La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/06/1987 | CJUE | N°137/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 11 juin 1987., Maizena GmbH et autres contre Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung (BALM)., 11/06/1987, 137/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 11 juin 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les 22 janvier 1981, 30 juin 1981 et 17 juillet 1981, la Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung (ci-après « BALM » ou « défenderesse au principal ») a délivré trois certificats d'exportation, pour des produits relevant de l'organisation commune des marchés des céréales (glucose et poudre d'amidon de maïs), aux demanderesses au principal après que celles-ci avaient déposé les cautions destinées Ã

  garantir l'engagement d'exporter pendant la durée de validité des certificats. Par la suite,
le...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 11 juin 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les 22 janvier 1981, 30 juin 1981 et 17 juillet 1981, la Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung (ci-après « BALM » ou « défenderesse au principal ») a délivré trois certificats d'exportation, pour des produits relevant de l'organisation commune des marchés des céréales (glucose et poudre d'amidon de maïs), aux demanderesses au principal après que celles-ci avaient déposé les cautions destinées à garantir l'engagement d'exporter pendant la durée de validité des certificats. Par la suite,
les demanderesses au principal ont placé les produits de base concernés sous contrôle douanier au sens de l'article 4 du règlement no 565/80 du Conseil, du 4 mars 1980, relatif au paiement à l'avance des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles ( 1 ).

Ce règlement concerne les produits de base destinés à être transformés avant leur exportation. Il permet de verser à un opérateur économique un montant égal à la restitution à l'exportation « dès que les produits de base sont placés sous contrôle douanier garantissant que les produits transformés ou les marchandises sont exportées dans un délai déterminé » (article 4).

Le bénéfice de ce régime est subordonné à la constitution, auprès des autorités douanières, d'une caution garantissant le remboursement d'un montant égal à celui qui a été payé, majoré de 20 % (article 6 du règlement en question). Les demanderesses au principal ont constitué de telles cautions.

Dès le placement des produits sous contrôle douanier, la défenderesse au principal a libéré les cautions relatives aux certificats d'exportation, conformément aux dispositions combinées des articles 29, sous b), 30, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, et 22, paragraphe 1, sous b), quatrième tiret, du règlement no 3183/80 de la Commission, du 3 décembre 1980, portant modalités communes d'application du régime de certificats d'importation, d'exportation et de préfixation pour les produits
agricoles ( 2 ).

Il s'est avéré plus tard que, pour une partie des marchandises en question, les demanderesses au principal n'avaient pas respecté les délais résultant de l'article 11 du règlement no 798/80 de la Commission, du 31 mars 1980, portant modalités d'application concernant le paiement à l'avance des restitutions à l'exportation et des montants compensatoires monétaires positifs pour les produits agricoles ( 3 ).

Au vu de cette circonstance, la défenderesse au principal a été d'avis que l'on se trouvait dans la situation visée à l'article 42, paragraphe 1, du règlement no 3183/80 de la Commission, c'est-à-dire que l'obligation d'exporter n'avait pas été respectée par les demanderesses au principal pour les quantités de produits concernées. La défenderesse a, dès lors, estimé être en droit, en vertu des dispositions de l'article 42, paragraphe 3, de ce règlement, d'appliquer mutatis mutandis les dispositions
de l'article 38, paragraphe 1, sous c), deuxième tiret, du règlement et de réclamer la reconstitution, proportionnellement aux quantités non exportées, des cautions qui avaient eu pour objet de garantir la réalisation de l'exportation.

Les cautions constituées sous le régime du contrôle douanier, conformément aux dispositions du règlement no 565/80 du Conseil, du 4 mars 1980, ont également été retenues partiellement par les autorités douanières compétentes. Cette décision n'est toutefois pas directement en cause dans la présente affaire.

Saisi du recours des demanderesses au principal contre la décision réclamant reconstitution des cautions d'exportation, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main invite la Cour à répondre à la question suivante:

«L'article 38, paragraphe 1, sous c), deuxième tiret, du règlement (CEE) no 3183/80 de la Commission, du 3 décembre 1980, est-il contraire au droit communautaire de rang supérieur en ce qu'il y a lieu de conférer à cette disposition le caractère de sanction? »

Les motifs de l'ordonnance de renvoi font ressortir que la juridiction nationale adopte la prémisse que l'article 38, paragraphe 1, sous c), deuxième tiret, du règlement no 3183/80 impliquerait l'application d'une sanction de nature pénale. Celle-ci ne serait pas conforme aux principes généraux du droit, « in dubio pro reo », « nulla poena sine culpa », ni au principe de proportionnalité. Ces principes, applicables dans le droit pénal des États membres, s'imposeraient également en droit
communautaire, en vertu de l'arrêt de la Cour du 14 mai 1974 ( 4 ).

A — La pertinence de la question préjudicielle

Dans leurs observations, les parties demanderesses au principal invoquent à l'encontre de la pertinence de la question posée les arguments exposés au point II-1 du rapport d'audience.

Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au juge national d'apprécier, au regard des faits de l'affaire, la nécessité pour rendre son jugement de voir trancher une question préjudicielle ( 5 ).

B — La nature juridique de la caution

La prémisse (caution à reconstituer = amende pénale) posée par le juge national va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour.

Dans l'arrêt du 17 décembre 1970 ( 6 ), la Cour a en effet dit pour droit aux points 17 et 18:

« attendu que la requérante au principal expose encore que la perte de la caution, consécutive à la non-exécution de l'engagement d'importer ou d'exporter, constituerait en réalité une amende ou une peine que le traité n'aurait pas habilité le Conseil et la Commission à instituer;

attendu que cet argument repose sur une analyse erronée du régime de cautionnement qui ne saurait être assimilé à une sanction pénale, puisqu'il ne constitue que la garantie d'exécution d'un engagement volontairement assumé ».

Si la perte de la caution qui se trouvait encore entre les mains de l'organisme d'intervention ne saurait donc être assimilée à une sanction pénale, est-ce que la situation est différente lorsque la caution a déjà été libérée et doit au préalable être reconstituée? Je ne le pense pas.

Dans son arrêt du 25 septembre 1984 dans l'affaire Könecke ( 7 ), la Cour a déclaré « qu'une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë ». Nous verrons plus loin que dans la présente affaire, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Könecke, une telle base légale existe. Ce qu'il faut souligner ici c'est que le passage cité, comme les autres passages de l'arrêt Könecke et notamment le point 13, indique
clairement que la Cour était d'avis que le fait de retenir une caution préalablement reconstituée, représente, certes, une sanction, mais pas une sanction pénale.

Cela me semble tout à fait logique.

En effet, à partir du moment où un engagement n'a pas été respecté et ne peut plus être respecté, et que la caution destinée à garantir cet engagement est retenue par l'autorité compétente, elle cesse d'être une caution pour devenir une sanction. Il en est ainsi a fortiori lorsque la caution avait déjà été libérée. Dans les deux hypothèses, l'exportation endéans du délai prévu n'est plus possible. Mais si, dans le premier cas, la sanction n'a pas un caractère pénal, elle ne peut pas non plus avoir
ce caractère dans la seconde hypothèse. Il n'existe en effet pas de différence de nature juridique entre les deux situations.

C'est à juste titre que la Commission souligne qu'on peut tirer des arrêts Internationale Handelsgesellschaft et Könecke la conclusion que,

« si la perte d'une caution peut effectivement être considérée dans certaines conditions comme une sanction, on ne saurait pour autant la placer juridiquement sur le même plan qu'une sanction de droit pénal (amende pénale) ».

Un entrepreneur qui s'est engagé à terminer une construction endéans un délai précis, sous peine de payer une certaine somme d'argent par jour de retard, et qui ne respecte pas ce délai ne saurait être admis à dire que, puisque, la construction ne peut plus être achevée endéans le délai prévu, la somme convenue constituerait désormais une amende pénale qu'il ne serait obligé de payer qu'à condition d'y être condamné par une juridiction pénale et après qu'il ait été prouvé qu'il aurait commis une
négligence grave ou agi avec préméditation.

Pareil raisonnement ne saurait pas non plus être admis à propos des cautions. Certes, un règlement communautaire n'est pas la même chose qu'un contrat civil. Il faut reconnaître que l'engagement d'exporter assumé par Maizena n'avait pas exactement la même nature, quant à son caractère volontaire, que l'engagement d'un entrepreneur en constructions ( 8 ). La société Maizena n'avait pas la possibilité de refuser de fournir une caution si elle voulait exporter, alors que l'entrepreneur avait peut-être,
du moins en théorie, la possibilité de ne pas accepter la clause pénale.

Je suis, dès lors, d'accord avec P. Tiedemann et R. Barents ( 9 ) lorsqu'ils affirment que le cautionnement qui doit garantir l'importation ou l'exportation ne peut pas être considéré comme tout à fait comparable à une peine conventionnelle (Vertragsstrafe) de droit civil.

Mais, d'un autre côté, la ressemblance avec une condamnation pénale est encore beaucoup moins prononcée. C'est à raison que la Commission fait valoir que « le non-respect de l'engagement a pour seule conséquence la perte de la caution et ne débouche sur aucun jugement dépréciatif (moral). C'est ce qui explique que la perte de la caution ne fasse l'objet d'une inscription dans aucune sorte de casier judiciaire et que la situation personnelle du débiteur n'entre pas en ligne de compte dans la décision
relative à la perte de la caution. Peu importe, en particulier, que la violation de l'engagement constitue une récidive ou qu'il y ait d'autres circonstances aggravantes ou atténuantes » (point III-2, dernier alinéa, des observations de la Commission).

Il me semble, dès lors, que R. Barents a raison lorsqu'il propose de considérer la technique du cautionnement « as a separate administrative law phenomenon and to solve the problem of legal protection within this framework. This is what the Court has done in its basic decision on the law of deposits in Case 11/70» (p. 242 de l'article cité).

La Commission rappelle d'ailleurs à juste titre que les droits nationaux connaissent aussi, particulièrement en matière douanière et en matière d'impôt, des réglementations où « des conséquences économiques négatives (sous forme d'obligations de paiement) sont associées dans de nombreux cas, dans l'intérêt public, à certains comportements qui ne sont pas nécessairement illégaux (ni même punissables) » [point III-3, sous a), des observations de la Commission].

Le droit moderne utilise d'ailleurs de plus en plus la notion de « responsabilité objective » ou « responsabilité sans faute ». A cet égard, on peut citer, notamment, la convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable en cas de responsabilité du fait des produits, la convention conclue dans le cadre du Conseil de l'Europe, le 27 janvier 1977, sur la responsabilité du fait des produits en cas de lésion corporelle ou de décès, et la directive du Conseil du 25 juillet 1985 relative au
rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ( 10 ). Cette dernière prévoit que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit » (article 1er), car « seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre époque de technicité croissante, d'une attribution juste des risques inhérents à la production
technique moderne » (deuxième considérant). Selon cette même directive, il appartient au producteur de se libérer de sa responsabilité en prouvant l'existence de certains faits qui le déchargent (article 7).

Les caractéristiques, très semblables, de la réglementation sur les cautions en matière agricole, loin d'être l'expression d'un esprit archaïque ( 11 ), correspondent donc à une tendance du droit moderne.

Tous les instruments du droit communautaire ne sont pas susceptibles d'être assimilés purement et simplement à des notions préexistantes des droits nationaux et, même à l'intérieur de ces derniers, l'évolution économique a conduit à la création de réglementations particulières qui ne rentrent ni dans les catégories préétablies du droit civil, ni dans celles du droit pénal.

Ce qui compte, c'est que les droits fondamentaux des citoyens ne soient pas violés par ces nouvelles techniques juridiques, étant bien entendu que, « dans l'ordre juridique communautaire, il apparaît... légitime de réserver à l'égard de ces droits l'application de certaines limites justifiées par les objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à la substance de ces droits » ( 12 ).

Dans son arrêt Internationale Handelsgesellschaft, la Cour avait déjà, une première fois, examiné le régime de cautionnement en tant que tel, au regard des principes qui avaient, à ce moment-là, été énoncés par le tribunal administratif de Francfort, et elle était parvenue à la conclusion qu'il « ne porte atteinte à aucun droit fondamental » (point 20 de l'arrêt).

Le Verwaltungsgericht de Francfort se demande maintenant si certains autres principes, qu'il qualifie de principes du droit pénal, ne sont pas violés par cette réglementation.

On pourrait être tenté de répondre à la juridiction nationale que, puisque le cautionnement n'a pas le caractère d'une sanction pénale, les principes du droit pénal ne sauraient s'appliquer à son égard. Mais, en matière de droits fondamentaux, la plus grande rigueur est de mise, et ce que les uns considèrent comme des principes de droit pénal, d'autres pourraient éventuellement considérer comme des droits fondamentaux tout court ou comme des principes de droit administratif destinés à assurer une
protection juridique adéquate aux opérateurs économiques. Voyons donc si l'un des principes cités par le Verwaltungsgericht ou par les demanderesses au principal peut être considéré comme applicable en l'occurrence et s'il est, le cas échéant, violé par l'article 38 du règlement no 3183/80.

C — Validité de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement no 3183/80

La validité de cette disposition doit évidemment s'apprécier par rapport au droit communautaire de rang supérieur, et non pas par rapport à des règles ou des notions juridiques de droit national ( 13 ).

Parmi les règles du droit communautaire de rang supérieur, le juge national se réfère aux principes suivants:

— in dubio pro reo,

— nulla poena sine culpa,

— le principe de proportionnalité.

Les parties demanderesses au principal invoquent de plus, dans les observations qu'elles ont déposées devant la Cour, les adages:

— nulla poena sine lege,

— ne bis in idem.

Dans l'intérêt de la suite logique du raisonnement, je voudrais commencer par ces deux derniers principes.

1. Le principe « nullum crimen, nulla poena sine lege » (principe de légalité)

Le principe suivant lequel nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi n'est pas inconnu du droit communautaire. Ainsi, la Cour a-t-elle examiné la conformité avec le principe de légalité d'une amende infligée par la Commission à un producteur d'acier pour dépassement des quotas de production ( 14 ).

Comme je l'ai déjà rappelé, dans l'affaire Könecke, la Cour a déclaré qu'une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë.

Les demanderesses au principal qui invoquent cet arrêt soutiennent que, dans le cas d'espèce également, une telle base légale ferait défaut. L'article 38 viserait, en effet, une situation tout à fait particulière, à savoir le régime douanier des produits réimportés dans la Communauté après avoir été exportés (régime des retours). Une réglementation qui pourait être justifiée dans ce cadre ne le serait pas nécessairement dans d'autres circonstances.

Par ailleurs, la signification de la notion d'application mutatis mutandis serait confuse.

A cet égard, je voudrais faire remarquer ce qui suit. Il est certain que l'article 38 pris isolément n'a trait qu'au « régime des retours ». Mais il est tout à fait clair que l'article 42 fait obligation à l'autorité compétente qui a délivré le certificat d'exportation d'appliquer les dispositions visées à l'article 38, paragraphe 1, sous c), lorsqu'un produit a été placé sous contrôle douanier (article 4 du règlement no 565/80) et que le délai prévu pour l'exportation n'a pas été respecté (article
11 du règlement no 798/80).

La demande de reconstitution de la caution du BALM repose donc sur une base juridique claire et dépourvue d'ambiguïté.

L'application mutatis mutandis d'un texte à une situation juridique semblable, mais non identique, est une technique juridique bien connue. En l'occurrence, aucune des parties en cause ne s'est trompée sur la signification du renvoi ni sur le contenu de la règle qu'il fallait appliquer.

Enfin, le fait que l'article 42, paragraphe 3, ne s'adresse qu'à « l'autorité qui a délivré le certificat », et non pas au bénéficiaire du certificat, ne constitue pas non plus une objection valable. A supposer même qu'en droit pénal toute disposition instaurant une sanction doive nécessairement être formulée dans les termes : « Toute personne qui se rend coupable de... est punie de... », il résulte en tout cas de la jurisprudence de la Cour que les dispositions des règlements qui prévoient la
non-libération d'une caution ou qui exigent la reconstitution d'une caution ne constituent pas pour autant des sanctions pénales.

Il faut simplement noter, dans ce contexte, que l'utilisation de l'expression « reconstituer la caution» n'est pas appropriée. Le terme « caution » implique la notion de garantie. Or, ainsi que la Cour l'a fait remarquer dans l'affaire Könecke (point 10), il n'est pas possible d'exiger la reconstitution d'une garantie lorsque le risque pour lequel elle avait été constituée s'est déjà réalisé. Il aurait été plus correct de parler d'un « montant équivalant à la caution ».

2. Le principe « ne bis in idem »

Les demanderesses au principal affirment encore qu'on voudrait les sanctionner deux fois pour les mêmes faits, car la caution de transformation prévue à l'article 6 du règlement no 565/80, précité, aurait, elle aussi, pour objet de garantir l'exportation de la marchandise.

Or, aux termes de cet article, la caution de transformation garantit « le remboursement d'un montant égal à celui qui a été payé, majoré d'un montant supplémentaire ». Ce qui a été payé (par anticipation) c'est la restitution à l'exportation. La caution doit garantir son remboursement dans l'hypothèse où l'exportation, en fin de compte, n'a pas lieu.

Quant à la majoration de 20 %, elle a été prévue « en vue d'éviter un bénéfice indu de l'exportateur concerné. En effet, dans les cas dans lesquels il est fait application d'un régime de préfinancement, les opérateurs économiques bénéficieraient indûment d'un crédit à titre gratuit s'il s'avérait ultérieurement qu'il n'y avait pas lieu d'accorder la restitution » ( 15 ).

Le principe « ne bis in idem » ne saurait donc s'opposer à la reconstitution de la caution d'exportation.

3. Le principe « in dubio pro reo »

Dans le cadre de l'affaire Internationale Handelsgesellschaft, le tribunal administratif de Francfort avait demandé si le régime de cautionnement était conforme au droit, étant donné qu'il n'exclut la perte de la caution que dans le cas de force majeure.

La Cour avait répondu comme suit à cette question:

« qu'il apparaît, dès lors, que, en limitant au cas de force majeure l'annulation de l'engagement d'exporter et la libération de la caution, le législateur communautaire a pris une disposition qui, sans imposer une charge indue aux importateurs ou aux exportateurs, est appropriée en vue d'assurer le fonctionnement normal de l'organisation du marché des céréales, dans l'intérêt général tel que défini par l'article 39 du traité;

qu'il en résulte qu'aucun argument ne saurait être tiré, contre la validité du régime de cautionnement, des dispositions limitant la libération de la caution aux cas de force majeure » (point 25).

Le tribunal administratif de Francfort estime cependant que le principe « in dubio pro reo » n'est pas respecté, parce que c'est à l'intéressé, et non à l'autorité compétente, d'apporter la preuve de l'existence d'un cas de force majeure.

Or, il n'est pas concevable que l'autorité administrative compétente soit obligée de démontrer dans chaque cas qu'aucune raison de force majeure n'a empêché l'entreprise d'exporter la marchandise endéans le délai. Les cas de force majeure théoriquement possibles sont en effet multiples. On ne peut pas exiger de l'administration d'essayer d'imaginer quel pourrait être le cas de force majeure qui pourrait s'être produit.

Même en droit pénal, il appartient au prévenu d'indiquer la cause de justification qu'il invoque, de décrire en détail ce qui s'est produit, et de faire valoir tous les éléments de preuve dont il dispose. Il provoque ainsi un échange d'arguments avec le ministère public qui s'efforcera, le cas échéant, de prouver de son côté que les faits allégués ne sont pas de nature à disculper le prévenu. Finalement, c'est celui des deux protagonistes qui a les meilleurs arguments qui l'emporte.

A mon sens, il est a fortiori tout à fait compatible avec les droits fondamentaux de l'individu que les choses se passent de la même façon dans le cadre du régime du cautionnement, sauf que, dans ce cas, la discussion se déroule dans un premier stade entre l'importateur/exportateur et l'organisme d'intervention, pour se poursuivre ensuite, si nécessaire, non pas devant une juridiction pénale, mais devant une juridiction administrative ou civile. Il me semble, d'ailleurs, que dans son arrêt du 11
juillet 1968 (Schwarzwaldmilch ( 16 )) la Cour a déjà implicitement reconnu la validité de ce régime de preuve lorsqu'elle a déclaré: « attendu, enfin, qu'il résulte du système conçu à l'article 6 du règlement qu'il incombe à l'importateur de prouver que les conditions nécessaires à l'existence d'un cas de force majeure sont réunies ».

4. « Nulla poena sine culpa »

Comme je l'ai déjà exposé, nous sommes en l'occurrence en présence d'un des cas où la législation applicable ne laisse pas de place à une appréciation quelconque des raisons sousjacentes au non-respect de l'obligation d'exporter, sauf le cas de force majeure. La sanction prévue n'a pas le caractère d'une « poena », c'est-à-dire d'une sanction pénale. Il reste donc seulement à examiner l'argument du tribunal administratif de Francfort, suivant lequel une personne morale ne saurait faire l'objet d'une
sanction.

Or le droit communautaire permet, dans certains cas, la possibilité d'infliger de véritables amendes à des personnes morales. J'ai déjà fait référencé ( 14 ) à des cas où la Cour a confirmé l'amende prononcée par la Commission à l'encontre d'une entreprise sidérurgique. On peut citer également l'article 15 du règlement no 17 du Conseil ( 17 ), suivant lequel « la Commission peut... infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes ... ».

A plus forte raison peut-il en être ainsi lorsqu'il s'agit d'une sanction qui ne constitue pas une amende pénale.

5. Le prìncipe de proportionnalité

Selon le tribunal administratif de Francfort, le principe de proportionnalité est violé, parce que « le montant de l'amende ne dépend pas de la gravité de la faute, et aucune distinction n'est faite entre les différentes natures de faute: faute non intentionnelle, faute lourde et faute intentionnelle ».

A cet égard, je ne puis que répéter qu'en l'occurrence nous sommes en présence d'un système de responsabilité objective dans le cadre duquel tout recours à la notion de faute subjective est exclu.

L'article 38 ne saurait donc être considéré comme invalide pour violation du principe de proportionnalité.

Avant de conclure, je voudrais simplement rappeler pour mémoire que, largement sous l'influence de la jurisprudence de la Cour, la réglementation communautaire a été aménagée afin de pouvoir tenir compte à chaque fois de la nature de l'obligation violée et de l'étendue de cette violation.

Dans ce contexte, il faut citer le règlement no 2220/85 de la Commission, du 22 juillet 1985, fixant les modalités communes d'application des garanties pour les produits agricoles (JO L 205 du 3.8.1985, p. 5). Ce texte, qui s'applique à tous les secteurs agricoles, opère une distinction entre des exigences principales, secondaires et subordonnées.

Le système des cautions n'est donc plus caractérisé par la même rigidité qu'autrefois.

D — Conclusion

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, je propose de donner la réponse suivante à la question posée par le juge national:

« L'examen de la question posée par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité de l'article 38, paragraphe 1, sous c), deuxième tiret, du règlement (CEE) 3183/80 de la Commission, du 3 décembre 1980. »

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) JO L 62 du 7.3.1980, p. 5.

( 2 ) JO L 338 du 13.12.1980, p. 1.

( 3 ) JO L 87 du 1.4.1980, p. 42.

( 4 ) Arrêt du 14 mai 1974, Nold, 4/73, Rec. p. 491, point 13.

( 5 ) Voir arrêt du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 15; arrêt du 14 février 1984, Rewe, 278/82, Rec. p. 721, point 8; arrêt du 28 juin 1984, Moser, 180/83, Rec. p. 2539, point 6; arrêt du 12 juin 1986, Bertini, affaires jointes 98, 162, 258/85, Rec. p. 1885, point 8.

( 6 ) Arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, Rec. p. 1125.

( 7 ) Affaire 117/83, Rec. p. 3291, 3302.

( 8 ) Voir Tiedemann, P.: « Das Kautionsrecht der EWG — ein verdecktes Strafrecht? » , Neue Juristische Wochenschrift, 1983, p. 2727-2731.

( 9 ) Barents R.: «The system of deposits in Community agricultural law: efficiency v proportionality », European Law Review, August 1985, p. 239-249.

( 10 ) JO L 210 du 7.8.1985, p. 29.

( 11 ) Voir l'article cité de P. Tiedemann, p. 2727.

( 12 ) Arrêt du 14 mai 1974, 4/73, Nold/Commission, Rec. p. 491, 508, point 14.

( 13 ) Voir, à ce propos, arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, point 3, déjà cité, et arrêt du 8 octobre 1986, Keller, 234/85, Rec. p. 2897, point 7.

( 14 ) Arrêt du 17 mai 1984, Estel, 83/83, Rec. p. 2195; la Cour mentionne le principe dans l'arrêt du 28 mars 1984, Fratelli Bertoli, 8/83, Rec. p. 1649, point 27, et dans l'arrêt du 3 mars 1982, Alpha Steel, 14/81, Rec. p. 749, point 29.

( 15 ) Arrêt du 5 février 1987, 288/85, Hauptzollamt Hamburg-Jonas/Plange Kraftfutterwerke GmbH & Co., Rec. p. 611, point 14.

( 16 ) Affaire 4/68, Firma Schwarzwaldmilch GmbH/Einfuhrund Vorratsstelle für Fette, Rec. 1968, p. 550, 563.

( 17 ) JO du 21.2.1962, p. 204.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 137/85
Date de la décision : 11/06/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Frankfurt am Main - Allemagne.

Nature juridique de la caution relative au certificat d'exportation.

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Maizena GmbH et autres
Défendeurs : Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung (BALM).

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Bahlmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:272

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award