il a été décidé, entre autres, pour des raisons sociales, de retarder l' application de cette décision jusqu' au mois de juillet 1987 . Le transfert a été à nouveau confirmé par le président du groupe du PPE le 1er juillet 1986, date à laquelle il a été expressément déclaré que "pour tenir pleinement compte des problèmes
sociaux des intéressées, et notamment des problèmes scolaires, le transfert aura lieu en juillet 1987 ".
Il était manifestement équitable de s' attendre à ce que le Parlement accorde aux personnes devant être transférées un délai raisonnable pour prendre leurs dispositions et que, dans les limites dictées par les exigences du service, il soit tenu compte des circonstances personnelles .
D' autre part, il peut être mis fin au contrat d' agent temporaire avec un préavis de trois mois, et si les requérantes avaient été informées du fait que leur contrat se terminait à la fin de cette période en cas de refus de leur part de s' en aller, elles n' auraient eu en droit aucun moyen de recours . Au reste, la question du transfert avait été soulevée au moins dès 1984, et le personnel savait que les personnes travaillant avec les comités seraient transférées . En l' occurrence, même lorsque
la notification finale leur est parvenue, elles ont eu encore un an pour se préparer . Cela nous semble être un préavis équitable, même généreux, en règle générale .
Cependant, les deux requérantes en l' espèce rencontraient, affirment-elles, des difficultés particulières qui n' ont pas été prises en considération . Mme Aldinger attendait un enfant qui n' aurait que quatre mois à la date du transfert, et le contrat d' emploi de son mari à Luxembourg ne viendrait pas à expiration avant le début de 1989 . Le mari de Mme Virgili était employé comme free-lance par l' Office des publications, tentait d' obtenir un poste de fonctionnaire depuis quatre ans et devait
prendre part à un concours au mois de décembre 1987 . Ce sont des circonstances dont il faut tenir compte, mais à tout prendre, à la lumière des besoins du service, nous pensons qu' en l' occurrence elles n' obligeaient pas le Parlement à octroyer un délai supplémentaire . Le jour devait arriver où chacun devrait décider si le mari et la femme resteraient à Luxembourg ( la femme cherchant un autre emploi ), s' ils iraient tous les deux à Bruxelles ou si l' un ferait la navette toutes les semaines
vers Luxembourg ou Bruxelles .
Nous ne sommes pas d' avis que leur situation individuelle n' a pas été prise en considération . S' il est vrai que les réponses faites par le président du groupe du PPE à leurs réclamations étaient rédigées en termes généraux et ne traitaient pas spécifiquement de leur situation personnelle, ces réponses faisaient état du fait que le dossier avait été réexaminé . Les faits avaient déjà été portés à l' attention des responsables à la fois oralement et par écrit . Nous rejetons l' idée selon laquelle
ces réponses étaient une simple formalité et que le cas des intéressées n' a pas été correctement examiné .
Les requérantes ont, en tout état de cause, eu une année supplémentaire à la suite de l' ordonnance de référé rendue par la Cour, et nous ne voyons aucune raison de rejeter l' affirmation du groupe du PPE selon laquelle, bien que les services des finances et de la recherche y soient encore, il n' y a pas de poste disponible pour les requérantes à Luxembourg .
En conséquence, à notre avis, ces recours devraient être rejetés et chaque partie devrait payer ses propres dépens en application de l' article 70 du règlement de procédure .
Si nous étions arrivés à la conclusion que ces recours étaient recevables dans la mesure où ils attaquent le transfert dans son ensemble, nous n' aurions pas admis que le fait de spécifier Luxembourg comme lieu de travail dans les lettres d' embauche signifiait que les intéressées ne pourraient jamais être transférées ailleurs . Il fallait spécifier un lieu au départ, mais l' article 7 du statut stipule que : "1 . L' autorité investie du pouvoir de nomination affecte, par voie de nomination ou de
mutation, dans le seul intérêt du service ..., chaque fonctionnaire à un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade ."
Cet article s' applique aux agents temporaires en vertu de l' article 10 du régime applicable à ces agents .
Même s' il peut paraître préférable de spécifier à l' origine comme lieu de travail "X ou tout autre lieu ou lieux requis le cas échéant par les besoins du service", il ne nous semble pas qu' il ne soit pas possible d' exiger un transfert lorsqu' un seul lieu est spécifié . Les réunions des comités s' étaient tenues à Bruxelles depuis des années . Le transfert des requérantes peut en l' occurrence nettement être décrit comme répondant "à des exigences de rationalisation et d' efficacité du service
des travaux parlementaires" ( lettre du président du groupe du PPE à chaque requérante, datée du 29 octobre 1986 ) et comme étant conforme aux intérêts du service . L' autre solution, si le transfert n' était pas acceptable, consistait pour le Parlement ou la requérante à mettre fin au contrat avec un délai de préavis de trois mois ( voir affaire 25/68, Schertzer/Parlement, Rec . 1977, p . 1729, attendus 25 et 38 à 40 ).
Cette opinion nous paraît tout à fait en accord avec l' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire 61/76 ( Geist/Commission, Rec . 1977, p . 1419 ); tout au plus le caractère désirable du transfert à la lumière des besoins du service dans ces affaires est-il même plus clairement établi que dans l' affaire Geist .
En conséquence, nous serions d' avis de dire que, malgré la présence de la clause stipulant Luxembourg comme lieu d' activité dans les contrats d' emploi, le Parlement était en droit, en principe, de décider du transfert des requérantes à Bruxelles .
Les requérantes font encore valoir que :
- la décision du groupe du PPE du mois de juin 1984 est illégale, car elle n' a pas été adoptée par l' autorité compétente telle que l' a définie l' article 10 du règlement interne du groupe du PPE;
- la décision du bureau du groupe du PPE du 10 juillet 1985 est viciée dans sa genèse, parce que ( d' après les requérantes ) elle est basée sur une déclaration contraire à la vérité faite par le président du groupe du PPE selon laquelle les personnes concernées avaient donné leur accord à leur transfert à Bruxelles et que le nombre des vice-présidents du bureau dépassait le nombre indiqué dans l' article 11 du règlement intérieur du groupe du PPE;
- les décisions du président du groupe du PPE datées du 17 juin 1986 et du 1er juillet 1986 sont également viciées dans leur genèse, étant donné qu' elles ont été adoptées par une autorité illégalement constituée et sont entachées d' un abus de pouvoir, le président n' ayant aucun pouvoir de mettre en oeuvre les décisions du bureau;
- la décision du secrétaire général du groupe du PPE, du 16 juillet 1986, dans la mesure où il s' agit d' une décision et non d' une simple notification, est nulle pour excès de pouvoir du fonctionnaire concerné;
- la décision du président du groupe du PPE, du 29 octobre 1986, rejetant les lettres de réclamations formelles des requérantes est illégale, parce qu' elle a été adoptée sans que le président ait compétence à cet effet et en violation de la décision antérieure du 16 juillet 1986 .
Nous nous rangeons à la thèse du Parlement qui prétend que seules les décisions du président du groupe du PPE datées des 17 juin 1986 et 1er juillet 1986 peuvent être soumises au contrôle de la Cour . La "décision de 1984" n' est rien de plus qu' une déclaration d' intention ou de principe .
La décision du 10 juillet 1985, qui n' est également rien de plus qu' une décision générale, a donné lieu à des allégations de fausse information quant à la volonté du personnel concerné d' être transféré à Bruxelles . Cependant, à notre avis, il est clair qu' à ce stade aucune décision individuelle n' avait été prise et qu' il n' y avait donc pas "d' acte faisant grief" aux requérantes au sens de l' article 91 du statut ( voir affaire 124/78, List/Commission, Rec . 1979, p . 2499, 2510, attendu 5,
et les conclusions de l' avocat général Mayras dans les affaires jointes 33 et 75/79, Kuhner/Commission, Rec . 1980, p . 1677, 1702 ). Il n' est donc pas nécessaire de trancher ce point; et cela s' applique aussi à l' argument portant sur les "cinq vice-présidents", qui a trait à la composition du bureau, bien qu' à notre sens dès lors que le nombre de vice-présidents avait été porté de deux à cinq, l' article 11 doit être interprété comme permettant aux cinq de prendre part . La participation de
cinq personnes au lieu de deux a en tout état de cause par nature plus de chance de donner naissance à une situation dans laquelle les requérantes recueilleraient une voix ou plus .
Il nous paraît également clair que la lettre du secrétaire général du groupe du PPE, datée du 16 juillet 1986, est simplement une notification d' une décision antérieure .
Pour ce qui concerne les décisions du président du groupe du PPE des 17 juin 1986 et 1er juillet 1986, nous considérons que l' article 10 du règlement interne du groupe du PPE confère au bureau les pouvoirs nécessaires pour prendre des décisions et que les allégations d' irrégularité de procédure ne sont pas étayées par les éléments de preuve .
Enfin, la décision du président du groupe du PPE du 29 octobre 1986 rentre, nous semble-t-il, parfaitement dans les pouvoirs conférés au président par l' article 12 du règlement interne du groupe du PPE .
Les requérantes font valoir que les décisions contestées ont été prises en violation du principe qui figure dans les propres documents du Parlement et vise à rendre plus compatibles les charges familiales et les charges professionnelles . Le document cité fait référence à l' accomplissement journalier des devoirs familiaux et professionnels, sans faire entrer en ligne de compte les exigences du service . On ne peut pas considérer qu' il l' emporte sur l' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire
61/76, Geist, relative aux transferts entre les États membres dans l' intérêt du service ( voir également affaire 69/83, Lux/Cour des comptes, Rec . 1984, p . 2447, 2463, attendus 17 et 20 ). A notre avis, comme nous l' avons déjà dit, les intérêts familiaux ont été pris en considération : ils ne peuvent être décisifs .
Les requérantes allèguent encore que les décisions attaquées ont été prises sans consultation préalable du comité paritaire . Au vu des documents soumis à la Cour, cette affirmation semble directement contredite par les éléments de preuve .
S' il est évidemment souhaitable que les transferts soient réalisés avec le consentement des personnes affectées, en dernière analyse, les intérêts du service doivent prévaloir ( voir affaire 61/76, Geist ); et nous ne considérons pas que la déclaration de l' administration soulignant qu' il est désirable de procéder aux transferts avec le consentement des intéressées lui interdise de procéder aux transferts en cause .
Les requérantes prétendent en outre que les décisions de transfert ont été prises sans audition préalable des personnes concernées comme le veut l' article 38 du statut . Selon nous, même si cet article s' applique par analogie ( et nous ne sommes en l' espèce pas convaincu que tel soit nécessairement le cas ), les requérantes ont eu la possibilité de faire connaître leur propre point de vue de manière équitable et raisonnable .
Enfin, les requérantes arguent du fait que les décisions attaquées n' ont pas tenu compte des critères de rationalisation et d' efficacité du service en choisissant le personnel qui devait être transféré . Certains membres de comité étaient sans assistants à Bruxelles, certains assistants sans membres de comité à Luxembourg . Il s' agissait peut-être d' un phénomène temporaire, alors que le déménagement était en cours . L' objectif général était le transfert de groupes cohérents de personnel . En
conséquence, nous considérons que ce moyen n' est pas davantage fondé .
C' est pourquoi, même si ces autres moyens sont recevables, nous estimons que ces recours devraient être rejetés, et que chaque partie devrait être condamnée à payer ses propres dépens en application de l' article 70 du règlement de procédure de la Cour .
(*) Traduit de l' anglais .