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24/11/1987 | CJUE | N°261/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 24 novembre 1987., Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord., 24/11/1987, 261/85


Avis juridique important

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61985C0261

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 24 novembre 1987. - Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. - Recours en manquement - Interdiction total d'importation de lait pasteurisé et de crème de lait pasteur

isée non congélée. - Affaire 261/85.
Recueil de jurisprudence 1988 pag...

Avis juridique important

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61985C0261

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 24 novembre 1987. - Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. - Recours en manquement - Interdiction total d'importation de lait pasteurisé et de crème de lait pasteurisée non congélée. - Affaire 261/85.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00547

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le recours en manquement sur lequel portent les présentes conclusions avait initialement pour objet de faire constater que le Royaume-Uni avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 30 du traité et du règlement n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( 1 ),

1 ) en interdisant l' importation de lait pasteurisé et de crème de lait pasteurisée non congelée provenant d' autres États membres et destinés à la consommation humaine, et

2 ) en exigeant que la crème de lait traitée thermiquement et les boissons à base de lait ne soient fabriquées en Grande-Bretagne qu' à partir de lait produit en Grande-Bretagne, et en Irlande du Nord qu' à partir de lait produit en Irlande du Nord .

2 . En cours de procédure, la Commission s' est toutefois désistée du second chef de son recours après que le Royaume-Uni a eu abrogé les dispositions législatives y afférentes .

3 . Pour ne pas devoir y revenir par la suite, je voudrais retenir dès à présent que, en application de l' article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les dépens relatifs à cette partie du recours devraient être mis à la charge du Royaume-Uni dont l' attitude a justifié le désistement de la Commission .

4 . Quant à la première partie du recours, il y a lieu de prendre acte du fait que le Royaume-Uni reconnaît que la réglementation incriminée, décrite en détail dans le rapport d' audience, est contraire à l' article 30 du traité ( 2 ). Il reste donc à examiner si, comme le soutient cet État membre, elle est justifiée au regard de l' article 36 pour des raisons tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes .

5 . Avant d' aborder cette question, il m' incombe toutefois de prendre position au sujet de l' affirmation du Royaume-Uni selon laquelle la Commission aurait changé l' objet du recours en cours de procédure . Le fait est qu' en date du 5 août 1985, soit 15 jours avant le dépôt de la requête de la Commission, le Conseil a adopté la directive 85/397/CEE concernant les problèmes sanitaires et de police sanitaire lors d' échanges intracommunautaires de lait traité thermiquement ( 3 ), c' est-à-dire
pasteurisé, stérilisé ou traité à ultrahaute température ( UHT ). Cette directive vise à rapprocher les législations des États membres en la matière en établissant des normes communautaires concernant la production, le traitement et le transport et en mettant en place un système de contrôle communautaire . Aux termes de son article 16, elle doit être transposée par les États membres pour le 1er janvier 1989 au plus tard .

6 . Dans l' avis motivé, il n' était évidemment pas question de cette directive et, dans sa duplique, le Royaume-Uni reproche à la Commission d' avoir changé l' objet du recours en affirmant que dès avant cette date le Royaume-Uni n' était déjà plus en droit d' interdire des importations de lait pasteurisé qui répondrait aux normes fixées par cette directive . Ce faisant, la Commission aurait, selon le Royaume-Uni, méconnu les particularités de la procédure en manquement qui exigent que l' objet du
recours soit déterminé dès la phase précontentieuse et que l' avis motivé et le recours soient fondés sur les mêmes motifs et moyens ( 4 ).

7 . A mon sens, il n' est pas possible d' accepter cet argument . D' une part, c' est le Royaume-Uni qui, au niveau de son mémoire en défense, a voulu tirer parti de l' existence de cette directive en mettant en évidence les disparités des réglementations nationales et la nécessité d' un système de contrôle communautaire; la Commission n' a fait que répondre, dans sa réplique, à cet argument en soulignant qu' il serait pour le moins paradoxal que des produits qui seraient d' ores et déjà conformes
aux prescriptions de la directive puissent aujourd' hui encore être réputés dangereux pour la santé publique et se voir refuser l' entrée au Royaume-Uni, tandis que tel ne pourrait plus être le cas à partir du 1er janvier 1989 .

8 . D' autre part, depuis la lettre de mise en demeure jusque et y compris la réplique, le manquement allégué par la Commission ( c' est-à-dire l' objet du recours ) est resté le même, à savoir l' interdiction faite par le Royaume-Uni d' importer du lait pasteurisé et de la crème de lait pasteurisée non congelée .

9 . Nous pouvons donc en venir au fond . A ce propos, la jurisprudence de la Cour a fermement établi

"qu' il appartient aux États membres, à défaut d' harmonisation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes ".

Mais ils ne peuvent le faire que

"tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises" ( 5 ), c' est-à-dire "dans les limites imposées par le traité" ( 6 ).

10 . C' est que "l' article 36 du traité n' a pas pour objet de réserver certaines matières à la compétence exclusive des États membres ". Étant dérogatoire au principe fondamental de la libre circulation, il n' autorise des "restrictions que dans la mesure où elles sont 'justifiées' , c' est-à-dire nécessaires notamment pour assurer la protection de la santé et de la vie des personnes" ( 7 ).

11 . Tel n' est cependant pas le cas "lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires" ( 8 ).

12 . Or, il est évident qu' une interdiction totale d' importation est la forme la plus restrictive d' entraves aux échanges . La question est donc de savoir si, en l' occurrence, elle constitue la seule protection efficace de la santé publique, étant donné les caractéristiques du produit en question .

13 . Un intéressant précédent à cet égard est fourni par l' arrêt de la Cour du 8 février 1983 dans l' affaire 124/81, ( Commission/Royaume-Uni, Rec . p . 203 ), où était en cause la réglementation britannique relative à l' importation et à la mise à la consommation de lait et de crème traités par le procédé UHT .

14 . Déjà dans cette affaire, le Royaume-Uni avait soutenu que l' interdiction totale d' importation, qui résultait en fait de l' obligation de retraitement et de reconditionnement sur place du lait UHT importé au Royaume-Uni, était seule de nature à protéger efficacement la santé des consommateurs et était, dès lors, justifiée au regard de l' article 36 du traité .

15 . Il avait fondé cette position essentiellement sur les mêmes éléments qu' en l' espèce, à savoir la "disparité des législations des différents États membres en matière de production et de traitement du lait ..., la diversité des modalités d' application de ces législations elles-mêmes différentes et ... l' impossibilité dans laquelle il se trouverait de contrôler dans les autres États membres l' ensemble du cycle de production du lait ... depuis la collecte à la ferme jusqu' au conditionnement
et à la distribution ". Il affirmait également qu' "un tel contrôle est indispensable pour avoir la certitude que le lait obtenu est exempt de toute contamination bactérienne ou virale" ( point 24 ).

16 . Pour ce qui concerne la présente affaire, le Royaume-Uni estime que ces considérations s' imposeraient avec d' autant plus de vigueur que la technique de la pasteurisation du lait offrirait des garanties beaucoup moins étendues que le traitement à ultrahaute température, insuffisance qu' il conviendrait alors de compenser par des précautions supplémentaires tout au long du cycle de production, de l' exploitation agricole jusqu' au consommateur final . A cet égard, des contrôles à la frontière
ne lui fourniraient pas de garanties suffisantes et, par ailleurs, entraîneraient des retards qui rendraient le lait importé impropre à la consommation .

17 . Il est vrai que dans l' arrêt, précité, dans l' affaire 124/81 la Cour a rejeté l' argumentation du Royaume-Uni pour des motifs tenant en bonne partie aux caractéristiques spécifiques de production et de conditionnement du lait UHT ( voir les points 25 à 27 ).

18 . Il n' en reste pas moins que la Cour y a reconnu que le Royaume-Uni, dans son souci de protection de la santé humaine, pourrait obtenir des garanties équivalentes à celles fixées pour sa production intérieure, sans recourir à une interdiction totale d' importation ( point 28 ).

19 . Tel me semble également être le cas en l' occurrence .

20 . Le Royaume-Uni devrait au moins laisser au lait pasteurisé et à la crème de lait pasteurisée non congelée, originaires d' un autre État membre et produits et commercialisés dans des conditions objectives identiques à celles qu' il s' est fixées pour lui-même, la possibilité de pouvoir être importés . En d' autres termes, les producteurs de lait des autres États membres devraient avoir la possibilité de prouver que le lait pasteurisé produit par eux remplit les conditions de la législation
britannique . Or, cette possibilité leur est refusée puisqu' ils se heurtent à une interdiction totale d' importer, quelle que soit la qualité du lait qu' ils vendent .

21 . Pour s' assurer que les conditions de la législation britannique ont effectivement été respectées, il n' est nullement nécessaire que le Royaume-Uni puisse lui-même exercer des contrôles à tous les niveaux de la production dans les autres États membres .

22 . Comme la Cour l' avait encore fait remarquer aux points 30 et 31 de son arrêt du 8 février 1983, il pourrait être prévu, dans le cadre d' une collaboration entre les autorités des États membres, que des documents de preuve ou certificats délivrés par les autorités compétentes des États membres exportateurs viennent certifier la conformité des produits en cause aux exigences britanniques . En créant ainsi une présomption de conformité des marchandises importées avec les exigences de la
législation du pays d' importation, ces documents permettraient un allégement des contrôles à la frontière, sans pour autant exclure "de la part des autorités britanniques ni la possibilité de procéder à des contrôles par sondages pour s' assurer du respect des normes par elle définies ni celle de s' opposer à l' entrée de lots reconnus non conformes ".

23 . C' est ce que, à la suite de l' arrêt de la Cour dans l' affaire du lait UHT, le Royaume-Uni a fait en élaborant, en concertation avec la Commission et divers États membres, un modèle de certificat sanitaire officiel à signer par les autorités compétentes de l' État membre exportateur et devant accompagner le lait importé au Royaume-Uni ( voir annexe 9 au mémoire en défense ). A première vue, il n' y a aucune raison qu' un tel système ne puisse être appliqué au lait pasteurisé et à la crème de
lait pasteurisée non congelée . Il suffirait d' adapter légèrement le point IV du certificat intitulé "Guarantees as to the heat treatment process ".

24 . Il faut d' ailleurs noter que la très grande majorité des mesures d' ordre législatif et quasi législatif britanniques applicables aux différents stades du cycle de production ne sont pas propres à la production de lait pasteurisé . Les contrôles concernant la santé du bétail, l' état des exploitations agricoles, les conditions de manutention du lait cru, son transport et sa distribution s' appliquent indépendamment du type de traitement thermique ( stérilisation, pasteurisation, traitement à
ultrahaute température ) que le lait recevra par la suite .

25 . Il me semble, notamment, que les laiteries qui exportent d' ores et déjà du lait UHT vers le Royaume-Uni sous le couvert du certificat précité, devraient pouvoir être admises à exporter du lait pasteurisé à destination du Royaume-Uni après un simple contrôle de leurs méthodes et installations de pasteurisation .

26 . Par ailleurs, un système de certificats et de contrôles de conformité a également été instauré par la directive du Conseil du 5 août 1985 afin de faciliter précisément les échanges intracommunautaires du lait traité thermiquement dans le respect des normes de production, de collecte, de traitement et de transport qu' elle fixe . J' avoue que je suis très sensible au raisonnement de la Commission suivant lequel le lait pasteurisé qui est déjà conforme aux prescriptions de cette directive, bien
que le délai pour son exécution ne soit pas encore expiré, devrait pouvoir être importé au Royaume-Uni dès maintenant . En effet, ce qui, au 1er janvier 1989, sera réputé sans danger pour la santé doit l' être également à l' heure actuelle .

27 . Il ne s' agirait pas de donner effet à la directive en question avant le terme prévu pour sa mise en oeuvre, mais tout simplement d' accepter que du lait pasteurisé répondant aux normes communes convenues fournit des garanties suffisantes pour assurer une protection efficace de la santé humaine .

28 . Quant à la possibilité d' opérer à la frontière avec suffisamment de rapidité certains tests ( notamment le dénombrement du total des germes éventuellement contenus dans le lait, pour lequel un délai de un à trois jours semble nécessaire ), on peut observer ce qui suit . A partir du 1er janvier 1989 s' appliquera l' article 7, paragraphe 3, de la directive précitée, qui prévoit que "les vérifications ont lieu normalement au lieu de destination des marchandises ou à tout autre endroit approprié,
à condition que le choix de cet endroit cause à l' acheminement des marchandises le moins d' inconvénients possibles . Les vérifications et inspections prévues aux paragraphes 1 et 2 ne peuvent provoquer de retard exagéré dans l' acheminement et la mise sur le marché des marchandises ou de retard susceptible d' affecter la qualité du lait ".

29 . Le Royaume-Uni a expliqué au point 3.14 de son mémoire en défense qu' à l' heure actuelle déjà, en ce qui concerne sa production intérieure, "l' échantillonnage du lait traité thermiquement est effectué dans les laiteries ou les points de vente au détail par les 'Environmental Health Officers' ou 'Trading Standards Officers' ".

30 . Il suffirait donc que ces agents étendent leur contrôle au lait pasteurisé importé . Ce dernier aura de toute façon fait l' objet de contrôles dans le pays d' origine ( exercés depuis la ferme jusqu' à la mise en bouteille ) et sera accompagné d' un certificat de salubrité .

31 . Le risque que du lait importé non conforme aux normes soit déjà parvenu sur la table des consommateurs au moment où l' on connaîtra le résultat des contrôles opérés chez le détaillant est donc plutôt théorique .

32 . N' oublions pas, en effet, que dans la présente affaire il ne s' agit pas de l' importation d' un produit contenant des substances chimiques dont les effets sur l' organisme humain n' auraient pas encore fait l' objet d' études scientifiques suffisamment approfondies . Il s' agit au contraire d' un produit ayant subi un traitement conçu spécifiquement en vue de le rendre inoffensif pour la santé . Dans son mémoire en défense, le Royaume-Uni s' est référé lui-même à la définition donnée à la
page 33 du Bulletin 1981 de la Fédération internationale de laiterie d' où il résulte que "la pasteurisation est une technique dont l' application à un produit vise à réduire les risques possibles pour la santé découlant de l' introduction de micro-organismes pathogènes dans le lait par un traitement thermique compatible avec des modifications chimiques, physiques et organoleptiques minimales du produit ".

33 . L' agent du Royaume-Uni a cependant fait valoir que la Commission n' aurait pas été à même de prouver qu' un seul autre État membre pouvait actuellement fournir la garantie que le lait pasteurisé sur son territoire correspondrait déjà à l' heure actuelle aux normes britanniques ou à celles de la directive .

34 . A cet égard, il y a lieu de faire remarquer tout d' abord qu' il aurait incombé au Royaume-Uni de démontrer concrètement sur quels points il juge insuffisants les garanties et les contrôles prévus dans les autres États membres ( 9 ), au lieu de se limiter à souligner les disparités existant à cet égard entre les autres États membres et entre le Royaume-Uni et les autres États membres . Ce n' est pas parce que les réglementations nationales en la matière sont différentes qu' elles ne peuvent pas
être équivalentes .

35 . En réponse à ce même argument, la Commission a signalé à l' audience que 80 % du lait pasteurisé dans la province irlandaise de Leinster pouvait être classé dans les tranches A et B du système de dénombrement total des bactéries établi par les Milk Marketing Boards ( page 17 du mémoire en défense ) sans pouvoir être exporté au Royaume-Uni et qu' une laiterie luxembourgeoise remplissait les normes de qualité des États-Unis d' Amérique, particulièrement sévères, et avait dès lors obtenu l'
exclusivité de la fourniture du lait et des produits laitiers aux forces armées américaines stationnées en Allemagne .

36 . Ces affirmations, faites sans preuves écrites, ne sauraient évidemment être décisives . Mais d' un autre côté, ni la Commission ni le Royaume-Uni ne semblent s' être livrés à une enquête systématique auprès des onze autres États membres ni auprès de leurs laiteries, de telle sorte qu' il ne peut pas être affirmé d' une façon certaine qu' aucune de celles-ci ne serait à même de satisfaire aux conditions de la législation britannique ni à celles de la directive .

37 . Comme je l' ai déjà signalé, les laiteries du continent autorisées à exporter du lait UHT vers le Royaume-Uni remplissent des conditions considérées comme satisfaisantes par les autorités britanniques en ce qui concerne l' état du lait avant son traitement ( voir à ce propos le point V du certificat type figurant à l' annexe 9 au mémoire en défense ). Il ne saurait dès lors être exclu que, après vérification des méthodes de pasteurisation appliquées par ces laiteries, elles puissent également
être considérées comme remplissant à cet égard les normes britanniques .

38 . Mais nous devons surtout nous poser la question de principe suivante : au cas où il serait établi en fait qu' aucun autre État membre ne serait à même d' offrir les garanties réclamées par le Royaume-Uni, ce dernier serait-il en droit de maintenir une interdiction absolue d' importer?

39 . A cet égard, il faut noter tout d' abord qu' une telle interdiction totale est de nature à décourager toute demande d' une autorisation à livrer, puisque celle-ci se heurtera automatiquement à une réponse négative, quels que soient les arguments que le demandeur pourrait faire valoir à l' appui de sa requête .

40 . Ensuite, il faut remarquer qu' une interdiction totale illimitée dans le temps, justifiée par une situation de fait existant à un moment donné, figerait les choses une fois pour toutes et rendrait impossible pour une durée indéfinie la réalisation d' un des buts principaux du traité, c' est-à-dire la libre circulation des marchandises .

41 . Enfin, il résulte d' une jurisprudence constante de la Cour que l' interdiction figurant à l' article 30 du traité vise également les réglementations susceptibles de faire obstacle potentiellement au commerce intracommunautaire . Il n' est pas nécessaire qu' une entreprise d' un autre État membre ait effectivement montré qu' elle était intéressée à exporter la marchandise en question et qu' elle était en mesure de le faire .

42 . En résumé, j' estime donc qu' un État membre ne saurait exclure, par une mesure législative ou réglementaire, qu' un exportateur d' un autre État membre puisse apporter la preuve que son produit satisfait à la réglementation du pays d' importation .

43 . La Cour a d' ailleurs déjà constaté dans son arrêt du 28 janvier 1986 ( affaire 188/84, Commission/France, Rec . p . 419 ) qu' un État membre

"n' est pas en droit d' empêcher la commercialisation d' un produit provenant d' un autre État membre qui équivaut, quant au niveau de protection de la santé et de la vie des personnes, à celui que la réglementation nationale entend assurer ou établir . Il serait dès lors contraire au principe de proportionnalité qu' une réglementation nationale exige que lesdits produits importés doivent satisfaire littéralement et exactement aux mêmes dispositions ou caractéristiques techniques prescrites pour les
produits fabriqués dans l' État membre en cause, alors que ces produits importés garantissent le même niveau de protection pour les utilisateurs ".

44 . Il est dès lors difficilement concevable que l' interdiction totale d' importer du lait pasteurisé figurant dans la législation britannique puisse être justifiée au regard de l' article 36 .

45 . On pourrait cependant objecter qu' il ne serait pas raisonnable d' exiger du Royaume-Uni de mettre sur pied un nouveau système fondé sur une collaboration bilatérale avec les États membres disposés à fournir les garanties requises à quelques mois de l' entrée en vigueur d' une directive portant harmonisation des législations dans ce domaine .

46 . A cet égard, il faut cependant constater que c' est le 2 février 1984 que la Commission a adressé une lettre de mise en demeure au Royaume-Uni, et que cet État membre aurait donc pu régulariser la situation au cours de la même année .

47 . Par ailleurs, il ne faut pas oublier que

" ... selon une jurisprudence constante rappelée notamment par l' arrêt du 7 février 1973 ( Commission/Italie, 39/72, Rec . p . 111 ), l' objet d' un recours introduit au titre de l' article 169 du traité est fixé par l' avis motivé de la Commission et que, même au cas où le manquement a été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu de l' alinéa 2 du même article, la poursuite de l' action conserve un intérêt . Cet intérêt peut notamment consister à établir la base d' une responsabilité
qu' un État membre peut encourir à l' égard de ceux qui tirent des droits dudit manquement" ( 10 ).

48 . Enfin et surtout, le Royaume-Uni a la possibilité de transposer la directive 85/397/CEE à n' importe quel moment avant le 1er janvier 1989 . De cette façon, il aura mis fin à son manquement ( l' interdiction absolue ) sans devoir mettre en place un régime transitoire, tout en étant assuré que seul entrera sur son territoire du lait pasteurisé conforme aux normes de la directive .

Conclusion

49 . Je vous propose donc de faire droit aux conclusions de la Commission telles qu' elles sont formulées dans la réplique et de condamner le Royaume-Uni aux dépens .

( 1 ) JO L 148, p.13 .

( 2 ) A toutes fins utiles, je renvoie à l' arrêt de la Cour du 14 décembre 1978, Regina/Henn et Darby, 34/79, Rec . p . 3795, qui dit que l' article 30 "vise aussi les interdictions d' importation en tant qu' elles sont la forme restrictive la plus extrême" et que "la formule utilisée à l' article 30 doit donc être comprise, pour autant, comme l' équivalent de l' expression "interdictions ou restrictions d' importation" figurant à l' article 36" ( point 12 ).

( 3 ) JO L 226, p.13 .

( 4 ) Voir, à titre d' exemple, l' arrêt du 15 décembre 1982, Commission/Danemark, 211/81, Rec . p . 4547, point 14 .

( 5 ) Voir, à titre d' exemple, l' arrêt du 6 juin 1984, Melkunie, 97/83, Rec . p . 2367, point 18, et plus récemment l' arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, 178/84, Rec . p . 1227, point 41 .

( 6 ) Voir l' arrêt du 20 mai 1976, De Peijper, 104/75, Rec . p . 613, point 15 . Voir aussi l' arrêt du 16 juillet 1982, Commission/Royaume-Uni, 40/82, Rec . p . 2793 : " ... les effets d' une politique sanitaire sur les importations d' autres États membres ne peuvent dépasser les limites posées par le droit communautaire" ( point 34 ).

( 7 ) Voir, à titre d' exemple, l' arrêt du 12 juillet 1979, Commission/Allemagne, 153/78, Rec . p . 2555, point 5 .

( 8 ) Voir, à titre d' exemple, les arrêts Melkunie et De Peijper, précités, respectivement points 12 et 17 .

( 9 ) Voir l' arrêt du 8 novembre 1979, Denkavit Futtermittel/Ministre de l' Alimentation, de l' Agriculture et des Forêts, 251/78, Rec . p . 3369, points 24 et 28 .

( 10 ) Arrêt du 17 juin 1987, 154/85, Commission/Italie, Rec . p . 2717, point 6, arrêt du 5 juin 1986, 103/84, Commission/Italie, Rec . p . 1759, points 8 et 9, et arrêt du 20 février 1986, 309/84, Commission/Italie, Rec . p . 599, point 18 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 261/85
Date de la décision : 24/11/1987
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Recours en manquement - Interdiction total d'importation de lait pasteurisé et de crème de lait pasteurisée non congélée.

Produits laitiers

Mesures d'effet équivalent

Agriculture et Pêche

Restrictions quantitatives

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:503

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