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02/07/1987 | CJUE | N°140/86

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 2 juillet 1987., Gisela Strack contre Commission des Communautés européennes., 02/07/1987, 140/86


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 2 juillet 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Objet et délimitation du litige

1. Le présent litige s'inscrit dans le cadre de la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle, telle qu'elle est organisée par les articles 17 et suivants de la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après « réglementation »), prise pour l'applic

ation des dispositions de l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, relati...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 2 juillet 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Objet et délimitation du litige

1. Le présent litige s'inscrit dans le cadre de la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle, telle qu'elle est organisée par les articles 17 et suivants de la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après « réglementation »), prise pour l'application des dispositions de l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, relatif aux prestations garanties en pareil
cas. Cette procédure s'articule autour de deux, le cas échéant trois phases successives.

2. Au cours de la première, l'administration de l'institution dont relève le fonctionnaire qui l'a saisie d'une déclaration demandant le bénéfice de la réglementation pour cause de maladie professionnelle procède tout d'abord à une enquête « en vue de recueillir tous les éléments permettant d'établir la nature de l'affection, son origine professionnelle ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s'est produite » ( 1 ). Sur la base du rapport d'enquête, le ou les médecins désignés par
l'institution présentent leurs conclusions ( 2 ), à partir desquelles l'administration va forger sa position.

3. La deuxième phase permet à l'intéressé de prendre connaissance des motifs de la décision qu'envisage de prendre l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après « AIPN »). En effet, cette dernière, avant de prendre une décision définitive, en « notifie ... le projet ..., accompagné des conclusions du ou des médecins désignés par l'institution » ( 3 ). Le fonctionnaire ou ses ayants droit se voient, au surplus, reconnaître la faculté de « demander que le rapport médical complet soit transmis
au médecin de leur choix » ( 4 ).

4. Enfin, une troisième phase peut s'ouvrir si l'intéressé demande, « dans un délai de soixante jours, ... que la commission médicale prévue à l'article 23 donne son avis » ( 5 ).

5. A l'issue de cette procédure, « sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par les institutions » et, le cas échéant, après consultation de la commission médicale, l'AIPN prend la décision relative à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie ( 6 ).

6. En l'occurrence, le différend se situe dans la deuxième phase. Dans le cadre de la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle entamée par son époux aujourd'hui décédé, Mme Strack, après avoir constaté l'existence de lacunes dans le dossier individuel de son mari, a formellement demandé à la Commission, par lettre du 24 mai 1985, confirmée ultérieurement, de pouvoir consulter personnellement le dossier individuel complet le concernant, en particulier les pièces relatives à l'accident
de contamination dont il avait été victime en 1970, ainsi que les résultats des expertises et examens médicaux y afférents. La Commission, qui avait adressé un projet de décision négative à l'intéressée le 13 juin 1985, n'a pas fait droit à cette demande. Par ses lettres des 2 et 30 juillet 1985, elle a considéré que, conformément à l'article 26 du statut, le dossier individuel de M. Strack était accessible à son épouse et que les pièces à caractère médical, dont font partie intégrante celles
relatives à l'irradiation qu'il avait subie, pouvaient être communiquées, conformément à la réglementation, à un médecin choisi par la requérante, désignation à laquelle cette dernière a procédé le 31 juillet 1985.

7. C'est contre ce refus, tel qu'il résulterait des lettres précitées de la Commission, que Mme Strack dirige son recours. Il ressort du dossier que l'objet de la présente instance vise à faire reconnaître, en vertu des dispositions de l'article 26 du statut, la possibilité, pour l'ayant droit d'un fonctionnaire décédé, dans le cadre de la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle, après communication du projet de décision par l'AIPN et avant même la désignation du médecin de confiance,
d'accéder personnellement et directement au dossier individuel complet du de cujus. Il s'agit donc de déterminer, d'une part, si l'ensemble des données relatives à un fonctionnaire, quelle que soit leur nature, doivent figurer exclusivement dans le dossier individuel visé par l'article 26 du sutut, qui précise qu'« il ne peut être ouvert qu'un dossier pour chaque fonctionnaire », d'autre part, en cas de réponse négative, si les informations médicales sont accessibles directement ou dans les
seules conditions fixées par l'article 21 de la réglementation. Nous envisagerons successivement ces deux questions.

II — Quant au dossier individuel au sens de l'article 26 du sutut

8. Si, selon la lettre même de l'article 26, il ne doit exister qu'un dossier par fonctionnaire, ce principe d'unicité n'exclut pas, contrairement à ce que soutient la requérante, que, non seulement pour des raisons de gestion administrative, mais, et c'est là l'essentiel, pour des motifs déontologiques, les données ayant trait à la santé d'un fonctionnaire fassent l'objet, eu égard à leur spécificité, d'un traitement distinct.

9. L'article 26 pose le principe selon lequel

« le dossier individuel du fonctionnaire doit contenir:

a) toutes pièces intéressant sa situation administrative et tous rapports concernant sa compétence, son rendement ou son comportement;

b) les observations formulées par le fonctionnaire à l'égard desdites pièces ».

Les « rapports » concernent la manière de servir de l'agent et fondent les décisions en matière d'avancement prises par l'AIPN sur la base des articles 43 et 45 du statut. Quant aux autres pièces, leur définition nous paraît suffisamment large pour englober tout document, émanant de l'administration ou de l'intéressé, établi, comme les précédents, conformément aux dispositions du statut.

On ne saurait, en effet, concevoir restrictivement le contenu du dossier individuel en le limitant aux seules pièces affectant la carrière de l'intéressé, telle que décrite au titre III du statut. Tout document qui trouve sa source dans l'application d'une disposition statutaire, quelle que soit l'autorité dont il émane, doit en faire partie, dès lors qu'il peut intéresser et, le cas échéant, affecter sa situation administrative et sa carrière ( 7 ).

Cette conception extensive s'impose tout particulièrement à l'administration en raison de la règle posée par l'article 26, qui dispose que

« l'institution ne peut opposer à un fonctionnaire ni alléguer contre lui des pièces visées sous a) ci-dessus, si elles ne lui ont pas été communiquées avant classement »

en sorte que le fonctionnaire puisse, conformément à l'article 26, sous b), présenter à cet égard ses observations. Cette règle, qui procède du principe du contradictoire ( 8 ), doit, en effet, conduire l'administration à concevoir largement le contenu du dossier individuel. L'intéressé, qui a librement accès au dossier, pourrait tirer parti contre l'administration de toute pièce, même non communiquée, dont il viendrait ainsi à avoir connaissance.

10. Étant donné le caractère extensif du champ d'application de l'article 26, on doit se demander si les pièces médicales relatives à un fonctionnaire, établies conformément au statut par le service compétent de l'institution, telles que celles afférentes à la visite médicale obligatoire imposée avant recrutement ( 9 ), ne doivent pas, comme le soutient la requérante, faire partie intégrante du dossier individuel. Le silence, sur ce point, de l'article 26 et la place de cette disposition dans le
statut, où il figure au titre II consacré aux « droits et obligations du fonctionnaire », qui renvoie nécessairement aux titres suivants, vont, à première vue, dans ce sens. On ne saurait, à cet égard, se fonder sur une interprétation littérale des dispositions de l'article 26 pour isoler les pièces « intéressant (la) situation administrative » du fonctionnaire des autres documents, à caractère médical. Les constatations relatives à la santé d'un agent peuvent évidemment avoir une répercussion
sur sa situation administrative: on ne peut cantonner le dossier individuel aux seuls documents de nature strictement administrative ( 10 ). Deux observations confortent cette démarche:

— la confidentialité qui s'attache aux informations figurant dans le dossier individuel est expressément garantie par l'article 26, selon lequel « le dossier individuel a un caractère confidentiel et ne peut être consulté que dans les bureaux de l'administration »;

— l'unicité du dossier qui résulte de ce que, selon la même disposition, « il ne peut être ouvert qu'un dossier pour chaque fonctionnaire ».

11. L'unicité connaît néanmoins un tempérament résultant des exigences relatives au secret médical. Ainsi que le relève l'avocat général M. Capotorti dans ses conclusions sous votre arrêt 155/78, Mademoiselle M.,

« le secret médical tend à protéger essentiellement l'intérêt du malade »,

sa finalité étant

« d'éviter que celui qui a besoin de soins ne renonce à demander l'assistance du médecin par crainte que celui-ci ne révèle à des tiers des faits qu'il a appris à l'occasion de la visite et d'éviter, en outre, que la révélation au patient de ses conditions de santé ne perturbe son état de santé et ne lui cause préjudice » ( 11 ).

La confidentialité spécifique qui s'attache aux données concernant l'état de santé d'un fonctionnaire s'oppose d'abord à l'AIPN elle-même. On en veut pour preuve que, même dans le cadre de la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle, l'article 21 de la réglementation ne prévoit qu'un accès limité de l'AIPN aux appréciations médicales puisque celle-ci ne se voit remettre que les conclusions de ses médecins-conseils, et non « le rapport médical complet» qui en est la base. Comme le
relève M. Capotorti, le secret médical peut parfois jouer envers le patient lui-même, le médecin de l'institution pouvant préférer conserver une certaine discrétion s'il estime que la santé de l'intéressé risquerait d'être altérée par la connaissance de tous les éléments médicaux le concernant. Dans ces conditions, le caractère confidentiel, tel que garanti par l'article 26, ne suffit pas à assurer une protection suffisante du secret médical. Ce dernier impose donc que l'administration et
l'agent n'aient pas un accès direct aux informations qu'il protège. La garantie la plus sûre du respect du secret médical réside, en définitive, dans la dissociation aussi bien organique — traitement des informations par le service médical — que matérielle — constitution d'un « sous-dossier» médical au sein du dossier individuel — des informations à caractère médical et administratif.

12. Contrairement à la requérante, il faut donc considérer que la règle de l'unicité du dossier individuel ne s'oppose pas au traitement séparé des pièces à caractère médical qui le composent, la tenue d'un dossier médical propre à chaque fonctionnaire, pour des raisons déontologiques tirées de la portée du secret médical, constituant non seulement un droit, mais un devoir pour les institutions. C'est donc à juste titre et dans l'intérêt même des agents de la CEEA que la Commission a abandonné, à
partir de 1968, la pratique consistant à rassembler indistinctement l'ensemble des documents médicaux et administratifs les concernant. Si l'on peut regretter que le dossier individuel de M. Strack n'ait pas mentionné que les pièces médicales faisaient l'objet d'un dossier séparé, ce qui aurait contribué à éclairer la requérante, on ne saurait reprocher à l'AIPN le principe d'un traitement distinct, dès lors qu'il s'explique par la portée du secret en cause. Il n'en reste pas moins que,
conformément à la règle explicitement posée par l'article 26,

« tout fonctionnaire a le droit, même après cessation de ses fonctions, de prendre connaissance de l'ensemble des pièces figurant à son dossier ».

On est donc, avec la requérante, en droit de se demander si cette règle doit, s'agissant des informations d'ordre médical, connaître, pour le fonctionnaire lui-même, une certaine modulation. C'est ici poser la seconde question que soulève le litige, celle des modalités d'accès par un agent à son propre dossier médical.

III — Quant à l'accès aux données médicales

13. Cette question doit être résolue, dans les circonstances de la présente espèce, en fonction, d'une part, des exigences du secret médical, d'autre part, du respect des règles de la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle engagée par l'époux de la requérante.

14. A propos des décisions de refus d'engagement pour cause d'inaptitude physique, vous avez souligné que

« les nécessités du secret médical ... font chaque médecin — sauf circonstances exceptionnelles — juge de la possibilité de communiquer aux personnes qu'il soigne ou examine la nature des affections dont elles pourraient être atteintes » ( 12 ).

Si le secret médical est, pour les médecins-conseils de l'institution communautaire, la règle à l'égard des tiers, au premier rang desquels l'administration communautaire elle-même, il doit demeurer l'exception au regard de l'intéressé. Plus généralement, il apparaît que le médecin, juge de la portée du secret médical, est le point de passage obligé de l'accès aux constatations médicales. Sauf exception, tout fonctionnaire doit donc se voir reconnaître, conformément au principe général posé par
l'article 26, avant-dernier alinéa, un droit d'accès direct et personnel à son dossier médical. Doit-on, pour autant, en déduire qu'en refusant à son épouse d'y accéder, sans passer par l'intermédiaire d'un médecin de son choix, la Commission a violé ce principe, alors surtout que M. Strack, cela n'est pas contesté, avait expressément levé le secret médical s'attachant aux éléments en relation avec la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle qu'il avait entamée? La réponse doit
être négative.

15. L'article 21 de la réglementation permet au fonctionnaire ou à son ayant droit de contester les conséquences que l'AIPN envisage de tirer des conclusions établies par les médecins-conseils de l'institution à l'issue de l'enquête administrative. A cet effet, la réglementation organise le contrôle des motifs médicaux sur lesquels l'AIPN fonde son projet de décision en prévoyant la faculté, pour l'intéressé, de faire communiquer au médecin de son choix le rapport médical complet sur la base duquel
les conclusions médicales des médecins-conseils de l'institution ont été élaborées. Contrairement à la requérante et sans préjuger aucunement, en l'espèce, du contenu de ce rapport, nous croyons que cette « médiatisation » de l'accès au rapport médical complet est nécessaire.

16. L'intervention d'un médecin de confiance réalise la conciliation entre le secret médical et l'obligation de motivation. Ainsi que vous l'avez souligné à propos des décisions de refus d'engagement pour cause d'inaptitude physique, cette conciliation trouve, en effet, une solution adéquate dans

« la faculté, pour l'intéressé, de demander et d'obtenir que les motifs d'inaptitude soient communiqués à un médecin de son choix, information qui doit notamment (lui) permettre ..., soit directement, soit par l'intermédiaire de son médecin, de juger de la conformité de la décision qui écarte sa nomination avec les règles du statut » ( 13 ).

C'est au stade du projet de décision que l'article 21, alinéa 1, seconde phrase, de la réglementation impose la même exigence au fonctionnaire ou à son ayant droit. Il convient cependant de relever, comme l'indiquent expressément vos arrêts précités, que cette contrainte permettra normalement à l'agent de prendre directement connaissance du rapport médical complet adressé au médecin désigné par lui: le secret médical ne joue, on l'a vu, qu'exceptionnellement vis-à-vis des fonctionnaires
lorsqu'il s'agit de protéger leur santé. Si, pour l'ayant droit, on peut concevoir que la portée du secret médical connaisse une application plus étendue, compte tenu du respect de l'intimité du de cujus, on sait qu'en l'espèce celui-ci avait été expressément levé par M. Strack. Sauf opinion contraire du médecin désigné par elle, rien n'empêchait donc la requérante de consulter directement et personnellement les éléments du rapport médical complet.

17. Au demeurant, la transmission du rapport médical complet au médecin de confiance permettra à l'agent, en fonction de l'appréciation portée par ce spécialiste sur le bien-fondé médical des conclusions des médecins-conseils, de tirer éventuellement les conséquences de son désaccord au regard du projet de décision en saisissant la commission médicale. C'est donc en toute connaissance de cause, eu égard, notamment, aux frais qu'il pourrait encourir au titre de l'article 23, paragraphe 2, de la
réglementation, qu'il pourra décider d'en provoquer la réunion. Autrement dit, aux conclusions des médecins-conseils de l'institution, l'article 21 permet à l'intéressé d'opposer, dans le souci du respect du contradictoire, celles de son propre médecin, telles qu'elles résultent les unes et les autres du même document.

18. Enfin, la consultation des documents médicaux avant la désignation par le fonctionnaire ou son ayant droit d'un médecin de son choix, outre qu'elle viderait de tout effet utile la procédure instaurée par l'article 21 de la réglementation, serait prématurée. Il ressort du dossier que, par son recours, la requérante tend, à juste titre, avant tout à s'assurer du caractère effectivement complet du rapport médical et, par là même, de l'efficacité de l'intervention éventuelle de la commission
médicale. Or, une telle appréciation suppose nécessairement la transmission préalable de ce rapport et l'intervention, pour les deux raisons évoquées ci-dessus, d'un homme de l'art. La détermination du caractère pertinent ou non de telle ou telle donnée médicale pour la constitution du rapport est bien fonction d'une comparaison entre celui-ci et celle-là. La requérante ne justifie donc d'aucun intérêt à un accès direct aux documents médicaux à ce stade de la procédure en reconnaissance,
c'est-à-dire après la communication des conclusions et du projet de décision de l'AIPN, mais avant la désignation de son médecin de confiance, dès lors que l'article 21 de la réglementation garantit à ce dernier la communication de l'ensemble des documents pertinents.

19. La Commission était donc en droit de refuser à la requérante de consulter immédiatement les pièces médicales fondant les conclusions des médecins-conseils de la Commission. En précisant de manière expresse, dans sa lettre du 2 juillet 1985, qu'il appartenait à Mme Strack

« dans le cadre de (la) réglementation, (de) ... demander que les rapports médicaux servant de base au projet de décision soient transmis au médecin de son choix »

et, dans celle du 30 juillet, que les

« documents médicaux... peuvent être envoyés au médecin désigné par Mme Strack »,

la Commission a donc fait une juste application des dispositions de l'article 21, alinéa 1, deuxième phrase, de la réglementation.

20. Certes, on est en droit de se demander si, en renvoyant à cette formalité, la Commission n'a pas retardé l'accès de la requérante à certaines pièces à caractère administratif. La question se pose tout particulièrement pour les documents relatifs à l'incident de contamination dont M. Strack a été victime le 9 septembre 1970, tels que la Commission les a fait parvenir à la Cour après l'audience. Ceux-ci comportent, en effet, certaines constatations d'ordre factuel, décrivant les circonstances de
la contamination, ainsi que les résultats d'analyses, notamment médicales, visant à établir les doses subies. En vérité, la question soulevée n'a pas à être tranchée dans le cadre de la présente instance, dès lors que,

— immédiatement, en ce qui concerne les pièces administratives figurant dans le dossier individuel de son époux, en l'état où il se trouvait au moment des faits à l'origine du litige,

— après désignation du médecin de son choix, pour les pièces de nature médicale, auxquelles elle assimilait l'incident de contamination,

la Commission reconnaissait à la requérante le droit de prendre connaissance de l'intégralité des données pertinentes pour l'appréciation à porter sur l'origine professionnelle de la maladie de son époux. En définitive, il suffit donc de constater qu'au stade où Mme Strack a présenté sa demande, c'est-à-dire avant la désignation du médecin de son choix, la réponse de la Commission était conforme aux règles des articles 26 du statut et 21 de la réglementation. Il reste que le renvoi implicite par
la Commission au rapport médical complet à communiquer au médecin de confiance de l'intéressé suppose, pour n'être pas purement formel, que deux conditions cumulatives soient pleinement satisfaites.

21. D'une part, il doit être adressé en temps utile. Il appartient à l'administration, dès que la demande en a été faite, d'en assurer la transmission dans les meilleurs délais, l'intéressé ne disposant que d'un délai de soixante jours, à compter de la notification du projet de décision, pour procéder à son examen, le comparer aux conclusions sur lesquelles ľAIPN a basé son projet de décision et, finalement, décider ou non de demander la réunion de la commission médicale. D'autre part, le strict
respect du caractère contradictoire de la procédure instaurée par l'article 21 de la réglementation exige que le rapport médical soit complet. Comme le confirme la réponse donnée par la Commission aux questions posées par la Cour, doivent donc y figurer tous les examens, expertises ou rapports médicaux sur la base desquels le ou les médecins désignés par l'institution ont fondé leurs propres conclusions. A cet égard, ni la relative brièveté du délai d'examen laissé à l'intéressé ni le caractère
limité de l'objet de l'intervention du médecin traitant, qui ne peut, à ce stade, que conseiller son client sur l'opportunité ou non de réunir la commission médicale, ne pourraient justifier, de la part de l'administration, la transmission d'un rapport qui ne comporte pas l'intégralité des pièces médicales ou autres qui ont conduit le ou les médecins désignés par elle à leurs conclusions et, tout particulièrement, les rapports relatifs à l'incident de 1970 ainsi que les analyses médicales
immédiatement consécutives. Il appartient donc à l'administration dont relève le fonctionnaire de concevoir de la façon la plus large le droit à l'information dont il dispose par l'intermédiaire de son médecin: le secret administratif ne peut être confondu avec le secret médical dont ce médecin est en définitive seul juge.

22. Compte tenu des incertitudes apparues à cet égard au cours de la procédure contentieuse, il y a lieu de souligner qu'aussi bien la communication tardive du rapport médical que son caractère incomplet pourraient affecter de manière substantielle la reconnaissance des droits conférés par l'article 73 du statut et la réglementation au fonctionnaire ou à son ayant droit, au point d'entacher d'illégalité la décision qui serait adoptée définitivement par l'administration. Il appartiendrait à la Cour,
compétente pour contrôler les voies et moyens par lesquels tant le médecin désigné par l'institution que la commission médicale sont parvenus à leurs conclusions, et saisie, le cas échéant, par la requérante d'un recours dirigé contre la décision de l'AIPN, d'apprécier le caractère substantiel d'un tel vice de procédure ( 14 ). Quoi qu'il en soit, tel n'est pas l'objet du présent recours qui porte exclusivement sur le refus par la Commission de permettre à la requérante une consultation
immédiate avant même la désignation du médecin de son choix, des documents contenus dans le dossier médical de M. Strack, afférents à la maladie dont l'origine professionnelle est en cause, et non sur le refus de transmettre à son médecin de confiance certains des documents qui devraient figurer dans le rapport médical complet.

IV — Conclusion

23. En différenciant les modalités d'accès au dossier individuel selon le caractère administratif ou médical des pièces qui le constituent, la Commission a donc, par ses lettres des 2 et 30 juillet 1985, respecté les principes régissant le traitement distinct de ces deux types de données. Le recours apparaît donc mal fondé.

24. Il n'en reste pas moins que la complexité et le caractère particulièrement sensible du cas de M. Strack exigeaient, de la part de l'administration, plus qu'un simple renvoi formel et insuffisamment précis aux dispositions précitées, d'autant que la suite de la procédure a mis en lumière la légitimité des prétentions de la requérante, puisque, postérieurement à l'audience, sept documents en rapport avec l'irradiation subie par M. Strack qui ne figuraient pas dans le rapport médical complet ont
été communiqués à la commission médicale.

25. Si l'appréciation à porter sur une telle irrégularité ne relève pas, comme on l'a déjà dit, de la présente procédure, il y a lieu, en l'espèce, d'en tenir compte, à titre exceptionnel, pour le règlement des dépens de l'instance, eu égard à la nécessité qu'il y avait, pour la requérante, d'être assurée par les soins de l'administration du caractère complet du contenu du dossier soumis à la commission médicale.

26. Nous concluons donc:

— au rejet du recours;

— à ce que, néanmoins, les dépens de l'instance soient mis à la charge de la Commission.

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( 1 ) Anicle 17, paragraphe 2, alinéa 1.

( 2 ) Article 17, paragraphe 2, dernier alinta.

( 3 ) Article 21, alinta 1, souligné par nous.

( 4 ) Article 21, alinta 1, deuxième phrase, soulignt par nous.

( 5 ) Article 21, alinta 2.

( 6 ) Article 19.

( 7 ) 88/71, Brasseur, Rec. 1972, p. 499, point 11, et conclusions de l'avocat général M. Roemer, p. 509.

( 8 ) 88/71, précité, points 7 et suiv.

( 9 ) Articles 28, sous e), et 33 du sutut.

( 10 ) 74/72, di Blasi, Rec. 1973, p. 847, points 10 et 11, solution implicite.

( 11 ) 155/78, Mademoiselle M., Rec. 1980, p. 1797, citation p. 1820.

( 12 ) 121/76, Moli, Rec. 1977, p. 1971, point 14; 75/77, Mollet, Rec. 1978, p. 897, point 15; 155/78, précité, point 16.

( 13 ) 121/76, précité, point 15, ainsi que 75/77, précité, point 16, et 155/78, précité, point 17, souligné par nous.

( 14 ) 156/80, Morbelli, Rec. 1981, p. 1357, point 20; 189/82, Seiler, Rec. 1984, p. 229, point 15, conclusions de l'avocat général Mme Simone Rozis, p. 246.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 140/86
Date de la décision : 02/07/1987
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Communication du dossier individuel.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Gisela Strack
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:326

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