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04/11/1986 | CJUE | N°118/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 4 novembre 1986., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 04/11/1986, 118/85


Avis juridique important

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61985C0118

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 4 novembre 1986. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques. - Affaire 118/85.
Recueil de jurisp

rudence 1987 page 02599

Conclusions de l'avocat général

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Monsieu...

Avis juridique important

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61985C0118

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 4 novembre 1986. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques. - Affaire 118/85.
Recueil de jurisprudence 1987 page 02599

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les présentes conclusions concernent un recours en manquement qui a pour objet de faire constater que, en refusant de communiquer à la Commission des informations concernant le secteur des tabacs manufacturés, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 5, paragraphe 2, de la directive 80/723/CEE de la Commission, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ( JO L*195, p.*35
).

En vertu de cette disposition, les États membres sont obligés de communiquer à la Commission, à sa demande, des données relatives aux relations financières entre les "pouvoirs publics" et les "entreprises publiques ".

Le gouvernement italien a refusé de communiquer ces informations au motif que l' Amministrazione autonoma dei monopoli di Stato ( ci-après "AAMS "), qui opère dans le secteur en question, ne pourrait être considérée comme "entreprise publique" au sens de l' article 2 de ladite directive, mais appartiendrait à la catégorie des "pouvoirs publics" visés au même article .

En réalité, le véritable objet du litige concerne donc l' interprétation de ces deux notions .

D' après l' article 2 de la directive 80/723/CEE, on entend par pouvoirs publics "l' État, ainsi que d' autres collectivités territoriales", et par entreprise publique "toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer, directement ou indirectement, une influence dominante du fait de la propriété, de la participation ou des règles qui la régissent ".

Concrètement, il s' agit de savoir si l' AAMS, en tant qu' organe de l' État ne possédant pas de personnalité juridique distincte de celle de l' État, ce qui n' est pas contesté par la Commission, participe de ce fait aux "pouvoirs publics" ou, au contraire, si le fait que, dans le secteur des tabacs manufacturés, elle offre des biens et des services sur le marché et participe à l' activité économique, ce que reconnaît le gouvernement italien, suffit à la ranger parmi les "entreprises publiques ".

Comme la directive 80/723 a fait, à l' époque, l' objet de recours en annulation intentés par les gouvernements français, italien et britannique ( affaires jointes 188 à 190/80 ), je me permets de renvoyer, pour sa présentation et son appréciation, à l' arrêt de la Cour du 6 juillet 1982 ( Rec . p.*2545 ).

1 . Un organe de l' État peut-il constituer une "entreprise publique"?

Le gouvernement italien fait valoir que l' "ordre juridique italien inclut dans les tâches publiques et institutionnelles de l' État la production et la commercialisation des tabacs manufacturés" et que, "si l' AAMS est, en tant qu' organe de l' État, un 'pouvoir public' , elle ne pourrait constituer, en même temps, une 'entreprise publique' au sens de la directive ".

On ne saurait évidemment dénier à l' État italien le droit de considérer qu' il est dans l' intérêt public que les activités en question soient assumées par lui-même, et qu' il assume dès lors, à cet égard, également une mission de "service public ".

Je suis cependant d' avis que les deux notions de "service public" et d' "entreprise publique" ne s' excluent pas, de telle sorte qu' un pouvoir public, y compris l' État lui-même, peut, dans certains cas, aussi être qualifié "d' entreprise publique ".

A mon avis, le critère de distinction entre "pouvoirs publics" et "entreprise publique" n' est pas à rechercher dans la notion de service public, mais dans le caractère industriel et commercial de l' activité des organismes publics .

La doctrine italienne a d' ailleurs forgé, à propos de ce type d' activité, l' expression de "imprese organo", c' est-à-dire "entreprise organe" ( 1 ).

Dans le cadre de l' affaire 78/82 ( 2 ), le gouvernement italien a lui-même invoqué, en faveur de l' AAMS, l' article 90, paragraphe 2, du traité CEE pour justifier une mesure contestée par la Commission . Or, cette disposition présuppose l' existence d' une entreprise et il me semble difficile de considérer qu' un organe qui constitue une entreprise au sens de l' article 90, paragraphe 2, ne doive plus être considéré comme telle dans le cadre de la directive 80/723 qui est fondée sur le paragraphe
3 du même article et qui a pour objet d' en faciliter l' application .

La possibilité de distinguer, à l' intérieur des activités de l' État, entre activités d' autorité et activités d' entreprise est, par ailleurs, confirmée par la jurisprudence de la Cour .

C' est ainsi que la Cour a constaté, dans son arrêt du 11 juillet 1985 ( 3 ), que seule une partie des activités postales, exercée par un organisme de droit public, peut être considérée comme des activités de l' autorité publique au sens strict du terme .

C' est ainsi encore qu' aux termes d' une jurisprudence constante ( 4 ) seuls les "emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l' exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l' État ou des autres collectivités publiques" tombent sous l' exception de l' article 48, paragraphe 4, du traité en matière de libre circulation des travailleurs .

La Cour a expressément voulu en exclure les emplois qui, tout en relevant de l' État ou d' autres organismes de droit public, sont relatifs à des responsabilités de caractère économique et social que la puissance publique assume dans les divers États membres ou à d' autres activités qui ne sont pas assimilables aux fonctions typiques de l' administration publique ( voir, plus particulièrement, les points 10 et 11 de l' arrêt du 17 décembre 1980, Rec . p.*3900 ).

L' applicabilité de l' un ou de l' autre de ces textes n' est donc pas acquise dès que l' on est en présence d' une administration publique ou d' un organisme public . Ce qui compte ce sont les activités qu' exerce l' une ou l' autre .

Dans les quelques rares arrêts où la Cour a été appelée à apprécier le caractère "d' entreprise" d' un organisme de droit public, elle a également été amenée à opérer une distinction selon la nature de ces activités .

Dans son arrêt 155/73 du 30 avril 1974 ( Sacchi, Rec . p.*409 ), elle a expressément rejeté l' argument avancé par les gouvernements italien et allemand suivant lequel les établissements de télévision ne seraient pas des "entreprises" au sens des dispositions du traité et a statué que, même si un État membre a conféré, pour des considérations d' intérêt public, de nature non économique, le droit exclusif de procéder à des émissions de radio-télévision à un ou plusieurs établissements, ceux-ci
tombent, pour l' exécution de leur mission, "dans la mesure où cette exécution comporte des activités de nature économique, sous les dispositions visées à l' article 90 relatif aux entreprises publiques et aux entreprises auxquelles les États accordent des droits spéciaux exclusifs" ( point*14 ).

De même, dans son arrêt 94/74 du 18 juin 1975 ( IGAV/ENCC, Rec . p.*699 ), elle a précisé que "les activités d' un organisme de caractère public, même autonome, si tant est que ses interventions ont lieu dans l' intérêt public et sont dépourvues de caractère commercial, relèvent des dispositions citées ( relatives aux atteintes portées au fonctionnement normal du régime de la concurrence par l' action des États ) et non des articles 85 et 86" ( point 35 ). On peut légitimement en déduire que les
activités commerciales d' un organisme public, qu' il soit autonome ou non, relèvent des articles 85 et 86, spécialement mentionnés à l' article*90 .

Enfin, dans son arrêt 41/83 du 20 mars 1985 ( Italie/Commission, Rec . p.*873, 880 ), elle a rejeté expressément l' argument du gouvernement italien suivant lequel "l' activité réglementaire d' un organisme de droit public ne saurait être considérée comme une activité d' entreprise, au sens de l' article 86 du traité" ( point 13 ), au motif que "les règlements ( qu' en l' occurrence British Telecom avait pris en usant du pouvoir normatif qui lui était reconnu par la loi ) doivent être regardés comme
faisant partie intégrante de l' activité d' entreprise de BT" ( point 20 ). Elle a ainsi confirmé que les activités d' une société de droit public ( qu' elle a qualifiée d' "entreprise nationale" - voir point*2 ), dès lors qu' elles participent à des activités d' entreprise, tombent sous le coup des règles communautaires de la concurrence .

Mais revenons-en à la directive 80/723 . Dans son arrêt, précité, dans les affaires jointes 188 à 190/80, la Cour a constaté la validité de cette directive .

Celle-ci a pour objet, selon son sixième considérant, "de permettre de distinguer clairement entre le rôle de l' État en tant que pouvoir public et en tant que propriétaire ".

Je ne vois dès lors pas en vertu de quel raisonnement on puisse parvenir à la conclusion que "la directive ne permet pas de distinguer, en ce qui concerne les pouvoirs publics, entre activités d' autorité et activités d' entreprise" ( mémoire en défense, alinéa 1 de la page*8 ).

Il me semble, au contraire, que la directive part précisément de la constatation qu' un tel "dédoublement de la personnalité" des États existe fréquemment .

Les raisons qui ont amené la Commission à considérer comme nécessaire de pouvoir distinguer entre le rôle de l' État-pouvoir public et le rôle de l' État-propriétaire sont, à mon sens, pertinentes, a fortiori lorsque l' État n' est pas seulement propriétaire, mais lorsqu' il gère, en plus, directement l' activité en question .

L' article 2 de la directive précise d' ailleurs qu' il faut entendre par entreprise publique "toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait *... des règles qui la régissent ". Or, en l' occurrence, les règles qui régissent l' AAMS, à savoir son intégration dans l' administration de l' État, permettent l' exercice d' une influence non seulement dominante, mais directe et exclusive .

Il ne semble donc pas excessif de conclure que "les entreprises organes directement gérées par l' État" ( réponse à la lettre de mise en demeure, p.*4 ) représentent, comparées aux présomptions contenues à l' alinéa 2 du même article, la forme suprême des entreprises publiques visées par la directive en question .

2 . Est-ce qu' une entreprise publique doit nécessairement avoir une personnalité juridique distincte de celle de l' État?

Selon le gouvernement italien, "pour que les pouvoirs publics puissent exercer leur influence sur une entreprise publique, les deux sujets doivent être juridiquement distincts ".

Or, il me semble que cette influence peut s' exercer d' une façon encore plus efficace lorsque l' État-pouvoir public et l' État-entrepreneur ne constituent qu' une seule et même entité juridique . ( On peut d' ailleurs se demander si ce n' est pas précisément à cette fin que l' un ou l' autre organe public ne se voit pas reconnaître de personnalité juridique .)

La création d' une situation de transparence est, dans un tel cas, encore plus indispensable .

Tout l' objet de la directive est, en effet, d' assurer "une application efficace et équitable aux entreprises publiques et privées des règles du traité CEE concernant les aides" ( cinquième considérant ).

Il résulte, par ailleurs, de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre des règles de concurrence du traité CEE, une approche économique ou fonctionnelle, plutôt que simplement juridique, doit prévaloir pour la définition de la notion d' entreprise .

Certes, dans le cadre du traité CECA, la Cour avait commencé par définir la notion d' entreprise par rapport à celle de personnalité juridique ( 5 ) et c' est cette définition qui est traditionnellement citée par la doctrine ( 6 ). Mais la Cour a progressivement nuancé et relativisé cette position ( 7 ).

Dans le cadre du traité CEE, la Cour n' a été amenée à définir la notion d' entreprise que très récemment, à savoir dans son arrêt du 12 juillet 1984 ( affaire 170/83, Hydrotherm/Compact, Rec . p.*2999 ), où elle a retenu que "la notion d' entreprise, placée dans un contexte de droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l' objet de l' accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs
personnes, physiques ou morales" ( point*11 ).

Je note que la Cour n' a ainsi fait que tirer les conclusions, au niveau de la définition de la notion d' entreprise, de sa jurisprudence antérieure en matière de concurrence . C' est ainsi que, notamment ( 8 ) dans son arrêt 22/71 du 25 novembre 1971 ( Béguelin Import/S.A.G.L . Import Export, Rec . p.*949 ), elle avait jugé qu' "un contrat de concession exclusive ne relève pas de l' interdiction énoncée à l' article 85, paragraphe 1, du traité CEE du seul fait que cette concession ait été
transférée d' une société mère à sa filiale qui, bien qu' ayant une personnalité juridique distincte, ne jouit d' aucune autonomie économique" ( sommaire, point*1 ).

De même, dans son arrêt 48/69 du 14 juillet 1972 ( ICI/Commission, Rec . p.*619 ), elle avait rejeté l' argument des parties requérantes suivant lequel d' éventuelles infractions à l' article 85, paragraphe 1, ne pouvaient être imputées qu' à leurs filiales au motif que "la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère", ce qui est le cas "lorsque la filiale ne jouit pas d' une autonomie
réelle dans la détermination de sa ligne d' action sur le marché" ( points 132 et 134 ).

S' il est vrai que cette jurisprudence était fondée essentiellement sur la considération qu' une concurrence entre des sociétés économiquement dépendantes est impossible et, plutôt que de donner une définition de la notion d' entreprise, retient le principe de l' imputabilité des actes de la filiale à la société mère, il en résulte indubitablement que, au regard du droit de la concurrence, la personnalité juridique n' est pas l' élément déterminant pour l' application des articles 85 à 90 du traité
aux entreprises . L' arrêt 170/83 en apporte la confirmation en identifiant l' entreprise à l' unité économique même constituée de plusieurs personnes juridiques .

Comme l' article 90 fait partie, avec les articles 85 et 86, de la même section première du chapitre 1, titre I, de la troisième partie du traité, intitulée "Les règles applicables aux entreprises", et soumet les entreprises publiques, sous réserve des précisions apportées par son paragraphe 2, à l' ensemble des règles du traité également applicables aux entreprises privées ( arrêt du 6 juillet 1982, affaires jointes 188 à 190/80, précité, point 12 ), il peut en être déduit logiquement que la notion
d' entreprise est la même, indépendamment de son caractère privé ou public ( 9 ).

Nous avons constaté que dans les arrêts relatifs à l' article 90, cités au point 1, la Cour a effectivement suivi la même approche économique et fonctionnelle, même si la question de la personnalité juridique n' était pas directement en cause dans ces affaires .

3 . Des relations financières ne peuvent-elles avoir lieu qu' entre des sujets juridiques distincts?

Le gouvernement italien déclare, enfin, "qu' il ressort du type même des relations financières dont la transparence doit être garantie ( article 3 de la directive ) que ces relations se produisent et doivent se produire entre des sujets juridiques distincts" ou que "des relations financières ne peuvent pas exister à l' intérieur du même sujet juridique ". A cet égard, je voudrais observer ce qui suit .

Il est incontestable qu' on ne peut parler de "relations financières" que si une distinction suffisamment nette peut être faite entre la source des moyens financiers et leur destinataire .

En l' occurrence, tel me semble être le cas . Même si l' existence d' un budget autonome ne doit pas nécessairement être considérée comme une condition indispensable à l' existence de "relations financières", il est certain que, dans le cas d' espèce, on est en effet en présence d' une "administration autonome" disposant d' un budget séparé et distinct .

Comme nous le signale le mémoire en défense et comme il résulte de l' article 9 du décret-loi n°*2258, du 8 décembre 1927, converti en loi n°*3474, du 6 décembre 1928, qui a institué l' AAMS, le budget prévisionnel des recettes et des dépenses de l' AAMS est présenté à l' approbation du Parlement en annexe à l' état des prévisions des dépenses du ministère des Finances et le bilan est annexé au compte rendu général de l' État .

Il y est joint un bilan séparé (" conto consuntivo ") et un "compte économique" (" conto economico ") pour chacune des "aziende" ( tabac, sel, quinine ) et un compte global (" riassunto ") pour l' ensemble de l' administration .

Les recettes de nature industrielle et commerciale de l' AAMS sont inscrites au budget de l' administration autonome ( article*4 ). Seules les recettes fiscales sont inscrites directement au budget de l' État .

Enfin et surtout, le budget de l' administration autonome prévoit aussi toute une série de transferts entre cette administration et le Trésor de l' État ( 10 ).

Ainsi, le poste budgétaire n°*169 concerne les "sommes payées par le Trésor pour l' amortissement des avances concédées par la Caisse des dépôts et prêts en vue de couvrir des déficits de gestion ".

Ce poste pourrait correspondre, éventuellement, à l' un des cas de "relations financières" visées par l' article 3 de la directive 80/723, à savoir "la compensation des pertes d' exploitation ".

Il existe, ensuite, un poste n°*510, intitulé "sommes payées par le Trésor pour la construction de la nouvelle manufacture de tabac de Lucca", à propos duquel on pourrait se demander s' il ne s' agit pas d' un "apport en capital" ou d' un "apport à fonds perdus ".

Du côté des dépenses, on trouve, au poste n°*128, le "remboursement au Trésor des dépenses correspondant aux émoluments des employés du service de la comptabilité générale de l' État en service auprès de l' AAMS" et, au poste n°*129, "le remboursement au Trésor de la quote-part incombant à l' AAMS, en vue du financement de la 'Guardia di finanza' ", et, au poste n°*137, "les impôts et taxes, etc ., à payer sur les biens immobiliers qui sont la propriété de l' AAMS ".

Il me semble donc qu' on soit en droit de conclure qu' il existe bien des "relations financières" entre l' AAMS, d' une part, et l' État italien en tant que tel ( à travers le Trésor public ), d' autre part . La directive 80/723 doit, dès lors, s' appliquer à ces relations, puisque nous avons constaté, par ailleurs, que l' AAMS peut être considéré comme une "entreprise publique ".

Il reste encore à examiner une dernière objection du gouvernement italien .

Ce dernier fait, en effet, valoir également qu' il résulterait de l' annexe I à la directive 80/767/CEE du Conseil, du 22 juillet 1980, adaptant et complétant, en ce qui concerne certains pouvoirs adjudicateurs, la directive 77/62 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures ( JO L*215, p.*1 ) que "le monopole des tabacs est compris parmi les organes du ministère italien des Finances" ( p.*4 du mémoire en défense ).

L' annexe I susmentionnée établit la liste des "entités acheteuses" ou des "pouvoirs adjudicateurs" qui doivent, lorsqu' elles passent un marché public de fournitures, respecter les règles établies par la directive, et notamment celle de la non-discrimination en raison de la nationalité .

Dans cette liste, figure le ministère italien des Finances . Une note en bas de page précise à propos de ce ministère : "Non compris les marchés passés par la régie des tabacs et du sel ."

Il me semble qu' on peut tirer deux conclusions de cette annexe*I .

La première est que l' AAMS dépend du ministère des Finances, ainsi que le gouvernement italien le fait remarquer à juste titre . Mais nous savons, par ailleurs, que l' AAMS jouit, comme son nom l' indique, d' un large degré d' autonomie et d' un budget séparé de celui du ministère .

En second lieu, on peut conclure de cette présentation que les marchés passés par l' AAMS ne sont pas du même type que ceux passés par le ministère des Finances lui-même, sinon ils ne feraient pas l' objet d' une exclusion . Cela tend à prouver que l' AAMS poursuit des activités qui ont une nature différente des activités traditionnelles des ministères . Compte tenu de tout ce que nous savons au sujet du statut et des activités de l' AAMS, nous sommes en droit de conclure que les marchés qu' elle
conclut sont du même type que ceux passés par une entreprise industrielle ou commerciale privée .

4 . Conséquences de la thèse de l' inapplicabilité de la directive

Finalement, on peut apporter une clarification utile à ce débat en examinant quelles seraient les implications d' un arrêt de la Cour qui retiendrait qu' un organisme du type de l' AAMS ne tombe pas sous la directive 80/723 .

a)*En décidant qu' un organe qui présente des biens ou des services sur le marché ne peut jamais être considéré comme une entreprise lorsqu' il n' a pas, lui-même, la personnalité juridique, la Cour abandonnerait, tout d' abord, l' interprétation économique ou fonctionnelle qu' elle a donnée à la notion d' entreprise dans le domaine du traité CEE .

Elle mettrait en cause, en second lieu, l' application uniforme de la directive 80/723 dans l' ensemble des États membres .

Il résulte, en effet, d' une analyse comparative de la situation réelle dans les différents États membres que les formes juridiques dans lesquelles les pouvoirs publics - État ou collectivités territoriales - exercent des activités économiques sont très diverses : elles divergent d' un État membre à l' autre comme à l' intérieur de chaque État membre et varient également dans le temps, au gré des législations et politiques nationales . Le choix de l' une ou de l' autre forme ne répond pas
nécessairement à des critères objectifs, mais est souvent fonction de considérations politiques, historiques, voire de simple opportunité ou de commodité de gestion .

En faisant du critère de la personnalité juridique distincte un critère de définition de l' entreprise publique, on écarterait du champ d' application de la directive 80/723 l' AAMS, mais le Service d' exploitation industrielle des tabacs et des allumettes ( SEITA ) qui exerce, en France, une mission analogue continuerait à relever de celle-ci .

Les chemins de fer danois, qui constituent pourtant un directorat général d' un ministère, seraient soumis à la directive, alors que la Deutsche Bundesbahn ( les chemins de fer allemands ) constituée sous la forme d' un "patrimoine spécial" (" Sondervermoegen ") et dotée d' une certaine autonomie de gestion sans avoir la personnalité juridique ne serait pas affectée ( 11 ).

Pour la même raison, la Deutsche Bundespost ( postes allemandes ) ne serait pas soumise à la directive, alors que la Régie des postes et la Régie des télégraphes et des téléphones belges, constituées en régies d' État personnalisées, mais placées sous la tutelle hiérarchique du ministre intéressé, tomberaient dans le champ d' application de celle-ci . Dans ce contexte, il est, par ailleurs, intéressant de noter que, jusqu' au début des années 70, l' administration belge des postes était considérée
comme une entreprise d' État et, de ce fait, bien qu' exerçant exactement les mêmes activités et également placée sous l' autorité hiérarchique du ministre intéressé, n' avait pas de personnalité juridique propre .

Il est intéressant de noter encore qu' en Belgique la distribution de gaz et d' électricité se fait parfois au niveau communal par l' intermédiaire de régies communales créées en vertu de la loi communale et qui sont gérées en dehors des services généraux de la commune sans pour autant disposer d' une personnalité juridique distincte . Au niveau intercommunal, les mêmes services sont offerts par des associations de droit public qui, elles, sont dotées de la personnalité juridique .

En Italie, des différences semblent exister au sein même de la catégorie des "amministrazioni autonome" de l' État : certaines sont dotées de la personnalité juridique tandis que d' autres, telle l' AAMS, en sont dépourvues . Un auteur ( 12 ) laisse prévoir, d' ailleurs, que cette dernière pourrait être transformée en "ente pubblico di gestione", catégorie disposant de la personnalité juridique .

Ces exemples soulignent avec force qu' au niveau de la Communauté le concept d' entreprise publique, qui doit nécessairement avoir une signification uniforme, ne peut pas être défini par référence aux notions juridiques divergentes des droits nationaux . Pour les besoins de la définition de la notion d' entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence et de la notion d' entreprise publique au sens de la directive 80/723, c' est donc la fonction qui doit primer la forme .

b)*Si vous décidiez que, dans sa rédaction actuelle, la directive 80/723 ne vise pas les organes d' État dépourvus de la personnalité juridique et que l' AAMS ne tombe dès lors pas dans le champ d' application de la directive, la Commission serait vraisemblablement amenée à compléter celle-ci .

Cet amendement consisterait, sans doute, dans une formule du type suivant :

"Sont à considérer comme entreprises publiques au sens de la présente directive, les organes d' État qui offrent sur le marché des biens ou des services contre rémunération, même lorsque ces organes n' ont pas une personnalité juridique distincte de celle de l' État ."

Or, comme nous l' avons vu ci-dessus, le gouvernement italien affirme que, "pour que les pouvoirs publics puissent exercer leur influence sur une entreprise publique, les deux sujets doivent être juridiquement distincts" et qu' "il ressort du type même des relations financières dont la transparence doit être garantie que ces relations se produisent et doivent se produire entre des sujets juridiques distincts ".

Ce gouvernement serait donc, vraisemblablement, amené à soulever à l' encontre de la nouvelle version de la directive les mêmes objections qu' à l' égard de l' ancienne, et on se retrouverait au point de départ .

c)*Face à une telle situation, d' aucuns pourraient s' interroger sur le point de savoir s' il est réellement nécessaire que la directive s' applique aux entreprises organes . Les articles 92 et 93 du traité ne permettent-ils pas déjà à la Commission de contrôler les aides accordées par les États membres?

Cette objection a déjà été soulevée dans le cadre des affaires jointes 188 à 190/80 où on a fait valoir que "l' article 93, paragraphe 1, habilite la Commission à procéder, dans le domaine des aides étatiques, à un examen permanent des régimes d' aides avec les États membres . Cette coopération, ensemble avec l' article 5, permet à la Commission de demander des informations pour vérifier si une aide non notifiée a été accordée : si ces informations sont fournies la Commission examinera les mesures
en cause; sinon elle pourra engager la procédure de l' article 169" ( Rec . 1982, p.*2569 ).

Dans son arrêt du 6 juillet 1982 ( déjà cité ), la Cour a cependant rejeté cette thèse en déclarant notamment :

"Compte tenu des formes diverses des entreprises publiques dans les différents États membres et des ramifications de leurs activités, il est inévitable que leurs relations financières avec les pouvoirs publics sont, elles aussi, très diverses, souvent complexes et, dès lors, difficiles à contrôler, même à l' aide de sources d' information publiées, auxquelles les gouvernements requérants ont fait référence . Dans ces conditions, on ne saurait dénier le besoin, pour la Commission, de chercher à
obtenir des informations supplémentaires sur ces relations en établissant des critères communs pour tous les États membres et pour toutes les entreprises en cause" ( point*18 ).

Pour les raisons indiquées ci-dessus, je suis d' avis que l' expression "toutes les entreprises en cause" englobe également celles des entreprises publiques qui constituent des organes de l' État et qui sont dépourvues de la personnalité juridique .

Conclusion

Je vous propose dès lors d' accueillir le recours de la Commission et de

- déclarer que la République italienne, en refusant de transmettre les informations au sujet de l' Amministrazione autonoma dei monopoli di Stato, demandées par la Commission, a manqué aux obligations qui lui incombent en application de l' article 5, paragraphe 2, de la directive 80/723 de la Commission, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques,

- condamner la République italienne aux dépens .

( 1 ) Voir, notamment, Sibilio Parri, B .: Motivazioni e forme di intervento dello Stato nell' economia delle aziende, Padova, CEDAM, 1983, p.*61 .

( 2 ) Commission/Italie, arrêt du 7 juin 1983, Rec . p.*1955 .

( 3 ) Arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, affaire 107/84, Commission/République fédérale d' Allemagne, Rec . p.*2655, 2663, notamment points 14 et 15 .

( 4 ) Voir, notamment, arrêts du 17 décembre 1980 et du 26 mai 1982, affaire 149/79, Commission/Belgique, Rec . 1980, p.*3881, et Rec . 1982, p.*1845; arrêt du 3 juin 1986, affaire 307/84, Commission/France, Rec . p.*1725, 1734; arrêt du 3 juillet 1986, affaire 66/85, Lawrie-Blum/Land Baden-Wuerttemberg, Rec . p.*2121, 2139 .

( 5 ) Arrêt du 22 mars 1961, affaires jointes 42 et 49/59, SNUPAT/Haute Autorité, Rec . p.*99, en particulier p.*151 et 152; arrêt du 13 juillet 1962, affaires jointes 17 et 20/61, Kloeckner et Hoesch/Haute Autorité, Rec . p.*615, en particulier p.*646; arrêt du 13 juillet 1962, affaire 19/61, Mannesmann/Haute Autorité, Rec . p.*675, en particulier p.*705 et 706 .

( 6 ) Voir H . Schroeter, in Groeben, Boeckh, Thiesing, Ehlermann : Kommentar zum EWG-Vertrag, 3e édition, p.*885; R . Franceschelli, R . Plaisant, J . Lassier : Droit européen de la concurrence, 1978, p.*219; J . Schapira, G . Le Tallec, J.-B . Blaise : Droit européen des affaires, 1984, p.*231; J.*A . Van Damme : La politique de la concurrence dans la CEE, 1979, p.*113 et suiv .

( 7 ) Arrêt du 16 décembre 1963, affaire 36/62, Société des aciéries du Temple/Haute Autorité, Rec . p.*583; arrêt du 16 juin 1966, affaire 50/65, Acciaierie e ferriere di Solbiate/Haute Autorité, Rec . p.*209

( 8 ) Pour d' autres références jurisprudentielles, voir les conclusions de l' avocat général M . Lenz dans l' affaire 170/83, précitée ( Rec . 1984, p.*3024 et 3025 ).

( 9 ) Gleiss et Hirsch : Kommentar zum EWG-Kartellrecht, 3e édition, 1978, p.*396; R . Franceschelli, R . Plaisant, J . Lassier, op . cit ., p.*219; A . Deringer : The competition law of the EEC, 1968, p.*228; idem, in FIDE, huitième congrès ( Copenhague ), 1978, p.*22 .

( 10 ) Voir, par exemple, loi n°*42, du 28 février 1986, sur le budget de l' État pour l' année financière 1986, GURI du 28.2.1986, p.*322 et suiv .

( 11 ) La directive 85/413, du 24 juillet 1985, modifiant la directive 80/723 ( JO L*229, p.*20 ), a étendu le champ d' application de cette dernière notamment au domaine des transports, des postes et télécommunications ainsi qu' à ceux de l' eau et de l' énergie .

( 12 ) Ruju, sous la rubrique "Monopolio fiscale", in Enciclopedia del diritto, Milan, 1976, p.*853 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 118/85
Date de la décision : 04/11/1986
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques.

Agriculture et Pêche

Concurrence

Tabac

Ententes


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: O'Higgins

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:413

Source

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