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14/10/1987 | CJUE | N°131/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 octobre 1987., Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord contre Conseil des Communautés européennes., 14/10/1987, 131/86


Avis juridique important

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61986C0131

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 octobre 1987. - Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord contre Conseil des Communautés européennes. - Normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie. - Affaire 131/86.
Recueil

de jurisprudence 1988 page 00905

Conclusions de l'avocat général

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Avis juridique important

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61986C0131

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 octobre 1987. - Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord contre Conseil des Communautés européennes. - Normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie. - Affaire 131/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00905

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . A l' appui du recours que le Royaume-Uni a introduit pour obtenir l' annulation de la directive 86/113/CEE du Conseil, du 25 mars 1986, établissant les normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie ( JO L 95 du 10.4.1986, p . 45 ), cet État membre a avancé les deux moyens suivants :

1 ) la directive contestée est basée uniquement sur les articles 42 et 43 du traité CEE, à l' exclusion de l' article 100;

2)la version de la directive qui lui a été notifiée et qui a été publiée au Journal officiel diffère de celle qui a été soumise au vote et adoptée par le Conseil .

2 . Le fait que le Royaume-Uni fonde ainsi son recours sur des questions de base juridique, de procédure et de forme, plutôt que de fond, a amené le Conseil à mettre en doute son intérêt à agir, d' autant plus que le Royaume-Uni déclare avoir la certitude qu' en cas d' annulation de la directive contestée le Conseil arrêtera, afin d' atteindre les objectifs en cause, une nouvelle directive au contenu largement identique ( point 10 de la requête ) dont lui-même approuverait en principe l' adoption (
point 28 de la réplique ).

3 . Quant à cette question, je peux me limiter à renvoyer à l' arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86 ( Rec . p . 1493 ), dans lequel la Cour a déclaré que,

"au regard de l' intérêt pour agir de la Commission, il s' agit de constater que l' article 173 du traité fait une distinction nette entre le droit de recours des institutions communautaires et des États membres, d' une part, et celui des personnes physiques et morales, de l' autre, l' alinéa 1 de cet article ouvrant à la Commission et à tout État membre le droit de contester, par un recours en annulation, la légalité de tout règlement du Conseil, sans que l' exercice de ce droit soit conditionné
par la justification d' un intérêt pour agir" ( point 3 ).

4 . Ce qui, en l' occurrence, valait pour le recours en annulation intenté par la Commission contre un règlement du Conseil vaut également pour le présent recours intenté par un État membre à l' encontre d' une directive du Conseil, l' article 173 mettant institutions et États membres sur un même pied et visant tous les actes du Conseil et de la Commission, à la seule exception des recommandations et avis . Le recours du Royaume-Uni est donc recevable .

A - La base juridique de la directive 86/113/CEE

5 . Dans son arrêt précité du 26 mars 1987, la Cour a fait remarquer que, dans le cas où la controverse sur la base juridique correcte porte sur des articles du traité comportant des règles différentes pour la formation de la volonté du Conseil, elle n' est pas de portée purement formelle en ce sens que le choix de la base juridique est susceptible d' avoir des conséquences sur la détermination du contenu des actes ( point 12 ).

6 . Tel est le cas en l' occurrence, le Conseil pouvant agir, sur base de l' article 43, à la majorité qualifiée, tandis que l' article 100 exige l' unanimité .

7 . La Cour avait relevé auparavant que,

"dans le cadre du système des compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d' un acte ne peut pas dépendre seulement de la conviction d' une institution quant au but poursuivi, mais doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel" ( point 11 ).

8 . Aussi me semble-t-il prudent de ne point attacher trop d' importance, dans l' examen de la présente controverse, à la pratique plus ou moins confirmée consistant à adopter la plupart des directives dans les secteurs vétérinaires, alimentaires et phytosanitaires sur la double base des articles 43 et 100 .

9 . D' une part, cette pratique n' a jamais été approuvée par la Commission, dont les propositions en ces matières continuent à être basées sur le seul article 43 . D' autre part, un certain nombre d' États membres n' ont accepté cette pratique que dans le cadre d' un compromis politique intervenu au sein du Conseil "agriculture" dès sa session de juin 1964 .

10 . Il résulte, en effet, du document produit par le Conseil en annexe 2 à sa duplique qu' à l' époque

"les délégations belge, française, italienne, luxembourgeoise et néerlandaise, estimant ... que ces directives ( en l' occurrence relatives à des problèmes sanitaires et de police sanitaire en matière d' échanges communautaires de viandes fraîches et d' animaux des espèces bovine et porcine ) devraient être fondées exclusivement sur l' article 43, ont accepté la solution retenue dans le seul but de permettre - en raison de l' importance que présentent ces textes pour la constitution du marché unique
dans les domaines considérés - l' entrée en application de ces directives dans les plus brefs délais ..."

et que

"toutes les délégations ( se sont réservé ) leur entière liberté quant à la base juridique de directives qui pourraient être arrêtées, dans les mêmes domaines ou dans des domaines analogues ... par la suite ".

11 . Ce qui précède vaut également pour les quelques rares directives qui ont trait plus directement à la protection des animaux et qui sont mentionnées respectivement aux pages 7 et 19 du mémoire en défense et de la duplique du Conseil .

12 . Quant à la décision 78/923/CEE du Conseil, du 19 juin 1978, concernant la conclusion de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages ( JO L 323 du 17.11.1978, p . 12 ), sa valeur de précédent juridique me semble être encore plus contestable . Il est, en effet, curieux de constater qu' elle est également basée sur l' article 100, bien que les seuls actes que le Conseil est autorisé à arrêter sur cette base soient des directives . ( C' est un peu comme si le Conseil
avait donné à l' acte contesté dans la présente affaire la forme d' un règlement tout en le basant sur les articles 43 et 100 .)

13 . Cela dit, quels sont les éléments objectifs qui, en l' occurrence, auraient dû guider les institutions communautaires dans le choix de la base juridique de la directive contestée?

14 . Tout d' abord, comme son titre l' indique, et comme son article 1er le rappelle, elle établit des normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie . Ces normes portent, d' une part, sur les dimensions des cages utilisées pour l' élevage en batterie ( article 3 ) et, d' autre part, sur les conditions mêmes de cet élevage ( article 4 ) telles qu' elles sont précisées à l' annexe de la directive .

15 . Cette annexe contient des dispositions concernant notamment la forme et le type des matériaux utilisés pour la construction des cages, la conception et les dimensions de leurs ouvertures, l' isolation, la ventilation, l' éclairage, l' entretien des installations, l' alimentation et le repos des animaux, ainsi que les soins et inspections dont ils doivent faire l' objet . La quasi-totalité de ces dispositions visent à éviter toute blessure ou souffrance inutile aux animaux ainsi qu' à préserver
leur santé et leur bien-être .

16 . D' autre part, il ne saurait y avoir de doute que l' objectif que le Conseil poursuivait, sur le plan politique pour ainsi dire, était effectivement celui d' améliorer le sort des poules pondeuses .

17 . Cette préoccupation ressort clairement de la résolution du Conseil, du 22 juillet 1980, sur la protection des poules pondeuses en cage ( JO C 196 du 2.8.1980, p . 1 ), qui a donné l' impulsion politique à l' action de la Communauté devant aboutir à l' adoption de la directive contestée . Le Conseil y était convenu de ce que

"l' élevage des poules pondeuses en cage doit être soumis au respect de normes et critères minimaux établis en vue d' assurer la protection de ces animaux ".

18 . Toutefois, sur le plan juridique, le Conseil était bien obligé de constater, comme il l' a fait dès le 19 juin 1978 en approuvant la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, "que la protection des animaux ne constitue pas en soi l' un des objets de la Communauté ".

19 . Comment faire, dès lors, pour prendre des mesures en faveur des poules pondeuses dans le cadre du traité CEE?

20 . La réponse à cette question se trouve déjà dans cette même décision puisque le Conseil y a constaté

que "les législations nationales actuellement en vigueur dans le domaine de la protection des animaux dans les élevages présentent des disparités pouvant créer des conditions de concurrence inégales et avoir, de ce fait, une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun" et que "la convention couvre des matières qui entrent dans le cadre de la politique agricole commune ".

21 . Ce texte explique également pourquoi les États membres ont voulu agir de concert, dans le cadre de la Communauté, plutôt que dans le cadre du Conseil de l' Europe ou en ordre dispersé .

22 . Le considérant relatif aux disparités des législations nationales se retrouve intégralement dans la résolution précitée du Conseil du 22 juillet 1980 . Il figure également sous une forme un peu plus élaborée dans la proposition de directive de la Commission établissant les normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie et dans le document du secrétariat général n° 11489/85, Agrileg 252, du 18 décembre 1985, sur la base duquel le Conseil a procédé au vote, au cours
de sa session des 25 et 26 mars 1986 ( 1 ). Ce document, tout comme la proposition de la Commission, prévoit en outre

"qu' il est nécessaire d' établir des paramètres prioritaires et de définir des exigences minimales applicables dans tous les systèmes d' élevage intensifs, afin de permettre un fonctionnement satisfaisant du marché, au regard, notamment, des objectifs de l' article 39 du traité, tout en tenant compte de la nécessité de protéger les animaux ...".

23 . Dans son arrêt du 1er avril 1982 dans les affaires 141 à 143/81, Holdijk ( Rec . p . 1299 ), la Cour, de son côté, avait clairement montré que les problèmes relatifs à la protection des animaux devaient être appréciés dans le contexte plus général de l' établissement et du fonctionnement du marché commun, notamment agricole .

24 . En ce qui concerne la présente affaire, il résulte des textes que je viens de citer que le Conseil a fondé sa compétence à adopter la directive sur les poules pondeuses sur l' existence de disparités dans les législations nationales et sur l' incidence néfaste que celles-ci pourraient avoir sur le fonctionnement du marché commun agricole .

25 . Le Royaume-Uni en déduit que la directive aurait dû être fondée à la fois sur l' article 43 et sur l' article 100, car "la nécessité de viser l' article autorisant l' auteur à adopter une mesure communautaire obligatoire s' impose plus particulièrement dans le cas où la mesure se rapporte à deux ou plusieurs politiques communautaires vis-à-vis desquelles le traité requiert des procédures différentes" ( point 15 de la requête ).

26 . Cette affirmation n' est pas contestable, mais j' estime qu' il ne pourrait en découler des conséquences, dans le cadre de la présente affaire, que si le traité avait voulu conférer aux institutions de la Communauté la mission de mettre sur pied une politique commune en matière de protection du bien-être des animaux et si l' article 100 constituait la disposition définissant les compétences de la Communauté à cet égard .

27 . Or, nous avons vu que la protection des animaux n' est pas en soi l' un des objets de la Communauté . Quant à l' article 100, il charge le Conseil, statuant à l' unanimité sur proposition de la Commission, d' arrêter des "directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l' établissement ou le fonctionnement du marché commun ".

28 . C' est donc parce qu' il permet le rapprochement des législations des États membres que l' article 100 pourrait entrer en ligne de compte, et non pas parce qu' il permettrait de protéger les animaux .

29 . On ne peut cependant pas dire qu' il y aurait une "politique communautaire de rapprochement des législations" ayant sa base juridique dans l' article 100 dans le même sens qu' il existe une "politique agricole commune" ayant sa base juridique dans l' article 43 . L' article 100 ne constitue pas, en effet, pas la seule disposition du traité permettant aux institutions de la Communauté d' harmoniser les législations nationales . Le rapprochement des législations constitue un instrument que le
traité utilise au service de différentes politiques communes .

30 . Il suffit, à cet égard, de se reporter notamment aux articles 27 ( domaine douanier ), 54 ( liberté d' établissement ), 56 ( dispositions prévoyant un régime spécial à l' égard des ressortissants étrangers, justifié pour des raisons d' ordre public, de sécurité publique et de santé publique ), 57 ( reconnaissance mutuelle des diplômes et accès aux activités non salariées ), 66 ( libre prestation de services ). Seul l' article 99, qui concerne l' harmonisation en matière de taxes sur la valeur
ajoutée, d' accises et d' autres impôts indirects, prévoit que ses dispositions valent "sans préjudice des dispositions des articles 100 et 101 ". Il en résulte que tous les autres articles cités constituent une "lex specialis" par rapport aux articles 100 et 101 et doivent donc être appliqués par priorité .

31 . Le renvoi que l' article 99 fait à l' article 101 m' amène d' ailleurs à m' interroger sur le point de savoir si l' article 100 est réellement la disposition qui, en l' occurrence, devrait entrer en rivalité avec l' article 43 ou si ce n' est pas plutôt l' article 101 . L' article 101 prévoit notamment que, après la fin de la première étape de la période de transition, le Conseil arrête à la majorité qualifiée les directives nécessaires lorsqu' une disparité existant entre les dispositions
législatives, réglementaires ou administratives des États membres fausse les conditions de concurrence sur le marché commun et provoque, de ce fait, une distorsion qui doit être éliminée .

32 . Quoi qu' il en soit, le Conseil a raison de souligner que l' article 100 ( et à mon avis également l' article 101 ) ne devrait s' appliquer, en vertu de l' adage "lex specialis derogat legi generali", qu' en l' absence d' une disposition spécifique permettant l' harmonisation des législations nationales, notamment par la voie de directives . Je signale que la Cour a déjà fait sien ce principe en déclarant, dans son arrêt du 8 avril 1976 ( Defrenne/Sabena, 43/75, Rec . p . 455 ), que,

"en l' absence de toute référence expresse, par l' article 119, aux fonctions à exercer éventuellement par la Communauté en vue de la mise en oeuvre de la politique sociale, il convient de se référer au système général du traité et aux moyens qu' il a institués, tels que prévus par les articles 100, 155 et, le cas échéant, 235" ( point 63 ).

33 . Compte tenu de toutes les observations qui précèdent, le problème qui est posé à la Cour dans la présente affaire peut être défini comme suit : l' article 43 constitue-t-il lui aussi, par rapport aux articles 100 et 101, une "lex specialis" conférant aux institutions la compétence d' adopter des mesures d' harmonisation des législations nationales du type de celles figurant dans la directive? Si l' article 43 constitue, à cet égard, une base juridique adéquate et suffisante, un recours à l'
article 100 ou à l' article 101 n' est pas nécessaire .

34 . Or, que constatons-nous à propos de l' article 43?

35 . a ) Cet article n' utilise pas l' expression "harmonisation des législations", mais, à mon sens, il confère aux institutions des pouvoirs plus larges encore que les articles 100 et 101, puisque, dans son paragraphe 3, il dispose ce qui suit :

"L' organisation commune prévue à l' article 40, paragraphe 2, peut être substituée aux organisations nationales de marché dans les conditions prévues au paragraphe précédent, par le Conseil statuant à la majorité qualifiée :

a ) ...

b ) si cette organisation assure aux échanges à l' intérieur de la Communauté des conditions analogues à celles qui existent dans un marché national ."

36 . En principe, une organisation commune de marché devrait donc créer dès son instauration des conditions analogues à celles d' un marché national . Si tel n' est pas le cas, les institutions ont en tout cas le pouvoir et même le devoir d' intervenir à tout instant pour compléter l' organisation commune de marché ou pour éviter que les mesures en vigueur dans certains États membres ( en l' occurrence, le Danemark et le Royaume-Uni ) ou susceptibles d' être adoptées ne mettent en cause, sur un
point ou sur un autre, l' uniformité du marché .

37 . A cet effet, le Conseil peut utiliser aussi bien l' instrument de la directive que celui du règlement ( article 43, paragraphe 2, in fine ).

38 . b ) On peut affirmer sans crainte de se tromper qu' aux yeux des auteurs du traité la mise en oeuvre de l' "organisation commune des marchés agricoles" devait conduire à une harmonisation des législations nationales, même dans les cas où elle ne prenait pas la forme d' une "organisation européenne du marché" (( article 40, paragraphe 2, sous c ) )). A vrai dire, il n' y a pas d' harmonisation plus totale qu' une politique commune fondée sur des règles communes applicables dans tous les États
membres .

39 . Ainsi que la Cour l' a elle-même rappelé dans son arrêt du 21 février 1979 ( Stoelting/Hauptzollamt Hamburg-Jonas, 138/78, Rec . p . 713 ),

"l' article 43 du traité doit être interprété à la lumière de l' article 39, qui énonce des objectifs de la politique agricole commune, et de l' article 40, qui règle sa mise en oeuvre en disposant, notamment, que, en vue d' atteindre les objectifs prévus à l' article 39, il sera établi une organisation commune des marchés agricoles et que cette organisation peut comporter toutes les mesures nécessaires pour atteindre lesdits objectifs" ( point 4 ).

40 . Dans cet arrêt, la Cour a reconnu la légalité du règlement instaurant, sur la base de l' article 43, le prélèvement de coresponsabilité dans le secteur laitier . Dans son arrêt du 24 octobre 1973 ( Balkan/Hauptzollamt Berlin-Packhof, 5/73, Rec . p . 1108 ), elle a également admis que les montants compensatoires monétaires auraient normalement dû être créés dans le cadre des compétences attribuées au Conseil par les articles 40 et 43 .

41 . Notons aussi que, d' après l' article 40, paragraphe 2, sous a ), l' organisation commune de marché peut se limiter simplement à des règles communes en matière de concurrence .

42 . Des règles telles que celles figurant dans la directive auraient donc pu être adoptées directement sur la base de l' article 43, même en dehors d' une organisation de marché aussi complexe que celle qui a été retenue .

43 . c ) Il ne saurait raisonnablement être contesté que la directive en cause ici poursuit des objectifs énoncés à l' article 39 du traité, notamment celui d' assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ( en évitant des distorsions de concurrence ). On peut dire aussi, comme la Commission, que la stabilisation des marchés nécessite l' optimum de productivité, non le maximum .

44 . d ) Le règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des oeufs, lui-même ( 2 ), basé sur les articles 42 et 43, prévoit, en son article 2, paragraphe 1, la possibilité d' adopter, en ce qui concerne les produits tombant sous cette organisation, des "mesures tendant à promouvoir une meilleure organisation de leur production, de leur transformation et de leur commercialisation ".

45 . En son paragraphe 2, cet article prévoit l' adoption de normes de commercialisation pour les oeufs, ce qui a été fait par le règlement n° 2772/75 ( 3 ), modifié à plusieurs reprises par la suite ( 4 ). Un règlement d' exécution de la Commission ( 5 ) autorise les mentions suivantes sur les emballages contenant des oeufs : oeufs de poules élevées en plein air - système extensif, oeufs de poules élevées en plein air, oeufs de poules élevées au sol et oeufs de poules élevées en volières . L'
annexe du règlement définit très précisément les conditions auxquelles doivent se conformer les élevages produisant des oeufs de l' une de ces quatre catégories . Ainsi, pour ce qui est de la densité de peuplement, la norme passe successivement de 1 poule par 10 m2 à 1 poule par 2,5 m2, 7 poules par m2 et, en ce qui concerne la dernière catégorie, 25 poules par m2 à condition que chaque poule dispose en même temps de 15 cm de place sur un perchoir .

46 . La Commission aurait pu, parallèlement, créer, par la voie de ce règlement, une mention "oeufs de poules élevées en cage" et définir les conditions de cet élevage . Elle ne l' a pas fait parce que, "en raison des usages commerciaux existants, il ne paraît pas nécessaire de déterminer des mentions spécifiques relatives aux oeufs de poules élevées en cage" ( quatrième considérant du règlement n° 1943/85 ). Il est vrai qu' une telle mention n' aurait guère contribué à une meilleure
commercialisation de ces oeufs .

47 . Toujours est-il que la Commission aurait pu, sur la base du règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des oeufs, et donc sur la base des seuls articles 42 et 43, arrêter des normes de commercialisation aboutissant en dernière analyse à réglementer les conditions de production .

48 . Dans ses observations, la Commission rappelle, par ailleurs, à juste titre, que les organisations de marché, dans les secteurs des fruits et légumes, de la pêche et du vin, comportent des normes communes en matière de conditionnement et de qualité .

49 . N' oublions pas non plus qu' en matière de pêche la Communauté a limité le total des captures admissibles et les conditions de ces captures ( caractéristiques des bateaux, techniques utilisées, maillage des filets ). Dans le secteur laitier, la limitation des quantités pouvant être portées à l' intervention aboutit, elle aussi, à réglementer les conditions de production .

50 . e ) En accord avec le principe qu' une organisation commune peut comporter toutes les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs de l' article 39, les articles 42 et 43 constituent traditionnellement les seules bases juridiques des organisations communes de marché, même si, parmi leurs dispositions, il y en a qui relèvent normalement d' autres articles du traité .

51 . Cela vaut tout d' abord en matière de libre circulation des marchandises, la Cour ayant considéré

"les dispositions du traité portant suppression des obstacles tarifaires et commerciaux aux échanges intracommunautaires ... comme faisant partie intégrante de l' organisation commune des marchés" ( 6 ).

52 . Cela vaut également pour les relations commerciales avec les pays tiers . Ainsi, le règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des oeufs contient précisément des dispositions qui tiennent compte, "parallèlement et de manière appropriée, des objectifs prévus aux articles 39 et 110 du traité" ( 7 ) sans que le règlement soit pour autant basé également sur l' article 113 du traité .

53 . D' ailleurs, pour ce qui concerne cet article 113, la Cour a rappelé, dans son arrêt précité du 26 mars 1987 au sujet du système des préférences tarifaires généralisées, que "le lien avec les problèmes du développement ne fait pas échapper un acte au domaine de la politique commerciale commune tel qu' il est défini par le traité" ( point 20 ).

54 . De même me semble-t-il légitime de considérer que le fait que la directive contestée en l' occurrence vise également, à travers l' harmonisation des conditions de concurrence, à protéger les animaux ne la fait pas pour autant échapper au domaine de la politique agricole commune .

55 . f ) Enfin, il ne faut pas oublier que la politique agricole commune ne se limite pas à l' organisation commune des marchés agricoles, dont il est question à l' article 40 du traité . Au contraire, sur la base, précisément, de l' article 43, paragraphe 2, les institutions communautaires sont habilitées ( sinon obligées ) à arrêter les mesures nécessaires pour "l' élaboration et la mise en oeuvre de la politique agricole commune, y compris la substitution aux organisations nationales de l' une
des formes d' organisation commune prévues à l' article 40, paragraphe 2, ainsi que la mise en oeuvre des mesures spécialement mentionnées au présent titre ".

56 . Force est donc de conclure que, lorsque, à propos de produits figurant à l' annexe II du traité, il s' agit de contribuer à réaliser les objectifs de la politique agricole commune tels que définis à l' article 39, et, a fortiori, lorsque l' une des formes d' organisation commune prévues à l' article 40, paragraphe 2, a été substituée aux organisations nationales, l' article 43 constitue la base juridique adéquate et suffisante pour l' adoption par le Conseil de normes communes en matière de
protection des animaux en vue d' éviter toute distorsion de concurrence et de permettre un fonctionnement normal et satisfaisant de l' organisation commune des marchés en cause .

57 . Le moyen tiré par le Royaume-Uni de l' article 100 du traité ne saurait donc être retenu .

B - Les irrégularités de procédure

58 . Le fait même que la directive, dans sa version notifiée le 15 avril 1986 aux États membres et publiée au Journal officiel, diffère sur certains points de son préambule de celle soumise au Conseil lors de ses délibérations du 25 mars 1986, telle qu' elle est reproduite dans le document n° 11489/85, Agrileg 252, du Conseil, du 18 décembre 1985, n' est pas contesté .

59 . La partie requérante voit dans ces modifications des irrégularités de procédure susceptibles de justifier l' annulation de la directive . Pour le Conseil, il ne s' agirait que de modifications rédactionnelles d' importance mineure qui viseraient à exprimer de manière plus claire et plus précise les intentions réelles du législateur communautaire . De tels changements d' ordre purement formel et ne portant pas sur le fond de l' instrument proprement dit seraient admissibles .

Que faut-il en penser?

60 . Constatons tout d' abord que nous nous trouvons devant une situation paradoxale : voilà le Conseil, en sa qualité d' organe législatif de la Communauté, qui nous dit qu' il ne voit aucun problème dans le fait que son personnel administratif a modifié après-coup l' un de ses actes juridiques . Certes, comme le Conseil, je suis d' avis que les modifications apportées aux considérants ont effectivement eu le mérite de mieux mettre en évidence les éléments de droit sur lesquels le Conseil s' est
fondé pour légiférer en cette matière .

61 . J' estime néanmoins qu' il n' est pas acceptable que le texte d' un acte du Conseil soit modifié après coup par le secrétariat général . Le secrétariat n' est en effet qu' un organe administratif . Sa base juridique se trouve dans l' article 17 du règlement intérieur ( 8 ), qui dispose que

"le Conseil est assisté d' un secrétariat général, placé sous la direction d' un secrétaire général ".

62 . Même si l' article 15 du même règlement intérieur prévoit la possibilité, pour le président du Conseil, de confier au secrétaire général le soin de procéder en son nom à la notification des directives, des décisions et des recommandations, cela ne saurait cependant inclure le droit pour le secrétaire général ou ses collaborateurs de modifier un texte une fois qu' il a été adopté par le Conseil . En particulier, aucune disposition du règlement intérieur ne confie au secrétariat général la
mission de procéder, sous sa propre autorité, à une mise au point définitive des textes à la lumière des débats du Conseil .

63 . D' après l' article 8, paragraphe 2, du règlement intérieur, "chaque membre du Conseil peut s' opposer au délibéré si le texte des amendements éventuels n' est pas établi dans celle desdites langues qu' il désigne ". Cette disposition prouve que les amendements aux documents de séance doivent être à tout le moins disponibles par écrit dans l' une des langues officielles avant que le Conseil n' arrête sa position . Il est vrai que les débats du Conseil ne portent que rarement sur la rédaction
des considérants des actes qu' il adopte . Mais, lorsque ces considérants doivent être adaptés en fonction de modifications apportées au dispositif au cours de la réunion ou pour d' autres raisons, le texte doit, à mon avis, toujours revenir pour approbation définitive devant le Conseil lui-même, sauf décision expresse contraire de ce dernier . Sinon, on ne pourrait pas considérer un tel acte comme ayant été "arrêté" par le Conseil au sens de l' article 189, alinéa 1, du traité .

64 . Ce n' est pas par hasard que le Conseil a pris l' habitude de charger, à la fin de ses sessions, le comité des représentants permanents ( Coreper ) ou le comité spécial "agriculture" ( CSA ) de la mise au point définitive des textes pour autant que cela s' avère nécessaire . Même si cette tâche est assurée sur le plan matériel par le secrétariat, ce sera à la demande du Coreper ou du CSA et sous le contrôle et la responsabilité de l' un de ces comités . Ce sont eux qui vérifient si le résultat
des travaux est conforme aux décisions du Conseil .

65 . C' est enfin le Coreper, en tant qu' organe prévu par les traités ( 9 ) ( alors que tel n' est pas le cas en ce qui concerne le CSA ), qui décide si la version finale de l' acte fera l' objet d' une approbation du Conseil par la voie de la procédure écrite ou bien par son inscription dans la partie A de l' ordre du jour d' une des prochaines réunions du Conseil ( voir article 2, paragraphe 6, du règlement intérieur ).

66 . Même la vérification de la concordance entre les différentes versions linguistiques des textes adoptés par le Conseil se fait selon une procédure qui permet aux États membres de veiller à ce que la portée de la décision du Conseil ne soit pas altérée, ne fût-ce que dans une seule version linguistique . Les réunions du groupe des "juristes-linguistes" ( qui sont des fonctionnaires du secrétariat ) sont en effet annoncées par télex aux États membres et ceux-ci sont invités à s' y faire
représenter s' ils le souhaitent .

67 . En instaurant ces procédures, le Conseil a donc manifestement voulu garantir la conformité absolue des actes publiés ou notifiés avec les décisions prises .

68 . Rappelons-nous aussi que,

"lorsqu' en vertu du traité un acte du Conseil est pris sur proposition de la Commission, le Conseil ne peut prendre un acte constituant amendement de la proposition que statuant à l' unanimité" ( article 149 ).

69 . Une décision à la majorité qualifiée n' est donc possible que si le Conseil s' en tient tout simplement à la proposition de la Commission .

70 . Comme, cependant, la quasi-totalité des propositions de la Commission sont modifiées par le Conseil, un vote à la majorité qualifiée n' est possible que si la Commission modifie au préalable sa proposition de telle façon qu' elle devienne identique au texte que le Conseil s' apprête à adopter . Cette modification de la proposition de la Commission se fait le plus souvent par une déclaration orale du membre de la Commission participant au débat, qui doit évidemment s' être fait habiliter à cet
effet par le collège . La Commission a confirmé, au cours de la procédure orale, que tel avait aussi été le cas en l' occurrence .

71 . Tout ce délicat mécanisme serait évidemment perturbé si des modifications revêtant une importance autre que de pure forme étaient apportées au texte d' un acte après que le Conseil a pris sa décision .

72 . Cela vaut même lorsque les modifications ne concernent que le préambule d' un acte . La motivation des actes des institutions, expressément prescrite par l' article 190, revêt, en effet, en droit communautaire une importance extrême . La Cour a eu l' occasion de souligner à de nombreuses reprises qu' il est

"nécessaire que les actes communautaires comprennent l' exposé des éléments de fait et de droit sur lesquels l' institution s' est fondée, de sorte que la Cour puisse exercer son contrôle et que tant les États membres que les intéressés connaissent les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont fait application du traité" ( 10 ).

73 . En l' occurrence, force est d' admettre que les conditions dans lesquelles l' institution compétente, le Conseil, a adopté la directive sur les poules pondeuses sont celles qui sont exposées dans les considérants figurant au document du secrétariat du Conseil du 18 décembre 1985 portant la cote 11487/85, Agrileg 252 .

74 . La majorité des membres du Conseil a manifestement estimé que le texte du dispositif de cette directive et les motifs exposés dans les considérants justifiaient l' adoption de l' acte à la majorité qualifiée, sur la seule base de l' article 43 du traité .

75 . Ni en séance, ni par la procédure écrite, ni par la procédure des points A, le Conseil n' a donné son approbation au texte de la directive dans la version signée par son président en exercice le 25 mars 1986, notifiée aux États membres et publiée au Journal officiel L 95 du 10 avril 1986 ( p . 45 ). Le Conseil n' a donc pas "arrêté" au sens de l' article 189 une directive ayant cette teneur . Toutefois, il a bien "arrêté" une directive ayant la teneur du document 11489/85, puisque le vote a
porté sur ce texte . On peut en effet faire une distinction entre un texte arrêté et un texte signé, car, d' après l' article 9 du règlement intérieur :

"Le texte des actes arrêtés par le Conseil est revêtu de la signature du président en exercice lors de leur adoption et de celle du secrétaire général ."

76 . Certes, seul le préambule de la directive n' a pas été approuvé tel quel par le Conseil . Il ne me semble cependant pas possible de le séparer du reste de l' acte . C' est toute la "directive" du 25 mars 1986 qu' il y a lieu d' annuler .

77 . Comme, par contre, une directive ayant la teneur du document 11489/85 a été valablement "arrêtée" par le Conseil au sens de l' article 189, alinéa 1, il suffit qu' après l' arrêt de la Cour le président qui était en exercice au moment de son adoption la signe et la notifie aux États membres . Aucune nouvelle délibération du Conseil n' est nécessaire .

78 . Si, cependant, la Cour ne devait pas trancher, dans le cadre de la présente affaire, le différend relatif à l' article 100, ce problème ne manquerait pas de ressurgir immédiatement au sein du Conseil et, dans l' hypothèse d' un nouveau vote à la majorité qualifiée, de donner lieu, selon toute vraisemblance, à un deuxième recours, cette fois-ci exclusivement axé sur cette question .

Conclusion

79 . Pour les raisons exposées ci-dessus, je propose à la Cour d' accueillir le second moyen du Royaume-Uni et d' annuler la directive 86/113/CEE du Conseil, du 25 mars 1986, établissant les normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie .

80 . Pour ce qui concerne les dépens, il y a lieu de tenir compte du fait que la partie requérante, bien que gagnante, a tout de même succombé sur le moyen principal de son recours . Aussi, je propose que, en application de l' article 63, paragraphe 3, alinéa 1, du règlement de procédure de la Cour, chacune des parties principales supporte ses propres dépens et que la partie requérante supporte en plus les dépens de la Commission, qui n' était intervenue que sur ce moyen .

( 1 ) Comme le préambule de la directive telle qu' elle a été notifiée est contesté par le Royaume-Uni, je fonde mon raisonnement uniquement sur le préambule du texte soumis par le comité des représentants permanents au Conseil .

( 2 ) Règlement n° 2771/75 du Conseil, du 29 octobre 1975 ( JO L 282 du 1.11.1975, p . 49 .

( 3 ) Règlement n° 2772/75 du Conseil, du 29 octobre 1975 ( JO L 282 du 1.11.1975, p . 56 ).

( 4 ) Voir règlement n° 1831/84 du Conseil, du 19 juin 1984 ( JO L 172 du 30.6.1984, p . 2 ), et règlement n° 3341/84 du Conseil, du 28 novembre 1984 ( JO L 312 du 30.11.1984, p . 7 ).

( 5 ) Règlement n° 1943/85 de la Commission, du 12 juillet 1985, modifiant le règlement n° 95/69 en ce qui concerne certaines normes de commercialisation applicables aux oeufs ( JO L 181 du 13.7.1985, p . 34 ).

( 6 ) Voir arrêt du 29 novembre 1978, Pigs Marketing Board/Redmond, 83/78, Rec . p . 2373, notamment point 55 .

( 7 ) Voir treizième considérant du règlement cité à la note 2 .

( 8 ) Règlement intérieur arrêté par le Conseil, le 24 juillet 1978, sur la base de l' article 5 du traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes ( 79/868/CECA, CEE, Euratom ) ( JO L 268 du 25.10.1979, p . 1 ).

( 9 ) Article 4 du traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes ( JO 152 du 13.7.1967, p . 2 ).

( 10 ) Arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec . p . 1493, point 5 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 131/86
Date de la décision : 14/10/1987
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses en batterie.

Œufs et volailles

Rapprochement des législations

Législation vétérinaire

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:441

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