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17/03/1987 | CJUE | N°89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 17 mars 1987., L'Étoile commerciale et Comptoir national technique agricole (CNTA) contre Commission des Communautés européennes., 17/03/1987, 89


Avis juridique important

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61986C0089

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 17 mars 1987. - L'Étoile commerciale et Comptoir national technique agricole (CNTA) contre Commission des Communautés européennes. - Aide pour les graines oléagineuses - Recevabilité. - Affaires jointes 89 et 91/86.

Recueil de jurisprudence 1987 page 03005

Conclusions de l'avocat général

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Avis juridique important

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61986C0089

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 17 mars 1987. - L'Étoile commerciale et Comptoir national technique agricole (CNTA) contre Commission des Communautés européennes. - Aide pour les graines oléagineuses - Recevabilité. - Affaires jointes 89 et 91/86.
Recueil de jurisprudence 1987 page 03005

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Dans les présentes affaires, les sociétés "Étoile commerciale" et "Comptoir national technique agricole" ( CNTA ) veulent obtenir :

2 . a ) l' annulation partielle de la décision 85/456 de la Commission, du 28 août 1985 ( 1 ), relative à l' apurement des comptes présentés par la République française au titre des dépenses financées par le FEOGA pour l' exercice 1981, en ce qu' elle déclare inéligibles les aides que l' organisme français d' intervention a versées au CNTA pour la transformation de graines de tournesol;

3 . b ) une indemnité en réparation du préjudice subi, puisque, par suite de cette décision, l' organisme français d' intervention, la Société interprofessionnelle des oléagineux ( SIDO ), a exigé le remboursement des aides versées;

4 . c ) subsidiairement, l' annulation du règlement n°*1204/72 de la Commission, du 7 juin 1972 ( 2 ), portant modalités d' application du régime de l' aide pour les graines oléagineuses .

I - Résumé des faits

5 . Le règlement n°*136/66 du Conseil, du 22 septembre 1966 ( 3 ), portant établissement d' une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses, a institué en son article 27, paragraphe 1, une aide communautaire destinée aux graines oléagineuses récoltées et transformées dans la Communauté, lorsque le prix indicatif valable pour une espèce de graine est supérieur au prix du marché mondial .

6 . En application des dispositions de cet article 27, le règlement n°*2114/71 du Conseil, du 28 septembre 1971 ( 4 ) a défini les principes régissant l' octroi d' aides du FEOGA à la transformation de graines oléagineuses, en prévoyant, notamment, la mise sous contrôle des graines destinées aux huileries et en créant un certificat communautaire en vue de ce contrôle .

7 . Les modalités d' application du régime d' aide pour les graines oléagineuses ont été fixées par le règlement n°*1204/72, que nous avons déjà cité . Aux termes de son article 3, paragraphe 1, le contrôle s' exerce "à partir de l' entrée des graines dans l' huilerie jusqu' à leur transformation en vue de la production d' huile ". Aux fins de ce contrôle, l' article 5 du même règlement établit que le certificat communautaire institué par l' article 4 du règlement n°*2114/71 doit comporter,
notamment, "une partie dénommée I.D ., attestant que la quantité de graines récoltées de la Communauté identifiée est soumise au contrôle"; aux termes de l' article 10 du règlement n°*1204/72, "la partie I.D . du certificat oblige à transformer la quantité identifiée dans un délai de 270 jours suivant la date de sa délivrance ".

8 . En France, l' application du régime d' aide est assurée par la SIDO .

9 . Tant les autorités françaises que la SIDO avaient considéré, dans un certain nombre de cas, que le fait que le certificat communautaire était demandé après la transformation des graines ne faisait pas obstacle à l' octroi des aides, car tout refus opposé dans une telle hypothèse eût constitué une pénalisation excessive de simples erreurs administratives . Cependant, la SIDO savait que la Commission ne partageait pas cette interprétation, puisqu' elle s' était déjà prononcée dans des affaires
similaires dans le sens de l' incompatibilité du versement de l' aide avec les normes communautaires .

10 . Malgré cela, quand en 1980 le CNTA a procédé à la transformation de deux lots de graines en ne demandant les certificats d' aide que par après ( ce retard était dû, paraît-il, à la désorganisation de ses services par suite d' un incendie ), la SIDO a accepté, en avril 1981, de payer les aides en cause, en subordonnant toutefois ce paiement à la constitution d' une caution garantissant le remboursement de la somme dont le CNTA "serait débiteur lorsque le FEOGA aura statué sur l' éligibilité des
avances de l' aide consenties ". Cette caution, d' un montant de 8*586*278 FF a été constituée le 24 avril 1981 par la société l' Étoile commerciale .

11 . Le financement de ces aides par le FEOGA a provoqué entre les services de la Commission et le ministère français de l' Agriculture divers échanges de correspondance, dans le cadre desquels les premiers ont maintenu leur point de vue quant à l' inéligibilité de ces aides au remboursement par le FEOGA, étant donné que les certificats I.D . ne pouvaient, aux termes de la réglementation communautaire, plus être délivrés après la transformation des graines ni même après leur entrée dans l' huilerie
. Cette position apparaît d' ailleurs expressément dans le rapport de synthèse de la Commission relatif à l' apurement des comptes du FEOGA, section "garantie", pour les exercices financiers de 1980 et de 1981 . C' est sur la base de ce rapport que la Commission a pris, le 28 août 1985, la décision 85/456 notifiée au gouvernement français le 5 septembre 1985 et publiée au Journal officiel du 9 octobre de la même année .

12 . Cette décision ne comporte aucune référence à des cas particuliers ou à des opérateurs économiques identifiés individuellement; il résulte cependant du rapport de synthèse que le montant global des dépenses non reconnues à la charge du FEOGA, figurant à l' annexe I de cette décision, comprend, entre autres, une somme de 9*707*410,88 FF, correspondant aux aides pour les lots de graines triturées par le CNTA .

13 . Cette décision a fait l' objet d' un recours en annulation ( affaire 336/85 ) - actuellement en instance devant la Cour - introduit par le gouvernement français, mais qui concerne uniquement la partie de la décision d' apurement des comptes qui est relative aux produits de la pêche . Le gouvernement destinataire n' a donc soulevé aucune question relative à l' apurement des comptes concernant les aides litigieuses dans la présente affaire .

14 . Par lettre du 27 janvier 1986, la SIDO a mis la société l' Étoile commerciale en demeure de payer le montant de la caution fournie au CNTA, en se référant à la décision de la Commission du 28 août 1985 et au rapport de synthèse correspondant . La somme correspondante a été réglée par lettre du 21 février 1986 .

15 . Les 26 et 27 mars, la société l' Étoile commerciale et le CNTA ont introduit les présents recours .

16 . La Commission a excipé de l' irrecevabilité des recours par acte séparé, présenté au titre de l' article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure .

II - La demande d' annulation de la décision 85/456

17 . A - Nous allons analyser tout d' abord l' exception d' irrecevabilité qui a été opposée à la demande d' annulation partielle de la décision 85/456 .

18 . A cet égard, la Commission soutient non seulement que le recours est intempestif parce que introduit en dehors du délai prévu à l' article 173, alinéa 3 du traité CEE, mais également que la décision ne concerne les requérantes ni directement ni individuellement, contrairement à ce qu' exige l' article 173, alinéa*2 .

19 . B - Il ne sera, bien entendu, nécessaire d' analyser le problème du délai dans lequel le recours a été déposé que si la décision litigieuse concerne bien directement et individuellement les requérantes, au sens de l' article 173, alinéa 2, du traité .

20 . Or, comme nous le verrons, tel n' est pas notre avis .

21 . Dans l' hypothèse inverse, cependant, nous devrions considérer que le recours a été introduit dans les délais impartis .

22 . A la vérité, comme la décision attaquée ne s' adresse pas aux requérantes - qui n' en sont pas formellement les destinataires -, elle ne leur a pas été et ne devait pas leur être notifiée .

23 . Par ailleurs, le jour de la publication de la décision ne peut être considéré comme le dies a quo du délai fixé à l' article 173, alinéa 3 . En effet, les requérantes n' auraient jamais pu savoir par la seule publication si la décision d' apurement des comptes avait ou non déclaré les sommes litigieuses inéligibles .

24 . La simple lecture de la décision d' apurement des comptes montre qu' il n' était pas possible aux requérantes de s' apercevoir de la teneur de cet acte .

25 . Le fait que cette décision comporte des répercussions pour les requérantes apparaît par contre dans les rapports de synthèse relatifs à la décision d' apurement des comptes .

26 . Mais ces rapports n' ont été notifiés qu' à l' État membre destinataire et non pas aux requérantes . Partant, là aussi, la date de notification ne peut être considérée comme point de départ du délai visé à l' article 173, alinéa*3 .

27 . Il reste donc comme dies a quo possible celui où les requérantes ont eu connaissance de l' acte ou plutôt du fait que la décision les affectait . Or, la procédure n' a pas fait apparaître que cette prise de connaissance ait été antérieure au jour où la SIDO a envoyé une lettre à la société l' Étoile commerciale pour lui demander le versement de la caution; pour sa part, le CNTA a eu connaissance de ce fait le même jour par une lettre qui lui a été adressée par sa banque . Dans les deux cas, la
date qui nous importe est donc le 4 février 1986 .

28 . Les recours ayant été introduits dans les deux mois qui ont suivi cette date, les délais impartis doivent être considérés comme respectés .

29 . C - L' article 173, alinéa 2, du traité n' autorise cependant les particuliers à introduire des recours que contre les décisions dont ils sont les destinataires ou qui, bien que prises sous l' apparence d' un règlement ou d' une décision adressée à une autre personne, les concernent directement et individuellement .

30 . Nous avons fait une analyse de ces conditions, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, dans les conclusions que nous avons prononcées récemment dans l' affaire 333/85, Mannesmann-Roehrenwerke/Conseil ( Rec . p *...)

31 . Dans le cas présent, nous sommes en présence d' une décision dont le destinataire est la République française .

32 . Peut-elle, en dépit de cela, être considérée comme concernant les requérantes "directement et individuellement"?

33 . a)*Selon la Commission, les décisions d' apurement des comptes touchent exclusivement à ses relations avec les États membres ( en l' espèce la France ), et, par conséquent, ce serait non pas sa décision mais celle de l' organisme d' intervention national qui affecterait directement les intérêts des opérateurs économiques .

34 . Or, cette dernière ne pourrait être attaquée par ses destinataires que devant les juridictions nationales .

35 . Les parties requérantes soutiennent à l' inverse que la décision de la Commission les affecte directement et individuellement, puisque cette décision et le rapport de synthèse qui lui sert de base viseraient, d' une part, sans confusion possible les aides versées au CNTA par la SIDO et constitueraient, par ailleurs, le fondement juridique de la récupération de ces aides, sans qu' il soit resté à la société citée en dernier lieu la moindre marge d' appréciation quant au point de savoir s' il
fallait ou non procéder à cette récupération .

36 . Les requérantes estiment que, sans la décision attaquée, elles n' auraient pas été obligées de rembourser la somme en question .

37 . b)*Cependant, ce n' est qu' en apparence que l' on peut imputer à la décision d' apurement des comptes la responsabilité pour l' obligation de restitution à la SIDO des aides versées par cette dernière .

38 . En effet, tout bien considéré, la restitution a sans aucun doute finalement été la conséquence de la violation des normes communautaires par l' organisme d' intervention . C' est ce dernier qui, en versant les aides ( en prenant la précaution de demander au préalable la constitution d' une caution ) aux requérantes en violation des règles communautaires, a permis qu' ultérieurement la Commission considérât ces aides comme inéligibles au financement par le FEOGA et que la SIDO fût contrainte de
demander la restitution des sommes avancées .

39 . Ainsi que l' article 4 du règlement n°*729/70 du Conseil, du 21 avril 1970 ( 5 ), le dit expressément, la décision sur les paiements à effectuer conformément "aux règles communautaires et aux législations nationales" incombe aux organismes nationaux d' intervention désignés par les États membres .

40 . La Cour a déjà clairement dit que, "conformément aux principes généraux qui sont à la base du système institutionnel de la Communauté et qui régissent les relations entre la Communauté et les États membres, il appartient aux États membres, en vertu de l' article 5 du traité, d' assurer sur leurs territoires l' exécution des réglementations communautaires, notamment dans le cadre de la politique agricole commune" ( 6 ).

41 . Tout le système de l' organisation commune des marchés, comme celui des matières grasses, vise à responsabiliser les organismes nationaux pour les interventions, comme l' octroi d' aides, destinées à la régularisation des marchés agricoles .

42 . Cependant, l' octroi de ces aides par ces organismes est soumis au droit communautaire, et notamment à l' article 3, paragraphe 1, du règlement n°*729/70 qui limite le financement par le FEOGA aux interventions "entreprises selon les règles communautaires ".

43 . Si, en l' espèce, la SIDO considérait que les paiements en question étaient conformes aux règles communautaires, il lui appartenait de verser ces aides sans y mettre de condition . Si la décision d' apurement des comptes refusait ensuite de les prendre en considération, l' État français avait le droit de demander l' annulation de cette décision au titre de l' article 173 du traité . Or, bien qu' ayant soutenu que le non-paiement des aides par suite de simples erreurs administratives était
contraire au principe de proportionnalité, il n' en a rien fait; après avoir pris ses précautions en demandant la constitution de la caution, il s' est borné dans le cadre d' une autre procédure à contester cette décision dans sa partie relative aux produits de la pêche .

44 . C' est certainement parce qu' elle nourrissait des doutes, eu égard aux orientations de la Commission, que la SIDO a exigé la constitution d' une caution; d' autre part, il n' est pas évident que, en érigeant la décision de la Commission relative à l' apurement des comptes en condition résolutoire des aides accordées et en faisant porter ainsi à ladite Commission la responsabilité de décisions qu' il lui revenait de prendre, l' organisme national ait respecté la logique du système de gestion
décentralisé de la PAC consacré par le règlement n°*729/70 .

45 . Cependant, ne pourrait-on dire que, de la décision de la Commission qui n' a pas reconnu les aides en cause, découlait pour l' organisme national l' obligation de récupérer les aides, sans qu' il dispose à cet égard d' aucune marge d' appréciation ( 7 ), et ce que le versement des aides ait été inconditionnel ou soumis à la constitution d' une caution?

46 . Dans ces conditions, ne pourrait-on dire que la restitution des aides a été, en l' occurrence, une conséquence directe et nécessaire de la décision de la Commission?

47 . La réponse à cette question est, selon nous, négative .

48 . En effet, ce n' est pas de la décision de la Commission mais de l' article 8 du règlement n°*729/70 que, dans l' intérêt de l' application uniforme du droit communautaire, découle pour les administrations nationales l' obligation de récupérer les sommes indûment ou irrégulièrement payées .

49 . Ainsi que la Cour l' a déclaré 7, cette obligation a pour objet de faire obstacle à toute disposition qui rendrait la récupération de ces sommes pratiquement impossible ou qui donnerait aux administrations nationales un pouvoir d' appréciation sur l' opportunité d' exiger ou non leur restitution, sans préjudice du respect dû au principe de non-discrimination par rapport aux litiges du même type, mais purement nationaux ( 8 ).

50 . Toutefois, comme le dispose le même article 8, paragraphe 1, les fonctions de contrôle qui incombent aux autorités nationales compétentes, afin de prévenir et de sanctionner les irrégularités ainsi que de récupérer les sommes perdues, sont exercées "conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales", étant donné que, à son stade d' évolution actuel, le droit communautaire ne comporte pas de dispositions spécifiques qui pourraient se substituer à elles .

51 . Cela signifie que - sous réserve des limites imposées par les dispositions communautaires auxquelles nous nous sommes référé - "les litiges relatifs à la récupération de montants indûment versés en vertu du droit communautaire doivent, en l' absence de dispositions communautaires, être tranchés par les juridictions nationales, en application de leur droit national" ( 9 ).

52 . "Il s' ensuit que l' article 8, paragraphe 1, du règlement n°*729/70 ne règle pas les relations entre les organismes d' intervention et les opérateurs économiques concernés et ne constitue notamment pas une base juridique autorisant les autorités nationales à agir en répétition contre les bénéficiaires d' aides indûment versées, de telles actions étant soumises au droit national" ( 10 ), tant en ce qui concerne les conditions matérielles que les règles de procédure et de forme ( 11 ).

53 . En cas de doute sur la validité ou l' interprétation de normes communautaires, les juridictions nationales ont à leur disposition le mécanisme de l' article 177 du traité .

54 . Comme la Cour l' a reconnu dans les arrêts du 7 février 1979 ( 12 ), il n' est par ailleurs pas exclu que, dans bon nombre de cas, la récupération des sommes indûment versées aux bénéficiaires soit rendue impossible par suite d' une application objectivement erronée du droit communautaire, basée sur une interprétation adoptée de bonne foi par les autorités nationales . Dans ces conditions, les montants que les autorités nationales se seront à tort estimées autorisées à payer resteront à leur
charge, puisque la Commission ne peut faire supporter par le FEOGA des dépenses effectuées en violation des règles communautaires .

55 . Cela confirme que ce sont les organismes nationaux d' intervention qui sont responsables des décisions qu' ils prennent sur le point de savoir s' il faut ou non accorder des aides .

56 . La présente affaire a pour seule particularité le fait que les aides ont été versées sous condition de constitution d' une garantie bancaire, ce qui a permis à l' organisme d' intervention de les récupérer sans avoir à engager de procès devant les juridictions nationales . La caution lui a permis de respecter automatiquement et facilement l' obligation de récupération des aides, conformément à la législation nationale . Mais, en même temps, elle a pu faire croire de façon erronée aux
requérantes que le droit à l' aide dépendait d' une décision de la Commission et que la SIDO ne pourrait porter aucune appréciation à ce sujet avant qu' une telle décision n' ait été prise .

57 . Dans la stricte logique du raisonnement des requérantes, la décision aurait été imputable à la Commission et non à l' organisme national d' intervention, même si ce dernier avait refusé l' octroi des aides dès le départ au lieu de venir plus tard en demander la restitution . Cette décision de rejet aurait alors été simplement précaire ou provisoire et elle ne serait devenue définitive qu' après confirmation par la décision d' apurement des comptes du FEOGA .

58 . Outre qu' elle provoquerait une inadmissible insécurité juridique, une telle conception ferait table rase des principes généraux qui sont à la base du système institutionnel de la Communauté, auquel nous nous sommes déjà référé .

59 . L' objet d' une décision de la Commission relative à l' apurement des comptes au titre des dépenses financées par le FEOGA est simplement, pour reprendre les termes de la Cour ( 13 ), "de constater et de reconnaître que les dépenses ont été effectuées par les services nationaux en conformité avec les dispositions communautaires ". Dans le cadre des relations avec les opérateurs économiques, ces décisions ont donc une fonction déclarative et non constitutive, puisque les effets directs à l'
égard de ces opérateurs résultent des décisions des organismes nationaux d' intervention, dans l' exercice de leurs compétences propres .

60 . La Commission n' a, en général, aucun pouvoir d' intervenir directement dans la question de savoir si une aide doit être octroyée ou non et il ne lui est par conséquent pas possible d' imposer aux organismes nationaux l' adoption de mesures individuelles concrètes .

61 . La Cour l' a reconnu dans ses arrêts Sucrimex ( 14 ) et Interagra ( 15 ), relatifs au cas similaire des aides à l' exportation .

62 . Dans l' affaire qui a été tranchée par l' arrêt Krohn ( 16 ), le problème était différent : là, le droit communautaire attribuait à la Commission non pas une simple faculté d' exprimer un avis, mais le pouvoir d' imposer une certaine décision aux organismes nationaux . La Commission ayant fait usage de ce pouvoir pour indiquer à l' organisme national d' intervention quelle était la décision à prendre, la Cour a considéré que le recours contre la décision de la Commission était recevable,
puisque c' était à cette dernière qu' il fallait imputer l' illégalité alléguée par la requérante pour fonder ses prétentions .

63 . En octroyant en l' espèce des aides dans des conditions contraires au droit communautaire et en les faisant dépendre en outre d' une condition - la constitution d' une caution - que celui-ci ne prévoit pas, la SIDO a fait de son pouvoir d' appréciation une application erronée qui a déterminé l' exercice de sa "compétence liée" d' exiger la restitution des aides ( ou le paiement de la caution constituée à cet effet ).

64 . Les requérantes auraient d' ailleurs pu contester la légalité de la caution imposée par la SIDO comme condition à l' octroi de l' aide .

65 . Elles ne l' ont pas fait, préférant accepter cette condition plutôt que de courir le risque de voir l' aide demandée leur être refusée .

66 . Eu égard à ce qui précède, nous ne saurions considérer comme vérifiées les conditions visées à l' article 173, alinéa 2, du traité, et nous pouvons donc conclure à l' irrecevabilité des recours sur ce point .

III - Les demandes en indemnisation

67 . "Selon une jurisprudence constante de la Cour, l' action en indemnité au titre des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité a été instituée comme une voie autonome ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours, et subordonnée à des conditions d' exercice conçues en vue de son objet ." ( 17 )

68 . Elle n' a cependant pas pour objectif "de permettre à la Cour d' examiner la validité des décisions prises par les organes nationaux chargés de la mise en oeuvre de certaines mesures dans le cadre de la politique agricole commune ou d' apprécier les conséquences pécuniaires résultant de l' invalidité éventuelle de telles décisions ." ( 18 )

69 . De fait, il est également de jurisprudence constante que "les dispositions combinées des articles 178 et 215 du traité ne donnent compétence à la Cour que pour réparer les dommages causés par les institutions communautaires ou les agents de celles-ci agissant dans l' exercice de leurs fonctions, c' est-à-dire pour réparer les dommages susceptibles de mettre en jeu la responsabilité non contractuelle de la Communauté . En revanche, les dommages causés par les institutions nationales ne sont
susceptibles de mettre en jeu que la responsabilité de ces institutions et les juridictions nationales demeurent seules compétentes pour en assurer la réparation ." ( 19 )

70 . Or, dans le cas présent, la récupération des aides octroyées au CNTA n' est pas imputable à la Commission, mais bien à la SIDO, qui n' était soumise, à cet égard, à aucune instruction de la part de la Commission, mais seulement à l' obligation d' assurer l' exécution de la réglementation communautaire .

71 . S' il y a une quelconque illégalité à l' origine du préjudice allégué, c' est l' organisme français d' intervention qui en est le responsable et non pas la Commission .

72 . Les demandes en indemnisation présentées au titre des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité sont donc irrecevables, car la Cour n' a pas compétence pour en connaître; c' est aux juridictions françaises qu' il appartient, le cas échéant, d' y répondre .

73 . Il semble d' ailleurs qu' en l' espèce le recours aux instances juridictionnelles nationales assurerait aux intéressés une protection efficace, puisqu' il serait susceptible d' aboutir à la réparation du dommage allégué . Ainsi se trouve vérifiée la condition supplémentaire posée par la Cour relativement à l' obligation d' épuisement des voies de recours internes, qui permet d' intégrer l' action en indemnité dans "l' ensemble du système de protection juridictionnelle des particuliers instauré
par le traité" ( 20 ).

IV - La demande en annulation du règlement n°*1204/72

74 . Les requérantes ont demandé, à titre subsidiaire, l' annulation du règlement n°*1204/72, car ils considèrent que la sanction de perte des aides qui y est prévue pour la simple inobservation d' un délai est contraire au principe de proportionnalité .

75 . Il est manifeste que, si une telle demande d' annulation était formulée par la voie du recours direct prévu à l' article 173, elle serait irrecevable .

76 . Cependant, les requérantes ont précisé dans la réponse à l' exception d' irrecevabilité que leur demande en annulation n' avait pas été présentée dans le cadre d' un recours direct au sens de l' article 173, mais qu' elle constituait une exception d' illégalité formulée au titre de l' article 184 du traité . Or, la jurisprudence de la Cour ( 21 ) a déjà établi que "la possibilité que donne l' article 184 du traité d' invoquer l' inapplicabilité d' un règlement ne constitue pas un droit d'
action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente . En l' absence d' un droit de recours principal, les requérants ne peuvent invoquer l' article*184 ."

77 . Comme nous avons conclu à l' irrecevabilité du recours direct en annulation de la décision d' apurement des comptes, nous devrons également retenir celle de l' exception d' illégalité opposée au règlement n°*1204/72 . Au cas contraire, l' article 184 ne produirait pas l' effet recherché d' assurer aux personnes qui en sont exclues par l' article 173, alinéa 2, la possibilité de faire contrôler la légalité des actes normatifs par le truchement des décisions individuelles prises pour leur mise en
oeuvre ( 22 ); il aurait par contre pour effet pervers d' ouvrir les portes au contrôle de la légalité des actes des institutions au mépris des conditions de fond et de délai qui découlent du même article 173 .

78 . La Commission a encore soutenu au cours de l' audience - sur le mode dubitatif, il est vrai - que l' irrecevabilité de la demande en annulation du règlement n°*1204/72 pourrait résulter de l' article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure, puisque dans le recours elle avait été formulée au titre de l' article 173 et que l' article 184 n' aurait été invoqué que dans la réponse à l' exception d' irrecevabilité . Il ne nous semble toutefois pas qu' il en soit ainsi . Les requérantes n' ont
invoqué l' article 173 que pour demander l' annulation de la décision 85/456 . Quant à la demande d' annulation du règlement n°*1204/72, le recours ne comporte pas la moindre référence à son fondement légal . Mais, dans le cas contraire, nous ne penserions pas qu' un moyen nouveau ait été allégué . Le moyen invoqué était dès le recours l' illégalité du règlement . Dans la réponse à l' exception d' irrecevabilité, les requérantes se sont bornées à préciser que ce moyen était invoqué non pas à titre
principal, mais par voie d' exception .

V - Conclusion

79 . Par ces motifs, nous concluons en vous proposant de déclarer les recours irrecevables et de condamner les requérantes aux dépens, conformément aux dispositions de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure .

(*) Traduit du portugais .

( 1 ) JO L 267 du 9.10.1985, p.*24 .

( 2 ) JO L 133 du 10.6.1972, p.*1 .

( 3 ) JO L 172 du 30.9.1966, p.*3025 .

( 4 ) JO L 222 du 2.10.1971, p.*2 .

( 5 ) JO L 94 du 28.4.1970, p.*13 .

( 6 ) Arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor/Allemagne, affaires jointes 205 à 215/82*; Rec . 1983, p.*2633, plus particulièrement p.*2665, point*17 des motifs .

( 7 ) Voir l' arrêt Deutsche Milchkontor, précité, point 22 des motifs .

( 8 ) Arrêt Deutsche Milchkontor, précité, point*23 des motifs .

( 9 ) Arrêt Deutsche Milchkontor, précité, point*19 des motifs; voir, également, la jurisprudence qui y est citée .

( 10 ) Arrêt Deutsche Milchkontor, précité, point*20 des motifs .

( 11 ) Arrêt Deutsche Milchkontor, précité, point*36 des motifs .

( 12 ) Arrêt 11/76, Pays-Bas/Commission, Rec . 1979, p.*245, plus particulièrement p.*278 et 279; arrêt 18/76, Allemagne/Commission, Rec . 1979, p.*343, plus particulièrement p.*384 .

( 13 ) Arrêt du 14 janvier 1981 dans l' affaire 819/79, Allemagne/Commission, Rec . 1981, p.*21, plus particulièrement p.*34, point 8 des motifs .

( 14 ) Arrêt du 27 mars 1980 dans l' affaire 133/79, Rec . 1980, p.*1299, plus particulièrement p.*1309 .

( 15 ) Arrêt du 10 juin 1982 dans l' affaire 217/81, Rec . 1982, p.*2233, plus particulièrement p.*2247 et 2248 .

( 16 ) Arrêt du 26 février 1986 dans l' affaire 175/84, Rec . 1986, p.*753, 763, points 21 à 23 des motifs .

( 17 ) Arrêt Krohn, précité, point 26 des motifs .

( 18 ) Arrêt du 12 décembre 1979 dans l' affaire 12/79, Hans-Otto Wagner/Commission, Rec . 1979, p.*3657 ; arrêt Interagra, précité, p.*2248 .

( 19 ) Arrêt Krohn, point 18 des motifs .

( 20 ) Arrêt Krohn, précité, point 27 des motifs . La référence faite par les requérantes lors de l' audience à l' arrêt du 17 décembre 1981 dans l' affaire 197/80, Walzmuehle/Commission ( Rec . 1981, p.*3211 ), est sans pertinence, puisque dans cette affaire la situation des parties était telle qu' il n' y avait aucune possibilité de recours interne .

( 21 ) Arrêt du 16 juillet 1981 dans l' affaire 33/80, Albini/Conseil et Commission, Rec . 1981, p.*2141, plus particulièrement p.*2157 .

( 22 ) Arrêt du 6 mars 1979 dans l' affaire 92/78, Simmenthal/Commission, Rec . 1979, p.*777, plus particulièrement p.*800 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 89
Date de la décision : 17/03/1987
Type de recours : Recours en responsabilité - irrecevable, Recours en annulation - irrecevable

Analyses

Aide pour les graines oléagineuses - Recevabilité.

Matières grasses

Agriculture et Pêche

Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA)


Parties
Demandeurs : L'Étoile commerciale et Comptoir national technique agricole (CNTA)
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Vilaça
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:139

Source

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