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27/10/1987 | CJUE | N°2/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 27 octobre 1987., Erich Biedermann contre Cour des comptes des Communautés européennes., 27/10/1987, 2/87


Avis juridique important

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61987C0002

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 27 octobre 1987. - Erich Biedermann contre Cour des comptes des Communautés européennes. - Fonctionnaire - Taux d'invalidité. - Affaire 2/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00143

Conclusions de l'avocat gén

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I - Les faits...

Avis juridique important

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61987C0002

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 27 octobre 1987. - Erich Biedermann contre Cour des comptes des Communautés européennes. - Fonctionnaire - Taux d'invalidité. - Affaire 2/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00143

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I - Les faits et l' objet du recours

1 . Le requérant, fonctionnaire de la Cour des comptes, veut obtenir l' annulation d' un rapport de la commission médicale qui, à la suite d' un accident de la route survenu le 8 décembre 1980, lui a attribué, le 5 décembre 1985, un taux d' invalidité de 9 %; il demande en outre, sur cette base, la constitution d' une commission médicale spéciale qui serait chargée de réexaminer son degré d' incapacité .

2 . Il prétend également au paiement d' intérêts moratoires sur les sommes qui lui seraient dues, et ce à compter de la consolidation des séquelles intervenue, selon les experts, le 9 décembre 1983 .

3 . Le rapport en question est le dernier d' une série d' avis médicaux élaborés après l' accident, des séquelles duquel le requérant continue de se plaindre .

4 . En effet, après que son état avait été apprécié par différents spécialistes, qui lui ont attribué des pourcentages d' invalidité variant entre 15 et 40 %, le requérant a été examiné par un médecin choisi au titre de l' article 18 de la "réglementation relative à la couverture des risques d' accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes" ( ci-après "réglementation commune "), qui a constaté ( dans un rapport du 15 novembre 1983 ) un taux d' invalidité de 6
%. Sur cette base, la partie défenderesse lui a payé, le 1er août 1984, une somme de 930*030 BFR correspondant à ce degré d' incapacité .

5 . N' étant pas satisfait du résultat de ce rapport, le requérant a demandé, au titre de l' article 21 de la réglementation commune, la constitution d' une commission médicale qui, comme le prévoit l' article 23 de la même réglementation, a réuni un médecin désigné par le requérant, un autre désigné par la défenderesse et un troisième choisi d' un commun accord par les deux premiers .

6 . Le rapport de la commission médicale a conclu à la reconnaissance d' un taux d' invalidité de 9 %, à la suite de quoi la Cour des comptes a versé à M . Biedermann la différence par rapport aux 6 % initialement accordés, soit une somme de 466*016*BFR .

7 . Non content de ce résultat, le requérant a présenté, le 9 juin 1986, une réclamation par laquelle il demandait, outre l' annulation du rapport de la commission médicale et l' attribution d' intérêts moratoires, la constitution d' une commission médicale spéciale ( ou "supercommission ") pour réexaminer son cas .

8 . C' est contre le rejet de cette demande par la partie défenderesse que le fonctionnaire en cause a introduit le présent recours .

II - Analyse de l' argumentation des parties

9 . La Cour a déjà dit très clairement dans sa jurisprudence qu' en principe le contrôle juridictionnel ( 1 ) des décisions relatives à la fixation du degré d' invalidité d' un fonctionnaire doit se limiter aux questions relatives à la constitution et au fonctionnement des commissions médicales, sans s' étendre aux appréciations médicales portées par les membres de ces commissions .

10 . La Cour s' est simplement considérée comme compétente - dans une procédure où était en cause la notion de "maladie professionnelle" au sens de l' article 73 du statut ( 2 ) - pour "annuler toute décision qui serait prise par l' autorité investie du pouvoir de nomination en application de cette disposition et qui serait entachée d' illégalité pour être fondée sur une conclusion d' une commission médicale dépourvue de pertinence . Tel serait le cas si la commission médicale se basait sur une
conception erronée de la notion de "maladie professionnelle" ou si son rapport n' établissait pas un lien compréhensible entre les constatations médicales qu' il comporte et les conclusions auxquelles il arrive ".

11 . De la même manière, la Cour ( 3 ) s' est considérée comme compétente pour "examiner si *... un expert consulté, en se référant dans ses conclusions à une maladie professionnelle, a respecté la portée des dispositions réglementaires pertinentes ".

12 . Rien de tel n' est cependant en question dans la présente affaire, où le requérant critique seulement la composition et le fonctionnement de la commission médicale qui l' a examiné .

a)*La constitution de la commission médicale

13 . Le requérant allègue que le médecin désigné par la partie défenderesse pour faire partie de la commission ne disposait pas de l' indépendance nécessaire pour exercer ses fonctions, puisqu' il avait, d' une part, élaboré le premier rapport médical contesté et qu' il était en outre le médecin expert de la compagnie d' assurances impliquée . En dépit de cela, ce serait lui qui aurait coordonné les travaux de la commission .

14 . Aucune disposition réglementaire et aucun principe juridique ne font cependant obstacle à ce que le médecin auteur de l' examen prévu à l' article 18 de la réglementation commune fasse partie de la commission médicale . D' autre part, en l' absence d' éléments concrets de preuve susceptibles de mettre en cause l' impartialité de ce membre de la commission dans l' exercice de ses fonctions cliniques, le fait qu' il est également le médecin de la compagnie d' assurances n' est pas de nature à
jeter le soupçon sur la façon dont il a exercé sa mission .

15 . Du reste, la Cour a déjà expressément considéré ( 4 ) ces mêmes circonstances comme parfaitement régulières, non susceptibles de porter préjudice aux intérêts des fonctionnaires et, partant, insuffisantes pour permettre à ces derniers de contester la composition de la commission, d' autant que la réglementation ne prévoit aucun droit de récusation ( 5 ).

16 . D' autre part, la partie défenderesse a choisi son représentant dans la commission - comme c' était son droit aux termes de l' article 23, paragraphe 1, de la réglementation commune - parce qu' il était son médecin de confiance; or, comme la Cour l' a déclaré dans l' arrêt Morbelli ( point 24 des motifs ), le requérant "n' avait pas à intervenir dans le choix du médecin de confiance" désigné par la Cour des comptes .

17 . Le requérant a par ailleurs désigné régulièrement le médecin qu' il avait le droit de nommer, conformément au même article 23, et le troisième médecin a, comme cette disposition le prévoit, été choisi d' un commun accord par les deux autres membres de la commission .

18 . Les exigences d' équilibre et d' objectivité qui sont à la base de la procédure de réclamation organisée par les articles 19 à 23 de la réglementation commune, qui "ont pour but de confier à des experts médicaux l' appréciation de l' ensemble des questions médicales présentant une pertinence dans le fonctionnement du régime d' assurance organisé par la réglementation" ( 6 ), ont donc été respectées .

19 . En acceptant de faire partie de la commission, le médecin désigné par la partie défenderesse a naturellement accepté de confronter ses conclusions à l' avis de deux collègues et il n' est pas étonnant que la commission ait rectifié en un sens favorable au requérant ( de 6 à 9 %) le taux d' invalidité reconnu à ce dernier à la suite du premier examen . Par ailleurs, le médecin désigné par le requérant avait lui aussi examiné ce dernier auparavant et s' était prononcé en cette occasion ( le 20
septembre 1983 ) pour un taux d' invalidité supérieur à celui qui a été finalement retenu par la commission médicale, avec son accord .

20 . En effet, selon des informations concordantes fournies par les deux parties, le rapport final a été rédigé par le médecin choisi d' un commun accord et a été signé sans réserve par tous, ce qui confirme, indépendamment de la question de savoir qui a coordonné les travaux ( point sur lequel nous ne disposons que de l' affirmation de la partie requérante ), la régularité de la constitution et du déroulement des travaux de la commission .

b)*Le fonctionnement de la commission médicale

21 . Le requérant se plaint en premier lieu de ne pas avoir pu faire valoir sa propre conviction devant la commission médicale, afin de "contredire des opinions émises à la légère et difficilement justifiables au point de vue déontologique, en présentant l' avis d' une autorité médicale consultée par lui ".

22 . En second lieu, le requérant fait valoir que le rapport de la commission fait référence à un examen au scanner qui n' aurait jamais été réalisé : il aurait simplement fait l' objet d' examens radiographiques et d' une tomodensimétrie .

23 . En troisième lieu, le requérant invoque le fait que la commission n' aurait pas tenu compte des avis de plusieurs médecins consultés par lui antérieurement et se serait basée en grande partie sur le rapport d' un spécialiste en neurologie, dont l' avis avait déjà été repris par le médecin de confiance de la Cour des comptes, qui y avait eu recours pour la préparation du rapport contesté du 15 novembre 1983 . La partie requérante relève en outre une contradiction de dates entre ce rapport et
celui du neurologue, en ce sens qu' il serait curieux que ce dernier, qui porte une date postérieure au premier ( 22-23 décembre 1983 ), ait pu lui servir de fondement . Tout cela serait révélateur du désordre dans lequel la procédure a été conduite .

24 . Sur ces allégations, il y a lieu de faire observer, en synthèse, ce qui suit :

1 ) le processus de fixation du degré d' invalidité permanente est organisé à l' article 21 de la réglementation commune de telle manière que le fonctionnaire ou ses représentants soient informés du projet de décision de l' AIPN et des conclusions du ou des médecins désignés au titre de l' article 18 et que, s' il le demande, le rapport médical complet soit transmis au médecin de son choix . Le fonctionnaire ou ses représentants de même que son médecin de confiance peuvent ainsi examiner ces pièces
et demander, le cas échéant, l' intervention d' une commission médicale . En ce qui concerne cette dernière, l' audition "contradictoire" du fonctionnaire n' est pas prévue par la réglementation commune et il n' y aurait aucun sens à l' imposer, eu égard à la composition et à la nature de ses travaux, qui doivent, selon l' expression de la Cour, être organisés de manière à "aboutir, en cas de litige, à un arbitrage définitif de toutes les questions de caractère médical à ce stade" ( arrêt Suss,
point 11 des motifs );

2 ) les intérêts du fonctionnaire sont sauvegardés par la présence au sein de la commission d' un médecin de sa confiance, désigné par lui, qui a d' ailleurs souscrit, en l' espèce, à la totalité des conclusions de la commission . La composition tripartite de cette dernière garantit, comme nous l' avons vu, l' impartialité de ses travaux et une juste pondération des intérêts en cause;

3 ) ainsi que la Cour l' a déjà relevé ( 7 ), "la mission qui incombe à cette commission de porter en toute objectivité et indépendance son appréciation sur des questions médicales exige que sa liberté d' appréciation soit entière ". Il lui appartenait notamment d' apprécier "dans quelle mesure il convenait de prendre en considération des rapports médicaux que le requérant avait lui-même versés" ( 8 ); il résulte clairement du rapport de la commission que celle-ci n' a pas seulement pris en compte,
mais a également apprécié de façon critique les résultats des expertises antérieures . Elle seule avait par ailleurs compétence pour décider si un nouvel examen neurologique était nécessaire ou superflu et elle pouvait, dans le cadre de sa liberté d' appréciation sur le plan médical, accepter comme bonnes les conclusions de l' expert en neurologie consulté auparavant . Dans l' exercice de son indépendance fonctionnelle et professionnelle, la commission était également seul juge de l' opportunité de
réaliser d' autres examens; sur ce point, le rapport de la commission fait référence aux résultats d' un examen au scanner, dont la réalité a été confirmée par le médecin-conseil pour le personnel de la Cour des comptes ( voir la réponse à la réclamation ), et il n' appartient pas à la Cour de contester la terminologie médicale utilisée pour dénommer cet examen;

4 ) la contradiction constatée par le requérant entre la date du rapport du 15*novembre*1983 et celle du rapport du neurologue ne peut avoir aucune incidence sur la validité du rapport contesté de la commission médicale; il est dès lors inutile de procéder à quelque enquête que ce soit sur les éventuelles raisons logiques ( ou de simple inadvertance ) qui ont pu donner lieu à cette contradiction .

25 . Pour ces motifs, nous concluons à l' absence de fondement du moyen relatif au fonctionnement de la commission médicale .

c)*Les conclusions de la commission médicale

26 . Invoquant la jurisprudence de la Cour ( Chaumont-Barthel/Parlement, arrêt du 18 mars 1982 ( 9 ), et Leussink/Commission, arrêt du 8 octobre 1986 ( 10 )), le requérant prétend que la distinction entre "dédommagement pour invalidité permanente et indemnité ( pour préjudice ) d' ordre moral" ou entre "les conséquences de caractère économique et celles concernant les relations familiales et sociales" n' aurait pas été prise en compte; il allègue plus précisément que l' indemnisation allouée (
correspondant au taux d' incapacité reconnu ) "compense tout au plus et encore insuffisamment l' invalidité anatomo-fonctionnelle, mais néglige entièrement l' invalidité d' ordre psychique", laquelle résulterait notamment d' une sinistrose liée à l' accident .

27 . Ces allégations nous semblent résulter d' une équivoque qu' il convient de dissiper .

28 . En effet, il faut distinguer clairement - et c' est ce qu' ont voulu faire les deux arrêts cités par le requérant - entre l' indemnisation pour invalidité permanente, totale ou partielle du fonctionnaire par suite d' un accident ou d' une maladie professionnelle ( article 12 de la réglementation commune ), l' indemnisation "pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n' affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l' intégrité physique de la personne et crée un
préjudice réel à ses relations sociales" ( article 14 de la réglementation commune ) et l' indemnisation complémentaire, non prévue dans la réglementation commune, mais due, le cas échéant, "lorsque l' institution est responsable de l' accident selon le droit commun et que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi" ( arrêt Leussink, point 13 des motifs ).

29 . Ce qui est en cause dans la présente affaire, c' est uniquement la détermination du degré d' invalidité permanente par suite de l' accident, selon la procédure établie aux articles 18 à 23 de la réglementation commune .

30 . Or, concernant cette invalidité, il résulte du rapport de la commission médicale que celle-ci a considéré "le paquet posttraumatique réel de l' accident", qu' elle a pris en compte les plaintes subjectives de l' intéressé et qu' elle les a considérées non pas "comme séquelles posttraumatiques, mais comme maladies d' origine constitutionnelle"; en ce qui concerne la prétendue diminution de la faculté de concentration, elle ne l' a pas jugée susceptible de diminuer la capacité de travail et elle
s' en est remise par ailleurs aux conclusions de l' expert neurologique, qui avait procédé à un examen général des aspects du problème relevant de sa compétence .

31 . Dans ces conditions, la conclusion du rapport de la commission médicale qui a reconnu au requérant un taux d' invalidité de 9 %, en portant une appréciation sur son état de santé global par rapport à sa capacité de travail, doit être considérée comme "finale et définitive", pour reprendre l' expression de l' arrêt Morbelli ( point 29 des motifs ).

III - Conclusion

32 . Eu égard à ce qui précède, nous considérons que, le requérant ayant succombé en l' ensemble de ses moyens, il y a lieu de rejeter la demande d' annulation du rapport contesté et, partant, la demande d' attribution d' intérêts moratoires ainsi que celle de constitution d' une "supercommission médicale", d' autant que cette dernière notion n' est consacrée ni par le statut ni par la réglementation .

33 . Conformément aux dispositions combinées de l' article 69, paragraphe 2, et de l' article 70 du règlement de procédure, chacune des parties devra supporter ses propres dépens .

(*) Traduit du portugais .

( 1 ) Arrêt du 21 mai 1981 dans l' affaire 56/80, Morbelli/Commission, Rec . p.*1357, 1374, point 20 des motifs; arrêt du 29 novembre 1984 dans l' affaire 265/83, Suss/Commission, Rec . p.*4029, 4040, point 11 des motifs .

( 2 ) Arrêt du 26 janvier 1984 dans l' affaire 189/82, Seiler/Conseil, Rec . p.*229, 241 .

( 3 ) Arrêt du 20 juin 1985 dans l' affaire 118/84, Commission/Royale belge, Rec . p.*1889, 1904, point 17 des motifs .

( 4 ) Arrêt du 14 juillet 1981 dans l' affaire 186/80, Suss/Commission, Rec . p.*2041, 2051, points 10 et*11 .

( 5 ) Arrêt Suss du 14 juillet 1981, point 9 des motifs .

( 6 ) Arrêt Suss du 29 novembre 1984, Rec . p.*4029, point 11 des motifs .

( 7 ) Arrêt Suss du 29 novembre 1984, précité, point 13 des motifs .

( 8 ) Arrêt Morbelli, précité, point 27 des motifs .

( 9 ) Arrêt 103/81, Rec . 1982, p.*1003, 1010, point 9 des motifs .

( 10 ) Arrêt dans les affaires jointes 169/83 et 136/84, Rec . 1986, p.*2801, point 18 des motifs .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2/87
Date de la décision : 27/10/1987
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Taux d'invalidité.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Erich Biedermann
Défendeurs : Cour des comptes des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Vilaça
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:462

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