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09/03/1988 | CJUE | N°37/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 9 mars 1988., Eckhard Sperber contre Cour de justice des Communautés européennes., 09/03/1988, 37/87


Avis juridique important

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61987C0037

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 9 mars 1988. - Eckhard Sperber contre Cour de justice des Communautés européennes. - Agent temporaire - Fonctionnaire stagiaire - Classement. - Affaire 37/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 01943

Conclusions

de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,...

Avis juridique important

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61987C0037

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 9 mars 1988. - Eckhard Sperber contre Cour de justice des Communautés européennes. - Agent temporaire - Fonctionnaire stagiaire - Classement. - Affaire 37/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 01943

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le 2 février 1987, M . Eckhard Sperber, fonctionnaire de la Cour de justice des Communautés européennes, a formé un recours qui vise à l' annulation : a ) de la décision du 5 mars 1986 par laquelle la Cour, en tant qu' autorité investie du pouvoir de nomination ( ci-après : "AIPN "), l' a classé à l' échelon 3 du grade LA 6; b ) de la décision du 4 novembre 1986 par laquelle la commission compétente de la Cour a rejeté la réclamation introduite par le requérant contre l' acte de nomination .

L' affaire a pour objet l' interprétation de l' article 32 du statut des fonctionnaires . Aux termes de l' alinéa 1 de cette disposition, "le fonctionnaire recruté est classé à l' échelon 1 de son grade", et elle ajoute, à l' alinéa 2, que, "pour tenir compte de la formation et de l' expérience professionnelle spécifique de l' intéressé, ( l' AIPN ) peut lui accorder une bonification d' ancienneté d' échelon dans ce grade; cette bonification ne peut excéder 72 mois dans les grades A 1 à A 4, LA 3 et
LA 4, et 48 mois dans les autres grades ".

2 . Inscrit le 17 juin 1983 sur la liste de réserve établie à l' issue du concours général n° CJ 15/82 organisé pour le recrutement de juristes-linguistes de langue allemande ( carrière LA 7/LA 6 ), M . Sperber s' est vu offrir, en l' absence d' emplois permanents, un contrat d' agent temporaire . Il a accepté la proposition et a été engagé le 3 octobre 1983 comme juriste-linguiste en étant classé à l' échelon 3 du grade LA 6 . Deux années plus tard, c' est-à-dire le 1er octobre 1985, le
fonctionnaire a obtenu l' échelon suivant .

Un emploi étant devenu vacant à la direction de la traduction, la Cour a nommé M . Sperber fonctionnaire stagiaire à compter du 1er décembre 1985 en le classant d' abord au grade LA 6 ( 20-21 novembre 1985 ), puis, dans ce grade, à l' échelon 3 ( 5 mars 1986 ). Le fonctionnaire s' est plaint de ce classement qui, à son avis, comportait un abaissement d' échelon . Mais la réclamation qu' il a introduite contre l' acte de l' AIPN sur la base de l' article 90 ( 8 ) du statut a été rejetée le 4 novembre
1986 .

3 . M . Sperber avance cinq moyens à l' appui de son recours : a ) application erronée de l' article 32 du statut; b ) violation du principe de non-discrimination; c ) violation de l' article 5, paragraphe 3, du statut; d ) violation des principes de bonne gestion, de saine administration et d' équité; e ) violation des droits acquis .

Le premier et le dernier moyens peuvent être examinés conjointement parce que le requérant les fonde sur la même argumentation . Au contraire de la règle ne bis in idem, affirme-t-il, l' article 32 lui a été appliqué à deux reprises : lorsqu' il a été engagé comme agent temporaire, puis, à nouveau, lorsqu' il a été nommé fonctionnaire . Les effets illégaux de la deuxième application sont évidents : elle a amené l' AIPN à ne pas tenir compte, dans l' appréciation de son expérience professionnelle, de
la carrière que M . Sperber avait déjà accomplie à la Cour, et, de ce fait, elle l' a conduite à le déclasser, lésant ainsi un droit qu' il avait acquis .

L' AIPN aurait dû, au contraire, reconnaître qu' une fois le concours réussi, M . Sperber était apte à occuper immédiatement un emploi de fonctionnaire titulaire, et en déduire que son rapport de travail ne procédait pas de la nomination comme fonctionnaire, mais existait déjà pour être né au moment où a été conclu le contrat d' agent temporaire . Loin d' innover la situation instituée par ce dernier, la décision de nomination s' est donc bornée à "la régulariser ". Divers éléments démontrent d'
ailleurs que cette reconstitution correspond à la réalité : M . Sperber, par exemple, n' a pas été soumis à une nouvelle visite médicale et s' est vu confier des tâches qu' il avait déjà remplies en tant qu' agent .

Mais il y a plus . En lui offrant un contrat - observe le fonctionnaire -, la Cour a violé un engagement qu' elle a pris le 17 juin 1981 et consistant à nommer immédiatement comme fonctionnaires stagiaires les juristes-linguistes qui ont réussi un concours . L' engagement précité plaide, en tout cas, en faveur de la thèse que le requérant soutient, alors que celle-ci ne se heurte pas aux arrêts rappelés par la décision qui a rejeté sa réclamation ( du 12 juillet 1984, affaire 17/83,
Angelidis/Commission, Rec . p . 2907; du 6 juin 1985, affaire 146/84, De Santis/Cour des comptes, Rec . p . 1723; et du 4 juillet 1985, affaire 134/84, Williams/Cour des comptes, Rec . p . 2225 ). En effet, dans les espèces considérées, la nomination comme agent temporaire avait eu lieu avant que le concours n' ait été réussi .

4 . Les deux moyens sont privés de fondement . Relevons d' abord que le succès obtenu dans un concours et l' inscription consécutive sur une liste de réserve ne confèrent au lauréat aucun droit d' être nommé fonctionnaire stagiaire . La raison en est évidente . Aux termes de l' article 4 du statut, la nomination ne peut avoir "pour objet que de pourvoir à la vacance d' un emploi ". Si les emplois font défaut, la nomination est donc impossible et la conclusion du contrat d' agent - au demeurant en
aucune manière obligatoire - devient la seule voie dont dispose le lauréat pour entrer au service de la Communauté . Il est donc absurde de qualifier cette conclusion comme une violation de l' engagement que la Cour a pris en 1981 . Même celui-ci, en effet, trouve une limite infranchissable dans les dispositions de l' article 4 .

D' autre part, il est notoire que, dans la fonction publique communautaire, le régime des fonctionnaires se distingue nettement de celui des agents, qu' ils soient temporaires, auxiliaires ou locaux . Le fait de passer du second au premier implique donc la constitution d' un rapport nouveau et exclut, par conséquent - sauf en ce qui concerne le régime de pension -, que le contrat d' agent soit la source de droits susceptibles d' être invoqués comme étant "acquis" par l' agent nommé fonctionnaire
stagiaire . Il y a lieu de nier, pour les mêmes raisons, le bien-fondé de la référence que M . Sperber a faite à la règle ne bis in idem : le requérant a certes été classé deux fois, mais - et c' est ce qui importe - à des fins différentes et au regard de deux statuts entre lesquels existe une solution de continuité .

En outre, la différence que M . Sperber perçoit entre son cas ( recrutement en qualité d' agent à l' issue du concours ) et les espèces des arrêts Angelidis et De Santis ( concours réussi après le recrutement ) est réelle, mais certainement pas sensible au point de faire apparaître ces derniers comme n' étant pas pertinents en l' occurrence . Ils posent, en effet, des principes de portée générale et sont donc applicables à toute situation de passage du statut d' agent à celui de fonctionnaire .
Ainsi, l' arrêt Angelidis affirme que "l' agent admis pour la première fois dans le corps des fonctionnaires de la Communauté" est recruté selon les dispositions de l' article 32 ( point 12 des motifs de l' arrêt ) et, selon l' arrêt De Santis, "aucune disposition du statut ne permet la prise en considération, sous forme du maintien d' une ancienneté ..., d' une période pendant laquelle un fonctionnaire a précédemment été au service ... comme agent temporaire" ( point 17 des motifs de l' arrêt ).

En définitive, l' expérience professionnelle que le requérant avait acquise avant d' être nommé, et donc également au cours de la phase contractuelle de son emploi à la Cour, ne pouvait être prise en considération qu' au sens de l' article 32 . Or, nous savons : a ) que cette disposition autorise l' AIPN à accorder une bonification d' ancienneté susceptible d' atteindre, dans le grade LA 6, deux échelons ( 48 mois ); b ) que M . Sperber a pleinement bénéficié de cette bonification et que, même si
son expérience avait été plus importante, il n' aurait pas pu obtenir davantage . Il ne saurait donc y avoir de doute sur la légalité du classement qui lui a été réservé .

5 . Dans son deuxième moyen, M . Sperber affirme que, en lui retirant un échelon au moment de la nomination, la Cour a pratiqué à son égard une discrimination : a ) par rapport aux autres candidats du concours auxquels un emploi permanent a été immédiatement offert ( cet argument est repris dans le troisième moyen tiré de la violation de l' article 5, paragraphe 3 du statut ); b ) par rapport aux juristes-linguistes qui l' ont précédé, dans la mesure où ceux-ci ont bénéficié de la pratique suivie
antérieurement par la Cour et consistant à reconnaître aux fonctionnaires l' ancienneté acquise en qualité d' agents temporaires; c ) par rapport à un fonctionnaire de la catégorie A auquel l' institution a accordé une nomination rétroactive et, par conséquent, la reconnaissance de l' ancienneté correspondante .

Disons d' emblée qu' aucun des trois griefs ne nous semble fondé . Le premier méconnaît le fait que les candidats nommés immédiatement après l' achèvement du concours précédaient M . Sperber sur la liste de réserve . En les faisant passer avant lui, l' AIPN a donc appliqué un critère rationnel et, en tout cas, elle n' a pas transgressé le principe, sanctionné par l' article 5, paragraphe 3, qui impose l' égalité des conditions de recrutement et de déroulement de carrière . Au reste, il n' y a pas eu
non plus de discrimination par rapport aux juristes-linguistes plus anciens . La pratique à laquelle M . Sperber fait allusion n' a pas été écartée dans son cas particulier, mais a été modifiée d' une manière générale et abstraite après l' interprétation que les arrêts Angelidis, De Santis et Williams ont donnée de l' article 32 .

L' argument exposé sous c ) n' est pas plus convaincant . Mais, puisque la défense du requérant l' a développé au cours de la procédure orale en traitant du quatrième moyen, nous démontrerons, dans le cadre de l' examen de ce dernier, son manque de pertinence .

6 . Le quatrième moyen est tiré de la violation des principes de bonne gestion, de saine administration et d' équité . M . Sperber fait valoir que la Cour a pris à son égard l' engagement de reconnaître l' ancienneté qu' il a acquise en qualité d' agent temporaire . Or, elle a manqué à cet engagement et cela l' oblige aujourd' hui, du moins en raison du caractère exceptionnel que présente la situation du requérant, à lui attribuer l' avantage en question . Une telle mesure serait d' ailleurs
conforme à la pratique des autres institutions et, surtout, la Cour a rendu hommage aux valeurs d' équité fondamentale qui l' inspireraient dans le cas de la nomination rétroactive précédemment mentionnée .

Ce moyen n' est pas plus que les autres susceptible d' être accueilli . Le requérant lui-même a admis à l' audience que l' AIPN ne lui avait fait aucune promesse, ni au moment de la conclusion du contrat d' agent, ni au cours des deux années suivantes . Par ailleurs, sa demande d' être nommé, au titre de l' équité, avec effet rétroactif, est tout à fait privée de fondement . L' institution défenderesse, qui s' appuie d' ailleurs sur des arguments non pertinents comme l' absence de postes vacants au
moment où M . Sperber a été engagé ou, pour ainsi dire masochistes, comme l' opportunité de ne pas réitérer dans le cas du requérant une décision peut-être illégale, se prononce également dans ce sens .

Les choses se présentent autrement . Le cas de M . Sperber n' a rien d' exceptionnel parce qu' il a tiré de sa position d' agent non pas un préjudice, mais un avantage, à savoir celui d' avoir pu bénéficier de la pratique qui consiste pour la Cour à nommer les agents inscrits sur une liste de réserve avant des sujets qui, bien qu' étant mieux classés qu' eux, ont refusé l' offre d' un emploi temporaire en attendant la vacance d' un emploi . En revanche, la situation qui a amené l' AIPN à procéder à
la nomination évoquée a revêtu un caractère exceptionnel . Comme le montrent les pièces du dossier, cette décision était en effet destinée à remédier à l' important retard qui avait été accumulé, en raison d' erreurs et de négligences de l' administration, pour pourvoir à l' emploi en question .

Enfin, nous nous bornerons à constater que la pratique des autres institutions que M . Sperber invoque est contraire aux dispositions de l' article 32 telles que les arrêts précités de la Cour les interprètent .

7 . A la lumière des considérations qui précèdent, nous vous proposons de rejeter le recours formé par M . Eckhard Sperber contre la Cour de justice des Communautés européennes et de compenser les dépens entre les parties, en application de l' article 70 du règlement de procécure .

(*) Traduit de l' italien .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 37/87
Date de la décision : 09/03/1988
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Agent temporaire - Fonctionnaire stagiaire - Classement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Eckhard Sperber
Défendeurs : Cour de justice des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:143

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