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24/02/1987 | CJUE | N°402/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 24 février 1987., G. Basset contre Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM)., 24/02/1987, 402/85


Avis juridique important

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61985C0402

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 24 février 1987. - G. Basset contre Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Versailles - France. - Gestion de droits d'auteur - Disparité de lé

gislations nationales. - Affaire 402/85.
Recueil de jurisprudence 1987 pag...

Avis juridique important

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61985C0402

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 24 février 1987. - G. Basset contre Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Versailles - France. - Gestion de droits d'auteur - Disparité de législations nationales. - Affaire 402/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 01747

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A - Les faits

1 . Dans l' affaire qui nous préoccupe aujourd' hui, la cour d' appel de Versailles nous demande d' interpréter, d' une part, les articles 30 et 36 du traité CEE et, d' autre part, l' article 86 de ce même traité au sujet du "droit complémentaire de reproduction mécanique" que la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ( ci-après "SACEM ") impose aux discothèques françaises pour l' utilisation de disques, même provenant d' autres États membres .

2 . On retiendra à cet égard les points qui suivent .

3 . Aux termes de la loi française du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, le droit d' exploitation appartenant à l' auteur comprend, d' une part, le droit de représentation ( c' est-à-dire la communication directe de l' oeuvre au public mais aussi, selon la jurisprudence et une loi du 3 juillet 1985, la diffusion publique de musique préalablement enregistrée sur phonogramme ) et, d' autre part, le droit de reproduction ( c' est-à-dire la fabrication du support matériel de l'
oeuvre qui permet de la communiquer au public de façon indirecte ). La loi citée stipule expressément que la cession du droit de représentation n' emporte pas cession du droit de reproduction, et vice versa . L' article 31 de la loi prévoit également expressément que, lors de la transmission du droit d' auteur, le domaine d' exploitation doit être délimité quant à son étendue et à sa destination . Il est par conséquent expressément prévu, lors de la cession du droit de reproduction ( en règle
générale aux fabricants de phonogrammes contre paiement d' un droit de reproduction ), que la mise sur le marché n' est autorisée qu' en vue d' une utilisation privée . L' exécution de ces oeuvres en public au moyen de phonogrammes donne lieu au paiement non seulement d' un droit de représentation, mais aussi du droit complémentaire de reproduction que nous évoquions en introduction .

4 . Dans la Communauté, ce régime juridique ne subsiste plus qu' en Belgique - en vertu de la jurisprudence -, alors que, selon le droit des autres États membres, le droit de reproduction est épuisé par sa cession à un fabricant de phonogrammes, et que seul un droit de représentation doit être acquitté pour la diffusion en public .

5 . La gestion des droits d' auteur est assurée en France par la SACEM, société regroupant les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, fabricants de phonogrammes et interprètes, que nous avons déjà évoquée . Elle administre les oeuvres de ses membres ainsi que celles des sociétés étrangères d' exploitation avec lesquelles elle est liée par des contrats de représentation non exclusive . L' exploitation du droit de reproduction est déléguée à sa filiale, la SDRM ( Société pour l' administration
du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs ); mais c' est la SACEM, mandatée à cet effet, qui est chargée de percevoir le droit complémentaire de reproduction pour l' utilisation publique de phonogrammes .

6 . La SACEM conclut avec les utilisateurs d' oeuvres musicales, notamment les discothèques, des contrats prévoyant le paiement de redevances en fonction du rôle que joue la musique pour les utilisateurs . Elle exige, pour les discothèques, une part de 8,25 % des recettes comprenant, sans que cela soit expressément mentionné dans les contrats, un droit de 6,6 % au titre de la représentation en public et un droit complémentaire de 1,65 % au titre de la reproduction mécanique .

7 . Le demandeur au principal exploite, depuis 1974, une discothèque à Fréjus et y diffuse des disques dont la SACEM est chargée de gérer les droits . La cour d' appel de Versailles a été saisie, sur renvoi de la Cour de cassation, du litige survenu entre les deux parties . Elle a déféré à la Cour la question de savoir si les articles 30 et 36 ou l' article 86 du traité CEE font obstacle à la perception par la SACEM du "droit complémentaire pour la reproduction mécanique" que nous évoquions en
introduction .

8 . Sur les détails supplémentaires concernant les faits antérieurs au litige principal, le libellé et les motifs de l' ordonnance de renvoi, ainsi que sur la teneur des observations écrites présentées à la Cour, nous renvoyons au rapport d' audience . Nous reviendrons si nécessaire dans nos conclusions sur la procédure orale .

B - Conclusions

9 . Nos conclusions sur les questions qui nous sont soumises sont les suivantes .

I - Sur la première question

1 . 10 . On a objecté au cours de la procédure, vous vous en souvenez, que l' article 30 du traité CEE ne serait pas pertinent parce que l' application de la législation française contestée - sur la perception d' un droit pour l' exécution en public de musique enregistrée sur phonogrammes - concernerait, en réalité, une prestation de services . On a également émis des réserves sur l' applicabilité de l' article 30 à de tels faits, au motif que la législation en cause n' aurait pas pour objet les
échanges commerciaux et les opérations d' importation, qu' elle n' aurait aucun rapport avec la libre circulation des marchandises et que le franchissement des frontières serait, en particulier, dépourvu de signification à son égard . On a, en outre, également allégué qu' en tout état de cause le fait que le droit en question s' applique de la même façon à l' utilisation de phonogrammes importés et de produits nationaux ferait obstacle à l' application de l' article 30 aux faits en cause dans le
litige principal .

11 . Nous répondrons à ces objections - et c' est pourquoi nous nous sommes contenté de les résumer - qu' elle permettent difficilement de résoudre le problème posé dans le litige principal, car elles sont manifestement fondées sur une conception trop étroite de l' article 30 .

12 . On sait, selon la formule constamment employée par la jurisprudence, que l' article 30 s' applique à toute mesure susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre États membres ( voir, notamment, l' arrêt dans l' affaire 229/83 ( 1 )). Ce sont donc les effets qui se font sentir sur les échanges commerciaux qui sont déterminants du point de vue de l' article 30 . Mais ces effets peuvent tout aussi bien se produire et constituer une entrave,
comme le montre une abondante jurisprudence, dans une législation ayant un tout autre objet que les échanges commerciaux et les importations . De telles entraves ne sont pas non plus à exclure dans le cas d' une législation concernant des prestations de services, alors que, en particulier, à l' occasion de celles-ci, des phonogrammes - dans le cas de l' exécution de musique dans les discothèques -, donc des marchandises au sens du traité, tiennent une place essentielle .

13 . Il est clair, d' autre part, qu' il ne suffit pas de faire valoir que le régime s' applique de la même façon aux produits importés et aux produits nationaux pour exclure l' application de l' article 30 . On peut rappeler, à cet égard, l' arrêt dans l' affaire 130/80 ( 2 ), qui concernait une réglementation d' application générale selon laquelle la quantité de matière sèche contenue dans le pain devait respecter certaines valeurs limites; on peut encore rappeler à cet égard les réglementations
des prix qui faisaient l' objet des affaires 16 à 20/79 ( 3 ) et 231/83 ( 4 ), pour l' appréciation desquelles on a recherché si les prix étaient fixés de telle sorte qu' ils annulaient l' avantage concurrentiel dont jouissaient les produits importés . On ne saurait toutefois oublier, pour ce qui est des problèmes posés dans le litige principal, que condamner la perception du droit complémentaire de reproduction à l' occasion de l' utilisation de phonogrammes importés ( en raison de considérations
tenant à l' objet propre du droit d' auteur et à son épuisement en raison de la reproduction régulière à l' étranger ) pourrait conduire les utilisateurs à privilégier ces phonogrammes en raison de leur prix plus avantageux, et faire ainsi augmenter les importations . Cela signifierait aussi a contrario que la perception de ce droit pourrait entraver les importations et qu' on pourrait donc effectivement envisager d' appliquer l' article 30 en dépit de la perception identique du droit en cause sur
les importations et sur les produits nationaux .

2 . 14 . On observera que le juge du fond a expressément conclu dans son ordonnance de renvoi que le montant total de la redevance ( 8,25 % des recettes ) ne peut pas être contesté en raison de son caractère prétendument excessif, et qu' il a également conclu que le demandeur a admis la licéité de l' emploi du taux forfaitaire ( l' article 35 de la loi française prévoyant en effet expressément l' évaluation forfaitaire ), mais plusieurs autres arguments peuvent encore être avancés, qui nous amènent
à conclure que l' article 30 ne s' applique pas en réalité aux faits en cause dans le litige principal .

15 . a ) Ainsi, on le sait, la Commission estime que, en admettant que le droit complémentaire de reproduction ne soit pas conforme au droit communautaire et doive donc être supprimé à l' égard des importations, il est fort probable que la SACEM - comme les rapports de force existants le lui permettent parfaitement - continuerait à exiger des discothèques 8,25 % de leurs recettes, à titre de rétribution de la seule autorisation de représentation publique . On ne pourrait rien objecter en droit à
cela, puisqu' il ne fait pas de doute que la fabrication et la mise en circulation des phonogrammes dans un autre État membre ne suffisent pas à épuiser cette partie du droit d' exploitation . En définitive, l' élimination du droit complémentaire de reproduction n' aurait donc aucun effet bénéfique pour les phonogrammes importés; de ce point de vue, il serait vain de s' attendre à ce qu' ils deviennent plus attrayants et à ce que les courants d' échange soient modifiés de la sorte .

16 . Il n' est pas contestable, à notre avis, que cet argument a une certaine valeur . On ne saurait objecter à cela, comme la SACEM l' a fait à l' audience, que pareille modification ne serait pas sans poser des problèmes, parce que les divers éléments constitutifs des droits auraient des titulaires différents ( la Commission a montré dans ses observations écrites, sans être désavouée, comment s' effectue la répartition aux termes de laquelle la plus grande part va aux éditeurs ). L' important est
que les contrats conclus par la SACEM ne fassent allusion qu' à une redevance globale . Mais c' est à la société d' exploitation qu' il appartient de procéder à la répartition interne entre les bénéficiaires, et elle n' a sans doute aucune difficulté à évaluer les parts revenant aux différents bénéficiaires, qu' elle se fonde sur la redevance globale ou sur des éléments de celle-ci .

17 . b ) On admettra un autre fait déterminant : il est indispensable de procéder au calcul des droits avec les discothèques et les autres utilisateurs de phonogrammes sur une base forfaitaire, comme le prévoit expressément la loi française du 11 mai 1957 . De ce fait, il est bien difficile de soutenir qu' une éventuelle disparition du droit complémentaire de reproduction ( pour les phonogrammes importés, en raison de considérations tenant au droit d' auteur ) aurait un effet stimulant sur les
achats des divers utilisateurs et influerait ainsi sur les courants d' échange . En effet, si cette disparition se produisait et qu' en conséquence, en raison précisément de la proportion de phonogrammes importés dans le répertoire de toute discothèque, le droit complémentaire de reproduction n' était plus perçu que dans de moindres proportions ( c' est-à-dire seulement sur les phonogrammes d' origine nationale ), il serait impossible de mesurer cela individuellement . Il faudrait, pour éviter toute
contestation, soit se fonder sur les statistiques générales de ventes en admettant que l' utilisation de phonogrammes importés par les discothèques correspond à celles-ci, soit, à la rigueur, procéder au calcul de moyennes par des sondages effectués auprès de différentes discothèques concernant l' utilisation de phonogrammes importés . La seule conséquence de cette modification serait donc, comme la Commission le souligne à juste titre, que les sommes transférées aux sociétés d' exploitation
étrangères seraient proportionnellement réduites, sans qu' il soit établi que les décisions d' achat des différents propriétaires de discothèques en seraient affectées, provoquant des effets sur les courants d' échange .

18 . c ) On retiendra, enfin, un autre argument de taille . Ce sont les préférences du public qui déterminent, au premier chef, les décisions des exploitants de discothèques, c' est-à-dire, le demandeur au principal l' a souligné, la musique des pays anglo-saxons et d' Italie . Il est évident que les décisions d' achat sont prises en fonction de cela; il est en revanche hautement douteux qu' un certain avantage pécuniaire provoqué par la disparition du droit complémentaire de reproduction sur l'
utilisation de phonogrammes importés puisse jouer un rôle . Même en admettant, donc, qu' il serait possible d' influer sur les décisions d' achat prises par les propriétaires de discothèques par une modification du mode de calcul de la redevance, il est peu probable que cette influence puisse avoir la moindre importance face aux décisions tenant au goût du public qui priment sans aucun doute, et qu' elle permette d' accréditer des effets sur les courants d' échange .

19 . d ) Si l' on est par conséquent fondé à soutenir que la perception du droit complémentaire de reproduction n' est pas une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l' article 30, on notera, pour être tout à fait complet, qu' on ne peut pas opposer à cela l' arrêt dans les affaires jointes 55 et 57/80 ( 5 ), auquel le demandeur accorde manifestement une grande importance, notamment, sans doute, parce que la commission française de la concurrence y a fait allusion dans
son avis du 19 juin 1986 . Les faits sont, en effet, de tout autre nature .

20 . L' affaire évoquée révélait, en effet, une atteinte directe aux importations ( en raison de la perception par la société allemande d' exploitation d' un droit de licence supplémentaire sur les phonogrammes en provenance d' autres États membres ), donc une influence directe sur les ventes et non pas seulement, comme en l' espèce, une influence s' exerçant de façon hypothétique et indirecte sur les décisions d' achat des clients nationaux, décisions généralement postérieures aux importations .
Autre élément décisif dans cette affaire, la société allemande d' exploitation invoquait le droit d' exploitation qui lui était confié, sous la forme d' un droit de reproduction, ce qui laissait à penser, en vertu de la jurisprudence applicable dans des domaines voisins, que ce droit pouvait être considéré comme épuisé après la mise sur le marché à l' étranger à laquelle l' auteur lui-même avait consenti .

21 . En revanche, il ne s' agit pas en réalité, dans la présente espèce, de l' exercice d' un droit qui a déjà été épuisé dans un autre État membre ( c' est-à-dire le droit de reproduction ), mais, en dépit d' une terminologie trompeuse sans doute choisie en tenant compte des bénéficiaires, d' un droit proche du droit d' exécution, dont il n' a pas encore été fait usage à l' étranger, et qui s' exerce de nouveau à l' occasion de chaque représentation .

22 . L' arrêt évoqué ne fournit donc certainement pas d' enseignements directs pour la présente espèce . Il faudrait, en fait, considérablement élargir et modifier cette jurisprudence pour pouvoir régler le problème qui nous intéresse ici . Encore nous faut-il maintenant rechercher s' il existe à cela des raisons impératives .

3 . 23 . Nous estimons, quitte à dévoiler dès maintenant le résultat de nos réflexions, qu' il n' existe, en réalité, aucune raison décisive de préconiser pareille démarche . Quand bien même devrait-on admettre que l' article 30 s' applique en soi en l' espèce, des arguments décisifs nous semblent s' opposer à ce que la perception du droit complémentaire de reproduction sur l' utilisation de disques importés soit considérée comme contraire au traité .

24 . a ) En effet, la SACEM a justement invoqué en premier lieu, à cet égard, l' article 36 auquel la première question fait expressément allusion, c' est-à-dire la disposition selon laquelle les restrictions au commerce sont notamment justifiées par la protection de la propriété industrielle et commerciale .

25 . Or, le droit d' auteur en fait partie, comme l' arrêt cité l' a clairement montré . De plus, la question posée dans ce domaine a toujours été, fort justement, de savoir si l' exercice du droit et ses effets sur le commerce concernent l' objet spécifique du droit de propriété industrielle en cause ( voir l' arrêt dans l' affaire 78/70 ( 6 ); dans le domaine de l' exercice du droit des brevets, on s' est fondé sur ce qui constitue la substance du droit : arrêt dans l' affaire 187/87 ( 7 )) en
recherchant s' il en résulte des entraves aux échanges commerciaux .

26 . Pour ce qui est du droit d' auteur lui-même, il est caractérisé dans le système juridique de tous les États membres par un droit d' utilisation revêtant, d' une part, la forme du droit de reproduction et, d' autre part, la forme du droit de représentation ( y compris lorsque l' exécution est assurée par phonogrammes ). La particularité du droit français réside dans le fait que la cession du droit de reproduction peut être limitée à une utilisation donnée ( l' usage privé ); si l' oeuvre
matérielle vient à être utilisée en public, le fameux droit complémentaire de reproduction est alors dû . On estime manifestement que cela est justifié par le souci d' une répartition équitable des recettes tirées de chaque utilisation et d' une répartition appropriée des charges entre les différents utilisateurs ( ce qu' on peut trouver convaincant, encore que la dénomination de la redevance ne paraisse pas particulièrement heureuse ).

27 . On pourrait donc dire que cette particularité du droit français ( la définition de l' utilisation précise lors de la cession du droit de reproduction ) constitue une partie de l' objet spécifique du droit d' auteur et que l' exercice de ce droit, entraînant la perception d' une redevance spéciale pour l' utilisation publique de phonogrammes, est couvert par l' article 36 . Mais il importe en tout état de cause, dans les circonstances du litige principal, de dire, quant aux phonogrammes importés
d' autres États membres, que le droit de reproduction est épuisé en ce qui les concerne, mais non, en revanche, le droit d' exécution qui, tout comme pour les films ( voir l' arrêt dans l' affaire 62/79 ( 8 )), s' exerce à chaque exécution de l' oeuvre . Si donc, dans un autre État membre que l' État de fabrication, l' auteur ou son représentant réclame un droit d' exécution à l' occasion de l' utilisation publique de phonogrammes, il s' agit là sans aucun doute de l' exercice d' un droit touchant à
la substance même du droit d' auteur et il doit, à ce titre, être reconnu conformément à l' article 36, même s' il a pour effet de restreindre les échanges .

28 . b ) On a en outre invoqué à juste titre, d' une part, les dispositions d' accords internationaux auxquels les États membres sont parties ( c' est-à-dire la convention de Berne sur le droit d' auteur, du 9 septembre 1886, dans sa version du 24 juillet 1971, et la convention de l' Unesco, du 16 septembre 1952 ) ainsi que, d' autre part, l' article 234 du traité CEE, selon lequel les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l' entrée en vigueur du traité entre un ou
plusieurs États membres, d' une part, et un ou plusieurs États tiers, d' autre part, ne sont pas affectés par les dispositions de ce traité . Puisque, selon ces accords ( dont celui de Berne précise expressément que le droit de reproduction et le droit de représentation sont tous deux protégés ), les oeuvres des ressortissants d' autres États signataires doivent, par principe, être protégées dans chaque État signataire selon les dispositions en vigueur dans celui-ci ( c' est-à-dire que le traitement
national doit être assuré ), cela implique effectivement que le système français doit être appliqué en France dans tous ses éléments ( même ceux qui peuvent ne pas sembler pleinement convaincants au regard des "dogmes" du droit d' auteur ) aux oeuvres provenant d' autres États membres . Puisque, donc, selon le droit français, la diffusion publique de phonogrammes en France donne lieu à un droit complémentaire de reproduction, celui-ci ne saurait, aux termes des accords évoqués, être réservé aux
oeuvres françaises; il doit, au contraire, être appliqué aussi aux phonogrammes d' autres États membres qui ne le connaissent pas sous cette forme, et les atteintes aux échanges qui en résultent ne peuvent donc pas être considérées comme incompatibles avec le droit communautaire .

4 . 29 . On retiendra donc sur la première question, sans qu' il paraisse nécessaire d' aborder plus particulièrement aucun autre des éléments qu' elle évoque ( tel le fait que la SACEM détient un monopole de fait pour la protection de son répertoire et qu' il existe des accords de représentation réciproque avec les sociétés étrangères correspondantes ), que l' article 30 du traité CEE ( éventuellement combiné avec l' article 36 et avec les accords internationaux ) ne fait pas obstacle à ce que la
société française chargée de la gestion des droits d' auteurs perçoive des utilisateurs, à l' occasion de l' exécution publique d' oeuvres du répertoire des sociétés étrangères au moyen de phonogrammes mis en libre pratique sur le territoire de ces États membres, une redevance qualifiée de droit complémentaire de reproduction mécanique, même si celle-ci n' est pas prévue dans les États membres dont proviennent les enregistrements .

II - Sur la deuxième question

30 . Cette deuxième question est formulée comme la première, mais il s' agit là d' interpréter l' article 86 du traité CEE . En d' autres termes, il convient de rechercher si cette disposition fait obstacle à ce que la SACEM perçoive un droit complémentaire de reproduction lors de la diffusion de phonogrammes provenant d' autres États membres .

31 . On nous a dit à ce sujet que la Commission procède, à la suite d' une plainte, à une enquête sur les liens existant entre la SACEM et les sociétés d' exploitation étrangères et, en ce qui concerne le montant des redevances perçues par la SACEM, sur l' article 86 du traité CEE . Mais nous devons souligner ici que la présente affaire ne concerne pas le montant des redevances exigées par la SACEM, sur lequel le représentant de M . Basset s' est exprimé en détail, établissant en particulier des
comparaisons avec les redevances dues par les discothèques dans d' autres pays . Le juge du fond a, en effet, expressément constaté sur ce point que le niveau des droits n' était en définitive pas inéquitable . La question qui nous préoccupe, en réalité, est de savoir si l' article 86 fournit des arguments contre la perception du droit complémentaire de reproduction en soi .

32 . Sur cette question, nous devons confesser, au terme des observations qui ont été présentées durant la procédure, que nous avons quelques difficultés à suivre le raisonnement fondé sur l' article 86 . Même les observations présentées à cet égard par l' avocat de M . Basset ne nous ont, en fait, pas éclairé .

33 . A s' en tenir aux rares indications qui nous ont été données sur ce point, et après avoir pesé tous les motifs, il nous faut conclure que l' article 86 ne fournit aucun argument allant contre la perception du droit complémentaire de reproduction .

34 . La SACEM a exposé, à juste titre, que l' observation permet manifestement d' éliminer en l' espèce, parmi les pratiques abusives énumérées à l' article 86, celles visées :

- sous b ) ( limitation de la production, des débouchés ou du développement technique ),

- sous c ) ( application à l' égard de partenaires commerciaux de conditions inégales pour des prestations équivalentes, ce point ayant été abordé par le juge du fond lui-même pour ce qui est de la comparaison avec les redevances exigées d' autres utilisateurs ) et

- sous d ) ( prestations supplémentaires, sans lien avec l' objet du contrat, imposées à un partenaire ).

35 . Seul pourrait donc être à la rigueur envisagé le cas évoqué sous a ), visant les cas où des prix ou des conditions de transactions non équitables sont imposés . On a avancé, à cet égard, que la SACEM, en percevant le droit complémentaire de reproduction, aurait excédé le mandat que lui ont délivré les sociétés étrangères d' exploitation .

36 . Mais on constate rapidement que les faits sont, en réalité, bien différents . Comme la SACEM l' a fermement assuré, les contrats en cause prévoient expressément le traitement national . Celui-ci est d' ailleurs également exigé, nous l' avons vu, par les accords internationaux applicables .

37 . De même, la critique des méthodes de perception de la SDRM dans le rapport de la commission de la concurrence déjà évoqué ne nous est d' aucune aide, puisque c' est le mode de perception qui est critiqué, et non la perception en soi .

38 . Il nous faut donc effectivement admettre que la retenue en France d' un droit complémentaire de reproduction, c' est-à-dire l' exercice d' un droit légalement prévu, même à l' occasion de l' utilisation de phonogrammes importés, ne peut pas être considérée comme un cas de pratique abusive au sens de l' article 86 .

39 . Du reste, si l' on se souvient, comme nous l' avons déjà dit en introduction, qu' on peut difficilement alléguer une atteinte aux échanges commerciaux en l' espèce, et que l' exercice du droit évoqué est sans rapport avec la position dominante de la SACEM ( il est en fait réservé à chaque auteur en vertu de la loi, sans qu' on puisse pour autant conclure à une position dominante : voir l' arrêt dans l' affaire 78/70, précitée ), il est clair, alors, qu' on ne saurait songer à recourir à l'
article 86 du traité CEE dans les circonstances de fait du litige principal .

C - Conclusions

Nous proposons, par conséquent, de répondre aux questions déférées par la cour d' appel de Versailles de la façon suivante :

40 . Ni l' article 30 ni l' article 86 du traité ne font obstacle à ce qu' une société nationale de gestion des droits d' auteur détenant un monopole de fait pour la protection de son répertoire et liée par des contrats de représentation réciproque avec diverses sociétés étrangères de même nature, notamment issues d' autres États membres de la Communauté, perçoive, à l' occasion de l' exécution publique d' oeuvres du répertoire de ces sociétés étrangères au moyen de phonogrammes mis en libre
pratique sur le territoire de ces États membres, une redevance qualifiée de droit complémentaire pour la reproduction mécanique, qui n' est pas légalement prévue dans les États membres dont proviennent les enregistrements importés .

(*) Traduit de l' allemand .

( 1 ) Arrêt de la Cour du 10 janvier 1985 dans l' affaire 229/83, Leclerc/SARL "Au blé vert" et autres, Rec . 1985, p . 17 .

( 2 ) Arrêt du 19 février 1981 dans l' affaire 130/80, Procédure pénale contre Fabriek voor Hoogwaardige Voedingsprodukten Kelderman BV, Rec . 1981, p . 527 .

( 3 ) Arrêt du 6 novembre 1979 dans les affaires jointes 16 à 20/79, Procédure pénale contre Joseph Danis et autres, Rec . 1979, p . 3327 .

( 4 ) Arrêt du 29 janvier 1985 dans l' affaire 231/83, Cullet et CSNCRA/Centre Leclerc à Toulouse et Centre Leclerc à Saint-Orens-de-Gameville, Rec . 1985, p . 315 .

( 5 ) Arrêt du 20 janvier 1981 dans les affaires jointes 55 et 57/80, Musikvertrieb Membran und K-tel International/GEMA, Rec . 1981, p . 147 .

( 6 ) Arrêt du 8 juin 1978 dans l' affaire 78/70, Deutsche Grammophon/Metro-SB-Grossmaerkte, Rec . 1971, p . 487 .

( 7 ) Arrêt du 14 juillet 1981 dans l' affaire 187/80, Merck/Stephar, Rec . 1981, p . 2063 .

( 8 ) Arrêt du 18 mars 1980 dans l' affaire 62/79, Coditel et autres/SA Ciné Vog Films et autres, Rec . 1980, p . 881 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 402/85
Date de la décision : 24/02/1987
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Versailles - France.

Gestion de droits d'auteur - Disparité de législations nationales.

Libre circulation des marchandises

Mesures d'effet équivalent

Restrictions quantitatives

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Position dominante

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : G. Basset
Défendeurs : Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM).

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:100

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