La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/01/1988 | CJUE | N°260/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 26 janvier 1988., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 26/01/1988, 260/86


Avis juridique important

|

61986C0260

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 26 janvier 1988. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Suppression des réductions du précompte immobilier pour les fonctionnaires des Communautés. - Affaire 260/86.
Recueil de jurispru

dence 1988 page 00955

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur ...

Avis juridique important

|

61986C0260

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 26 janvier 1988. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Suppression des réductions du précompte immobilier pour les fonctionnaires des Communautés. - Affaire 260/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00955

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . L' affaire 260/86 a pour objet un recours en manquement introduit par la Commission contre le royaume de Belgique à propos de certaines modalités de perception d' un impôt belge dénommé précompte immobilier .

2 . Le précompte immobilier se calcule sur base du revenu cadastral de l' immeuble auquel il se rapporte . Le redevable de cet impôt est le propriétaire de l' immeuble .

3 . Des réductions du précompte peuvent, dans certaines circonstances, être accordées en fonction de la situation sociale de l' occupant de l' immeuble . Tel est le cas, par exemple, lorsque ce dernier est un grand invalide de guerre, une personne handicapée ou un chef de famille comptant au moins deux enfants en vie .

4 . Aux termes du paragraphe 6 de l' article 162 du code belge des impôts sur les revenus, introduit en 1981, les réductions en question ne sont plus accordées lorsque l' habitation est occupée "par un locataire qui, dans son chef ou dans le chef de son conjoint, est exonéré de l' impôt des personnes physiques en vertu de conventions internationales ".

5 . La Commission fait valoir qu' en mettant en vigueur cette dernière disposition le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 7 du traité CEE et des articles 13, alinéa 2, et 14 du protocole sur les privilèges et immunités ( ci-après : "protocole ").

6 . Le royaume de Belgique n' a pas formellement conclu . Il s' est limité à indiquer qu' un projet de loi déposé à la Chambre des représentants le 4 mai 1987 a pour objet de mettre fin à ces manquements . A la page 17 de l' exposé des motifs de ce projet de loi, on peut lire ce qui suit :

"Le paragraphe 6 de l' article 162 du code des impôts sur les revenus ... est incompatible avec l' article 7 du traité instituant la Communauté économique européenne, avec les articles 13, alinéa 2, et 14 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, et avec les articles 7 paragraphe 2, et 9 du règlement ( CEE ) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté . Étant donné qu' une discrimination
fondée sur la nationalité ne peut s' inscrire dans notre législation fiscale, le présent article tend à rapporter purement et simplement la disposition en cause ."

7 . Le gouvernement belge reconnaît donc les griefs formulés par la Commission . Le projet de loi susmentionné n' a cependant pas encore été approuvé par le parlement belge .

8 . Au vu de la convergence des opinions de la demanderesse et de la défenderesse quant au fond, il pourrait être tentant de s' arrêter ici et de vous proposer, sans plus, de constater le manquement .

9 . Mais, avant de conclure formellement en ce sens, je me sens obligé de faire des réserves à l' égard de certains des griefs retenus par la Commission .

I - Quant au grief tiré de la violation de l' article 7 du traité CEE

10 . La première disposition de droit communautaire dont la Commission invoque la violation est l' article 7 du traité CEE qui interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité .

11 . La Commission a cependant confirmé à l' audience que la réduction du précompte immobilier est également refusée aux fonctionnaires des Communautés ayant la nationalité belge . Le critère d' application de la disposition incriminée n' est donc pas la nationalité des personnes, mais le fait qu' elles soient fonctionnaires des Communautés .

12 . Dans ces conditions, j' estime qu' on ne saurait retenir le grief d' une violation de l' article 7, ni d' ailleurs celui d' une violation du règlement n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 2 ). Il résulte de ce règlement que le travailleur ressortissant d' un autre État membre doit bénéficier des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ( article 7, paragraphe 2 ), ainsi
que de tous les droits et avantages accordés aux travailleurs nationaux en matière de logement ( article 9, paragraphe 1 ). Ce règlement ne fait que préciser, en ce qui concerne un domaine particulier, les conséquences qui découlent de l' article 7 .

13 . Peut-on, par contre, invoquer dans ce contexte, l' arrêt de la Cour dans l' affaire 152/82, Forcheri ( 1 )? Cet arrêt n' est certainement pas transposable purement et simplement au cas d' espèce puisqu' il concerne un cas typique de discrimination basé sur la nationalité, à savoir une situation où les fonctionnaires belges des Communautés bénéficiaient des mêmes avantages que les autres citoyens belges, alors que seuls les fonctionnaires européens des autres nationalités étaient discriminés .
L' arrêt est cependant intéressant en ce qu' il déclare que

"si, en vertu de l' article 13, alinéa 2, du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes ( le fonctionnaire des Communautés ) est exempt d' impôts nationaux sur traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés, il est soumis, en contrepartie, en vertu de l' alinéa 1 du même article, à un impôt sur traitements, salaires et émoluments au profit des Communautés, dont l' État membre d' accueil, en tant que membre des Communautés, bénéficie indirectement . Le fait
qu' il n' acquitte pas un impôt sur son traitement au Trésor national ne constitue donc pas un motif valable pour différencier le cas du fonctionnaire et de sa famille de celui du travailleur migrant dont les revenus sont soumis à la fiscalité de l' État de résidence ( point 19 )."

14 . Les fonctionnaires des Communautés doivent donc être traités de la même façon que les autres travailleurs migrants résidant dans le même pays . Or, ces derniers doivent être assimilés aux travailleurs nationaux pour ce qui est des avantages sociaux .

15 . De leur côté, les fonctionnaires des Communautés ayant la nationalité du pays où ils exercent leurs fonctions ne doivent pas être discriminés par rapport aux fonctionnaires européens d' une nationalité différente, sous peine de mettre en cause l' uniformité du régime que le statut des fonctionnaires des Communautés a entendu établir à l' égard de toutes les personnes qui en relèvent . Le statut a, en effet, été arrêté par le règlement du Conseil n° 259/68, du 29 février 1968; il comporte, dès
lors, tous les caractères définis par l' article 189, alinéa 2, du traité, et notamment celui d' être obligatoire dans tous ses éléments, et d' être directement applicable dans tout État membre ( arrêt du 20 octobre 1981, Commission/Belgique, affaire 137/80, Rec . p . 2393, 2406, point 7 ).

16 . On peut donc déjà conclure sur la base du raisonnement développé ci-dessus, que l' exonération des impôts nationaux dont bénéficient les fonctionnaires des Communautés, quelle que soit leur nationalité, ne saurait constituer un motif valable pour leur refuser certains avantages qui sont accordés aux autres personnes résidant dans le même État membre . Ce raisonnement a cependant le désavantage de faire un "détour" par le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, établi par l'
article 7 du traité CEE, en le combinant avec le principe d' égalité de traitement de tous les fonctionnaires des Communautés, alors que la disposition incriminée ne fait aucune référence à la nationalité . Or, on peut arriver à un résultat identique par un chemin plus direct, en se référant à l' article 13, alinéa 2, du protocole . C' est ce que je voudrais montrer maintenant .

II - Quant au grief tiré de la violation de l' article 13, alinéa 2, du protocole

17 . L' article 13, alinéa 2, du protocole dispose que les fonctionnaires et autres agents "sont exempts d' impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés ".

18 . Alors que, dans l' avis motivé et la requête, la Commission avait invoqué une violation de cette disposition, elle déclare, dans sa réponse aux questions qui lui ont été posées par la Cour ( point 3, p . 5, alinéa 2 ), qu' elle "ne part pas de l' idée que le refus d' accorder les réductions du précompte immobilier lorsque le locataire est fonctionnaire ou autre agent des Communautés constitue une imposition directe des revenus communautaires de celui-ci et serait, de ce fait, une violation de
l' article 13, alinéa 2, du protocole ".

19 . On ne peut que partager cette façon de voir . S' il est certain que la non-réduction du précompte immobilier grève les revenus du fonctionnaire, il ne s' agit cependant pas d' un "impôt national sur les traitements, salaires et émoluments versés par la Communauté", puisque la base d' imposition du précompte est le revenu cadastral de l' immeuble .

20 . Il n' en est pas moins vrai que, aux termes de l' article 162, paragraphe 6, du code belge des impôts, le fonctionnaire européen locataire se voit exclu du bénéfice de la réduction du précompte uniquement parce qu' il est "exonéré de l' impôt sur les personnes physiques ". Cette exemption est donc la cause juridique du refus d' accorder la réduction du précompte immobilier .

21 . Or, dans son arrêt du 16 décembre 1960, Humblet/État belge ( affaire 6/60, Rec . p . 1125, 1153 ), la Cour a déclaré, à propos de l' article 11 sous b ), du protocole sur les privilèges et immunités de la CECA, que

"l' expression 'sont exonérés de tout impôt ( 2 ) sur les traitements' indique d' une façon claire et nette l' exemption de toute imposition fiscale basée tant directement qu' indirectement sur les rémunérations exonérées;

on ne saurait opposer que l' expression 'sur les traitements' indique a contrario que l' article 11 n' interdit pas une imposition sur d' autres revenus et qui serait établie à un montant plus élevé en raison des traitements dont il s' agit;

cette imposition serait contraire à l' exemption établie par l' article 11, puisque le traitement communautaire, qui est exempt de tout impôt, constituerait même dans cette hypothèse la cause juridique de l' imposition dont il s' agit ".

Dans le dispositif du même arrêt, la Cour a dit pour droit que le protocole CECA "interdit aux États membres l' établissement à charge d' un fonctionnaire de la Communauté d' une imposition quelconque qui trouve sa cause en tout ou en partie dans le versement du traitement payé par la Communauté à ce fonctionnaire ".

22 . Dans le cas qui nous occupe, la situation n' est pas exactement la même puisque le traitement versé par les Communautés n' est pas pris en considération, comme c' était le cas dans l' affaire Humblet, pour justifier un taux d' imposition plus élevé sur les autres revenus du fonctionnaire . En l' occurrence, l' imposition ( c' est-à-dire la perception de la différence entre le taux réduit et le taux normal du précompte ) n' est pas causée par le niveau du traitement en question, mais uniquement
par le fait que ce traitement est exonéré des impôts nationaux .

23 . L' arrêt Humblet me semble cependant pertinent dans le cas d' espèce puisqu' il affirme en substance que le traitement versé par les Communautés ne doit être pris en considération en aucune façon par les autorités fiscales des États membres .

24 . On peut donc conclure malgré tout que l' article 162, paragraphe 6, du code belge des impôts sur les revenus n' est pas compatible avec l' article 13, alinéa 2, du protocole . Il prive cette disposition d' une partie de son effet utile .

III - Quant à l' article 14 du protocole

25 . L' article 14 du protocole prévoit en substance que, pour l' application des impôts sur le revenu et sur la fortune et pour l' application des droits de succession, les fonctionnaires des Communautés sont considérés comme ayant conservé leur domicile fiscal dans leur pays d' origine .

26 . A cet égard, il est frappant de constater que la Commission critique uniquement le fait que les fonctionnaires ne bénéficient pas d' éventuelles réductions du précompte immobilier; elle admet donc implicitement que, en principe, ils puissent être redevables de cet impôt ( s' ils sont propriétaires ) ou que celui-ci puisse être mis indirectement à leur charge ( s' ils sont locataires ). On peut, dès lors, supposer qu' aux yeux de la Commission le précompte immobilier ne relève pas d' une des
catégories d' impôts citées à l' article 14 . Or, s' il en est ainsi, on ne voit pas pourquoi le refus d' accorder la réduction constituerait une infraction à cet article .

27 . Il découle des observations qui précèdent qu' il y a lieu de retenir à l' encontre du royaume de Belgique un manquement à l' article 13, alinéa 2, du protocole sur les privilèges et les immunités .

28 . Faut-il constater aussi, comme la Commision le demande, que la Belgique a commis un manquement particulier pour ne pas avoir ouvert un droit au remboursement des sommes payées à tort par les fonctionnaires concernés?

29 . Il me semble que non, car à partir du moment où la Cour aura établi le manquement défini ci-dessus, il appartiendra au gouvernement belge de prendre, en application de l' article 171 du traité, toutes les mesures que comporte l' exécution de l' arrêt de la Cour .

30 . On peut d' ailleurs noter dès à présent qu' il résulte du texte du projet de loi déposé à la Chambre des représentants que le gouvernement belge a l' intention d' opérer le remboursement en question . Il n' est, en tout cas, pas possible de retenir à ce stade un manquement à cet égard .

Conclusion

31 . En résumé, je vous propose de constater qu' en adoptant et en appliquant l' article 162, paragraphe 6, du code des impôts sur le revenu, qui prévoit que certaines réductions du précompte immobilier ne sont pas accordées lorsque l' habitation est occupée par un locataire qui, dans son chef ou dans le chef de son conjoint, est exonéré de l' impôt des personnes physiques en vertu de conventions internationales, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'
article 13, alinéa 2, du protocole sur les immunités des Communautés européennes .

32 . Même si tous les griefs invoqués par la Commission ne doivent, à mon avis, pas être retenus, il n' en reste pas moins qu' en substance la requête doit être accueillie . Elle n' a d' ailleurs pas été contestée par la Belgique . Il est, dès lors, justifié de mettre les dépens à charge de l' État membre défendeur .

( 1 ) Arrêt du 13 juillet 1983, Forcheri/Belgique, 152/82, Rec . p . 2323, point 19 .

( 2 ) A l' époque, l' impôt prélevé au profit des Communautés n' existait pas encore .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 260/86
Date de la décision : 26/01/1988
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Suppression des réductions du précompte immobilier pour les fonctionnaires des Communautés.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents

Privilèges et immunités


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:32

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award