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10/02/1987 | CJUE | N°167

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 10 février 1987., Associazione industrie siderurgiche italiane (Assider) et République italienne contre Commission des Communautés européennes., 10/02/1987, 167


Avis juridique important

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61985C0167

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 10 février 1987. - Associazione industrie siderurgiche italiane (Assider) et République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Recours en carence - Article 15B de la décision n. 234/84/CECA relatif au re

spect du flux traditionnel des échanges. - Affaires jointes 167 et 212/85....

Avis juridique important

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61985C0167

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 10 février 1987. - Associazione industrie siderurgiche italiane (Assider) et République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Recours en carence - Article 15B de la décision n. 234/84/CECA relatif au respect du flux traditionnel des échanges. - Affaires jointes 167 et 212/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 01701

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L' Associazione industrie siderurgiche italiane ( ci-après "Assider ") et le gouvernement de la République italienne ont introduit des recours en carence tendant à l' annulation des décisions implicites de refus opposées par la Commission à leurs mises en demeure datant respectivement du 18 février et du 2 avril 1985 et demandant l' application intégrale des mesures prévues à l' article 15B de la décision 234/84/CECA de la Commission, du 31 janvier 1984, prorogeant le régime de surveillance et de
quotas de production de certains produits pour les entreprises de l' industrie sidérurgique ( 1 ).

A titre subsidiaire, le recours d' Assider porte, également, sur l' annulation de la décision explicite de refus contenue éventuellement dans une lettre de la Commission du 22 mars 1985 qui, adressée au ministre italien de l' Industrie, lui a été transmise le 24 avril suivant .

Le cadre réglementaire et les détails des faits, moyens et arguments sont présentés dans le rapport d' audience . Je ne les rappellerai, dès lors, que dans la mesure du strict nécessaire . Avant d' aborder l' examen du fond, je voudrais présenter quelques brèves considérations sur la recevabilité des deux recours .

A - Sur la recevabilité

La Commission soulève une exception d' irrecevabilité à l' encontre de la demande subsidiaire d' Assider, au motif que les lettres des 22 mars et 24 avril 1985 n' auraient pas le caractère d' une décision explicite de refus de poursuivre la procédure de l' article 15B, mais ne feraient qu' indiquer la nature des mesures déjà adoptées et annoncer l' approfondissement des vérifications en vue d' éventuelles actions complémentaires .

Toutefois, la question de savoir si une décision explicite est ou n' est pas intervenue dans le délai de deux mois prévu à l' article 35, alinéa 3, du traité CECA doit être examinée d' office par la Cour ( 2 ). Aussi convient-il également de voir si la lettre du 2 mai 1985, adressée au gouvernement italien en réponse à sa mise en demeure du 2 avril 1985, a ou non le caractère d' une telle décision . Si tel devait être le cas, le silence aurait été interrompu et seule la voie du recours en annulation
basé sur l' article 33 aurait été ouverte .

En l' occurrence, la lettre du 24 avril 1985, ( à laquelle était annexée la lettre du 22 mars 1985 ), et la lettre du 2 mai 1985 ne sauraient être considérées comme ayant interrompu le silence de la Commission .

Il résulte, en effet, de la jurisprudence de la Cour qu' on n' est pas en présence d' une décision explicite, même négative, susceptible d' interrompre la carence, si l' institution a informé simplement l' intéressé que les questions soulevées par lui étaient mises à l' étude ( 3 ) et qu' elle avait entamé les travaux préparatoires nécessaires ( 4 ), ou si l' institution s' est limitée à reproduire et expliquer sa position juridique antérieure ( 5 ).

Or, tel a été effectivement le cas en l' espèce .

Dans sa lettre du 24 avril 1985, la Commission, tout en rappelant dans la lettre annexée du 22 mars 1985 les initiatives déjà prises, se limite à promettre de "tenir ( Assider ) au courant au cas où l' approfondissement des enquêtes en cours ferait apparaître des éléments susceptibles de justifier d' autres actions de la Commission dans le cadre de la procédure prévue à l' article 15B de la décision n° 234/84/CECA ".

Dans sa lettre du 2 mai 1985, elle précise que "l' ensemble de ces actions ( déjà entreprises ) est cohérent avec les déclarations faites par la Commission à la Cour de justice" dans le cadre de l' affaire 45/84 R ( 6 ), et propose la mise sur pied d' une procédure appropriée de transmission réciproque des informations devant lui permettre d' approfondir l' examen des données disponibles .

Les lettres des 24 avril et 2 mai 1985 n' ont donc pas le caractère de décisions explicites de refus de prendre les mesures requises . La demande subsidiaire d' Assider tendant à l' annulation de la décision éventuellement contenue dans la lettre du 24 avril 1985 n' est, dès lors, pas recevable, faute d' objet .

B - Sur le fond

Assider et le gouvernement italien affirment que la Commission serait en situation de carence, parce qu' elle aurait refusé, à tort, de prendre les mesures que le paragraphe 4 de l' article 15B de la décision 234/84/CECA lui imposerait d' adopter obligatoirement dès que les conditions y décrites seraient remplies . A titre subsidiaire, pour le cas où la Commission disposerait d' un pouvoir discrétionnaire en la matière, ils allèguent un détournement de pouvoir qu' elle aurait commis en attribuant
aux paragraphes 4 et 5 une finalité différente de celle qui serait la leur .

La Commission, par contre, écarte toute interprétation strictement littérale des dispositions en cause pour ne leur reconnaître qu' un caractère subsidiaire . Elle ne serait en droit d' appliquer les mesures y prévues que d' une façon très prudente et dans des conditions très strictes, à savoir uniquement après avoir constaté au préalable, d' une part, que le déséquilibre dans les livraisons traditionnelles est imputable à l' action d' entreprises utilisant des procédés contraires au droit
communautaire et, d' autre part, que les sanctions prononcées en conséquence d' éventuelles infractions en matière de prix, quotas, concurrence et aides d' État se seraient révélées inefficaces . Toute interprétation conduisant à une application quasi automatique des mesures prévues à l' article 15B, dès que l' on constaterait une perturbation grave dans les échanges entre États membres, serait incompatible avec le traité CECA lui-même . Elle en conclut qu' elle n' était pas ( et n' est toujours pas
) en situation de carence, parce que, en raison des circonstances de l' espèce, elle n' aurait pas été obligée et n' aurait même pas eu le droit d' adopter les mesures demandées par les requérants .

C' est donc de l' interprétation de l' article 15B de la décision 234/84/CECA et, notamment, de ses conditions d' application, que dépend finalement le bien-fondé ou le rejet des présents recours .

Comme l' interprétation de toute disposition juridique est, entre autres, fonction de la finalité de celle-ci, je voudrais d' abord examiner quel est le but poursuivi par l' article 15B, cela d' autant plus qu' une importance fondamentale est attribuée à cette question par les parties au présent litige .

1 . Le but de l' article 15B

L' article 15B a été introduit par la décision 234/84/CECA dans la législation communautaire établie depuis le début des années 80 afin de combattre la crise manifeste persistant dans le secteur sidérurgique . Il participe donc, d' une part, au régime de surveillance et de quotas de production prorogé par cette décision et, d' autre part, au-delà, aux autres mesures prises dans le contexte de la crise et de la restructuration de l' industrie sidérurgique de la Communauté .

Le lien entre l' ensemble de ces mesures est en effet évident . Il trouve son expression dans les différentes décisions elles-mêmes ( 7 ) et a été confirmé à plusieurs reprises par la jurisprudence de la Cour ( 8 ). D' ailleurs, le procès-verbal de la réunion du Conseil des ministres de la Sidérurgie, du 22 décembre 1983, qui a précédé l' adoption ou la prorogation de ces différentes mesures, est très explicite à cet égard .

Sous le point 4 ( Politique sidérurgique : mesures à court terme ), paragraphe 4 ( Contrôle des mouvements transfrontaliers des produits sidérurgiques dans la Communauté ), du procès-verbal de cette réunion, "le Conseil confirme que la restructuration du secteur sidérurgique repose sur un principe de solidarité que traduisent les règles du régime des quotas et les dispositions du code des aides . Cette solidarité assure un contexte concurrentiel compatible avec la restructuration des entreprises là
où elle est nécessaire et la réalisation effective de l' activité reconnue à chacune d' entre elles . La stabilité des flux traditionnels est conforme à ce principe sans lequel il y aurait possibilité de détournement par certaines entreprises au détriment des autres ".

Ces idées ont été reprises au point 9 des considérants de la décision 234/84/CECA qui dit que "la stabilité des flux traditionnels des produits sidérurgiques dans la Communauté est un élément essentiel qui doit être préservé pour que la restructuration du secteur sidérurgique s' effectue dans un contexte concurrentiel compatible avec la solidarité imposée par le système des quotas de production ".

La stabilité des flux traditionnels n' est donc pas une fin en soi, mais constitue un des instruments du dispositif anticrise . C' est elle qui doit contribuer à ce que la restructuration du secteur sidérurgique s' effectue dans un contexte concurrentiel compatible avec le principe fondamental de la solidarité entre les différentes entreprises, fondement même de toute la politique anticrise ( 9 ). L' alinéa 2 du point 9, précité, des considérants de la décision 234/84/CECA précise expressément que
le but de l' article 15B est de "veiller au respect de ce principe ".

A cette fin, l' article 15B met deux moyens d' intervention spécifiques à la disposition de la Commission :

- d' une part, une intervention formelle auprès des entreprises en cause, afin qu' elles s' engagent à compenser elles-mêmes, au cours du trimestre suivant, le déséquilibre dans leurs livraisons traditionnelles ( paragraphe 4 );

- d' autre part, en cas d' attitude négative de ces entreprises, la possibilité d' une réduction de leurs quotas de livraison sur le marché commun au cours du trimestre suivant, à concurrence d' une quantité au maximum égale à celle qui a provoqué le déséquilibre des livraisons traditionnelles ( paragraphe 5 ).

La mesure prévue au paragraphe 4 n' a pas le caractère d' une sanction . Il résulte, en effet, du paragraphe 5 que le refus de donner une suite favorable à la demande de la Commission ou le non-respect de l' engagement assumé, n' entraîne pas automatiquement la réduction du quota dont il est question à ce paragraphe . On peut donc considérer qu' il s' agit d' un simple appel à la bonne volonté des entreprises de s' abstenir, dans un esprit de solidarité, de développer leurs propres positions au
détriment de concurrents relativement plus faibles, ce qui, dans une période de crise généralisée, pourrait finalement se révéler fatal pour l' ensemble du secteur sidérurgique . Aussi ne suis-je pas d' avis que l' application du paragraphe 4 doive nécessairement dépendre de la constatation préalable d' un comportement illégal de la part de l' entreprise destinataire d' une telle invitation .

La mesure de réduction des quotas prévue au paragraphe 5, par contre, constitue à l' évidence une sanction, dont l' adoption dépend, dans une large mesure, de l' appréciation de la Commission . Pour pouvoir être appliquée, elle présuppose, comme toute autre sanction, l' existence d' une infraction . A mon sens, cette infraction ne peut pas consister dans le simple fait de l' augmentation importante des livraisons traditionnelles . Pour qu' une telle augmentation puisse être sanctionnée, il faut qu'
elle soit due à un comportement illégal, dont elle constitue une des conséquences .

Dans son ordonnance du 28 mars 1984 dans l' affaire 37/84 R ( 10 ) ayant eu pour objet le sursis à exécution de la décision 3717/83/CECA ( 11 ), qui sert à recueillir les données statistiques nécessaires à la vérification de l' évolution des échanges intra-communautaires, la Cour a reproduit comme suit les explications de la Commission sur les risques de voir certaines entreprises modifier leurs parts de marché traditionnelles au mépris du code des aides et des règles de prix, et ce à l' abri du
système des quotas :

"Les entreprises, bien que limitées dans leurs livraisons globales par le régime des quotas de production, ne disposeraient pas moins d' une liberté d' action qui pourrait inciter certaines d' entre elles à acquérir de nouveaux clients sur les marchés à conjoncture forte et à des prix plus rémunérateurs, mais au prix de distorsions considérables . La conjoncture économique se développerait de façon inégale dans la Communauté et les prix des produits sidérurgiques pourraient de ce fait varier
sensiblement d' une région à une autre . Dans une telle situation, un producteur pourrait être tenté de conquérir de nouveaux marchés, le cas échéant, au mépris des règles de prix . Un comportement de la part des entreprises, consistant à perturber d' autres marchés sous le couvert du régime de l' article 58, et d' un régime d' aide favorable, au détriment d' autres entreprises, ne saurait être qualifié de normal ."

D' ailleurs, la décision 234/84/CECA, elle-même, contient d' autres dispositions qui prouvent qu' il est parfaitement licite de prendre en considération dans un des domaines de la politique anticrise des agissements fautifs commis dans d' autres domaines de la même politique anticrise .

C' est ainsi que l' article 14C fait dépendre l' attribution de quotas additionnels du fait que les entreprises intéressées n' ont pas fait l' objet de sanctions au regard des règles de prix ( ou qu' elles se sont acquittées des amendes dues ).

C' est ainsi, encore, que l' article 15A prévoit que la Commission peut réduire les quotas d' une entreprise qui a bénéficié d' aides non autorisées ou si les conditions liées à l' autorisation d' une telle aide n' ont pas été respectées .

Dans ses arrêts Kloeckner-Werke/Commission, du 11 mai 1983 ( 12 ), la Cour a expressément "reconnu que la Commission serait en droit, dans l' aménagement du système des quotas de production, de tenir compte de l' effet de subventions dont le caractère illicite aurait été établi conformément aux procédures appropriées ".

Dans son arrêt Krupp et Thyssen du 15 octobre 1985 ( 13 ), elle a précisé, au point 34, qu' "il n' est donc pas arbitraire ou discriminatoire que les données résultant de l' application de l' un de ces systèmes ( celui des quotas et celui des aides ) puissent être reprises à titre de référence dans l' autre ".

Dans ces conditions, réduire les quotas de livraison dans le marché commun d' entreprises ayant, à l' aide d' agissements illégaux, provoqué des perturbations dans les flux traditionnels ne me semble pas moins acceptable ni davantage incompatible avec les principes fondamentaux du marché commun des produits sidérurgiques que l' attitude admise par la Cour dans les arrêts Kloeckner-Werke, précités .

D' une part, en effet, l' article 3, sous g ), du traité CECA n' écarte pas "toute protection contre des industries concurrentes", mais seulement celle "que ne justifierait pas une action illégitime menée par elles ou en leur faveur ".

D' autre part, l' article 5, troisième tiret, permet expressément une action directe sur la production et le marché "lorsque les circonstances l' exigent ".

Enfin, point n' est besoin de souligner les liens existant entre ces différents principes, et, plus particulièrement, entre la libre circulation et une concurrence non faussée par des pratiques illégales en matière de prix, des ententes ou pratiques concertées entre entreprises ou encore par l' octroi d' aides d' État .

Dans le cadre des présentes affaires comme dans l' affaire 45/84 R précitée, la Commission a expliqué que, en l' absence de l' article 15B, "les États membres seraient tentés soit de prendre des mesures nationales de compensation, ce qui provoquerait l' éclatement du marché commun, soit de demander la mise en oeuvre de l' article 37 du traité CECA, dont la suite risquerait d' être imprévisible et d' être beaucoup plus préjudiciable au marché commun que les mesures limitées prévues par l' article
15B" ( Rec . 1984, p . 1762 ).

Pour elle, comme pour le Conseil, seules des mesures telles que celles de l' article 15B étaient susceptibles de préserver un tant soit peu le fonctionnement normal du marché commun dans le meilleur respect possible des objectifs et principes définis aux articles 2, 3 et 4 du traité .

A cet égard, je rappelle que, dans son arrêt du 21 juin 1958 ( 14 ), la Cour a admis qu' "il faudra en pratique procéder à une certaine conciliation entre les divers objectifs de l' article 3, car il est manifestement impossible de les réaliser tous ensemble et chacun au maximum, ces objectifs étant des principes généraux, vers la réalisation et l' harmonisation desquels il faut tendre dans toute la mesure du possible ". Elle en a déduit, dans son arrêt précité du 18 mars 1980 ( 15 ), que, "si la
nécessité d' un compromis entre les divers objectifs ( de l' article 3 ) s' impose dans une situation normale de marché, il faut l' admettre a fortiori dans un état de crise qui justifie l' adoption de mesures exceptionnelles, de caractère dérogatoire par rapport aux règles normales de fonctionnement du marché commun de l' acier et qui entraînent à l' évidence le non-respect de certains objectifs de l' article 3 ...". Cela me semble également valable pour les objectifs des articles 2 et 4, à l'
égard desquels la Cour a également admis qu' il n' est pas assuré qu' ils puissent être, en toute circonstance et dans leur intégralité, simultanément poursuivis ( 16 ), cela d' autant plus si on prend en considération que les principes de l' article 4 peuvent, il est vrai "dans les conditions prévues au présent traité", subir certaines limitations ( 17 ).

Dans les lettres que la Commission a envoyées, en avril 1984, aux entreprises sidérurgiques de la Communauté afin de les éclairer sur les modalités d' interprétation et d' application de l' article 15B, elle s' est d' ailleurs montrée consciente de la nécessité de concilier ces différents impératifs, en déclarant qu' "elle est tenue par le traité de faire tout le nécessaire pour sauvegarder l' avantage constitué par la libre circulation des produits sidérurgiques en faveur tant des produits que des
utilisateurs ( 18 ), mais ... que le traité CECA lui impose en même temps d' assurer, notamment, le maintien et le respect des conditions normales de concurrence" ( article 5, troisième tiret ).

La mesure prévue à l' article 15B, paragraphe 5, a donc été considérée, à défaut d' une autolimitation de la part des entreprises concernées, comme le moyen le plus apte à rétablir des flux traditionnels qui ont été perturbés suite à des comportements illégaux, et cela dans le meilleur respect possible, étant donné la situation de crise, de l' ensemble des principes et objectifs du traité CECA .

Comme la Commission le souligne à juste titre dans la réponse donnée à une question parlementaire ( 19 ), son effet "n' est pas de diviser la Communauté, mais, au contraire, de fournir simplement un moyen supplémentaire d' assurer l' unité du marché de la Communauté en soutenant la stabilité du marché et la solidarité de l' industrie pendant la période essentielle au cours de laquelle s' effectue une restructuration majeure de l' industrie ".

Tel étant le but de l' article 15B, la question est de savoir si, en l' espèce, ses conditions d' application étaient réunies, et si la Commission s' est donc abstenue, à tort, de prendre les mesures y prévues .

2 . Les conditions d' application des mesures prévues à l' article 15B, paragraphe 4, étaient-elles réunies en l' espèce?

Les plaintes italiennes ont été successivement introduites les 5 juin, 5 août, 30 novembre 1984 et 25 février 1985 pour les différents trimestres de 1984 . Une plainte concernant l' ensemble de l' année 1984 a été réitérée le 11 mars 1985 .

Les présents recours ne concernent que l' année 1984, sur laquelle ont porté les mises en demeure, même si, selon le gouvernement italien, les perturbations se sont confirmées au cours des deux premiers trimestres de 1985 .

Il ressort de toute la série de lettres et de documents que les requérants ont joints au dossier, que la Commission a reconnu que les livraisons vers l' Italie des produits des catégories Ia, II ainsi que Ib ont effectivement connu des "variations importantes" au cours des trimestres successifs de 1984 ( lettre du 20 mars 1985 ) et que ses propres calculs ont confirmé le "déséquilibre dans les flux traditionnels" de ces produits signalé par l' Italie ( lettre du 2 mai 1985 ). Dans ses mémoires en
défense ( dernier alinéa du paragraphe 5 ), elle admet explicitement que "l' analyse de l' ensemble des données ainsi recueillies a confirmé en substance qu' il s' était produit en 1984, sur le marché italien, des modifications sensibles du volume habituel des livraisons, et ce à l' avantage des produits en provenance de France et du Benelux ".

Les chiffres figurant en annexe à la lettre du ministre italien de l' Industrie du 11 mars 1985 confirment à l' évidence que ces modifications ont acquis "une proportion importante" au regard, également, des critères de calcul de la Commission tels qu' ils ont été précisés dans ses réponses aux questions posées par la Cour . Selon ces critères, les conditions pour ouvrir la procédure prévue à l' article 15B sont réunies, lorsque la part qu' un État membre occupe sur le marché d' un autre État membre
pour une catégorie donnée de produits subit une modification supérieure à un point en pourcentage .

Aussi la Commission a-t-elle effectivement engagé la mise en oeuvre du régime instauré par l' article 15B, et cela même avant les mises en demeure dont elle a été l' objet .

C' est ainsi qu' elle a d' abord organisé, en octobre 1984, des consultations bilatérales entre les États membres intéressés afin de confronter les données statistiques de part et d' autre et de recevoir des précisions et renseignements chiffrés par entreprise susceptibles de la mettre en mesure de vérifier sérieusement le bien-fondé des plaintes italiennes .

Constatant que les causes du déséquilibre concernant les produits des catégories Ia et II étaient dues à une augmentation des livraisons d' avant-produits destinés à la fabrication de petits tubes soudés, elle a encore essayé, au cours d' une réunion qui s' est tenue en décembre 1984, d' amener les entreprises productrices à respecter une sorte d' autolimitation fondée sur une nouvelle méthode d' application de l' article 10, paragraphe 1, de la décision 234/84/CECA qui réglemente l' attribution de
quotas supplémentaires en la matière .

A cet égard, je précise que lors de l' audience la Commission a admis qu' il n' y a pas lieu de voir dans cette initiative une demande d' autolimitation au titre de l' article 15B, paragraphe 4 . Elle a d' ailleurs ajouté que les entreprises concernées ont expressément refusé l' établissement de tout lien entre les deux problèmes .

La Commission a enfin effectué des vérifications de prix auprès des entreprises concernées par les livraisons en Italie des mêmes avant-produits et, au printemps 1985, elle a engagé envers une quinzaine d' entreprises la procédure de l' article 36 du traité CECA, qui a abouti en automne 1985, pour six d' entre elles, à l' application de sanctions prévues en cas de violation de l' article 60 du traité CECA . Les amendes respectives ont été payées au cours du mois de décembre 1985 .

En ce qui concerne les produits de la catégorie Ib, la Commission se dit toujours en attente d' une réponse à ses demandes de données complémentaires devant lui permettre de déterminer, cas par cas, l' origine des marchandises et d' effectuer tout d' abord les vérifications nécessaires sur les prix appliqués par les entreprises . Je constate, toutefois, que ces demandes datent respectivement des 2 et 8 mai 1985 .

Toutes ces démarches ayant donc été entreprises, la question cruciale est de savoir si la Commission pouvait en rester là ou si elle aurait également dû prendre les mesures plus particulièrement prévues au paragraphe 4 et, éventuellement, au paragraphe 5 de l' article 15B, comme l' ont exigé les requérants .

A cet égard, il y a lieu de noter que la procédure de l' article 15B se compose de trois étapes successives, à savoir l' introduction d' une plainte par un État membre, la vérification du bien-fondé de cette plainte par la Commission, suivie éventuellement de l' adoption des mesures prévues .

Certes, on pourrait être tenté de considérer que la Commission reconnaît implicitement le bien-fondé de la plainte d' un État membre dès qu' elle fait siennes les constatations dudit État membre que des modifications importantes des livraisons traditionnelles se sont produites ( paragraphe 1 ).

Il reste toutefois que, lors de la vérification d' une telle plainte, la Commission ne doit pas seulement tenir compte des données statistiques transmises à son appui, mais également de "toutes les circonstances du cas d' espèce" ( paragraphe 3 ).

La reconnaissance de l' exactitude des chiffres sur lesquels une plainte est fondée n' entraîne donc pas obligatoirement la reconnaissance de son bien-fondé au sens de l' article 15B .

Dans son appréciation, la Commission peut prendre en compte d' autres éléments qui pourraient être de nature à relativiser l' importance des chiffres et à différer, sinon même à rendre inutile ou inappropriée, l' adoption des mesures prévues aux paragraphes 4 et 5 .

Ces éléments peuvent être de différents ordres . En l' espèce, dans ses lettres du 21 décembre 1984 et 20 mars 1985, la Commission a prié le gouvernement italien de lui communiquer ses observations sur les cas de dépassements importants constatés dans les livraisons traditionnelles de l' Italie vers les autres États membres . C' est sur la base de ces chiffres et en tenant compte de ces observations que la Commission a probablement pu considérer, dans sa lettre du 22 mars 1985, que, "pour la
totalité des catégories ( sauf celle des avant-produits pour petits tubes soudés ), les dépassements s' annulent parfois entre eux et correspondent à des fluctuations normales de marché ".

Ces vérifications peuvent également porter sur les causes qui ont provoqué les variations constatées et, éventuellement, conduire à la constatation d' infractions commises dans d' autres domaines, tel celui des prix, comme c' était le cas en l' occurrence .

La Commission dispose donc, sans aucun doute, d' un large pouvoir d' appréciation dans la vérification du bien-fondé des plaintes dont elle est saisie .

En conséquence, on pourrait éventuellement être tenté de prétendre que, en l' occurrence, la Commission, toujours occupée à vérifier le bien-fondé des plaintes italiennes, n' a donc pas encore décidé, même implicitement, de ne pas appliquer les mesures prévues aux paragraphes 4 et 5 de l' article 15B, et qu' elle n' est donc pas en carence .

Toutefois, cette vérification doit nécessairement connaître des limites, notamment de temps . Elle ne saurait se prolonger au seul gré de la Commission, mais devrait logiquement aboutir soit à l' acceptation de la plainte et à l' adoption des mesures qui en découlent, soit à son rejet explicite . Dans cette dernière hypothèse, le plaignant et tous ceux concernés par une décision de rejet adressée à celui-ci trouveraient une protection juridique adéquate dans le recours en annulation prévu à l'
article 33 du traité CECA .

En l' occurrence, même s' il est vrai que, dans ses lettres précitées des 21 décembre 1984, 20 et 22 mars 1985 ainsi que dans celle du 2 mai 1985, la Commission ne s' est toujours exprimée que sur les seuls chiffres sans jamais reconnaître explicitement le bien-fondé des plaintes italiennes, il n' en reste pas moins qu' à aucun moment au cours de la procédure devant la Cour elle n' a contesté les affirmations des requérants selon lesquelles le bien-fondé de ces plaintes a été accepté par elle .

Il me semble, en effet, incontestable qu' à partir du moment où la Commission a constaté qu' il y avait non seulement modification importante des livraisons, mais aussi que celle-ci était due à des violations des règles en matière de prix, elle aurait nécessairement dû reconnaître le bien-fondé de la plainte . On peut même considérer qu' en faisant ces constatations elle en a au moins implicitement reconnu le bien-fondé .

Une telle reconnaissance implicite semble également pouvoir être déduite du fait qu' en octobre 1984 la Commission a organisé des consultations avec les États membres intéressés . Or, il résulte du paragraphe 4 de l' article 15B que la Commission "consulte ... les États membres intéressés si elle estime la plainte fondée ".

En tout cas, à partir de là, les conditions d' application du paragraphe 4 de l' article 15B étaient remplies et tout retard et toute tergiversation devenaient inexcusables . Le paragraphe 4 de l' article 15B dispose, en effet, que, au cas où la Commission estime fondée une plainte d' un État membre, "elle demande aux entreprises en cause de prendre l' engagement écrit de compenser, au cours du trimestre suivant, le déséquilibre dans leurs livraisons traditionnelles ".

L' obligation de la Commission de faire cette démarche ne fait donc pas l' ombre d' un doute : d' une part, l' emploi du présent exprime normalement par lui-même déjà une obligation; d' autre part, la comparaison avec le paragraphe 5, qui enchaîne qu' "à défaut d' un tel engagement par une entreprise, ou si celui-ci n' est pas respecté, la Commission peut réduire pour le trimestre suivant la partie du quota de cette entreprise pouvant être livrée sur le marché commun, d' une quantité au maximum
égale à celle qui a provoqué le déséquilibre des livraisons traditionnelles", vient corroborer encore le caractère obligatoire du paragraphe 4 . Enfin, le but de l' article 15B, tel que décrit ci-devant, exigeait qu' elle intervînt .

La démarche prévue au paragraphe 4 aurait même dû intervenir avant que la Commission n' ait définitivement constaté l' existence d' infractions, car, comme je l' ai indiqué ci-dessus, la mesure prévue au paragraphe 4 n' a pas le caractère d' une sanction . De toute façon, une modification importante des livraisons traditionnelles dans un marché caractérisé par l' existence de quotas de production et de livraison, sera le plus souvent un indice de telles infractions, nécessitant en toute hypothèse
des vérifications urgentes et rapides . Il n' était cependant pas nécessaire d' attendre le résultat de ces enquêtes .

A fortiori, la Commission, avant de faire la démarche prévue au paragraphe 4, n' était pas tenue d' attendre le résultat des sanctions "classiques" qu' il lui appartenait, le cas échéant, de prononcer . A cet égard, on peut d' ailleurs faire valoir un argument additionnel, tiré du libellé et du contexte de l' article 15B . Cette disposition présente, en effet, les caractéristiques d' une procédure d' urgence . Or, les demandes au titre de clauses de ce type doivent évidemment être instruites avec
une diligence particulière .

Certes, en l' occurrence cet examen n' a pas besoin d' être aussi rapide que lorsqu' il s' agit d' une application de l' article 37 du traité CECA .

Ainsi, lorsque, le 24 juin 1968, la République française avait saisi la Commission d' une demande à ce titre, c' est par une décision intervenue douze jours plus tard ( 20 ) seulement que cet État membre a été autorisé à prendre des mesures propres à limiter les livraisons des produits sidérurgiques originaires des autres pays de la Communauté à destination de la France .

Saisie d' une demande du Royaume-Uni en date du 8 février 1974, la Commission avait autorisé cet État membre dès le 18 février 1974 à limiter ses exportations de produits CECA ( 21 ). Une nouvelle demande, présentée le 18 juin 1974, avait reçu une réponse favorable le 25 juin 1974 ( 22 ).

Comment se présente le problème de l' urgence dans le cas d' espèce?

Aux termes du paragraphe 2 de l' article 15B, l' État membre est tenu d' introduire sa plainte au plus tard huit semaines après la fin du trimestre au cours duquel les livraisons traditionnelles ont été modifiées dans une proportion importante .

Aux termes du paragraphe 4, la demande adressée aux entreprises en cause doit conduire à une compensation du déséquilibre "au cours du trimestre suivant ".

Il est sans doute légitime de considérer que le "trimestre suivant" est celui qui suit le trimestre au cours duquel la plainte a été faite, et non pas celui qui suit le trimestre au cours duquel le dépassement a été constaté, car il faut laisser un certain temps à la Commission pour vérifier les données et porter une appréciation sur les circonstances du cas d' espèce .

Un dépassement des livraisons au cours du premier trimestre de 1984 aurait, dès lors, dû donner lieu de la part de la Commission à une demande aux entreprises en cause de prendre l' engagement écrit de compenser le déséquilibre dans leurs livraisons traditionnelles dès le troisième trimestre de la même année .

Ne saurait dès lors être admise la thèse de la Commission selon laquelle elle devrait, avant de demander aux entreprises en cause de prendre l' engagement écrit prévu au paragraphe 4, d' abord appliquer les sanctions "classiques" relatives aux irrégularités constatées ( par exemple une amende pour non-observation des prix minimaux ) et attendre les effets de ces sanctions .

Cette thèse est incompatible avec la règle relative à la compensation du déséquilibre "au cours du trimestre suivant ".

La Commission n' a donc pas exécuté une obligation qui lui incombait au titre de l' article 15B, paragraphe 4; en ne se conformant pas à cette obligation, elle a violé une règle de droit relative à l' application du traité CECA . Je propose, dès lors, à la Cour de constater, sur la base de l' article 35, alinéa 1, du traité CECA, la carence de la Commission .

Le premier moyen des requérants tiré de la violation de l' article 15B, paragraphe 4, de la décision 234/84/CECA devant ainsi être accueilli, ce n' est qu' à titre subsidiaire que j' examinerai celui tiré d' un détournement de pouvoir .

3 . L' abstention de la Commission de prendre les mesures prévues à l' article 15B, paragraphe 5, constituait-elle un détournement de pouvoir?

Logiquement, la question de l' application du paragraphe 5 de l' article 15B ne devrait pas se poser .

En effet, il résulte de son libellé que la Commission ne peut adopter les mesures y prévues qu' à défaut d' un engagement d' autolimitation d' une entreprise ou en cas de non-respect de celui-ci . Une de ses conditions d' application est donc que le paragraphe 4 ait été appliqué . Or, nous venons de voir que tel n' a précisément pas été le cas en l' espèce .

A l' audience, la Commission a, toutefois, déclaré qu' il lui avait semblé superflu de demander aux entreprises en cause un engagement écrit au sujet de la "compensation" de leurs exportations vers l' Italie, car elle avait été informée que ces entreprises n' étaient pas prêtes à donner un tel engagement .

Si la Cour devait estimer que dans ces conditions la Commission n' était pas tenue de demander formellement un tel engagement ( ce qui n' est pas mon avis ), ou que la réaction informelle des entreprises équivalait à un "défaut d' engagement", la question se pose de savoir si la Commission a commis un détournement de pouvoir en ne réduisant pas les quotas des entreprises en cause, en application du paragraphe 5 de l' article 15B .

Assider et le gouvernement italien, en effet, considèrent que se limiter, dans le cas d' espèce, à n' appliquer que des sanctions en matière de prix reviendrait à méconnaître la finalité de l' article 15B .

Ils estiment que les mesures y prévues constituent des mesures autonomes qui doivent être appliquées le cas échéant conjointement, mais en tout cas indépendamment des autres sanctions prévues par la réglementation communautaire et qu' elles seules permettraient d' atteindre le but propre à cette disposition .

Concrètement, il s' agit donc de savoir, si par rapport à la finalité de l' article 15B, les mesures prises par la Commission ont été suffisantes et appropriées ou si l' abstention de la Commission de prendre les mesures expressément prévues au paragraphe 5 de cet article constitue un détournement des pouvoirs que cette disposition confère à la Commission en vue d' atteindre précisément cette finalité .

Aux termes de la jurisprudence de la Cour, "une décision n' est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d' indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées" ( 23 ). Le simple fait pour la Commission, ou pour une autre institution, d' user de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vertu duquel ils ont été conférés est constitutif d' un détournement de pouvoir . Il en va de même si l' institution refuse
d' en user en méconnaissance du but en vertu duquel elle en dispose .

Opposer, comme le fait la Commission, la violation de la loi, qui consisterait dans l' application d' une règle de droit involontairement différente de celle préconisée par le législateur, au détournement de pouvoir, qui n' existerait qu' en cas d' attribution à une règle de droit d' une finalité délibérément différente de celle voulue, me semble, en l' espèce en tout cas, dénué de fondement .

D' une part, je partage entièrement l' avis de M . l' avocat général Lagrange selon lequel "toute méconnaissance par une autorité publique de l' étendue de ses pouvoirs constitue nécessairement une violation de la règle de droit, supposée préalablement définie" ( 24 ).

D' ailleurs, les deux griefs peuvent se confondre complètement, notamment au cas où l' autorité publique ne dispose pas d' un pouvoir discrétionnaire, mais est légalement tenue d' en user dans un certain sens et pas dans un autre ( 25 ).

D' autre part, il n' y a pas de doute que la Commission a volontairement refusé d' user des pouvoirs qu' elle tient de l' article 15B en leur attribuant une finalité qui, aux yeux des requérants, est différente de celle qui est la leur .

Je signale que, dans son arrêt du 29 novembre 1956 ( 26 ), la Cour a statué que, "même si la défenderese a commis certaines erreurs dans le choix des éléments de ses calculs ... il ne s' ensuit pas que ses erreurs constituent ipso facto la preuve d' un détournement de pouvoir s' il n' est pas établi également que la Haute Autorité a poursuivi en l' espèce objectivement, par manque de prévoyance ou de circonspection grave équivalant à une méconnaissance du but légal, des fins autres que celles en vue
desquelles les pouvoirs prévus ... ont été attribués" ( Rec . p . 309 ).

J' estime donc que le grief avancé par les requérants relève bien du moyen de détournement de pouvoir . Pour qu' un tel moyen soit recevable, il suffit qu' il soit formellement allégué et que soient indiquées les raisons dont découle, selon l' opinion des requérants, le détournement de pouvoir à leur égard . La preuve qu' il a été effectivement commis relève de l' examen au fond ( 27 ).

Pour savoir si le moyen est fondé, il y a lieu de comparer le but réellement poursuivi par l' autorité au but légal, c' est-à-dire à celui qu' elle aurait dû poursuivre, ou, en l' occurrence, d' examiner si la Commission, en se limitant à prendre les mesures qu' elle a prises et en refusant de prendre les mesures dont il est question plus particulièrement au paragraphe 5 de l' article 15B de la décision 234/84/CECA, a objectivement méconnu le but dans lequel elles ont été prévues .

Qu' en est-il en l' occurrence?

L' article 15B avait été adopté dans un contexte de crise aiguë ( voir alinéa 3 du considérant de la décision 3746/86/CECA ( 28 ) abrogeant cet article ).

Il avait pour objet, conformément au souci exprimé par le Conseil, d' assurer "que la restructuration du secteur sidérurgique s' effectue dans un contexte concurrentiel compatible avec la solidarité imposée par le système des quotas de production ".

Cela impliquait qu' il puisse être réagi dans les plus brefs délais afin de mettre fin à une modification importante des livraisons traditionnelles due à une pratique illégale, et ce sans attendre que les mesures sanctionnant normalement une telle pratique aient pu sortir des effets éventuels dans le sens d' un rétablissement des courants d' échanges traditionnels .

Dans le cadre de l' affaire 45/84 R, la Commission elle-même avait fait valoir que l' article 15B avait dû être adopté parce que l' expérience avait montré que les sanctions existantes ne permettaient pas toujours d' obtenir dans les délais le résultat escompté ( Rec . 1984, p . 1762 ).

Il résulte de tout cela que, dans l' appréciation qu' elle portait sur les cas dont elle était saisie, la Commission ne devait pas perdre de vue que l' article 15B l' avait précisément dotée de moyens d' action spécifiques, en principe les mieux adaptés, pour sanctionner les comportements auxquels ils s' appliquaient .

Sauf si elle était absolument sûre de pouvoir atteindre rapidement l' objectif fixé par l' article 15B au moyen des sanctions "classiques", elle devait, à tout le moins parallèlement à ces sanctions, procéder à la réduction des quotas de livraison prévue à son paragraphe 5 .

Compte tenu de l' urgence de mettre fin aux conséquences néfastes qu' entraînait le comportement illégal en question pour les entreprises italiennes, une double sanction était parfaitement admissible .

Certes, une réduction des quotas de livraison sur le marché commun n' aurait pas garanti que les entreprises fautives auraient effectivement réduit leurs exportations à destination de l' Italie . Cela prouve, notons-le en passant, que l' article 15B, paragraphe 5, n' interfère pas avec la libre circulation des marchandises dans une mesure plus grande que la disposition qui instaure le principe même des quotas de livraison sur le marché commun .

Une telle réduction aurait cependant constitué une incitation assez forte pour les entreprises en question de rétablir les flux traditionnels .

En l' espèce, la Commission a fait son enquête et arrêté des "sanctions classiques" avec une lenteur incompatible avec le caractère de clause d' urgence de l' article 15B .

Dans ses réponses aux questions posées par la Cour, qui datent du 30 octobre 1986, la Commission a admis explicitement que, "jusqu' à présent, l' examen des données du premier trimestre qui a suivi l' application des sanctions ( quatrième trimestre de 1985 ) n' a pas permis de constater une correction de la situation; une enquête est en cours ".

L' évolution a donc également démontré que les "sanctions classiques" ne permettaient pas d' atteindre le but fixé par l' article 15B, à savoir le rétablissement des courants d' échange traditionnels . Dès lors, la non-utilisation des pouvoirs conférés par cet article constituait de la part de la Commission une méconnaissance du but pour lequel ces pouvoirs lui avaient été attribués et, de ce fait, un détournement de pouvoir .

Pour toutes ces raisons, je propose à la Cour de déclarer recevables les recours en carence introduits par Assider et le gouvernement italien, et d' annuler les décisions implicites de refus opposées par la Commission aux mises en demeure formulées par les requérants . En vertu de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, les dépens devraient, en conséquence, être mis à charge de la Commission .

( 1 ) JO L 29, p . 1 .

( 2 ) Voir arrêt du 17 juillet 1959, affaire 42/58, Société des aciers fins de l' Est ( SAFE)/Haute Autorité, Rec . p . 381, notamment p . 400 .

( 3 ) Affaire 42/58 SAFE, précité, Rec . 1959, notamment p . 400; voir, aussi, arrêt du 22 mars 1961, affaires jointes 42 et 49/59, SNUPAT/Haute Autorité, Rec . p . 99, notamment p . 143 .

( 4 ) Arrêt du 22 mars 1961, affaires jointes 42 et 49/59, SNUPAT/Haute Autorité, Rec . p . 99, notamment p . 144 .

( 5 ) Arrêt du 6 avril 1962, affaires jointes 21 à 26/61, Meroni et Co./Haute Autorité, Rec . p . 143, notamment p . 154 .

( 6 ) Voir ordonnance du 28 mars 1984, European Independent Steelwork Association/Commission, affaire 45/84 R, Rec . p . 1759 .

( 7 ) Voir, par exemple, avant dernier alinéa du point 1 des considérants de la décision 234/84/CECA; voir aussi dixième considérant de la décision n° 3715/83/CECA de la Commission, du 23 décembre 1983, fixant des prix minimaux pour certains produits sidérurgiques ( JO L 373, p . 1 ): "une telle mesure est partie intégrante des autres mesures anticrise prises par la Commission, notamment des mesures quantitatives; elle ne doit donc rester en vigueur que temporairement ".

( 8 ) Voir, par exemple, affaires jointes 211 et 212/83, 77 et 78/84, arrêt du 15 octobre 1985, Krupp et Thyssen/Commission, Rec . p . 3409, point 25 : "... c' est à juste titre que la Commission, face à la gravité de la crise sidérurgique et des remèdes à y apporter, s' efforce d' orienter le processus de restructuration par un ensemble de mesures dont les régimes de quotas fait partie", et point 34 : "... les deux systèmes en cause ( celui des quotas et celui des aides ), quelles que soient les
différences entre leurs bases juridiques et leurs critères d' application, ont tous la restructuration pour objectif ".

( 9 ) Voir, notamment, arrêt du 18 mars 1980, affaires jointes 154, 205, 206, 226 à 228, 263 et 264/78, 39 et 31/83 et 85/79, Valsabbia et autres/Commission, Rec . p . 907, point 59, et arrêt du 12 juillet 1984, affaire 81/83, Busseni/Commission, Rec . p . 2951, point 18 .

( 10 ) European Independant Steelwork Association/Commission, affaire 45/84 R, Rec . 1984, p . 1749, notamment p . 1752 et 1753 .

( 11 ) Décision n° 3717/83/CECA de la Commission, du 23 décembre 1983, instaurant pour les entreprises sidérurgiques et les négociants en acier un certificat de production et un document d' accompagnement des livraisons de certains produits ( JO L 373, p . 9 ).

( 12 ) Affaire 244/81, Rec . 1983, p . 1451, notamment point 37, affaires jointes 311/81 et 30/82, Rec . 1983, p . 1549 et affaire 136/82, Rec . 1983, p . 1599, notamment point 36 .

( 13 ) Affaires jointes 211 et 212/83, 77 et 78/84, Krupp et Thyssen/Commission, Rec . 1985, p . 3409 .

( 14 ) Affaire 8/57, Groupement des hauts-fourneaux et aciéries belges/Haute Autorité, Rec . 1958, p . 223, notamment p . 242 .

( 15 ) Affaire Valsabbia et autres/Commission, Rec . 1980, p . 907, points 53 à 55 .

( 16 ) Voir arrêt du 16 février 1982, affaire 276/80, Padana/Commission, Rec . p . 517, notamment point 21 .

( 17 ) Voir, à ce sujet, arrêt du 28 juin 1984, affaire 36/83, Mabanaft/Hauptzollamt Emmerich, Rec . p . 2497, notamment points 23 et 24 .

( 18 ) Cette dernière précision semble être une allusion à l' article 4, sous b ), du traité CECA

( 19 ) Question écrite n° 813/84, JO C 71 du 18.3.1985, p . 5 .

( 20 ) Décision n° 915/68/CECA de la Commission, du 6 juillet 1968, relative à l' application de l' article 37 du traité CECA pour la République française ( JO L 159 du 6.7.1968, p . 6 ).

( 21 ) Décision de la Commission, du 18 février 1974, relative à l' application pour le Royaume-Uni de l' article 37 du traité instituant la CECA ( JO L 74 du 19.3.1974, p . 20 ).

( 22 ) Décision de la Commission, du 25 juin 1974, portant modification de la décision précitée ( JO L 189 du 12.7.1974, p . 25 ).

( 23 ) Voir, à titre d' exemple, arrêt 69/83 du 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes, Rec . p . 2447, point 30 .

( 24 ) Voir, à ce sujet, conclusions de M . l' avocat général Lagrange dans l' affaire 3/54, ASSIDER/Haute Autorité, Rec . 1954-1955, p . 143, notamment p . 169 .

( 25 ) Voir, à ce sujet, conclusions de M . l' avocat général Lagrange dans l' affaire 8/55, Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité, Rec . 1955-1956, p . 231, notamment p . 254 .

( 26 ) Affaire 8/55, Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité, Rec . 1955-1956, p . 291 .

( 27 ) Voir, à ce sujet, les arrêts du 11 février 1955 et 16 juillet 1956 dans les affaires 3/54 et 8/55, précitées ( Rec . 1954-1955, p . 123 et Rec . 1955-1956, p . 199 ).

( 28 ) Décision n° 3746/86/CECA de la Commission, du 5 décembre 1986, modifiant la décision n° 3485/85/CECA prorogeant le système de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l' industrie sidérurgique ( JO L 348, p . 1 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : 167
Date de la décision : 10/02/1987
Type de recours : Recours en annulation - irrecevable, Recours en carence - fondé

Analyses

Recours en carence - Article 15B de la décision n. 234/84/CECA relatif au respect du flux traditionnel des échanges.

Matières CECA

Quotas de production

Sidérurgie - acier au sens large


Parties
Demandeurs : Associazione industrie siderurgiche italiane (Assider) et République italienne
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1987:74

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