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13/11/1986 | CJUE | N°426/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 13 novembre 1986., Commission des Communautés européennes contre Jan Zoubek., 13/11/1986, 426/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 13 novembre 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Par contrat écrit du 23 décembre 1971, régi par la loi belge, M. Jan Zoubek a accepté de réaliser pour la Commission une étude intitulée « catalogue, analyse et exploitation des positions des pays de l'Est pour une coopération économique en Europe ». Les honoraires convenus s'élevaient à 100000 BFR payables par la Commission à raison d'un tiers à la signature du contrat, d'un tiers à la récept

ion d'un rapport sur l'état d'avancement qui devait être réalisé le 31 mars 1972 et d'un tiers à la
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 13 novembre 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Par contrat écrit du 23 décembre 1971, régi par la loi belge, M. Jan Zoubek a accepté de réaliser pour la Commission une étude intitulée « catalogue, analyse et exploitation des positions des pays de l'Est pour une coopération économique en Europe ». Les honoraires convenus s'élevaient à 100000 BFR payables par la Commission à raison d'un tiers à la signature du contrat, d'un tiers à la réception d'un rapport sur l'état d'avancement qui devait être réalisé le 31 mars 1972 et d'un tiers à la
réception du rapport final qui devait être établi le 30 juin 1972.

En vertu de l'article 7, paragraphe 1, du contrat, la Commission était en droit de résilier le contrat pour défaut d'exécution, ou exécution fautive, imputable à M. Zoubek. Il était prévu que, si, après une mise en demeure communiquée par la Commission à M. Zoubek par lettre recommandée, non suivie d'exécution dans un délai de trente jours, la Commission déclarait faire usage de son droit de résiliation, le contrat se trouvait résilié de plein droit, sans préjudice des dommages-intérêts en raison de
l'inexécution du contrat.

L'article 8 prévoyait que la Cour de justice des Communautés européennes est seule compétente pour statuer sur tout litige relatif à l'exécution du contrat.

Le 7 janvier 1972, à la suite de la signature du contrat, la Commission a versé à M. Zoubek 33000 BFR. Toutefois, ni le rapport sur l'état d'avancement ni l'étude n'ont été fournis aux dates prévues. Conformément à l'article 7 du contrat, la Commission a, par lettre recommandée du 27 octobre 1972, mis en demeure M. Zoubek de transmettre l'étude endéans trente jours, faute de quoi elle résilierait le contrat. Il a répondu qu'il souhaiterait expliquer les raisons sérieuses du retard, mais lorsque
invité à convenir d'un rendez-vous à cet effet, il n'a pas répondu, la Commission a résilié le contrat par lettre du 21 décembre 1972, conformément à l'article 7 du contrat, et demandé à M. Zoubek de rembourser les 33000 BFR qui lui avaient été réglés. Il n'a pas versé cette somme.

Conformément à l'article 8 du contrat et à l'article 181 du traité CEE, la Commission conclut à présent à ce qu'il plaise à la Cour de condamner M. Zoubek au remboursement de la somme de 33000 BFR à majorer, à compter du 7 janvier 1972, des intérêts au taux légal en vigueur en Belgique, au motif que la résiliation du contrat a été exclusivement due à la faute de M. Zoubek.

Il est clair que M. Zoubek n'a pas réalisé l'étude et n'a pas tenté de justifier sa carence. Il dit toutefois qu'il existait un accord ultérieur en vertu duquel il fournirait un bulletin bimensuel et un supplément mensuel intitulés « East-West » à titre de remboursement des 33000 BFR et, il semble l'avoir laissé entendre, pour se libérer de ses obligations en vertu du contrat. Il soutient que cette publication a été fournie de 1974 à 1978 sans frais. Le coût des exemplaires livrés s'est élevé à
65000 BFR, de sorte qu'il a non seulement acquitté la dette mais qu'il serait créancier de 32000 BFR au titre du coût des publications fournies.

La Commission soulève deux questions préalables. Elle affirme, en premier lieu, que l'éditeur du bulletin,« East-West » sprl, est une entité juridique distincte, même si M. Zoubek en était un actionnaire. En conséquence, précise-t-elle, la fourniture par cette société ne saurait en droit équivaloir à une compensation par le défendeur. Nous n'acceptons pas cet argument. En droit, nous ne voyons pas pourquoi M. Zoubek n'assumerait pas la responsabilité de livrer ou de faire livrer par la société le
bulletin, pour se libérer de son obligation résultant du contrat conclu avec la Commission.

En second lieu, la Commission déclare que la requête reconventionnelle est irrecevable car elle ne relève pas de l'article 8 du contrat. Il s'ensuit que la Cour n'est pas compétente en vertu de l'article 181 du traité. Pour notre part, nous n'acceptons pas cet argument non plus. Il nous semble que la contestation de la prétention selon laquelle l'obligation découlant du contrat a été exécutée en vertu d'un accord ultérieur, constitue un « litige relatif à l'exécution du contrat ».

La question demeure de savoir s'il y a eu un tel accord ultérieur. Selon M. Zoubek, il y a eu un accord verbal en ce sens avec M. Lecomte de la DG I, en novembre 1973. Il se fonde sur une lettre qu'il a écrite à M. Lecomte le 20 décembre 1973 dans laquelle il déclare: « Conformément à notre accord de novembre de cette année, je vous envoie deux exemplaires récents de ‘East-West’ (bulletin bimensuel) et le supplément mensuel. » Le 21 décembre, M. Lecomte a répondu immédiatement à cette lettre. Il a
accusé réception de la publication, mais a poursuivi en ces termes: «Je dois toutefois insister sur le fait qu'il n'y a jamais eu un ‘accord’ entre nous. » Curieusement, il ajoute: « Néanmoins, je vous informerai dès que possible en cas de nouvelles vous concernant. »

Le mémoire en défense précise que l'accord a été confirmé par la suite lors d'un entretien ultérieur et que les publications ont été envoyées. Auncun détail n'est donné quant au moment où cet entretien est censé avoir eu lieu. La Commission reconnaît qu'elle a bien reçu le bulletin et les suppléments durant la période en cause. Cependant, jusqu'en 1977, ceux-ci provenaient d'une société dénommée Office international de librairie à Bruxelles, et à partir de 1978, directement de « East-West ». Selon
la Commission, ces exemplaires ont été envoyés à la bibliothèque de la Commission conformément à un abonnement et ils ont été payés. Dans le mémoire en réplique, des détails sont donnés en ce qui concerne les règlements annuels effectués par la bibliothèque aux deux fournisseurs. Le défendeur n'a pas notifié de mémoire en duplique dans cette affaire de sorte que ces chiffres ne sont pas contestés.

Il est évidemment possible qu'un exemplaire supplémentaire ait été livré par M. Zoubek, ou sur son instigation, en sus de ceux achetés par la bibliothèque. Pour notre part, toutefois, nous n'hésitons pas à conclure que sa prétention n'est pas prouvée. La somme en cause, 33000 BFR, n'est pas dénuée d'importance et si l'accord avait consisté à envoyer des exemplaires en paiement de sa dette, il l'aurait dit dans sa lettre du 20 décembre 1973 ou, tout au moins, en réponse à la lettre de M. Lecomte du
21 décembre 1973. En fait, il n'a pas du tout répondu. En outre, il n'a produit aucun élément visant à démontrer qu'il avait envoyé des exemplaires en sus de ceux réglés par la bibliothèque de la Commission.

Sa requête reconventionnelle de 32000 BFR est en toute hypothèse dénuée de fondement selon sa propre argumentation, étant donné qu'il prétend que ces exemplaires ont tous été envoyés afin de régler sa dette. Il ne produit pas de demande subséquente de paiement ni de preuve d'un accord afin d'envoyer des exemplaires moyennant paiement.

A notre avis, il n'y a pas de moyen de défense à opposer à la requête et la requête reconventionnelle doit être rejetée.

Nous remarquerons que le contrat en cause a été résilié en décembre 1972. La requête a été introduite en décembre 1985, treize ans plus tard. En vertu du droit belge, le délai de prescription est de trente ans. Même si l'affaire est ainsi introduite dans les délais, la question se pose de savoir s'il est juste d'accorder des intérêts, conformément à ce qui a été demandé, pour toute la période écoulée depuis la date du paiement, le 7 janvier 1972, jusqu'au remboursement.

En droit belge, dans le cadre d'une demande de ce genre, des intérêts peuvent être accordés, semble-t-il, depuis la date de la mise en demeure: articles 1142 et 1146 du code civil belge. Nous relevons le fait que cette règle a été appliquée par la Cour dans son arrêt du 13 novembre 1986 rendu dans l'affaire 220/85 Fadex NV/Commission, Rec. p. 3387, qui concernait également un litige régi par le droit belge.

En l'espèce, l'article 7, paragraphe 1, du contrat spécifie exactement la forme de la « mise en demeure », et ces dispositions ont été respectées par la Commission lorsqu'elle a envoyé sa lettre recommandée du 27 octobre 1972 impartissant à M. Zoubek un délai de trente jours pour exécuter le contrat. Cela nous semble constituer une « mise en demeure » en bonne et due forme conformément au droit belge et aux termes du contrat. En conséquence, des intérêts peuvent être accordés à dater de l'expiration
du délai de trente jours suivant la date de la lettre stipulée à l'article 7 du contrat, c'est-à-dire à dater du 27 novembre 1972, mais non à partir de la date antérieure suggérée par la Commission.

Le montant des intérêts revêt, toutefois, un caractère discrétionnaire. En l'espèce, il y a eu des retards inexpliqués de la part de la Commission. Par exemple, l'affaire semble avoir été oubliée de 1973 à 1979. L'affaire aurait pu être introduite depuis longtemps. Il nous semble raisonnable et équitable d'accorder des intérêts non pas pour toute cette période, mais en tenant compte d'une période raisonnablement nécessaire pour faire aboutir la prétention en dehors d'un procès et pour préparer
l'affaire et en tenant compte de la période écoulée depuis la date de la requête, 13 décembre 1985, à la date de l'arrêt. Compte tenu de ces facteurs, il serait à mon avis raisonnable d'accorder des intérêts durant deux années au taux que nous croyons être le taux légal actuel, à savoir 10 %.

A notre connaissance, la pratique générale suivie par les juridictions belges dans les actions de ce genre n'est pas d'accorder séparément des intérêts, mais d'allouer une somme unique représentant à la fois les dommages et les intérêts, « dommages et intérêts» aux termes de l'article 1142 du code civil. Selon cette pratique, il serait approprié d'allouer une somme unique comprenant à la fois le montant réclamé et les intérêts, montant que nous arrondirons à 40000 BFR au total. A notre avis, cette
allocation de « dommages et intérêts » devrait porter intérêt au taux légal en vigueur en Belgique à partir de la date de l'arrêt jusqu'à la date du paiement effectif.

En conséquence, nous estimons que M. Zoubek devrait payer à la Commission la somme de 40000 BFR majorée des intérêts au taux légal en vigueur en Belgique, à partir de la date de l'arrêt jusqu'à la date du paiement et qu'il devrait également payer les dépens de la Commission au titre de la présente procédure.

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( *1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 426/85
Date de la décision : 13/11/1986
Type d'affaire : Clause compromissoire

Analyses

Clause compromissoire - Inexécution d'un contrat.

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Jan Zoubek.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:431

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