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29/09/1987 | CJUE | N°331/85,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 29 septembre 1987., Les Fils de Jules Bianco SA et J. Girard Fils SA contre Directeur général des douanes et droits indirects., 29/09/1987, 331/85,


Avis juridique important

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61985C0331

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 29 septembre 1987. - Les Fils de Jules Bianco SA et J. Girard Fils SA contre Directeur général des douanes et droits indirects. - Demandes de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Répétition de l'

indu - Preuve de la non-répercussion des taxes sur le prix des marchandises...

Avis juridique important

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61985C0331

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 29 septembre 1987. - Les Fils de Jules Bianco SA et J. Girard Fils SA contre Directeur général des douanes et droits indirects. - Demandes de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Répétition de l'indu - Preuve de la non-répercussion des taxes sur le prix des marchandises. - Affaires jointes 331/85, 376/85 et 378/85.
Recueil de jurisprudence 1988 page 01099
édition spéciale suédoise page 00387
édition spéciale finnoise page 00393

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le décret français n° 78-903, du 30 août 1978, a institué une taxe parafiscale applicable du 2 septembre au 31 décembre 1978 à la commercialisation de supercarburant et d' essence; le décret n° 78-1043, du 2 novembre 1978, a imposé une taxe similaire sur le fuel domestique commercialisé en France à compter du 3 novembre au 31 décembre 1978 . Les sociétés françaises "Les Fils de Jules Bianco" et "J . Girard Fils" ont pour objet la vente, l' importation et la distribution de produits pétroliers .
Après avoir en un premier temps effectué un certain nombre de versements aux autorités fiscales françaises au titre de ces taxes, elles ont introduit trois recours séparés devant les juridictions françaises pour en contester la validité et demander le remboursement des montants qu' elles avaient payés . Leurs demandes ont été rejetées comme irrecevables ( sans qu' il y ait eu aucune discussion sur le fond ) en première instance et en appel . Le motif invoqué était qu' elles n' avaient pas démontré
que les taxes parafiscales n' avaient pas été répercutées sur les acheteurs, alors que cette preuve est exigée par l' article 13, paragraphe V, de la loi des finances pour 1981 ( loi n° 80-1094, du 30 décembre 1980 ) qui dispose que :

"Lorsqu' une personne a indûment acquitté des droits indirects régis par le code général des impôts ou des droits et taxes nationaux recouvrés selon les procédures du code des douanes, elle ne peut en obtenir le remboursement, sauf en cas d' erreur matérielle, que si elle justifie que ces droits n' ont pas été répercutés sur l' acheteur .

Cette disposition est applicable aux réclamations présentées dans les conditions prévues aux articles 1931 du code général des impôts et 352 du code des douanes, même avant la date d' entrée en vigueur de la présente loi ."

Les sociétés ont saisi la Cour de cassation qui, par arrêts du 9 octobre 1985 parvenus au greffe de la Cour les 8, 27 et 28 novembre 1985, a, pour chacune de ces affaires, demandé à la Cour de justice de répondre à la question préjudicielle ci-après :

"Le traité instituant la Communauté économique européenne doit-il être interprété en ce sens que la République française ne pouvait subordonner le remboursement de taxes nationales perçues en violation du droit communautaire à la preuve que ces taxes n' ont pas été répercutées sur les acheteurs des produits les ayant supportées, en rejetant la charge de cette preuve négative sur les seules personnes physiques ou morales sollicitant le remboursement; la réponse est-elle différente, selon qu' il y a
ou non rétroactivité de la loi du 30 décembre 1980, selon la nature de la taxe en cause et selon le caractère concurrentiel, réglementé ou monopolistique, en tout ou en partie, du marché?"

La Cour a joint les trois affaires par ordonnance du 15 janvier 1986 .

Le point de savoir si cette taxe était contraire au droit communautaire n' a fait l' objet d' aucune question et la procédure doit donc suivre son cours sur la base de la présomption que la taxe a été imposée en violation du traité .

La Commission, le Royaume-Uni et l' Italie sont intervenus pour appuyer, à des degrés différents, les sociétés demanderesses en affirmant que l' article 13, paragraphe V, est contraire au droit communautaire en tant qu' il impose au réclamant la charge d' une preuve négative et dans la mesure où il exige une preuve documentaire; seule la France affirme que cet article est compatible avec le droit communautaire .

La Cour a été informée à l' audience que des modifications avaient été apportées à la législation française, apparemment par la loi des finances rectificative pour 1986 ( n° 86-1318, du 30 décembre 1986 ) dont l' article 24 modifie l' article 1965A du code général des impôts comme suit : "Lorsqu' une personne a indûment acquitté des droits indirects régis par le présent code, elle peut en obtenir le remboursement à moins que les droits n' aient été répercutés sur l' acheteur ." Cet article 24 a
également donné une version similaire à l' article 352 bis du code des douanes . Cependant, la demande préjudicielle concerne uniquement l' article 13, paragraphe V, de la loi des finances pour 1981 et les amendements introduits en 1986 n' entrent pas en ligne de compte .

Les parties et la Commission affirment, sans avoir été contestées, que l' article 13, paragraphe V, de la loi des finances de 1980 a été introduit à la suite de l' arrêt de la Cour dans l' affaire 168/78, Commission/France ( Rec . 1980, p . 347 ) dans lequel la Cour a estimé que la taxe imposée sur certaines eaux-de-vie importées était contraire à l' article 95 du traité CEE . C' est pour éviter les remboursements automatiques dans un grand nombre de cas où le remboursement de la taxe indûment
perçue avait été ou allait être demandé ( avec les pertes de recettes qui s' ensuivraient ) que l' assujetti aurait été requis de prouver qu' il n' avait pas répercuté la charge fiscale sur ses acheteurs . Cette allégation est confirmée par des déclarations faites au nom du gouvernement français ( Assemblée nationale, première séance du 17 octobre 1980, Journal officiel de la République française, p . 2826; Sénat, séance du 22 novembre 1980, ibidem, p . 5129 ). Les dispositions de l' article 13,
paragraphe V, ont cependant été considérées par les juridictions ayant déjà statué à ce propos comme s' appliquant non seulement aux eaux-de-vie, mais également, entre autres, aux produits pétroliers comme ceux qui sont litigieux en l' espèce .

Si une taxe est instituée en violation du droit communautaire, il est évidemment essentiel que tout justiciable puisse obtenir de ses juridictions nationales non seulement une décision déclarant la taxe en question illégale, mais également une injonction de remboursement des droits qu' il a été indûment obligé de payer . En principe, les règles relatives au remboursement devraient être les mêmes pour tous les États membres . Bien que le Conseil ait adopté le règlement n° 1430/79, du 2 juillet 1979,
relatif au remboursement ou à la remise des droits à l' importation ou à l' exportation imposés par la Communauté et collectés par les États membres ( JO L 175, p . 1 ), aucun règlement n' est venu harmoniser les règles et procédures nationales relatives aux taxes imposées par les États membres en violation du droit communautaire, et cela en dépit du fait que depuis 1976 la Cour a souligné que les pouvoirs pour arrêter une telle réglementation existent et que son absence est regrettable ( affaire
33/76, Rewe Zentralfinanz eG/Saarland, Rec . 1976, p . 1989; arrêt 130/79, Express Dairy Foods Ltd./Intervention Board for Agricultural Produce, Rec . 1980, p . 1887 ).

Par conséquent, les juridictions ont été obligées de répondre à des actions spécifiques en remboursement sans disposer de telles règles d' harmonisation .

Le point de départ est que les juridictions nationales ont en charge d' "assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l' effet direct des dispositions du droit communautaire" ( arrêt Rewe, précité, point 5 des motifs ). En d' autres mots, il faut qu' il y ait un recours en droit contre les taxes indues .

En l' absence d' harmonisation, la Cour a reconnu que les juridictions nationales doivent appliquer leurs propres règles et procédures . Ainsi, les règles nationales relatives aux délais de recours, aux juridictions compétentes et à l' allocation d' intérêts peuvent être observées même si elles diffèrent d' un État membre à l' autre ( arrêt Rewe, précité ).

Ces règles nationales doivent cependant être telles que les modalités procédurales des recours en justice destinés à faire mettre en application le droit communautaire a ) ne soient pas "moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne" et b ) n' aboutissent pas à "rendre en pratique impossible l' exercice de droits que les juridictions nationales ont l' obligation de sauvegarder ". Ces principes généraux, énoncés pour la première fois dans l' arrêt Rewe, ont été
confirmés dans une série de décisions ultérieures ( arrêt 45/76, Comet/Produktschap voor Siergewassen, Rec . 1976, p . 2043; arrêt 68/79, Just/Ministère danois des impôts et accises, Rec . 1980, p . 501; arrêt 61/79, Amministrazione delle Finanze dello Stato/Denkavit Italiana, Rec . 1980, p . 1205; arrêt 811/79, Amministrazione delle Finanze dello Stato/Ariete, Rec . 1980, p . 2545; arrêt 826/79, Amministrazione delle Finanze dello Stato/MIRECO, Rec . 1980, p . 2559; arrêt 199/82, Amministrazione
delle Finanze dello Stato/San Giorgio, Rec . 1983, p . 3595 ). Deux de ces affaires appellent les commentaires ci-après .

En ce qui concerne l' affaire Just, il nous semble que la Cour s' est avant tout préoccupée de voir si deux aspects du droit ou de la pratique danois étaient compatibles avec le droit communautaire, à savoir a ) que les juridictions danoises tiennent compte du fait que les taxes indûment payées ont été incorporées dans le prix des marchandises et répercutées sur les acheteurs et b ) que pour fixer le montant des remboursements, elles prennent en considération tout préjudice qui peut avoir été
souffert par le contribuable en raison de l' incidence de la taxation illégale sur son chiffre d' affaires, par exemple des profits diminués par suite d' une baisse des ventes due à l' augmentation de prix résultant de l' incorporation de la taxe . Ces deux facteurs ont été considérés comme compatibles avec le droit communautaire . Compte tenu des principes généraux établis par la Cour, il y a un lien entre eux . Même si une créance devait être allouée pour les taxes illégales répercutées, il serait
également possible, comme cela a été le cas dans l' affaire Just, de demander une indemnisation pour la perte de chiffre d' affaires due à l' augmentation de prix résultant de l' inclusion de la taxe . La Cour n' a cependant pas dit que le fait que des taxes ont été répercutées signifierait en droit communautaire, par exemple en vertu d' un principe général interdisant l' enrichissement sans cause, que les taxes indûment demandées et payées ne peuvent jamais être récupérées .

Dans l' arrêt San Giorgio, la Cour a répété les deux principes généraux auxquels nous nous sommes référé ainsi que le principe énoncé dans l' arrêt Just d' après lequel le refus de rembourser ne saurait être considéré "comme contraire au droit communautaire ... lorsqu' il est établi que la personne astreinte au paiement de ces droits les a effectivement répercutés sur d' autres sujets" ( c' est nous qui soulignons ). "Établir" un fait devant une juridiction nationale est affaire de preuves . Des
présomptions irréfragables ou autres peuvent y contribuer . A cet égard, la Cour a apporté une importante restriction au point 14 des motifs : "Par contre, seraient incompatibles avec le droit communautaire toutes modalités de preuve dont l' effet est de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l' obtention du remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire . Tel est le cas notamment de présomptions ou de règles de preuve qui visent à rejeter sur le contribuable
la charge d' établir que les taxes indûment payées n' ont pas été répercutées sur d' autres sujets, ou de limitations particulières en ce qui concerne la forme des preuves à rapporter, comme l' exclusion de tout mode de preuve autre que la preuve documentaire . L' incompatibilité de la perception avec le droit communautaire étant établie, le juge doit garder sa liberté dans l' appréciation de la question de savoir si la charge de la taxe a été transférée ou non, en tout ou en partie, sur d' autres
sujets ." Elle a ajouté au point 15 des motifs : "Dans une économie de marché fondée sur la liberté de concurrence, la question de savoir si et dans quelle mesure une charge fiscale imposée à l' importateur a pu être effectivement répercutée sur les échelons économiques successifs comporte une marge d' incertitude qui ne saurait être imputée systématiquement à la personne astreinte au paiement d' une taxe contraire au droit communautaire" ( c' est nous qui soulignons ).

Dans cette affaire, où une disposition de droit italien permettait le remboursement de sommes illégalement perçues si le contribuable apportait la preuve documentaire que la taxe n' avait pas été répercutée, la Cour a estimé que : "Un État membre ne saurait subordonner le remboursement de taxes nationales perçues en violation des prescriptions du droit communautaire à la preuve que ces taxes n' ont pas été répercutées sur d' autres personnes si le remboursement est subordonné à des règles de preuve
qui rendent pratiquement impossible l' exercice de ce droit, cela même dans le cas où le remboursement d' autres impôts, droits ou taxes perçus en violation du droit national serait soumis aux mêmes conditions restrictives ."

Les sociétés demanderesses s' appuient principalement sur la décision prise dans cette affaire; elles affirment qu' il serait extrêmement difficile pour des sociétés comme elles de prouver que la taxe n' a pas été répercutée sur l' acheteur . Le gouvernement français répond qu' il est en droit de prévenir l' enrichissement sans cause, que la disposition n' est pas discriminatoire à l' égard des importations et que les règles de preuve qu' elle fixe ne rendent pas pratiquement impossible ni
excessivement difficile d' obtenir le remboursement des taxes indûment perçues . En ce qui concerne cette dernière allégation, il souligne que quoique négative dans sa forme, la condition litigieuse est en réalité positive dans la mesure où l' intéressé doit montrer qu' il a supporté le poids de la taxe, car ce type d' impôt indirect serait de par sa nature normalement répercuté sur le consommateur de sorte qu' il serait juste d' exiger du réclamant qu' il démontre avoir supporté le poids de cette
taxe lui-même, étant entendu par ailleurs que, à la différence de ce qui était le cas pour la disposition en cause dans l' arrêt San Giorgio, aucune forme particulière de preuve n' est requise .

Pour décider dans ce contexte quelles dispositions sont compatibles avec le droit communautaire et lesquelles ne le sont pas, la première considération qu' il faille prendre en compte est la suivante : "Le droit d' obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant les taxes d' effet équivalant aux droits de douane ou, selon
le cas, l' application discriminatoire de taxes intérieures" ( arrêt San Giorgio, point 12 des motifs ).

Le requérant a en substance la charge de prouver que la taxe était illégale et qu' il l' a payée et aucune autre preuve ne doit lui incomber en un premier temps . Lui demander plus - et notamment la preuve qu' il n' a pas répercuté la charge fiscale - comme condition de recevabilité de son action est susceptible de rendre l' obtention du remboursement "pratiquement impossible" ou "excessivement difficile ". Cela a été spécifiquement reconnu dans l' arrêt San Giorgio ( point 14 des motifs ) où les
"présomptions ou règles de preuve qui visent à rejeter sur le contribuable la charge d' établir que les taxes indûment payées n' ont pas été répercutées sur d' autres sujets" ont été citées comme exemple d' une condition de preuve ayant pour effet de rendre l' obtention du remboursement pratiquement impossible ou extrêmement difficile .

Modifier cette position en affirmant que la charge de la preuve ne peut être rejetée sur l' intéressé que s' il ne peut pas démontrer qu' il serait pratiquement impossible ou excessivement difficile de prouver qu' il n' avait pas répercuté la taxe serait introduire une complication supplémentaire et de grandes difficultés dans les procédures juridiques . Les règles devraient rester simples, comme l' indique la deuxième phrase du point 14 des motifs dans l' arrêt San Giorgio .

L' article 13, paragraphe V, est un exemple clair d' une condition de preuve du genre de celles qui ont été condamnées dans l' arrêt San Giorgio . Le fait qu' il n' a spécifié aucune forme particulière de preuve n' y change rien puisque la décision de la Cour dans le passage cité est rédigée en termes généraux . Exiger une forme de preuve spécifique constitue une restriction additionnelle . Ce texte ne saurait pas non plus être absous par l' argument du gouvernement français selon lequel il pourrait
être reformulé en termes positifs . Dans son essence, la preuve demandée est la même . Il n' y a pas non plus de distinction nette à tirer, sur la base de l' arrêt San Giorgio, entre une économie de marché fondée sur la liberté de concurrence ( comme dans cette dernière affaire ) et un marché réglementé où les prix sont fixés par l' État ( comme en l' espèce ). La Cour s' est bornée à l' époque à attirer l' attention sur les questions particulièrement difficiles qui peuvent se poser dans une
économie de marché concurrentielle, mais elle n' a pas pour autant exclu d' autres types d' organisation économique du principe général qu' elle a énoncé . Ainsi que les parties demanderesses l' affirment, il peut être difficile dans une économie de marché réglementé au sens visé ci-dessus de montrer que la taxe en question a été répercutée dans le prix fixé pour la revente . Même si les taxes indirectes sont normalement répercutées, il ne nous semble pas que pour en obtenir le remboursement le
demandeur soit tenu de prouver qu' elles ne l' ont pas été dans des cas spécifiques . Le montant de la taxe, l' importance des ventes en cause, le nombre de transactions, la décision commerciale d' absorber la taxe ou de la répercuter varieront d' un cas à l' autre et la sécurité juridique exige, à notre avis, qu' une demande soit considérée comme recevable dès lors que les éléments essentiels de paiement d' une taxe indue sont affirmés et établis .

Une règle bien tranchée, comme dans la deuxième phrase du point 14 des motifs de l' arrêt San Giorgio, ne rend pas nulle la reconnaissance par la Cour du fait que les États membres peuvent refuser le remboursement lorsqu' il est établi que la taxe a été répercutée et que le remboursement entraînerait un enrichissement sans cause . Bien qu' il faille être très prudent lorsqu' une disposition refusant le remboursement de taxes illégales qui ont été répercutées semble avoir été adoptée en vue de
contourner les effets du droit communautaire, la juridiction nationale reste libre de constater un enrichissement sans cause si la taxe a été répercutée et qu' il n' y a pas eu de manque à gagner ( le chiffre d' affaires ayant diminué simplement en raison du fait que la taxe a été ajoutée au ou incluse dans le prix ).

Il nous semble du reste que, dans son action de mise en oeuvre des droits découlant de la législation communautaire, une juridiction nationale peut tenir compte d' un tel manque à gagner lorsqu' elle décide si des taxes illégales doivent être remboursées ou non . L' existence d' une action spécifique en indemnisation du manque à gagner est un facteur qui doit être pris en compte, mais qui n' est pas décisif, car l' introduction d' une telle demande supplémentaire constituera certainement une charge
nouvelle pour le demandeur, avec les dépenses et retards considérables qu' elle suppose .

Si le demandeur n' est pas tenu de montrer que la taxe n' a pas été répercutée, l' administration est-elle obligée de démontrer qu' elle a été répercutée et qu' il y a eu enrichissement sans cause? Il nous semble que si la charge initiale ne repose pas sur le demandeur, c' est à l' administration de soulever ce point et d' en faire la preuve si elle le peut . Elle peut cependant fonder l' hypothèse qu' il y a eu répercussion ou enrichissement sans cause sur des éléments de preuve suffisamment
concluants pour que le demandeur soit obligé d' en faire la réfutation . L' obligation de prouver peut donc, comme cela arrive souvent, incomber tour à tour à chacune des parties au cours de la procédure . Au bout du compte, la question est de savoir si l' ensemble des éléments de preuve disponibles permet de conclure que la taxe a été répercutée de sorte que, compte tenu de l' éventuel manque à gagner, le remboursement total ou partiel aboutirait à un enrichissement sans cause .

Dans la seconde branche de sa question, la juridiction de renvoi demande si la réponse peut être affectée par les trois facteurs suivants : l' effet rétroactif, la nature de la taxe en cause et le caractère du marché . Si une disposition comme la disposition litigieuse est contraire au droit communautaire, la rétroactivité ne peut à notre avis qu' aggraver cette infraction . La référence faite par la juridiction nationale à la nature de la taxe se rapporte peut-être à une distinction entre taxes
directes et indirectes . Dans un État membre dont les juridictions sont en droit de tenir compte de la répercussion d' une taxe par un opérateur sur des acheteurs du produit concerné, il est certes plus facile d' établir l' existence de la répercussion lorsque la taxe est perçue sur des marchandises que lorsqu' elle l' est sur l' opérateur; mais c' est là un point de fait qui relève de la compétence de la juridiction nationale et qui n' affecte pas les questions dont est saisie la Cour . Si la
juridiction de renvoi veut dire qu' on peut présumer que des taxes perçues sur des marchandises sont nécessairement répercutées sur les acheteurs, toute présomption de ce genre serait à notre avis manifestement contraire au droit communautaire ( voir le point 14 des motifs dans l' arrêt San Giorgio ). Par ailleurs, eu égard aux arguments invoqués, nous ne voyons pas en quoi la "nature de la taxe en cause" peut avoir une importance aux fins de la présente affaire . La jurisprudence de la Cour ne nous
donne aucune raison de distinguer entre taxes directes et taxes indirectes dans le présent contexte .

Pour les raisons que nous avons déjà données, le point de savoir si le marché concerné est concurrentiel, réglementé ou monopolistique, en tout ou en partie, n' affecte pas selon nous la réponse à la question visée dans la présente affaire . Sur un marché réglementé ( comme en l' occurrence, où les prix sont fixés par l' État ), l' opérateur n' a pas le choix du prix auquel il vend ses produits . Dans de telles circonstances, il sera à la rigueur plus facile que sur un marché concurrentiel d'
établir si une taxe a été répercutée sur les acheteurs . Ce sont là des problèmes de preuve qui relèvent de la compétence du juge du fond . Ils n' affectent en rien la réponse à la question qui se pose à la Cour dans la présente affaire, et qui est de savoir si un État membre peut instaurer une disposition relative à la répercussion en imposant à l' opérateur la charge d' une preuve négative . Il n' a pas été soutenu que la présente affaire concernerait un marché à caractère monopolistique . Nous
croyons que la question de savoir si le marché concerné est concurrentiel, réglementé ou monopolistique n' a aucune importance en l' espèce .

Partant, nous proposons de répondre comme suit à la question posée par la Cour de cassation française :

"Les États membres ne sont pas en droit d' adopter des dispositions qui subordonnent le remboursement de taxes nationales perçues en violation du droit communautaire à la preuve que ces taxes n' ont pas été répercutées sur les acheteurs des produits les ayant supportées, en rejetant la charge de cette preuve négative sur les seules personnes physiques ou morales qui sollicitent le remboursement .

Si une telle disposition est rétroactive, la violation du droit communautaire s' en trouve aggravée . Quant à la nature de la taxe en cause et au caractère concurrentiel, réglementé ou monopolistique du marché, ils n' ont aucune pertinence à cet égard ."

e

Il appartient à la juridiction nationale de statuer sur les dépens des parties à la procédure au principal . Les frais exposés par les gouvernements britannique, français et italien et par la Commission ne peuvent faire l' objet d' aucun remboursement .

(*) Traduit de l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 331/85,
Date de la décision : 29/09/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Répétition de l'indu - Preuve de la non-répercussion des taxes sur le prix des marchandises.

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Les Fils de Jules Bianco SA et J. Girard Fils SA
Défendeurs : Directeur général des douanes et droits indirects.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:391

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