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10/12/1986 | CJUE | N°310/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 décembre 1986., Deufil GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes., 10/12/1986, 310/85


Avis juridique important

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61985C0310

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 décembre 1986. - Deufil GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'État - Fibres et fils synthétiques. - Affaire 310/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 00901

Conclusions d

e l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

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Avis juridique important

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61985C0310

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 décembre 1986. - Deufil GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'État - Fibres et fils synthétiques. - Affaire 310/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 00901

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . L' aide, dont la société Deufil vise, par le présent recours, à faire établir la compatibilité avec le marché commun, au sens de l' article 92 du traité CEE, lui a permis de financer une partie des coûts d' investissement engendrés par l' achat d' un équipement assurant la fabrication alternative de fils et fibres de polyamide et de polypropylène .

La recevabilité de son action, au regard des conditions imposées par l' article 173, alinéa 2, n' a pas été contestée . Bénéficiaire de l' aide litigieuse, la requérante est directement et individuellement concernée par la décision attaquée, bien que la République fédérale d' Allemagne en ait été la destinataire .

A l' appui de son recours, Deufil a présenté trois ordres de moyens . En premier lieu, pour rejeter l' application de l' article 92, paragraphe 1, elle a invoqué la nature de l' aide puis allégué l' absence d' effet restrictif de la concurrence et d' affectation des échanges intracommunautaires ( I ). En second lieu, elle a fait valoir que cette aide, ayant pour objet la reconversion de sa production, était destinée à favoriser le développement économique de la région où l' investissement a été
réalisé, et qu' elle devrait, dès lors, se voir appliquer les dérogations prévues au paragraphe 3, sous a ) et c ) de l' article 92 ( II ). En dernier ressort, elle s' est prévalue du principe de la protection de la confiance légitime qui conférerait un caractère définitif à la décision nationale d' octroi*(III ).

2 . Avant d' examiner chacun de ces moyens, il convient de replacer l' aide litigieuse dans son cadre réel, les données spécifiques du marché sur lequel elle est intervenue revêtant un caractère déterminant pour la solution du litige .

Selon la requérante, l' investissement réalisé devait permettre de réduire sa production de polyamide pour y substituer progressivement celle de polypropylène . C' est donc par rapport à la production communautaire de ces deux types de textiles synthétiques que doivent être délimitées la situation du marché, sa structure et la position qu' y occupe la requérante .

L' industrie communautaire connaît une crise de surproduction structurelle, liée à l' interaction entre, d' une part, des débouchés limités, eu égard à la contraction des exportations et au développement de la concurrence exercée par les produits fabriqués dans des pays tiers, d' autre part, l' existence de surcapacités de production .

Pour y faire face, la Commission s' est efforcée, par des communications adressées aux États membres (" orientations" de 1971 et 1977 pour l' industrie textile, "code des aides" de 1977 pour les textiles synthétiques ), de coordonner les politiques nationales d' aide aux entreprises du secteur textile . Pour les fils et fibres synthétiques, elle les a incités à s' abstenir de toute aide, quelle qu' elle soit, dès lors qu' elle entraînerait un accroissement des capacités de production dans ce secteur
. En pareille hypothèse, elle a précisé, dans le "code" précité, que la dérogation de l' article 92, paragraphe 3, fondée sur l' existence de circonstances sociales ou régionales graves, ne pourrait jouer qu' "en fonction de mérites propres au regard de l' intérêt commun", en particulier à la condition que son octroi ne compromette pas les objectifs de sa politique en la matière . Outre ce cas, seules des aides en vue d' une reconversion en dehors du secteur des fibres synthétiques pourraient être
accueillies favorablement . Une communication en date du 4 juillet 1985 a maintenu ces principes et les a étendus aux fibres et fils de polypropylène qui relevaient exclusivement jusque-là des deux "orientations" précitées .

Ce dispositif d' encadrement appelle une remarque . S' il traduit la conception que la Commission se fait de l' intérêt communautaire et définit la ligne de conduite qu' elle entend voir suivre par les États membres, il ne saurait, en aucune manière, dispenser celle-ci, lors de l' examen d' une aide déterminée, du strict respect des dispositions des articles 92 et 93 . Autrement dit, les "orientations" et le "code des aides" constituent un cadre de référence, renforçant notamment l' obligation de
notification prescrite par l' article 93, paragraphe 3, mais ne peuvent, à eux seuls, se voir reconnaître un caractère normatif pouvant fonder une décision négative de l' institution .

Pour leur part, dix producteurs communautaires ont, sous le contrôle de la Commission, conclu en 1978 un accord visant à réduire les capacités de production existantes dans le secteur des fibres synthétiques, notamment celles de polyamide . Les réductions entreprises ont atteint près de 18 % des capacités de 1977 . Les perspectives d' une croissance de la demande étant réduites, un nouvel accord de démantèlement progressif a été adopté en 1982 . Par décision du 4 juillet 1984, la Commission a
considéré cette entente, applicable jusqu' au 31 décembre 1985, conforme aux dispositions de l' article 85 CEE ( 1 ).

Comme le démontre cependant la poursuite de l' action menée tant par la Commission que par certains opérateurs économiques, l' industrie communautaire des textiles synthétiques n' a pas, pour autant, retrouvé l' équilibre qui serait indispensable à sa rentabilité . Les tableaux statistiques produits par la Commission à la demande de la Cour font, en effet, apparaître que le secteur de la production de polyamide et de polypropylène présente toujours des capacités excédentaires . Même si le taux d'
exploitation, qui exprime le rapport quantités produites/capacités de production, s' est amélioré pour atteindre, en 1985, 82 % pour le polyamide et 86 % pour le polypropylène, il n' en révèle pas moins la persistance de surcapacités . Mais surtout, il faut souligner que, à l' époque où la requérante a obtenu l' aide litigieuse, le déséquilibre était bien plus fort puisqu' en 1982 et 1983 le taux d' exploitation était respectivement de 52 puis 72 % pour le polyamide et de 56 puis 64 % pour le
polypropylène .

Contrairement à la requérante, on doit donc constater que la situation de l' offre et de la demande des deux types de produits en cause était et reste déséquilibrée . L' amélioration du taux d' utilisation des capacités de production de polyamide ne correspond pas à un développement des débouchés, mais résulte des restructurations entreprises par les producteurs parties à l' accord de 1978, renouvelé en 1982 . La situation pour le polypropylène est, elle aussi, préoccupante . De fabrication récente,
ses débouchés se sont certes accrus, mais les capacités de production créées à cet effet ont augmenté plus vite que la production réelle, en sorte que ce secteur est également en état de surcapacité . En vérité, si des "embellies" ont pu être constatées, elles sont liées à des phénomènes conjoncturels, tels que l' évolution du cours du dollar depuis 1982 .

Deux facteurs décisifs doivent encore être soulignés pour compléter le schéma du cadre économique ainsi tracé .

Le marché du polyamide et du polypropylène tend à être "atomistique" puisqu' il est réparti entre de nombreuses entreprises qui n' en détiennent chacune qu' une part réduite . En ce sens, sans être contredite, la Commission a précisé à l' audience que trente-trois producteurs se partagent le marché du polypropylène, Deufil occupant le troisième rang, loin devant tous les autres concurrents . Jointe à la crise de surcapacité, la structure de ce marché explique donc la concurrence soutenue que se
livrent les producteurs communautaires et la stagnation relative des prix .

Les données produites par Deufil à la demande de la Cour révèlent, par ailleurs, que l' entreprise a consacré en 1985 près des trois quarts de sa production totale à la fabrication de polyamide dont les quantités ont plus que doublé d' une année sur l' autre .

C' est dans ce contexte que doivent être appréciés les moyens avancés par la requérante pour écarter l' application du principe d' interdiction posé par l' article 92, paragraphe*1 .

I - Sur l' application de l' article 92, paragraphe 1

3 . Deufil tente, tout d' abord, de soutenir que l' aide en cause s' analyse comme une mesure économique générale relevant de la "politique de conjoncture", au sens de l' article 103 du traité CEE .

Or, il ressort sans ambiguïté du dossier que la subvention fédérale et la prime régionale accordées constituent, ensemble, une aide régionale à l' investissement profitant spécifiquement à l' entreprise Deufil . C' est ce qui a permis de la considérer directement et individuellement concernée par la décision de la Commission . Les conditions d' octroi de la subvention fédérale révèlent d' ailleurs son caractère régional puisque l' investissement projeté par l' entreprise doit notamment être
"effectué dans une zone ayant besoin d' aide ". De plus, la prime octroyée par le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie l' a été conformément aux "directives pour l' octroi d' aides à l' investissement destinées à l' amélioration des structures économiques régionales" de ce Land .

Ainsi exactement qualifiée, l' aide litigieuse qui favorise certainement l' entreprise bénéficiaire, puisqu' elle représente près de 15 % du coût total de l' investissement réalisé, a-t-elle eu pour effet de fausser la concurrence et d' affecter les échanges entre États membres, en sorte qu' elle doit être considérée comme incompatible avec le marché commun?

4 . La requérante propose de répondre à cette question par la négative en faisant valoir que, pour être interdite, l' aide devrait entraîner une altération "sensible" de la concurrence et des échanges intracommunautaires . Or, sa part dans la production communautaire de polyamide n' aurait été que de 0,18 % en 1984 . Quant à sa production de polypropylène, elle n' aurait alors représenté que 0,65 % de la production totale de fils synthétiques continus en République fédérale d' Allemagne . Ces
proportions seraient par trop négligeables pour que l' aide accordée, qui ne représente qu' une part réduite de l' investissement, puisse avoir "à l' échelle du marché commun" l' effet reproché .

Cette argumentation est contredite par les faits . Les chiffres précités sont, en premier lieu, dépourvus de signification . Ils font, entre autres, abstraction des quantités exportées vers les pays tiers, au motif qu' elles seraient sans influence sur le marché communautaire . Or, quelle que puisse être leur destination, elles doivent être prises en considération au regard des critères posés par l' article 92, paragraphe 1 . En effet, la dépression du marché communautaire des produits concernés ne
peut qu' aviver la concurrence des producteurs et les conduire à rechercher des débouchés complémentaires sur le marché mondial, lui-même saturé . Dans un tel contexte, une aide à l' investissement, allégeant les coûts de production d' un producteur, ne pourrait que réagir sur la capacité concurrentielle de tous les autres, tant à l' extérieur qu' à l' intérieur du marché commun, et, partant, sur les échanges intracommunautaires .

Deufil a précisé, en second lieu, qu' une partie de sa production de polyamide livrée dans la Communauté l' avait été à d' autres sociétés du groupe italien Radici, dont elle est la filiale, et n' avait donc fait l' objet que d' un "échange circulaire ". Dans sa réplique, la requérante affirme que ce groupe aurait cessé toute production du polyamide pour la lui transférer . La production afférente aurait donc été neutre du point de vue de la concurrence et des échanges intracommunautaires .

Force est de constater qu' il ne s' agit là que de simples affirmations qui ne sauraient être considérées comme probantes . Elle sont, au surplus, partiellement irrecevables eu égard à leur caractère tardif . Quoi qu' il en soit, même livrées à d' autres entreprises du groupe, les quantités supplémentaires produites par Deufil grâce à l' aide publique n' ont pu que peser sur le marché communautaire du polyamide .

5 . Les objections de la requérante tendant à minimiser sa position sur le marché doivent donc être écartées . Du reste, les faits viennent confirmer cette analyse . Telles que, sans être contestée, la Commission en a fait la synthèse à l' audience, les données relatives à l' évolution réelle de la part de Deufil dans les capacités de production et la production globale de polyamide et de polypropylène de la Communauté permettent de prendre toute la mesure, dans le cadre d' un marché déprimé, des
distorsions de concurrence et de l' affectation des échanges à laquelle l' aide a pu contribuer .

Il en ressort, en effet, qu' entre 1983, année où l' aide a été accordée, et 1985, Deufil a multiplié par deux aussi bien sa capacité de production propre ( de 3*000 à 6*000 tonnes ) que sa part dans les capacités de production de la Communauté . L' investissement réalisé lui a ainsi permis, pendant la même période, de doubler, en moyenne, sa part de marché, celle-ci passant, pour le polyamide, de 1,3 à 2,89 % et, pour le polypropylène, de 1,09 à 2,03 % de la production communautaire de ces produits
. Sur un marché à structure de type atomistique, une augmentation de 100 % de la part détenue par Deufil représente un renforcement incontestable de sa position concurrentielle .

Cette amélioration ne résulte pas du fonctionnement normal du marché, dont le caractère structurellement déprimé a, au contraire, conduit certains producteurs à prendre l' initiative de réduire leurs propres capacités de production . En fait, loin de soutenir un effort d' adaptation de l' entreprise, l' aide litigieuse, en réduisant ses coûts d' investissement, lui a permis de se soustraire artificiellement aux conditions économiques du marché en cause .

Deufil s' est certes référée aux prises de participation publique dont auraient bénéficié certains de ses concurrents . Cependant, la preuve de leur existence n' a pas été rapportée . En outre, à le supposer exact, cet argument ne saurait établir la compatibilité avec le marché commun de l' aide qui lui a été attribuée . Enfin, il convient de relever que, contrairement aux dires de Deufil, de telles interventions ne seraient pas à l' abri de l' action de la Commission, comme en témoigne l' espèce
ayant donné lieu à votre décision Belgique/Commission ( 2 ).

Faussant le libre jeu de la concurrence entre des producteurs répartis dans les différents États de la Communauté, l' aide consentie par Deufil n' a pu qu' affecter les échanges intracommunautaires des produits en cause, ceux-ci représentant, en effet, comme l' a souligné la Commission dans la décision attaquée, 66 % de la production communautaire pour le polyamide et 39 % pour le polypropylène .

Renforçant artificiellement la position de Deufil par rapport aux autres producteurs, concurrents dans les échanges intracommunautaires, l' aide litigieuse doit donc être considérée comme incompatible avec le marché commun ( 3 ).

II - Sur le bénéfice des dérogations prévues par l' article 92, paragraphe*3

6 . Selon la requérante, l' aide litigieuse devrait, conformément aux lettres a ) et c ) de l' article 92, paragraphe 3, être considérée comme compatible avec le marché commun dans la mesure où elle est destinée à favoriser le développement économique du bassin d' emploi de Bergkamen, où elle est implantée .

Ce bassin minier serait, en effet, caractérisé par un niveau de vie nettement plus bas et un taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale, aucune perspective d' amélioration sensible n' étant envisageable à moyen terme . Or, la création d' une nouvelle installation aurait non seulement permis de stabiliser les emplois existants, mais aussi et surtout de créer des emplois nouveaux et, par là même, d' injecter dans l' économie régionale des revenus supplémentaires .

Les motifs qui conduisent la Commission à réfuter cette analyse ne paraissent pas pouvoir être sérieusement contestés .

7 . Pour l' application de chacune des dérogations visées par le paragraphe 3 de l' article 92, celle-ci doit se voir reconnaître un pouvoir d' appréciation particulièrement large .

Sur la base de données économiques ou sociales tant communautaires que nationales ou régionales, il lui appartient, en effet, non seulement de déterminer si l' aide est, au regard de l' objectif qu' elle poursuit, de nature à produire l' effet recherché, en l' occurrence favoriser le développement économique régional, mais encore de vérifier si cette finalité est éligible compte tenu des exigences propres à l' intérêt commun ( 4 ).

La Commission est donc amenée à procéder, dans l' exercice de son pouvoir discrétionnaire, à des

"appréciations d' ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire" ( 5 ).

Ainsi, pour l' application de la dérogation de l' article 92, paragraphe 3, sous a ), le niveau de vie anormalement bas et le grave sous-emploi d' une région sont déterminés

"non par référence au niveau moyen national *..., mais par rapport au niveau communautaire" ( 6 ).

Telle est précisément la démarche suivie en l' espèce par la Commission . Tout en constatant la précarité de la situation économique du bassin de Bergkamen par rapport à la moyenne nationale, elle a considéré qu' elle ne pouvait justifier l' octroi de l' aide litigieuse, le niveau de vie et le taux de chômage, comme la requérante ne l' a pas contesté, étant plus favorables que la moyenne communautaire . Bien qu' on puisse regretter que la Commission n' ait fourni aucune donnée chiffrée à cet égard,
on ne peut considérer qu' elle ait excédé sa latitude d' appréciation en estimant que la situation économique locale ne revêtait pas un caractère exceptionnel de gravité, tel que l' aide puisse être qualifiée de compatible avec le marché commun au sens de la lattre a ), du paragraphe 3, de l' article*92 .

Pas plus que la précédente, la dérogation prévue par la lettre c ) du même paragraphe ne paraît applicable . Il ressort des chiffres de production fournis par Deufil que l' investissement réalisé s' est traduit par le doublement de sa capacité de production, utilisée pour l' essentiel pour la fabrication de polyamide, qui a représenté plus de 70 % de sa production de 1985 . Contrairement aux affirmations réitérées de la requérante, il n' y a donc eu ni reconversion réelle ni restructuration
entraînant une diminution des capacités de production . En vérité, l' investissement a permis simplement, comme l' a exactement relevé la Commission, la modernisation de l' équipement de l' entreprise, par l' acquisition d' une nouvelle installation capable de produire, en alternance, les deux types de fibres, selon l' évolution de la demande sur le marché . Or, cette décision d' investissement doit être appréciée au regard de la restructuration entreprise par des producteurs concurrents, qui a été
accompagnée d' une compression massive d' emplois . Nous en avons déjà souligné les effets anticoncurrentiels . Avec la Commission, nous estimons que cette conjoncture a joué un rôle déterminant dans la politique d' équipement de Deufil .

Ainsi requalifiée, l' opération d' investissement apparaît, eu égard aux conditions du marché, en contradiction directe avec l' intérêt commun . Tel qu' il résulte aussi bien de la politique menée par la Commission que de l' action entreprise par certains producteurs, celui-ci, en vue de permettre le rééquilibrage de la production et de la consommation de fibres synthétiques dans la Communauté, commande sinon la réduction à tout le moins la stabilisation des capacités de production, mais certes pas
leur accroissement . Dans un contexte de surproduction structurelle, un tel investissement revêt un caractère éminemment conjoncturel . Il ne paraît guère en mesure de garantir de façon durable la rentabilité de l' entreprise . La région ne retirerait donc d' une mesure qui s' inscrit à contre-courant de l' intérêt communautaire qu' un avantage aléatoire pour son développement, même en ce qui concerne les emplois créés .

En refusant le bénéfice des dérogations de l' article 92, paragraphe 3, sous a ) et c ), à la requérante, la Commission n' a donc pas dépassé les limites du pouvoir discrétionnaire qu' elle exerce pour son application .

III - Sur la confiance légitime

8 . Deufil soutient que, si la décision attaquée devait être maintenue, sa mise en oeuvre, obligeant l' État membre à obtenir le remboursement de l' aide indue, se heurterait au principe de confiance légitime . En effet, les autorités allemandes se verraient empêchées sur la base des dispositions de la loi de procédure administrative du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie régissant la procédure de répétition, de procéder à la récupération de la somme versée, dès lors que la requérante aurait pu
avoir toute confiance dans le caractère définitif de la décision nationale d' octroi .

Comme on le voit, ce moyen est dirigé, non contre la décision de la Commission elle-même, mais contre la mesure que les autorités allemandes seraient amenées à prendre en application de l' arrêt de la Cour confirmant sa légalité . En soi, ce dernier moyen ne vise donc pas à établir le bien fondé de l' aide octroyée . Dans le cadre du présent recours, il est donc inopérant .

Nos observations pourraient s' arrêter ici . A toutes fins utiles, nous croyons cependant devoir rappeler que

"le droit communautaire ne s' oppose pas à la prise en considération par la législation nationale concernée, pour l' exclusion d' une répétition d' aides indûment versées, de critères tels que la protection de la confiance légitime ..."

dès lors que les mêmes règles de procédure sont appliquées à la répétition des prestations financières purement nationales et que

"l' intérêt de la Communauté ( est ) pleinement pris en considération"*(7 ).

C' est dans ces conditions qu' il appartiendrait au juge national, le cas échéant, de concilier l' intérêt de la Communauté et le principe de confiance légitime .

Quoi qu' il en soit et sans en préjuger, rien, à première vue, ne permet de penser que la requérante ait pu légitimement s' attendre à ce que l' aide accordée puisse, eu égard à l' intérêt général de la Communauté, avoir un caractère définitif . En effet, elle n' a pas fait, de la part des autorités allemandes, l' objet de la notification préalable édictée par l' article 93, paragraphe 3 . Or - faut-il le souligner? -, cette formalité essentielle vise précisément à prévenir le versement d' aides
illégales, puisque

"l' État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées"

avant que la Commission, informée "en temps utile", ne se soit définitivement prononcée sur leur compatibilité au regard des règles de l' article*92 .

Au reste, en tant que producteur de fibres synthétiques, Deufil pourrait difficilement soutenir qu' elle ignorait que l' investissement entrepris, dont elle savait qu' il permettrait d' augmenter sa capacité de production non seulement pour la fabrication de polypropylène, produit auquel le "code des aides" n' a effectivement été étendu qu' en 1985, mais également de polyamide, allait nécessairement à l' encontre de l' intérêt commun du secteur des fibres synthétiques et plus généralement de l'
industrie textile, tel que la Commission l' avait défini dès 1977 .

Nous concluons, en conséquence, au rejet du recours, les dépens devant être mis à la charge de la requérante .

( 1 ) JO L 2O7 du 2.8.1984, p.*17 .

( 2 ) 4O/85, Rec . 1986, p.*2321 .

( 3 ) 73O/79, Philip Morris, Rec . 198O, p . 2671, point*11 .

( 4 ) 730/79, précité, points 17 et 18 .

( 5 ) 73O/79, précité, point 24, souligné par nous .

( 6 ) 730/79, précité, point 25 .

( 7 ) 2O5 à 215/82, Deutsche Milchkontor, Rec . 1983, p . 2633, point*33 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 310/85
Date de la décision : 10/12/1986
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Aides d'État - Fibres et fils synthétiques.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Deufil GmbH & Co. KG
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:475

Source

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