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07/10/1986 | CJUE | N°148/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 7 octobre 1986., Direction générale des impôts et procureur de la République contre Marie-Louise Forest, née Sangoy, et SA Minoterie Forest., 07/10/1986, 148/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 7 octobre 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Depuis 1936, la meunerie fait l'objet en France d'une réglementation professionnelle caractérisée par l'attribution à chaque moulin d'un contingent d'écrasement annuel pour le blé tendre à transformer en farine destinée à la consommation humaine intérieure.

L'extension de cette capacité d'écrasement des moulins est possible dans certaines limites, soit par la réunion de moulins, soit par l'achat de

droits de mouture.

Lorsqu'une entreprise de meunerie dépasse son contingent d'écrasement, elle en...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 7 octobre 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Depuis 1936, la meunerie fait l'objet en France d'une réglementation professionnelle caractérisée par l'attribution à chaque moulin d'un contingent d'écrasement annuel pour le blé tendre à transformer en farine destinée à la consommation humaine intérieure.

L'extension de cette capacité d'écrasement des moulins est possible dans certaines limites, soit par la réunion de moulins, soit par l'achat de droits de mouture.

Lorsqu'une entreprise de meunerie dépasse son contingent d'écrasement, elle encourt une amende fixée en fonction du nombre de quintaux de blé qu'elle a broyés irrégulièrement, ainsi que la confiscation de la farine correspondante.

En 1982 et en 1983 la SA Minoterie Forest a dépassé son contingent de mouture de blé et, en conséquence, cette société ainsi que son président directeur général Mme M. L. Forest ont été assignés par la direction générale des impôts devant le tribunal de grande instance de Mâcon.

Les défenderesses ayant affirmé que la réglementation française serait contraire à certaines dispositions du traité de Rome ou des règlements communautaires pris pour son application, le tribunal de grande instance a estimé qu'un problème se posait effectivement à cet égard et il a, en conséquence, posé à la Cour la question suivante:

« La réglementation française édictée par le décret du 24 avril 1936, modifié, notamment par le décret 61-1033 du 11 septembre 1961, instituant le contingent d'écrasement du blé et limitant les capacités de productions des minoteries, doit elle être jugée contraire au règlement n° 2727/75/CEE du Conseil de la Communauté économique européenne portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales ou encore aux dispositions des articles 30 à 37 du traité de Rome? »

Comme il n'appartient pas à la Cour de justice des Communautés européennes de se prononcer dans le cadre de l'article 177 sur la compatibilité des dispositions d'une mesure nationale avec le droit communautaire, il y a lieu de reformuler la question posée par le tribunal de grande instance de Mâcon. Celle-ci revient en substance à savoir si, soit le règlement n° 2727/75 du Conseil du 29 octobre 1975 portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, soit les articles 30 à 37 du
traité doivent être interprétés comme s'opposant à des dispositions du type de celles édictées par la réglementation nationale visée.

Au cours de la procédure écrite et orale il n'a pas été contesté que la législation française a pour but de faciliter la réduction des capacités de production de l'industrie meunière devenues excédentaires par suite de la diminution de la consommation de pain. Elle vise notamment à éviter la disparition brutale et injustifiée des entreprises qui, même de taille petite ou moyenne, peuvent être considérées comme rentables ou utiles du point de vue de l'intérêt général.

Comme M. l'avocat général H. Mayras l'a souligné, à propos de cette même législation dans l'affaire Van Haaster ( 1 )« 1' objectif de telles mesures est d'assainir une industrie de transformation de produits agricoles, non de limiter la production de ces produits ».

Par ailleurs il n'est pas contesté que:

a) cette réglementation limite uniquement la capacité d'écrasement des moulins pour ce qui est du blé, destiné à la consommation humaine intérieure, indépendamment de la provenance de ce dernier;

b) le contingentement ne s'applique donc pas en ce qui concerne le blé destiné à être exporté ou réexporté après transformation;

c) les importations de blé ou de farine en France ne sont pas limitées; ainsi les meuniers français sont libres d'acheter à l'étranger, s'ils le souhaitent, la totalité du blé qu'ils entendent transformer.

Bien que les dispositions du traité relatives à la suppression des obstacles tarifaires et commerciaux aux échanges intracommunautaires soient à considérer comme faisant partie intégrante des organisations communes des marchés ( 2 ), je préfère, pour des raisons de dareté de l'exposé et en raison de la formulation de la question posée, analyser séparément la question de la compatibilité d'une réglementation du type de celle qui est en cause devant le juge national, avec les articles 30 et suivants
du traité.

J'examinerai dès lors successivement les règles qui se dégagent à l'égard d'une législation de ce type:

— des articles 30 et suivants du traité instituant la Communauté économique européenne;

— du règlement n° 2727/75 du Conseil, portant organisation commun de marché dans le secteur de céréales;

— des dispositions combinées des articles 5 et 85 du traité CEE.

A — Les articles 30 à 37 du traité

Les défenderesses au principal font valoir que « dans la mesure où elle empêche les moulins français de se porter librement acquéreurs de blé, notamment de blé produit dans d'autres États membres et offert sur le marché français pour autant que la farine produite à partir de ce blé serait destinée à être commercialisée sur le marché français, la réglementation française imposant le contingentement de la capacité d'écrasement des moulins affecte, à tout le moins potentiellement, le régime d'échange
intracommunautaire et doit dès lors être considérée comme une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives au sens de l'article 30 du traité CEE ».

La Commission estime par contre que: « aucune restriction ni à l'importation, ni à l'exportation de farine, susceptible d'enfreindre les articles 30 et 34 du traité (qui font partie intégrante de l'organisation du marché) ne paraît résulter, ni directement, ni indirectement, de telles mesures... ». Analysant ensuite les effets de ce régime au niveau du froment, la Commission conclut que « d'après les données en possession de la Commission, la réglementation française n'a ni de but, ni d'effet
restrictifs ».

Le gouvernement de la République française observe que: « la liberté des échanges intracommunautaires... n'est pas davantage mise en cause, puisque le système n'instaure aucune restriction quantitative, ni aux importations, ni aux exportations, tant pour la farine que pour le blé. Aucun effet restrictif indirect ou potentiel sur les importations en provenance de la CEE ne saurait non plus être allégué ».

Notons tout d'abord que les dispositions des articles 34 (restrictions à l'exportation) et 37 (monopoles nationaux) ne sauraient entrer en ligne de compte dans la présente affaire.

Remarquons ensuite qu'il résulte de l'examen des buts de la réglementation en question, effectué ci-dessus, qu'elle « n'a pas pour objet de régir les courants d'échanges » ( 3 ). Cette législation ne comporte pas non plus de discrimination formelle. Elle est indistinctement applicable au blé français ou au blé importé.

Partant de ces données il s'agit maintenant d'examiner si la réglementation en cause est néanmoins « susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce intracommunautaire » ( 4 ) et le cas échéant si d'éventuels obstacles qui pourraient en résulter doivent être acceptés parce que cette réglementation est nécessaire pour satisfaire à des « exigences impératives ».

A cet égard, on est amené à constater encore une fois que quiconque, meunier ou négociant, est libre d'importer en France du blé ou de la farine en quantités illimitées.

Il n'y a donc pas d'entrave actuelle ni directe au commerce intracommunautaire.

Reste à savoir si le système de contingentement des droits de mouture est cependant susceptible indirectement et potentiellement, d'empêcher des importations qui pourraient avoir lieu en son absence, ou de les rendre plus difficiles ou plus onéreuses.

Or, si l'on suppose que tous les meuniers français soient disposés à s'approvisionner en blé dans les autres pays de la Communauté à concurrence de l'ensemble de leurs contingents, (décision qui est laissée à leur libre appréciation), on est amené à conclure que toutes les importations de blé nécessaires pour couvrir la consommation humaine intérieure de farine, pourraient avoir lieu sans difficulté, car l'ensemble des droits d'écrasement dépasse largement le volume de cette consommation ( 5 ).

Si l'on considère ensuite la situation individuelle de chaque meunier, on aboutit aux constatations suivantes.

Chaque moulin a une capacité annuelle de production bien déterminée qui est fonction de ses installations techniques.

Or, il n'est pas déraisonnable d'admettre que le contingent d'écrasement de beaucoup de moulins doit être depuis longtemps identique à leur capacité annuelle de production de farine.

L'arrêté du 27 juin 1938 fixant les contingents dispose en effet que « le nombre de quintaux de blé que chaque moulin est autorisé à broyer annuellement pour la consommation intérieure est égal à la moyenne arithmétique de son écrasement effectif maximal (non compris les blés admis sous le régime de l'admission temporaire) constaté au cours des années 1927 à 1935, et la puissance annuelle d'écrasement du moulin calculée sur trois cents jours par an, ce dernier facteur constituant en tout cas un
maximum ».

Bon nombre de moulins dont le contingent originaire n'atteignait pas la puissance annuelle d'écrasement, ont dû, depuis lors, acquérir les droits de mouture qui leur manquaient pour atteindre ce niveau.

Ceux des moulins qui, par voie de modernisation, ont accru leur capacité de production depuis 1938, ont aussi eu la possibilité d'acquérir des droits de mouture supplémentaires.

Ainsi qu'il résulte des statistiques annexées aux réponses du gouvernement français aux questions de la Cour, rien qu'entre 1968 et 1984, le nombre des moulins a diminué de 1528 unités, ce qui a conduit à la mise sur le marché d'une quantité importante de droits de mouture.

Entre 1981 et 1984, 492 moulins ont acheté des droits d'écrasement s'élevant au total à 550982 tonnes de blé.

D'autre part, il n'est pas toujours nécessaire pour un moulin de disposer de droits d'écrasement correspondant à sa capacité totale de production. Il est fréquent que des entreprises de toute sorte fonctionnent en-dessous de leur capacité maximale. Ce qui compte c'est que les droits d'écrasement soient suffisants pour couvrir les commandes obtenues par le moulin.

Or, de tels droits peuvent être achetés même a posteriori, en fin d'année, à un prix qui ne semble pas prohibitif ( 6 ). Ils restent acquis définitivement.

Il est, certes, vrai que si au cours d'une année donnée un meunier précis devait décider de ne pas accepter toutes les commandes qui lui seraient offertes, de peur de ne pas disposer en fin d'année de tous les droits de mouture nécessaires, il serait alors amené à renoncer à l'achat des quantités de blé correspondant à ces commandes.

Cette limitation partielle des achats serait susceptible d'affecter soit le blé d'origine française, soit le blé importé, suivant que le meunier avait envisagé de s'approvisionner en France ou à l'étranger.

Ce « risque de non-achat » ne pèse donc pas plus fortement sur les produits susceptibles d'être importés que sur les produits susceptibles d'être achetés sur le marché intérieur français.

Ou bien, pour paraphraser la formule utilisée par M. l'avocat général Sir Gordon Slynn dans les affaires jointes 60 et 61/84 concernant les vidéocassettes (conclusions du 20 mars 1985, Rec. 1985, p. 2605)« le facteur qui amènera le meunier français à ne pas acheter son blé à un producteur français, est identique à celui qui le conduirait à ne pas l'acheter à un producteur de blé dans un autre État membre. » Ces deux catégories de producteurs de blé se trouvent donc dans la même situation.

Le régime incriminé n'a donc pas pour effet de favoriser la production nationale par rapport à la production des autres États membres, (selon la formule que vous avez utilisée notamment dans votre arrêt « vidéocassettes » du 11 juillet 1985, point 21), ni, symétriquement, de défavoriser les produits importés d'autres États membres par rapport aux produits nationaux (voir votre arrêt du 10 juillet 1980, «publicité des alcools», 152/78, Rec. 1980, p. 2299, point 14).

Toutefois, ainsi que je viens de le montrer, l'application du régime peut conduire, dans certaines situations concrètes, un meunier individuel à renoncer, soit à un achat sur le marché national, soit à une importation. Il peut donc, de façon potentielle, faire obstacle à certains échanges.

Dans ces conditions, la limitation du droit de moudre le blé prévue par ce régime n'est compatible avec le principe de la libre circulation des marchandises prévu par le traité qu'à la condition que les entraves éventuelles qu'il cause aux échanges intracommunautaires n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'objectif visé et que cet objectif soit justifié au regard du droit communautaire (voir le point 22 de votre arrêt « vidéocassettes » précité).

A mon avis une telle justification ne saurait être refusée à un régime qui limite les droits de mouture des moulins en ce qui concerne le blé destiné à la consommation intérieure de farine d'un État membre, lorsque l'ensemble de ces droits de mouture dépasse le volume de cette consommation intérieure et lorsque le régime en question a pour objectif de permettre une restructuration ordonnée du secteur de la meunerie et d'assurer le maintien de moulins dans toutes les régions de l'État membre en
question.

Il s'agit là d'un « choix de politique économique et sociale légitime, conforme aux objectifs d'intérêt général poursuivis par le traité » ( 7 ).

B — L'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales

1. Le principe de la compétence résiduelle

Il y a lieu de clarifier, avant tout, la question de savoir si un État membre a le droit de maintenir en vigueur une législation de ce type après l'entrée en vigueur de la réglementation portant organisation commune du marché des céréales et des produits de première transformation.

Les défenderesses au principal reconnaissent aux États membres une telle compétence résiduelle, mais elles estiment que la réglementation litigieuse va au-delà du cadre de cette compétence car, à leurs yeux, elle n'est pas nécessaire à la réalisation des objectifs de l'article 39, et elle est contraire à des principes gouvernant l'organisation commune des marchés et à des dispositions du règlement n° 2727/75.

La Commission considère que « tant que la Communauté n'a pas pris de mesures communes, on ne saurait empêcher un État membre de maintenir une législation nationale de restructuration ordonnée de la meunerie, dans la mesure où elle n'est pas incompatible avec l'organisation commune de marché dans le secteur des céréales et ne s'applique ni aux importations, ni aux exportations de farine » ( 8 ).

Étant donné que le règlement n° 2727/75 ne comporte aucune disposition se référant directement ou indirectement à l'activité des meuneries et qu'une proposition de règlement de la Commission « concernant l'assainissement du marché des produits résultant de la mouture des céréales panifiables » n'a pas, à ce jour, été adoptée par le Conseil, je suis également d'avis que les États membres conservent, en principe, le droit de légiférer dans ce domaine.

Il reste cependant à examiner si, une législation ayant les caractéristiques de la législation française est, en fait, de nature à porter atteinte aux objectifs de l'article 39 du traité CEE ou aux dispositions de l'organisation commune de marché dans le secteur considéré.

2. L'exercice de la compétence résiduelle

a) Les objectifs de l'article 39 du traité CEE

A cet égard je puis être extrêmement bref. Il n'a en effet pas été démontré en quoi une réglementation du type de celle en vigueur en France pourrait aller à l'encontre de l'accroissement de la productivité de l'agriculture, d'un emploi optimum des facteurs de production, mettre en danger le niveau de vie de la population agricole, la stabilisation des marchés ou la sécurité des approvisionnements ou empêcher la formation de prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.

On peut estimer, au contraire, qu'en permettant la réduction, d'une façon ordonnée, des surcapacités existant dans le secteur de la meunerie, une réglementation de ce type contribue à un emploi optimum des facteurs de production et donc à une baisse des coûts de transformation. En sauvegardant l'existence de moulins de petite ou moyenne capacité ( 9 ) proches des producteurs de blé et des consommateurs de farine, elle contribue également à la sécurité des approvisionnements.

b) Les principes de l'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales

Dans l'introduction des présentes conclusions, j'ai pu constater que le régime en vigueur en France ne comportait aucune restriction quantitative dans les échanges de farine ou de froment entre la France et les autres États membres ou les pays tiers, que ce soit à l'importation ou à l'exportation.

Sous A, j'ai exposé les raisons pour lesquelles j'estime qu'un régime du type de celui en vigueur en France ne peut pás être considéré comme tombant dans le champ d'application de l'article 30 du traité CEE, qui doit être considéré comme faisant partie intégrante de l'organisation commune de marché.

Ce régime doit dès lors aussi être considéré comme compatible avec l'article 18, paragraphe 2 du règlement n° 2727/75, qui étend les principes de l'article 30 aux échanges avec les pays tiers.

Une telle réglementation n'entraîne pas non plus une limitation de la production de farine ou de froment.

C'est à tort que les parties défenderesses au principal invoquent vos arrêts Van Haaster et Van den Hazel.

Dans ses conclusions précitées du 2 octobre 1974 relatives à l'affaire 190/73, Van Haaster, M. l'avocat général H. Mayras avait déjà signalé qu'il n'y avait aucune analogie entre une législation subordonnant la culture des jacinthes à une limitation quantitative et le régime français de la meunerie.

Le même raisonnement peut être fait en ce qui concerne le contingentement de l'abattage de volailles en chair, en cause dans l'affaire Van den Hazel (111/76, arrêt du 18 mai 1977, Rec. p. 901).

Force est de constater que la production française de farine peut se développer librement aussi longtemps que le montant total des droits d'écrasement dépasse la consommation intérieure française, et que simultanément la fabrication de farine destinée à l'exportation n'est soumise à aucune restriction.

Or, il n'a pas été soutenu que le total des droits d'écrasement ait jamais été inférieur à la quantité de blé nécessaire pour couvrir la consommation intérieure française de farine, ni que le gouvernement français ait l'intention de modifier cette situation à l'avenir. (En 1984, les droits d'écrasement s'élevaient à 55 millions de quintaux de blé et la consommation humaine intérieure de farine correspondait à 43 millions de quintaux.)

Le régime de contingentement ne freine pas non plus la production de froment. Les emblavements ne se font, en effet, pas seulement en fonction de la consommation intérieure de farine, ou des droits d'écrasement des moulins, mais aussi et surtout en fonction des terres arables aptes à cette production, et des possibilités que les agriculteurs estiment avoir d'exporter le froment, soit en l'état (165 millions de quintaux en 1984), soit sous forme de farine (18 millions de quintaux de blé), ou de la
vendre en vue de l'alimentation des animaux (45 millions de quintaux).

Ainsi, malgré le fait que la consommation humaine intérieure n'a absorbé que 43 millions de quintaux de froment, la France a produit au cours de la campagne 1983-1984, 313 millions de quintaux de froment.

c) Le régime des prix arrêté dans le cadre de l'organisation du marché

L'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales n'a pas institué un régime de prix communs en ce qui concerne la farine de froment.

D'autre part, je ne parviens pas à déceler de quelle façon la réglementation en question puisse affecter la formation du prix du froment.

En 1984, le régime de contingentement aurait permis de transformer en farine destinée à la consommation intérieure une quantité de 55 millions de quintaux de blé. En réalité, la demande a justifié la transformation de 43 millions de quintaux seulement. Il est, dès lors, permis de supposer qu'en l'absence de cette réglementation aucun quintal supplémentaire de froment n'aurait été transformé en farine.

La réglementation en vigueur n'a donc pas pu exercer le moindre effet perturbateur sur le libre jeu de l'offre et de la demande de froment, ni sur le mécanisme de prix et le régime d'intervention institués par l'organisation commune de marché.

Il est d'ailleurs évident que dans un pays comme la France, où le froment utilisé pour la consommation intérieure de farine ne représente qu'environ 14 % de la production totale de cette marchandise, c'est le volume de cette production totale qui détermine le prix du froment.

C — Les règles de concurrence du traité

Bien que la juridiction de renvoi n'ait pas posé de question au sujet de la compatibilité d'une réglementation du type visé avec les dispositions du traité en matière de concurrence, les parties défenderesses au principal ont longuement abordé cette question. Leurs observations sont résumées d'une manière assez détaillée dans le rapport d'audience et je n'ai donc pas besoin de les rappeler ici.

Seul l'article 85 du traité pourrait entrer en ligne de compte ici. Cet article vise les accords entre entreprises, les décisions d'associations entre entreprises et les pratiques concertées et non pas les mesures législatives ou réglementaires des États membres. Mais comme la Cour l'a déclaré à plusieurs reprises, « les États membres sont néanmoins tenus, en vertu de l'article 5, alinéa 2, du traité, de ne pas porter préjudice par leur législation nationale à l'application pleine et uniforme du
droit communautaire et à l'effet des actes d'exécution de celui-ci, et de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises » ( 10 ).

Or, j'estime que la Commission et le gouvernement français ont démontré d'une manière convaincante, que la législation en question n'impose pas aux entreprises de la meunerie des comportements interdits par l'article 85, et qu'elle n'encourage ou n'autorise pas non plus de tels comportements.

Le fait qu'en instituant les droits de mouture, la réglementation en cause ait rendu matériellement possible la conclusion d'ententes à leur sujet ne me semble pas constituer une atteinte à l'effet utile des règles de concurrence. Comme la Commission, je suis d'avis que ce serait seulement si elle rendait de telles ententes juridiquement possibles, au sens de les rendre légitimes, que la législation française serait critiquable au regard des articles 3, sous f), 5, alinéa 2, et 85 du traité.

Il existe une deuxième raison pour laquelle l'article 85 ne saurait entrer en ligne de compte dans la présente affaire. Il s'agit du fait que la réglementation n'est pas susceptible d'affecter le commerce entre États membres.

Dans son arrêt du 5 avril 1984 (Van de Haar et Kaveka de Meern, affaires jointes 177 et 178/82, Rec. p. 1797) la Cour a rappelé que « cette disposition n'entre en ligne de compte qu'à l'égard des accords, décisions ou pratiques restrictifs de la concurrence qui affectent de manière sensible le commerce intracommunautaire » (point 11) alors que «l'article 30 du traité ne distingue pas entre mesures qui peuvent être qualifiées de mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative selon le degré
d'affectation du commerce entre États membres» (point 13).

Or, il ne me semble pas possible de conclure que le régime français du contingentement des droits d'écrasement puisse affecter de manière sensible le commerce intracommunautaire.

J'ai exposé ci-dessus que, au cas où tous les meuniers décidaient d'acheter à l'étranger le blé nécessaire pour couvrir la consommation intérieure de farine, ils pourraient le faire sans difficulté.

D'autre part, le fait qu'en certaines circonstances un meunier individuel puisse être amené à devoir renoncer à l'achat d'une quantité de blé additionnelle, soit auprès d'un fournisseur français, soit auprès d'un fournisseur étranger, n'est pas de nature à mettre en cause « la liberté du commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États » ( 11 ).

Au cas où un certain nombre de meuniers auraient conclu une entente pour ne pas mettre sur le marché les droits de mouture inutilisés dont ils disposent, il appartiendrait alors aux autorités compétentes françaises d'examiner cette entente à la lumière de la législation nationale.

Le droit communautaire ne pourrait entrer en jeu que si les quantités « stérilisées » avaient pour résultat d'abaisser le total des droits de mouture utilisables en-dessous du niveau de la consommation intérieure, ce qui semble tout à fait théorique.

En conclusion, je vous propose de répondre comme suit à la question posée par le tribunal de grande instance de Mâcon:

« L'article 30 du traité instituant la Communauté économique européenne et les dispositions du règlement n° 2727/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, ne doivent pas être interprétés comme s'opposant à une réglementation nationale limitant les capacités de production des minoteries en ce qui concerne la farine destinée à la consommation humaine intérieure de l'État membre en question, lorsque le volume total des droits d'écrasement
du blé résultant de cette réglementation dépasse les quantités de blé nécessaires pour couvrir ladite consommation humaine intérieure de farine, et lorsque les entraves éventuelles aux échanges intracommunautaires que l'application de cette réglementation peuvent entraîner ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer une restructuration ordonnée du secteur de la minoterie dans cet État membre. »

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( 1 ) Affaire 190/73, Rec. 1974, p. 1129 et en particulier p. 1143, colonne 2, dernier alinéa.

( 2 ) Voir arrêt de la Cour du 29 novembre 1978 dans l'affaire 83/78, Pigs Marketing Board/Redmond, Rec. p. 2347, points 52 à 55.

( 3 ) Voir arrêt du 11 juillet 1985, affaires jointes 60 et 61/84, « vidéocassettes» , Rec. p. 2605, point 21.

( 4 ) Voir par exemple affaire 8/74, Dassonville, Rec. 1974, p. 837 ou l'affaire 35/76, Simmenthal, Rec. 1976, p. 1871, points 11 et 12.

( 5 ) A cela s'ajoute le fait que l'importation du blé destiné à être réexporté sous forme de farine ne tombe pas sous la législation en cause.

( 6 ) 13% de la valeur du produit fini selon la Commission, 16 % selon les parties défenderesses au principal.

( 7 ) Voir le point 12 de l'arrêt du 14 juillet 1981, affaire 155/80, Oebel, Rec. 1981, p. 1993, 2008.

( 8 ) Voir observations de la Commission p. 8, alinéa 1.

La Commission aboutit à cette conclusion à partir de l'arrêt de la Cour du 7 février 1984, Jongeneel Kaas, affaire 237/83, p. 483 et en particulier de son point 13, p. 484 libellé comme suit: « En l'absence de toute règle communautaire sur la qualité des produits fromagers, les États membres conservent le pouvoir d'imposer de telles règles aux producteurs de fromage établis sur leur territoire. Ce pouvoir s'étend non seulement aux règles considérées comme nécessaires pour la protection du
consommateur ou de la santé publique, mais aussi aux règles que l'État membre désire promulguer afin de promouvoir la qualité de la production nationale. De telles règles ne pourraient cependant pas créer de discrimination au détriment des produits importés, ni entraver l'importation de produits provenant d'autres États membres».

( 9 ) En 1984, il subsistait 238 moulins ayant un contingent d'écrasement inférieur à 500 tonnes et 491 moulins ayant un contingent inférieur à 1000 tonnes, sur un nombre total de moulins de 1267.

( 10 ) Voir arrêts du 10 janvier 1985, Association des centres distributeurs Edouard Leclerc/SA Thouars e. a., 229/83, Rec. p. 1, du 13 février 1969, Walt Wilhelm e. a., 14/68, Rec. p. 1, et du 16 novembre 1977, INNO/ATAB, 13/77, Rec. p. 2115.

( 11 ) Arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, affaires jointes 56 et 58/64, Rec. 1966, p. 495.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 148/85
Date de la décision : 07/10/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Mâcon - France.

Réglementation nationale de contingents d'écrasement de blé pour la meunerie.

Libre circulation des marchandises

Agriculture et Pêche

Mesures d'effet équivalent

Céréales

Restrictions quantitatives


Parties
Demandeurs : Direction générale des impôts et procureur de la République
Défendeurs : Marie-Louise Forest, née Sangoy, et SA Minoterie Forest.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:368

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