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15/09/1987 | CJUE | N°136/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 15 septembre 1987., Bureau national interprofessionnel du cognac contre Yves Aubert., 15/09/1987, 136/86


Avis juridique important

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61986C0136

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 15 septembre 1987. - Bureau national interprofessionnel du cognac contre Yves Aubert. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Saintes - France. - Préjudicielle - Création de quotas de commercial

isation et de stockage ; compatibilité avec l'article 85 du traité CEE. -...

Avis juridique important

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61986C0136

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 15 septembre 1987. - Bureau national interprofessionnel du cognac contre Yves Aubert. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Saintes - France. - Préjudicielle - Création de quotas de commercialisation et de stockage ; compatibilité avec l'article 85 du traité CEE. - Affaire 136/86.
Recueil de jurisprudence 1987 page 04789

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le Bureau national interprofessionnel du cognac ( ci-après "BNIC ") a demandé la condamnation de M . Aubert, viticulteur, au paiement de la somme de 7*916,02 FF correspondant à la cotisation qui, selon le BNIC, est due par ce viticulteur pour dépassement, au cours de la campagne 1979/1980, du quota de commercialisation qu' il était tenu de respecter . M . Aubert estime que cette somme n' est pas due, au motif que le quota et la cotisation ayant ce quota pour assiette sont contraires au droit
communautaire, notamment à l' article 85 du traité CEE .

Comme on l' a indiqué à la Cour, il ne s' agit pas là d' un cas isolé . 465 viticulteurs ont refusé de payer ladite cotisation . Un des tribunaux d' instance de la région de Cognac a fait droit à la demande du BNIC; cinq de ces tribunaux ont considéré que la cotisation n' était pas due, cela pour des raisons similaires à celles invoquées par M . Aubert . Le tribunal d' instance de Saintes, qui a été saisi de la demande visant M . Aubert, a déféré à la Cour, conformément à l' article 177 du traité
CEE, les deux questions suivantes :

"1 ) Les dispositions tendant à créer des quotas de production se décomposant en quota de commercialisation et quota de stockage, dans la mesure où elles tendent à limiter la production d' un produit pour maintenir la qualité dudit produit, sont-elles compatibles avec les dispositions de l' article 85 du traité de Rome?

2 ) Si non, une cotisation ayant pour assiette un tel quota est-elle compatible avec les mêmes dispositions du traité de Rome?"

Les données de cette affaire, qui revêt manifestement une importance considérable pour le BNIC ainsi que pour les viticulteurs et négociants de la région de Cognac, sont les suivantes .

Le BNIC est une organisation interprofessionnelle en matière de vins et d' eaux-de-vie de cognac, créée par arrêté ministériel du 5 janvier 1941 . Cet arrêté a ensuite été modifié à plusieurs reprises . Selon l' article 1 de l' arrêté ministériel du 14 novembre 1960, remplacé par les dispositions de l' article 1 d' un arrêté du 18 février 1975, le BNIC est composé de personnalités représentant la viticulture et le commerce, de délégués des viticulteurs et négociants, et de délégués de certaines
activités annexes . Bien que les délégués soient proposés par leurs organisations professionnelles respectives, tous les membres du BNIC sont nommés par le ministre de l' Agriculture . Certains fonctionnaires sont chargés par l' État d' assister aux assemblées du BNIC, auxquelles ils peuvent participer avec un rôle consultatif . Les délibérations du BNIC sont présidées par une personne nommée par le ministre de l' Agriculture, lequel nomme aussi un commissaire du gouvernement ( ci-après "commissaire
"). L' article 4 de l' arrêté de 1960 prévoit que le commissaire assiste aux assemblées du BNIC et de sa commission permanente . Il peut soit donner son acquiescement aux décisions prises, soit les soumettre à l' agrément du ministre . Aucune disposition de cet article ne l' habilite à prendre d' autres formes de décisions .

En vertu de la loi n°*75-600 du 10 juillet 1975, telle que modifiée par la loi n°*80-502 du 4 juillet 1980, les accords conclus dans le cadre d' organisations interprofessionnelles reconnues telles que le BNIC peuvent ( lorsqu' ils tendent à favoriser, par exemple, la qualité des produits, la vente de ceux-ci et la mise en oeuvre, sous le contrôle de l' État, de règles de mise en marché, de prix et de conditions de paiement ) être étendus par le ministre, de sorte qu' ils s' appliquent, dans la zone
de production en question, à tous les membres des professions constituant l' organisation interprofessionnelle . Selon l' article 3 de cette loi, ces organisations sont habilitées à prélever, sur tous les membres des professions les constituant, une cotisation résultant des accords ainsi étendus .

Pour la conclusion de ces accords, le règlement intérieur du BNIC, adopté le 19 juin 1978, prévoit la procédure suivante : a ) des négociations internes ont lieu entre les membres de chacune des deux "familles", viticulture et négoce, et sont suivies d' une assemblée de chacune d' entre elles; b ) un projet d' accord ou une proposition sont préparés, puis soumis à l' assemblée plénière ordinaire du BNIC; c ) avec l' accord des trois quarts des membres de cette assemblée, une assemblée plénière
extraordinaire est convoquée pour délibérer sur le projet d' accord et entendre le rapport de chaque famille sur la position qu' elle a adoptée; d ) si les deux familles s' entendent sur une position commune, l' assemblée plénière extraordinaire demande au ministre l' extension de l' accord .

Selon la juridiction de renvoi, une assemblée plénière du BNIC a eu lieu le 18 octobre 1979 . Le procès-verbal de l' assemblée plénière ordinaire montre que la commission production du BNIC a discuté un projet relatif à la campagne 1979/1980, projet rédigé par le directeur du BNIC ( lequel est un salarié du BNIC ). Des discussions ont eu lieu avec les fonctionnaires du ministère et, semble-t-il, avec le commissaire . Le projet proposait : un rendement maximal de 10 hl d' alcool pur par ha, un quota
commercialisable de 4,5 hl d' alcool pur par ha ( avec un ajustement en faveur des jeunes viticulteurs ou des viticulteurs nouvellement installés ), un quota de stockage du cognac variable en fonction du produit considéré, ainsi qu' un plafond de commercialisation de 8,5 hl par ha en Grande Champagne et de 8 hl par ha dans les autres crus . Pour chaque hectolitre d' alcool pur au-delà de la quantité de 4,5 hl ( ou de la quantité applicable aux jeunes et nouveaux viticulteurs ), il était prévu de
prélever une cotisation ( dite "cotisation financière ") de 300 FF par hl dans la limite du plafond de commercialisation . Le dépassement de ce plafond devait être passible d' une "sanction" de 3*000 FF par hl d' alcool pur commercialisé, et toute production excédant le rendement maximal, d' une "sanction" de 1*500 FF par hl . Le commissaire a donné son approbation pour l' ensemble des propositions à l' exception du rendement maximal de 10 hl par ha, chiffre qui a néanmoins été maintenu par l'
assemblée plénière ordinaire .

Le dossier a ensuite été soumis à l' assemblée plénière extraordinaire, après que les familles eurent exprimé, dans leur rapport, leur accord sur le projet . Le commissaire a proposé de remplacer le terme "sanction" par le terme "cotisation ". Il a été décidé que l' accord serait signé par les chefs des familles et par le directeur après que le commissaire aurait signé sa décision pour la campagne, dans la mesure où les dispositions approuvées, et que nous venons de résumer, ne subiraient pas de
modifications autres que de rédaction .

Le 29 octobre 1979, le commissaire a arrêté sa décision fixant le rendement maximal à 10 hl d' alcool pur par ha et établissant un quota de production composé d' un quota commercialisable de 4,5 hl d' alcool pur par ha et d' un quota stockable reprenant, pour les divers types de cognac, les quantités qui avaient été proposées dans le projet approuvé par l' assemblée . L' article 9 de sa décision prévoyait ce qui suit : "A titre exceptionnel, et pour la seule campagne 1979/1980, il est institué une
cotisation professionnelle destinée à contribuer au financement des mesures d' organisation du marché des vins et eaux-de-vie de cognac et, notamment, à l' étude et à la recherche de débouchés ( autres que le cognac et le pineau des Charentes ) pour les moûts et vins issus du vignoble blanc spécialisé de la région délimitée cognac ." La cotisation devait être de 300 FF par hl d' alcool pur pour toute commercialisation excédant 4,5 hl d' alcool pur par ha, ou les quantités applicables aux jeunes ou
aux nouveaux viticulteurs, dans la limite d' un plafond de 8 hl par ha ou de 8,5 hl par ha pour la Grande Champagne . Tout dépassement devait être passible d' une cotisation supplémentaire de 3*000 FF par hl d' alcool pur .

Selon l' article 10 de cette décision, les ressources ainsi obtenues devaient être utilisées pour verser 300 FF par hl d' alcool pur aux viticulteurs n' ayant pas eu la possibilité de vendre leur quota commercialisable et ayant renoncé à le produire en cognac . Le reliquat devait être affecté à une caisse destinée à financer les actions visées à l' article*9 .

Le 23 novembre 1979, le BNIC a adopté un accord interprofessionnel selon lequel il était convenu, "conformément à l' article 9 de la décision du commissaire du gouvernement", qu' une cotisation serait prélevée pour la même période, selon la même assiette, aux mêmes taux et aux mêmes fins que la cotisation prévue dans la décision . Selon l' article 5 de cet accord, "le BNIC est chargé de l' assiette, du recouvrement et de la comptabilisation des opérations résultant de l' application des articles
ci-dessus ".

L' accord interprofessionnel a été étendu à tous les professionnels concernés de la région par un arrêté ministériel du 2 janvier 1980, pris conformément à la loi n°*75-600, du 10 juillet 1975 .

Bien que M . Aubert s' attache principalement à refuser le versement de la cotisation, le libellé de l' ordonnance de renvoi semble indiquer qu' il conteste, devant la juridiction nationale, aussi bien la légalité des quotas de commercialisation et de stockage que la légalité de la cotisation; les questions posées par le tribunal portent en effet sur ces deux aspects .

Il n' est pas contesté, semble-t-il, que l' action engagée contre M . Aubert vise uniquement la cotisation de 300 FF par hl : aucune demande n' a été formulée en ce qui concerne les "sanctions", c' est-à-dire les cotisations supplémentaires de 3*000 FF ou de 1*500 FF . La cotisation est prétendument destinée à réunir des fonds en vue de maintenir la qualité, mais le tribunal d' instance a établi qu' elle servait pour un cinquième à verser un complément de prix à certains viticulteurs .

La première question posée par la juridiction nationale a pour objet de savoir si le fait que la production d' un produit ait été limitée dans l' intention de maintenir la qualité dudit produit est suffisant pour rendre un accord compatible avec l' article 85; la seconde vise à savoir si la cotisation fondée sur des dispositions incompatibles avec le traité ( c' est-à-dire sur des dispositions que l' intention de maintenir la qualité ne suffirait pas à faire échapper à l' interdiction prévue par l'
article en question ) est elle-même incompatible avec le traité . Ces questions ont cependant été abordées en considérant qu' elles posaient d' autres problèmes sous-jacents aux questions posées .

Le BNIC a décrit les difficultés rencontrées par les viticulteurs et les négociants dans la région de Cognac à la suite d' un accroissement considérable, entre 1972 et 1977, de la superficie agricole affectée à la production de vin blanc utilisé pour le cognac ainsi qu' à la suite de la chute ou de la stagnation des ventes et de l' existence d' une surproduction, situation ayant entraîné l' institution de quotas pour la campagne 1975/1976 et d' une cotisation pour la campagne 1979/1980 . Le BNIC
prétend qu' une diversification était nécessaire pour protéger les nombreuses personnes dont l' activité est consacrée ou liée à la production et à la commercialisation d' un produit qui revêt une grande importance pour l' économie de la région .

Il se peut que ces difficultés expliquent ce qui a été fait, mais elles ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour soustraire à l' application de l' article 85 du traité un comportement qui, sans cela, relèverait de cet article .

Le BNIC soutient ensuite que l' article 85, paragraphe 1, n' est pas applicable à l' accord en question, dans la mesure où celui-ci visait des vins et des moûts destinés à la distillation . Ces produits sont des produits agricoles au sens de l' article 38, paragraphe 1, et de l' annexe II du traité . En vertu de l' article 42 du traité, l' article 85 ne leur est applicable que dans la mesure déterminée par le Conseil . L' article 2 du règlement n°*26 du Conseil portant application de certaines
règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles ( JO 30 du 20.4.1962, p.*993 ) exclut les accords, décisions et pratiques qui font partie intégrante d' une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l' article 39 du traité . Le présent accord interprofessionnel aurait donc trait à un produit agricole ( le vin et le moût ) et s' inscrirait dans le cadre d' une organisation nationale de marché; la cotisation aurait pour
finalité d' aider l' organisation à réaliser les objectifs énoncés à l' article 39, dans la mesure où elle serait destinée à financer un programme d' étude et de recherche de débouchés nouveaux . Le quota de commercialisation ne serait rien de plus qu' un élément de référence pour déterminer l' assiette de la cotisation .

Cette argumentation ne nous paraît pas devoir être retenue . Il est constant que l' accord interprofessionnel et la décision du commissaire de 1979, tout comme la décision du commissaire de 1976 instituant les quotas, visaient les eaux-de-vie autorisées à porter l' appellation d' origine contrôlée "cognac ". Aussi bien les quotas que les cotisations se rapportaient à des eaux-de-vie qui, à l' annexe II du traité, sont expressément exclues de la catégorie des produits agricoles . Le fait que le
produit de ces cotisations soit destiné en partie au financement d' une étude de débouchés pour le vin et le moût de la région de Cognac ne change rien à cette situation . Par conséquent, l' objet de l' accord en question entre bien dans le champ d' application de l' article 85 du traité .

En tout état de cause, comme le tribunal d' instance semble l' avoir relevé et comme le soutient la Commission, la partie de la cotisation utilisée pour verser un supplément de prix à certains producteurs était incompatible avec les règles de prix adoptées au titre de l' organisation commune des marchés dans le domaine du vin .

L' article 85 prévoit expressément que sont interdits les accords entre entreprises ou associations d' entreprises et les pratiques concertées qui limitent ou contrôlent la production et les débouchés, et qui sont susceptibles d' affecter le commerce entre États membres et ont pour objet ou pour effet d' empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l' intérieur du marché commun .

Un accord adoptant des quotas tels que ceux qui sont prévus en l' espèce, accompagnés d' une cotisation "ayant pour assiette" ces quotas ( comme le précise l' ordonnance de renvoi ) et exigible en cas de dépassement desdits quotas, entre manifestement, selon nous, dans le champ d' application de cet article . L' objectif principal semble avoir été de limiter les quantités offertes sur le marché et de soutenir les prix . Au vu du dossier, il paraît moins clair que l' intention ait été également de
maintenir la qualité, encore que cette question relève de l' appréciation de la juridiction nationale . Toutefois, même si l' objectif des dispositions visées est de limiter la production en vue de maintenir la qualité, cela ne suffit pas en soi à soustraire ces dispositions à l' application de l' article 85, paragraphe 1 . Cela aurait pu justifier l' octroi par la Commission d' une exemption au titre de l' article 85, paragraphe 3, mais, en l' espèce, les dispositions adoptées n' ont pas été
notifiées et l' exemption n' a pas été demandée à la Commission . Il est possible, par ailleurs, comme le fait remarquer la Commission, qu' un accord instituant des quotas de production et une cotisation ait peu de chances de bénéficier d' une exemption au titre de l' article 85, paragraphe 3, même si son objectif était de maintenir la qualité .

Un système de quotas de ce type, visant des eaux-de-vie destinées à la fabrication du cognac, produit faisant l' objet de nombreuses exportations vers les autres États membres, est manifestement susceptible d' affecter le commerce entre États membres et de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, même si les eaux-de-vie ne sont pas elles-mêmes exportées vers les États membres ( affaire 123/83, BNIC/Clair, Rec . 1985, p.*391 ).

Nous estimons donc que l' institution des quotas et de la cotisation peut tomber sous le coup de l' article 85, paragraphe 1, s' il y a eu accord ou pratique concertée au sens de cet article .

Le BNIC soutient que les dispositions du type visé n' entraient pas dans le champ d' application de l' article 85, paragraphe 1, puisqu' il n' y avait ni accord entre entreprises ou associations d' entreprises ni pratique concertée . L' accord interprofessionnel émanerait, selon lui, d' un organisme de droit public à caractère paraadministratif, et il aurait sa source dans le pouvoir réglementaire exercé par le commissaire . Le BNIC s' abstient toutefois de présenter une argumentation détaillée sur
ce point et s' en remet à la décision de la Cour .

Le tribunal d' instance expose ce qui suit : "Il y a lieu de remarquer que la fixation de ces quotas est une décision du commissaire du gouvernement et non, comme dans le cas de la fixation d' un prix minimum d' achat des eaux-de-vie de cognac, un simple accord interprofessionnel ayant été étendu par un arrêté interministériel ;*... c' est la finalité de la cotisation qui a été précisée dans un accord interprofessionnel du 31 décembre 1980 ( sic; il s' agit, semble-t-il, du 23 novembre 1979 ) et
étendu par un arrêté interministériel du 2 janvier 1980 ." Le tribunal poursuit en se demandant si la fixation d' un quota de production, de commercialisation et de stockage ne doit pas être considérée comme une pratique concertée, même si cette mesure a été prise dans le but d' améliorer la production et de conserver la qualité du produit, ce qui pourrait rendre inapplicable l' article 85, paragraphe 1, au quota de production, cela en vertu du paragraphe 3 du même article . Le tribunal paraît donc
avoir considéré qu' il y a eu pratique concertée, mais que les quotas ont été établis par le commissaire .

Il y a lieu de remarquer, toutefois, que l' article 4 de l' arrêté de 1960 dispose que le commissaire peut soit donner son acquiescement aux "décisions" prises, soit les soumettre à l' agrément du ministre . Cela suppose que la procédure commence par une "décision" du BNIC . Si le commissaire l' approuve ( sans la transmettre directement au ministre ) l' accord interprofessionnel est signé, puis "étendu" par le ministre ( ce qui lui confère un effet obligatoire pour tous les membres des professions
visées dans la région ). Aucune autre disposition du droit français n' a été invoquée en vue de démontrer que le commissaire dispose d' autres pouvoirs autonomes .

En l' espèce, bien que la décision du commissaire se réfère aux "délibérations" de l' assemblée plénière du 18 octobre 1979 ( et non à une "décision" prise ), il nous paraît que, si le procès-verbal de l' assemblée est exact, le tribunal d' instance a la possibilité de considérer qu' il y a eu accord, au sein du BNIC, entre les deux familles quant à la nécessité d' adopter les quotas et la cotisation . Un accord de ce type, s' il ne devait pas être soumis à l' approbation du commissaire,
constituerait manifestement, à notre avis, un accord ou une pratique concertée au sens de l' article 85 . Il est indiscutable que des négociations ont eu lieu avec les services du gouvernement et, semble-t-il, avec le commissaire ou ses adjoints, mais ces négociations n' empêchent pas qu' il y a eu accord, à moins que le tribunal ne considère, contrairement à ce qui ressort du procès-verbal, que l' accord a été imposé au BNIC .

Il se peut qu' il faille considérer cet accord comme adopté sous réserve de l' approbation du commissaire, de sorte qu' il n' aurait pas eu, en fin de compte, valeur obligatoire . La réalité est toutefois, si le procès-verbal est exact, que le projet a été élaboré par le BNIC . Les propositions ont été formulées par ses membres . La commission production et le directeur du BNIC ont respectivement préparé et rédigé le projet . L' assemblée a précisé que ses représentants ne signeraient pas l' accord
si le commissaire apportait aux articles visés des modifications autres que de rédaction .

Le commissaire a donné, dans sa "décision", son acquiescement à ce qui avait été convenu lors de l' assemblée . L' accord interprofessionnel a ensuite été signé et daté du 23 novembre 1979 - les termes retenus étant, pour l' essentiel, ceux qui avaient été adoptés lors de l' assemblée et approuvés dans la "décision ".

Un accord interprofessionnel de ce type constitue un accord entre entreprises ou associations d' entreprises entrant dans le champ d' application de l' article 85 du traité CEE ( voir arrêt de la Cour dans l' affaire BNIC/Clair, précité, attendus 19 et*20 ). L' adoption par le ministre d' une mesure rendant l' accord obligatoire pour tous les membres des professions concernées, même non-parties à cet accord, ne saurait soustraire celui-ci à l' application de l' article 85, paragraphe 1 ( attendu 23
de cet arrêt ).

On prétend toutefois qu' il existe une distinction entre les quotas et les cotisations, les uns ayant été fixés par le commissaire ( et non par le BNIC dans l' accord interprofessionnel ), et les autres ayant été instituées par l' accord, puisque seul le BNIC, et non le commissaire, avait le pouvoir d' instituer de telles cotisations .

Il est possible de dire qu' il existe une différence de forme, puisque c' est l' accord, à première vue, qui établit la cotisation . Cependant, la décision précise que la cotisation "est instituée" et "sera exigible" dans les conditions indiquées . L' accord expose que, conformément à l' article 9 de la décision du commissaire, "il est créé une cotisation", et cette cotisation est instituée par renvoi exprès aux quotas fixés par la décision . L' accord approuve et reprend, dans son texte, les
chiffres du rendement maximal et des quotas commercialisables figurant dans la décision . La seule disposition supplémentaire concerne le fonctionnement du système - le BNIC est chargé de l' assiette, du recouvrement et de la comptabilisation des opérations .

L' examen des documents ne permet donc pas, semble-t-il, de conclure que le BNIC, dans l' accord interprofessionnel, n' a pas établi les quotas, mais seulement les cotisations . La juridiction de renvoi serait, dès lors, en droit de considérer que c' est le BNIC qui a été à l' origine des deux mesures et qui les a adoptées dans ledit accord .

Compte tenu de ce qui précède, toutes les conditions de l' application de l' article 85 sont, à notre avis, remplies . Il y a eu accord entre entreprises ou associations d' entreprises, limitant ou contrôlant la production et les débouchés, susceptible d' affecter le commerce entre États membres et ayant eu pour objet ou pour effet d' empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l' intérieur du marché commun . La réponse aux deux questions est donc négative .

A supposer que nous ayons considéré que le BNIC était fondé à dire que lui seul pouvait fixer, et qu' il a, de fait, fixé la cotisation, mais que le commissaire pouvait fixer et a fixé les quotas, l' institution de la cotisation était, en ce cas, contraire à l' article 85 du traité .

L' ordonnance de renvoi ne mentionne pas l' article 5 du traité . On a cependant beaucoup discuté sur la question de savoir si, à supposer que le rôle du BNIC ait été réduit au minimum et que ce soit l' État qui ait pris l' initiative des quotas et de la cotisation et qui les ait approuvés, il n' y avait pas eu violation par la France des dispositions combinées des articles 5 et 85 du traité . Le Royaume-Uni est intervenu pour suggérer que c' était là l' occasion pour la Cour de faire la lumière sur
la relation existant entre les deux articles ainsi que sur l' étendue des obligations découlant de ceux-ci pour les États . La Commission soutient qu' une mesure étatique favorisant ou encourageant la conclusion d' un accord contraire à l' article 85, paragraphe 1, et ne pouvant bénéficier de l' exemption prévue à l' article 85, paragraphe 3, porte atteinte à l' effet utile de l' article 85 et se trouve donc en contradiction avec le traité .

Il ne semble pas qu' il y ait lieu de procéder en l' espèce à un éclaircissement général de la portée des dispositions combinées des articles 5 et 85 . La Cour a déjà indiqué que l' article 85 se rapporte aux activités des entreprises et non aux lois ou règlements des États membres . Par conséquent, lorsque les États membres, et les États membres seuls, imposent des prix ou instituent des restrictions à la production ou à la commercialisation, les lois et règlements qu' ils édictent n' entrent pas
dans le champ d' application de l' article 85 . En revanche, le traité impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d' éliminer l' effet utile de l' article 85 . "Tel est notamment le cas si un État membre impose ou favorise la conclusion d' ententes contraires à l' article 85 ou en renforce les effets" ( arrêt du 30 avril 1986 dans les affaires jointes 209 à 213/84, Ministère public/Asjes, Rec . p.*1425 ). Tel est le cas, comme le fait remarquer le
Royaume-uni, lorsque le gouvernement édicte des règles qui soit obligent, soit encouragent les producteurs à aligner leur comportement ou, par un accord, à fixer des prix ou des quotas . Il peut, certes, se produire que des gouvernements, dans un but économique et à la suite d' un accord ou d' une consultation avec les professions concernées, imposent des prix ou instituent des quotas, ce qui peut donner lieu à des problèmes complexes . Mais chaque affaire doit être examinée sur la base de ses
propres faits .

Si la juridiction nationale considérait en l' espèce que la décision du commissaire ou l' arrêté ministériel n' ont fait que conférer une forme officielle à un accord déjà conclu par le BNIC, lequel avait lui-même agi en violation de l' article 85, alors il serait établi, selon nous, qu' il y a eu violation des dispositions combinées des articles 5 et 85 du traité . Le comportement de l' État renforcerait les effets de cet accord interdit . Si la juridiction nationale considérait que l' initiative
prise et l' influence exercée par le BNIC pour obtenir la décision du commissaire et l' arrêté ministériel ont revêtu un caractère prédominant ou décisif et que, même en faisant davantage que conférer une forme officielle aux souhaits du BNIC, le commissaire et le ministre ont adopté pour l' essentiel lesdits souhaits, puisque le BNIC leur a donné son approbation, alors il y aurait également violation des articles 5 et 85 dans cette affaire . L' État donnerait ainsi son accord ou, au moins,
conférerait une force supplémentaire aux effets de l' accord interdit . La conclusion serait la même, à notre avis, si la juridiction nationale estimait que le commissaire a contraint ou persuadé le BNIC d' adopter l' accord ou de mettre en oeuvre une pratique elle-même contraire à l' article 85 .

Il semble impossible de dire, au vu des faits établis par l' ordonnance de renvoi, considérés à la lumière des documents auxquels celle-ci se réfère et du procès-verbal des assemblées, qu' il n' y a eu dans cette affaire ni a ) un accord ou une pratique concertée entrant dans le champ d' application de l' article 85, ni b ) un acte de l' État imposant la conclusion ou renforçant les effets d' un accord relevant de l' article 85, mais seulement une décision du gouvernement ayant valeur obligatoire
pour les professions concernées, décision procédant d' une politique de l' État échappant à la fois à l' article 5 et à l' article 85 .

Ces questions supposent toutes, à des degrés divers, une appréciation des faits incombant à la juridiction nationale, mais si l' on s' en tient à l' opinion que nous avons exprimée, selon laquelle il y a eu, en l' espèce, un accord interdit par l' article 85, ces questions ne se posent pas . La fixation des quotas et de la cotisation est interdite en tout état de cause .

Nous estimons donc qu' il y a lieu de répondre, à titre préjudiciel, aux questions déférées à la Cour qu' un accord interprofessionnel instituant une cotisation exigible en cas de dépassement d' un quota de commercialisation et d' un quota de stockage, même dans la mesure où ces quotas tendent à limiter la production d' un produit en vue de maintenir sa qualité, est interdit par l' article 85, paragraphe 1, du traité CEE .

Il appartient à la juridiction de renvoi de statuer sur les dépens dans l' affaire au principal . Les frais exposés par la Commission et par le Royaume-Uni ne peuvent pas faire l' objet d' un remboursement .

(*) Traduit de l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 136/86
Date de la décision : 15/09/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Saintes - France.

Préjudicielle - Création de quotas de commercialisation et de stockage ; compatibilité avec l'article 85 du traité CEE.

Ententes

Concurrence

Pratiques concertées


Parties
Demandeurs : Bureau national interprofessionnel du cognac
Défendeurs : Yves Aubert.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:364

Source

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