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18/11/1987 | CJUE | N°292/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 18 novembre 1987., Claude Gullung contre Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Colmar et de Saverne., 18/11/1987, 292/86


Avis juridique important

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61986C0292

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 18 novembre 1987. - Claude Gullung contre Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Colmar et de Saverne. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Colmar - France. - Droit d'établissement et libre prestation de

services par les avocats. - Affaire 292/86.
Recueil de jurisprudence...

Avis juridique important

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61986C0292

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 18 novembre 1987. - Claude Gullung contre Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Colmar et de Saverne. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Colmar - France. - Droit d'établissement et libre prestation de services par les avocats. - Affaire 292/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00111
édition spéciale suédoise page 00291
édition spéciale finnoise page 00293

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La cour d' appel de Colmar vient vous soumettre deux questions préjudicielles relatives l' une à la liberté de prestations, l' autre à la liberté d' établissement des avocats, dans le cadre d' un litige dont les traits marquants sont les suivants .

2 . Ressortissant français et allemand, M . Claude Gullung a exercé les fonctions de notaire dans le département du Bas-Rhin de septembre 1947 à mars 1966, date à laquelle, après poursuites et sanctions disciplinaires, il a donné sa démission .

3 . L' intéressé a tout d' abord tenté d' obtenir son inscription sur la liste des conseils juridiques, ce que le tribunal de Marseille, puis la cour d' appel d' Aix-en-Provence, par arrêt en date du 27 novembre 1978, lui ont refusé au motif qu' il ne remplissait pas les conditions de moralité requises, identiques à celles d' un avocat . M . Gullung a ensuite sollicité son admission au barreau de Mulhouse . Le conseil de l' Ordre local a rejeté cette demande par décision du 19 juin 1979 confirmée
par arrêt de la cour d' appel de Colmar en date du 19 novembre 1979, fondé sur des motifs ayant trait à la moralité du requérant . Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 7 février 1980 .

4 . Parallèlement à ses demandes infructueuses en France, M . Gullung, après avoir essuyé un refus d' inscription au barreau de Fribourg, a été inscrit au barreau d' Offenburg le 22 août 1979 . Il a ensuite ouvert, pour reprendre l' expression du juge a quo, une "officine de jurisconsulte" à Mulhouse, utilisant un papier à en-tête comportant notamment la mention "Cabinet d' avocat et de conseil ".

5 . Le conseil de l' Ordre de Mulhouse a alors adopté une délibération interdisant aux avocats de son barreau de prêter leur assistance, dans les conditions prévues par la directive du Conseil du 22 mars 1977 ( 1 et le décret français de transposition du 22 mars 1979 ( 2 ), à tout avocat ne remplissant pas les conditions de moralité prévues, et notamment à M . Gullung . L' intéressé a introduit, contre cette décision, un recours que la cour d' appel de Colmar a rejeté par arrêt du 17 mai 1982 .
Courant 1985, agissant de concert avec un avocat près ladite cour, M . Gullung s' est présenté pour la défense d' une partie civile devant la chambre d' accusation de la cour d' appel de Colmar . Les conseils de l' Ordre de Colmar et de Saverne ont alors respectivement adopté une décision analogue à celle prise précédemment par celui de Mulhouse . Ces deux décisions ont été portées par M . Gullung devant la cour d' appel de Colmar, qui vous soumet les deux questions préjudicielles suivantes .

6 . La première a trait à la possibilité pour le ressortissant de deux États membres par l' effet d' une double nationalité, admis à la profession d' avocat dans l' un de ces États, de se prévaloir de la directive 77/249 du Conseil des Communautés européennes, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l' exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats, pour exercer de telles prestations sur le territoire de l' autre État où l' accès à la profession d' avocat lui a été interdit par
une juridiction de cet État pour des raisons tenant à la dignité, à l' honorabilité et à la probité . Il vous est demandé, plus généralement, si ladite directive ne se trouve pas limitée par l' ordre public national . La seconde question est relative au point de savoir si l' établissement, par application de l' article 52 du traité, d' un avocat ressortissant d' un État membre sur le territoire d' un autre État membre suppose son inscription au barreau du pays d' accueil, lorsque celle-ci est
requise par la législation de ce dernier État . En cas de réponse négative, vous êtes invités à dire si un avocat ressortissant d' un État membre, établi dans un autre État membre sans être toutefois inscrit à un barreau de cet État, peut se prévaloir de la directive précitée .

7 . Avant d' examiner ces questions, tentons de déterminer l' incidence éventuelle de la double nationalité de l' intéressé . Vos arrêts Knoors ( 3 et Auer*I ( 4 ) ont admis que tout ressortissant communautaire pouvait invoquer, fût-ce à l' égard de son propre État, des dispositions relatives à la liberté d' établissement, par application du principe général de non-discrimination que contient l' article 7 du traité .

8 . Pareil principe doit nécessairement trouver application pour le ressortissant de deux États membres, à l' égard de chacun des États concernés . Mais encore faut-il que la situation en cause ne soit pas purement interne ( 5 ). A cet égard, s' il s' agit, comme en l' espèce, de se prévaloir, à l' endroit d' un État membre, des conséquences de l' établissement dans un autre État membre, le facteur de rattachement avec les dispositions du droit communautaire est patent .

9 . Aussi, un ressortissant communautaire ne pourrait être écarté du bénéfice des libertés organisées par le droit originaire ou dérivé communautaire au motif qu' il serait sujet de l' État à l' encontre duquel il entend se prévaloir de ces dispositions dès lors que la situation en cause comporte les éléments d' "extranéité" requis .

I - La prestation de services

10 . Sous le bénéfice de ces observations, la première question est donc relative à la possibilité pour un tel ressortissant de se prévaloir de la directive 77/249/CEE dans un État membre où l' accès à la profession d' avocat lui a été refusé par une juridiction pour des motifs de moralité .

11 . Rappelons tout d' abord les termes de votre jurisprudence appréciant, en matière de prestation de services, les conditions posées par les législations nationales . Vos arrêts Webb ( 6 ) et Commission/République fédérale d' Allemagne ( 7 ) ont indiqué à cet égard que

"toute législation nationale applicable aux ressortissants de ( l' État membre d' accueil ) et visant une activité permanente des entreprises établies dans celui-ci "*... n' était pas ipso facto intégralement applicable *... à des "activités, de caractère temporaire, exercées par des entreprises établies dans d' autres États membres ".

Les mêmes décisions ont, par ailleurs, rappelé que d' éventuelles restrictions à la liberté de prestation de services ne pouvaient être introduites

"... que par des réglementations justifiées par l' intérêt général et incombant à toute personne *... exerçant une activité sur le territoire dudit État" ( l' État d' accueil ) ( 8 ),

votre arrêt Commission/République fédérale d' Allemagne précisant que

"lesdites exigences doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l' observation des règles professionnelles et d' assurer la protection des intérêts qui constitue l' objectif de celles-ci" ( 9 ).

Se trouvent ainsi posées trois conditions à la compatibilité avec le traité de toute restriction de la liberté de prestations : protection de l' intérêt général, non-discrimination et respect du principe de proportionnalité .

12 . Rappelons également les critères de votre arrêt Van Binsbergen ( 10 indiquant, s' agissant de prestation de services d' un mandataire juridique, que

"on ne saurait cependant considérer comme incompatibles avec le traité les exigences spécifiques imposées au prestataire, qui seraient motivées par l' application de règles professionnelles justifiées par l' intérêt général - notamment les règles d' organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité - incombant à toute personne établie sur le territoire de l' État où la prestation est fournie ".

13 . Ces principes généraux étant rappelés, examinons les dispositions de la directive 77/249, dont l' article 4, paragraphe 1, indique :

"Les activités relatives à la représentation et à la défense d' un client en justice sont exercées dans chaque État membre d' accueil dans les conditions prévues pour les avocats établis dans cet État, à l' exclusion de toute condition de résidence ou d' inscription à une organisation professionnelle de cet État" ( 11 ).

Le paragraphe 2 du même article précise que,

"dans l' exercice de ses activités, l' avocat respecte les règles professionnelles de l' État membre" 11 .

Enfin, son paragraphe 4, relatif aux activités extrajudiciaires du prestataire, indique, en substance, que ce dernier reste soumis aux conditions et règles professionnelles de son État d' origine sans préjudice du respect des règles de l' État d' accueil, dans la double mesure où, d' une part, ces dernières peuvent être respectées par un prestataire non établi et où, d' autre part, elles se justifient objectivement pour assurer l' exercice correct des activités d' avocat, la dignité de la profession
et le respect des incompatibilités .

14 . Faut-il s' attarder longuement sur la dimension déontologique "lato sensu" que comportent les règles de la profession d' avocat? La déclaration de Pérouse sur les principes déontologiques des barreaux de la CEE adoptée le 16 septembre 1977 par la Commission consultative des barreaux de la Communauté européenne indique que "la bonne exécution d' une telle mission ( la profession d' avocat ) ne peut être accomplie qu' avec l' entière confiance de chaque personne concernée . Toute règle
déontologique se fonde dès l' origine sur la nécessité d' être digne de cette confiance ". Ce document précise que "la relation de confiance ne peut exister s' il y a doute sur l' honnêteté, la probité, la rectitude ou la sincérité de l' avocat ". A l' évidence, la moralité, au coeur des conditions requises pour l' exercice de cette profession, représente une exigence "justifiée par l' intérêt général" et "objectivement nécessaire pour garantir l' observation de règles professionnelles et assurer la
protection des intérêts qui constituent l' objet de celles-ci", selon les termes de votre jurisprudence précitée Webb et Commission/République fédérale d' Allemagne .

15 . Pourrait-on objecter que la directive prescrit le respect des conditions et règles professionnelles lors de l' accomplissement de la prestation de services, et qu' il s' agirait, en l' espèce, d' une appréciation juridique relative à un comportement passé? Un tel argument ne nous paraît pas pertinent . La directive, en effet, en imposant le respect des règles professionnelles, postule implicitement la capacité pour le prestataire de respecter lesdites conditions et règles . Aussi, sauf à
admettre une moralité à géométrie variable de l' avocat selon qu' il s' inscrit au barreau ou qu' il preste, celui qui s' est vu interdire l' accès à la profession dans un État membre ne saurait effectuer de prestations, faute de remplir les conditions mêmes que prévoit la directive .

16 . A cette interprétation, nous croyons devoir ajouter deux observations complémentaires . D' une part, il pourrait survenir qu' un ressortissant communautaire se prévale de la liberté de prestation de services pour réaliser en fait un véritable établissement et, ainsi, se soustraire aux règles professionnelles applicables dans cette dernière hypothèse . En pareil cas, votre jurisprudence et, notamment, vos arrêts Van Binsbergen ( 12 ) et Commission/République fédérale d' Allemagne ( 13 permettent
aux autorités nationales de

"... prendre les dispositions destinées à empêcher que la liberté garantie par l' article 59 soit utilisée par un prestataire dont l' activité serait entièrement ou principalement tournée vers son territoire, en vue de se soustraire aux règles professionnelles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet État, une telle solution pouvant être justiciable du chapitre relatif au droit d' établissement, et non de celui des prestations de services ".

Il n' est pas certain que la solution de l' affaire portée devant le juge a quo nécessite qu' il soit fait application de ces principes . Aussi ne proposons-nous pas que votre réponse s' y réfère expressément, mais il nous a paru nécessaire de situer les questions soulevées dans le cadre général des champs d' application respectifs des libertés concernées .

17 . D' autre part, en l' espèce, une juridiction a apprécié les raisons de nature à interdire l' accès à la profession d' avocat . Observons qu' il n' est pas indifférent, à notre avis, conformément au "droit au juge" consacré par votre arrêt Johnston ( 14 ), que les conditions de moralité en la matière puissent être soumises à contrôle juridictionnel . Le respect de ce principe, est-il besoin de le préciser, ne traduit nulle défiance à l' égard des organismes professionnels des États membres, mais
représente simplement une exigence juridique supérieure et la garantie d' une sérénité accrue dans la mise en oeuvre des libertés consacrées par le traité .

18 . L' interprétation de la directive que nous vous suggérons nous paraît exclure le recours à la notion d' ordre public . En effet, dans la mesure où un ressortissant communautaire ne peut se prévaloir de la directive relative à la prestation de services faute de pouvoir en remplir les conditions, il n' y a pas lieu de faire appel au mécanisme d' exception organisé par l' article 56 du traité auquel renvoie l' article*66 .

II - La liberté d' établissement

19 . L' établissement d' un avocat suppose-t-il l' inscription au barreau lorsque la législation de l' État membre impose cette inscription? Afin de préciser l' objet de cette question, évoquons au préalable un thème abordé au cours de la procédure écrite et à l' audience par plusieurs intervenants : celui de l' établissement en tant que "consultant" juridique dans un État membre d' un avocat établi dans un autre État membre . La Commission, dans son mémoire, a évoqué explicitement ce type de
situation . Mais elle devait souligner, au cours de la procédure orale, que pareille hypothèse était étrangère aux questions qui vous sont déférées en l' espèce . C' est là une position que nous partageons pleinement au regard tant des circonstances de l' affaire au fond que de la formulation retenue par la cour d' appel de Colmar .

20 . Observons, en effet, que le litige au principal a surgi à propos d' activités de défense et représentation en justice, caractéristiques de l' activité de l' avocat . Relevons ensuite que la cour de renvoi vise l' établissement par application de l' article 52 du traité de Rome d' un avocat . Il ne nous semble dès lors guère justifié de procéder à une extension du champ de votre réponse qui inclurait ainsi le débat en cause, sans pour autant en mésestimer l' importance .

21 . Nous indiquerons donc simplement à cet égard que nous éprouvons quelque perplexité devant la thèse du gouvernement du Royaume-Uni . Position qui consiste à opérer une distinction entre avocat au sens large, "le membre de la profession juridique", et avocat au sens "français" du terme, pour exempter le premier de toute inscription au barreau s' il souhaitait exercer dans le seul domaine de la consultation, sous son titre d' origine . Si semblable difficulté vous était soumise, nous ne pourrions
manquer d' observer que l' article 1er, paragraphe 2, de la directive du 22 mars 1977 précise que l' on entend par avocat toute personne habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l' une des dénominations suivantes : avocat, advocaat, advokat, Rechtsanwalt, barrister, solicitor, avvocato, advocate . Ne peut-on voir là une définition communautaire de l' avocat, amorcée en matière de prestation de services? Aussi, en l' état actuel du droit communautaire, nourririons-nous de sérieux
doutes sur l' opportunité et la pertinence de s' affranchir des notions ainsi dégagées dès lors que l' on toucherait à l' établissement . Un tel établissement sous son titre d' origine pour consulter sans inscription, en fondant juridiquement sa prétention sur l' absence de monopole du droit dans certains États membres, ne manquerait pas de provoquer incertitude, confusion, voire éclatement des statuts, nés d' une sorte de transport de la loi personnelle, assurément bien étrangère à toute démarche
d' intégration reposant sur la règle du traitement national . Ces précisions étant apportées, reste à examiner l' interrogation de principe que vous soumet la cour d' appel de Colmar quant à l' exigence de l' inscription au barreau pour l' établissement d' un avocat .

22 . Conformément à votre jurisprudence constante depuis l' arrêt Reyners, en l' absence des directives prévues aux articles 54, paragraphe 2, et 57, paragraphe 1, du traité, il convient de se référer au seul article 52, qui prévoit, en son alinéa 2, que la liberté d' établissement s' exerce

"... dans les conditions définies par la législation du pays d' établissement pour ses propres ressortissants" ( 15 ).

Cette règle du traitement national, dont le même arrêt Reyners a souligné le

"caractère fondamental, dans le système du traité" ( 16 ),

a pour objectif de placer dans une parité de situation ressortissants communautaires et nationaux devant la législation de l' État d' accueil . Parité qui exclut évidemment toute condition supplémentaire ( 17 ), toute discrimination directe ou dissimulée fondée sur la nationalité, ainsi que toute exigence qui aboutirait à vider de son contenu effectif la liberté d' établissement .

23 . Ainsi, votre arrêt Thieffry ( 18 ) a précisé que le refus de faire produire "effet civil" à un diplôme reconnu équivalent par l' autorité universitaire de l' État d' accueil constituerait une restriction discriminatoire . Ainsi, votre arrêt Klopp a indiqué que la règle nationale dite de l' unicité de cabinet ne pouvait cependant conduire les autorités de l' État d' accueil à imposer l' abandon de l' établissement d' origine .

24 . Sous ces précisions, le principe demeure selon lequel

"l' exercice de celle-ci ( la profession d' avocat ) reste régi par le droit des différents États membres" ( 19 ).

Votre arrêt Thieffry ( 20 ) a évoqué à cet égard

"l' application des règles professionnelles nationales justifiées par l' intérêt général, notamment les règles d' organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité",

qui doivent se concilier avec la liberté d' établissement . Cette formulation, figurant déjà dans votre arrêt Van Binsbergen ( 21 ) en matière de prestations de services, constitue assurément le critère à l' aune duquel doit être mesurée la conformité des règles nationales avec le traité . Dès lors, à cet égard, qu' en est-il de l' inscription obligatoire à un ordre professionnel?

25 . Observons tout d' abord que votre arrêt Auer*II, relatif à la profession de vétérinaire, pour laquelle, il est vrai, une directive mentionnait à plusieurs reprises une telle inscription, a indiqué que

"les dispositions législatives des États membres prescrivant l' inscription obligatoire à l' ordre professionnel ne sont pas, en tant que telles, incompatibles avec le droit communautaire" ( 22 ),

après avoir précisé que :

"l' inscription ou l' affiliation obligatoire à une organisation ou à un organe professionnel *... doivent être considérées comme licites, eu égard à ce qu' elles visent à garantir la moralité et le respect des principes déontologiques, ainsi que le contrôle disciplinaire de l' activité des vétérinaires et, donc, des exigences dignes de protection" 22 .

26 . Cette reconnaissance de principe des ordres professionnels par le droit communautaire n' est assurément pas contredite par votre arrêt AMS qui, statuant sur la confidentialité de la correspondance entre client et avocat, indique que cette protection

"a pour contrepartie la discipline professionnelle, imposée et contrôlée dans l' intérêt général par les institutions habilitées à cette fin" ( 23 ).

27 . Enfin, contrairement aux observations du requérant au principal, nous ne pouvons trouver, dans votre arrêt Klopp, un quelconque argument en faveur d' une liberté d' établissement affranchie de l' obligation d' inscription . En effet, après avoir rappelé la règle du traitement national, vous avez indiqué qu' en l' absence de réglementation communautaire

"chaque État membre a la liberté de régler l' exercice de la profession d' avocat" ( 24 ).

Puis, évoquant les "particularités" de cette profession, vous avez reconnu

"... à l' État membre d' accueil le droit, dans l' intérêt de la bonne administration de la justice, d' exiger des avocats inscrits à un barreau sur son territoire qu' ils exercent leurs activités de manière à maintenir un contact suffisant avec leurs clients et les autorités judiciaires et respectent les règles de déontologie" ( 25 ).

28 . Serait-ce trop solliciter votre décision que d' y voir, loin de la "déréglementation" alléguée, affirmation de la compatibilité avec le traité de l' inscription au barreau? En effet, vous avez ainsi exposé les raisons d' être de cette exigence . Bien plus, déterminant la portée, au regard de la liberté d' établissement, des règles nationales d' accès à la profession d' avocat, vous n' avez pas, s' agissant de l' inscription à un barreau, dissocié pareille condition, imposée par la législation
nationale, de l' établissement lui-même .

29 . Au terme de ces observations qui nous amènent à vous proposer de dire que l' article 52 du traité ne s' oppose pas à l' exigence en cause, autorisez-nous à évoquer brièvement quelques conséquences concrètes de la solution contraire aboutissant à une distinction entre les avocats nationaux, seuls assujettis à inscription, et leurs confrères communautaires, affranchis de cette obligation lors de l' établissement . Il ne faut pas négliger les dangers de discrimination dont la distinction entre
"avocat établi" et "avocat inscrit" serait virtuellement porteuse . Plus particulièrement, sauf à se résigner à une bien périlleuse absence de contrôle, d' épineuses difficultés ne manqueraient pas de surgir dès lors qu' il s' agirait de sanctionnner même les plus élémentaires manquements dans l' État d' établissement . En effet, comment appréhender celui qui reste totalement extérieur à l' organisation professionnelle de l' État d' accueil? L' avocat communautaire, échappant à la tutelle ordinale
par l' effet d' une solution apparemment "libératrice", devrait-il être alors assujetti à un contrôle étatique direct, contrairement aux traditions d' indépendance de la profession dont le bénéfice serait dès lors réservé aux seuls nationaux? Apparaissent donc de sérieux inconvénients attachés à une solution que ne commandent ni le traité ni votre jurisprudence .

30 . Compte tenu de la réponse que nous vous avons ainsi suggérée, il n' apparaît pas nécessaire d' examiner la question subsidiaire formulée dans l' hypothèse d' une réponse négative, c' est-à-dire l' incompatibilité de l' obligation d' inscription au barreau avec le traité . Bornons-nous, à cet égard, à relever qu' il serait surprenant qu' un avocat établi invoque les dispositions de la directive relative à la prestation de services . En effet, l' établissement concerne nécessairement l' exercice
plein et entier de la profession . Se placer sous le régime de la prestation de services procéderait, pour l' avocat établi, d' une totale confusion . Au surplus, on ne saurait, pour une même activité, se prévaloir indifféremment des régimes de la prestation de services et de l' établissement . L' application de l' une est exclusive de l' autre . Et, s' agissant de distinguer ces deux types de situations, votre arrêt Commission/République fédérale d' Allemagne a affirmé que

"une présence permanente relève des dispositions du traité sur le droit d' établissement, et cela même si cette présence n' a pas pris la forme d' une succursale ou d' une agence, mais s' exerce par le moyen d' un simple bureau" ( 26 ).

La clarté de tels principes rend inutile, ici, de plus amples développements, fussent-ils limités au rappel de votre jurisprudence précitée relative à l' utilisation détournée de la prestation de services .

31 . Nous vous proposons en conséquence de dire pour droit que :

- le ressortissant de deux États membres peut se prévaloir à l' endroit de chacun des États concernés des droits résultant du traité et du droit dérivé dès lors que sa situation présente un facteur de rattachement aux dispositions prévues par le droit communautaire;

- un tel ressortissant, établi en qualité d' avocat dans un État membre, ne peut, faute d' en remplir les conditions, se prévaloir de la directive 77/249 tendant à faciliter la libre prestation de services des avocats dans un État où l' accès à la profession d' avocat lui a été refusé par une juridiction pour des raisons de dignité, d' honorabilité et de probité;

- l' article 52 du traité ne s' oppose pas à ce qu' un État membre soumette à l' exigence d' inscription au barreau, requise pour ses propres ressortissants, l' établissement sur son territoire en cette qualité d' un avocat d' un autre État membre .

( 1 ) JO L 78 du 26.3.1977, p . 17 .

( 2 ) JORF du 23.3.1979, p . 659 .

( 3 ) Arrêt du 7 février 1979 dans l' affaire 115/78, Rec . p.*399 .

( 4 ) Arrêt du 7 février 1979 dans l' affaire 136/78, Rec . p.*437, points*28 et*29 .

( 5 ) Pour une application récente de cette règle, arrêt du 23 janvier 1986 dans l' affaire 298/84, Iorio, Rec . p.*247, point*14 .

( 6 ) Arrêt du 17 décembre 1981 dans l' affaire 279/80, Rec . p.*3305 .

( 7 ) Arrêt du 4 décembre 1986 dans l' affaire 205/84, Rec . p.*3755, point*26 .

( 8 ) Arrêts 279/80, point 17, et 205/84, point 27, précités, souligné par nous .

( 9 ) Arrêt 205/84, précité, point 27, souligné par nous .

( 10 ) Arrêt du 3 décembre 1974 dans l' affaire 33/74, Rec . p.*1299, souligné par nous .

( 11 ) Souligné par nous .

( 12 ) 33/74, précité, point 13, souligné par nous .

( 13 ) 205/84, précité, point 22, souligné par nous .

( 14 ) Arrêt du 15 mai 1986 dans l' affaire 222/84, Rec . p.*1651 .

( 15 ) Arrêt du 21 juin 1974 dans l' affaire 2/74, Rec . p.*631 .

( 16 ) 2/74, précité, point 43 .

( 17 ) 11/77, Patrick, Rec . 1977, p.*1199 .

( 18 ) Arrêt du 28 avril 1977 dans l' affaire 71/76, Rec . p.*765 .

( 19 ) 2/74, précité, point 48 .

( 20 ) 71/76, précité, point 12 .

( 21 ) 33/74, précité, point 12 .

( 22 ) Arrêt du 22 septembre 1983 dans l' affaire 271/82, Rec . p.*2744, point*18 .

( 23 ) Arrêt du 18 mai 1982 dans l' affaire 155/79, Rec . p.*1611, point*24 .

( 24 ) Arrêt du 12 juillet 1984 dans l' affaire 107/83, Rec . p.*2989, point*17 .

( 25 ) 107/83, précité, point 20, souligné par nous .

( 26 ) 205/84, précité, point 21, souligné par nous .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 292/86
Date de la décision : 18/11/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Colmar - France.

Droit d'établissement et libre prestation de services par les avocats.

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Claude Gullung
Défendeurs : Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Colmar et de Saverne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:497

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