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01/10/1986 | CJUE | N°200/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 1 octobre 1986., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 01/10/1986, 200/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 1er octobre 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'application du taux de TVA le plus élevé existant dans un État membre aux voitures automobiles à moteur diesel d'une cylindrée supérieure à 2500 cm3 est-elle compatible avec l'article 95 du traité CEE lorsque seules des voitures importées des autres États membres (ou de pays tiers) figurent dans cette catégorie?

Voilà la question que vous êtes appelés à trancher par suite du recours introduit

par la Commission contre la République italienne en vertu de l'article 169 du traité CEE.

Jusqu'en ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 1er octobre 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'application du taux de TVA le plus élevé existant dans un État membre aux voitures automobiles à moteur diesel d'une cylindrée supérieure à 2500 cm3 est-elle compatible avec l'article 95 du traité CEE lorsque seules des voitures importées des autres États membres (ou de pays tiers) figurent dans cette catégorie?

Voilà la question que vous êtes appelés à trancher par suite du recours introduit par la Commission contre la République italienne en vertu de l'article 169 du traité CEE.

Jusqu'en 1978 les voitures automobiles étaient taxées en Italie selon le système suivant:

— les voitures d'une cylindrée inférieure ou égale à 2000 cm3 étaient soumises à un taux de TVA de 18 %, porté par la suite à 20%;

— les voitures d'une cylindrée supérieure à 2000 cm3 étaient sujettes à un taux de TVA de 35 %, porté, par la suite à 38 %.

Un décret-loi du 26 mai 1978, converti en loi le 24 juillet 1978, a modifié la situation en ce qui concerne les voitures équipées d'un moteur diesel. Le seuil à partir duquel le taux de TVA de 38 % s'applique à ces voitures a en effet été relevé à 2500 cm3.

Cette mesure a entraîné un allégement de l'imposition en faveur de six types de voitures italiennes et en faveur de quinze types de voitures fabriquées dans d'autres États membres.

Aucune voiture produite en Italie n'est dotée d'un moteur diesel d'une cylindrée supérieure à 2500 cm3. Par contre, deux véhicules fabriqués dans un autre État membre, et dont la cylindrée s'élève à 2996 respectivement 2998 cm3, restent soumis au taux de 38 % (en fait il s'agit des versions « berline » et « station wagon » du même modèle).

Avant d'examiner le bien-fondé de la requête de la Commission, il m'incombe de prendre position au sujet des objections soulevées par le gouvernement italien à l'encontre de la recevabilité du recours.

La recevabilité

Le gouvernement italien, arguant du principe impératif de la correspondance obligatoire entre l'avis motivé et la requête, fait valoir que, dans la phase précontentieuse, la Commission aurait fait grief à la République italienne d'avoir enfreint l'article 95, alinéa 1, du traité alors que dans la requête introductive d'instance ce serait au contraire la constatation d'un manquement aux obligations résultant de l'article 95 dans son ensemble qui serait demandée à la Cour. Cette absence d'identité
entre le dispositif de l'avis motivé et celui de la requête serait de nature à entraîner l'irrecevabilité du recours pour autant qu'il est fondé aussi sur l'article 95, alinéa 2.

La Commission estime que l'exigence du parallélisme entre la phase précontentieuse et la phase juridictionnelle est fondée sur la nécessité de garantir que l'État membre soit mis en mesure d'assurer pleinement sa défense, ce qui serait impossible si des moyens nouveaux étaient présentés dans le cadre du recours. Or, aucun moyen nouveau n'aurait été invoqué par la Commission au stade de la requête par rapport à la phase précontentieuse. L'économie générale de l'article 95 (principe de la neutralité
fiscale interdisant toute discrimination) et la tendance de la Cour à examiner les faits soumis à son appréciation sous l'angle de l'ensemble de ladite disposition l'auraient amenée à considérer opportune la seule référence, dans la requête, à l'article 95 tout court.

La jurisprudence de la Cour est fermement établie sur ce point.

Qu'il me suffise de rappeler le point 16 de votre arrêt du 7 février 1984 (Commission/Italie, 166/82, Rec. p. 459), dans lequel vous avez précisé que l'avis motivé et le recours doivent être fondés sur les mêmes motifs et moyens.

Dans le cas d'espèce, il ne me semble cependant pas que la Commission se soit référée, dans sa requête, à une base légale dont elle n'aurait pas fait mention lors de la phase précontentieuse.

La définition et la délimitation de l'objet du recours ne résultent en effet pas seulement du dispositif de l'avis motivé, mais de l'ensemble de son texte.

Or, au point 2 de l'avis motivé, la Commission déclare avoir soulevé, au cours de la correspondance antérieure, le problème de la compatibilité de la législation italienne avec l'article 95 du traité. Elle cite ensuite le texte complet des alinéas 1 et 2 de cet article. Au point 3 de l'avis motivé, elle fait valoir que « même si la similitude pouvait être contestée, on ne saurait nier la finalité protectionniste de la disposition en question et son incompatibilité avec l'article 95, alinéa 2, du
traité CEE ». Enfin, avant de conclure, la Commission exprime l'avis « qu'en prenant cette disposition, l'Italie a poursuivi, en violation des dispositions de l'article 95 du traité CEE, un but protectionniste ».

Il résulte de tout cela que la République italienne ne pouvait se méprendre au sujet de la portée du grief formulé par la Commission lors de la phase précontentieuse, à savoir que le système d'imposition de la TVA sur les voitures diesels aurait un effet fiscal discriminatoire ou protecteur. La seule prise de position italienne intervenue avant l'avis motivé fait d'ailleurs ressortir très clairement que les autorités italiennes avaient bien saisi l'objet de la procédure administrative
précontentieuse (voir la lettre du représentant permanent de l'Italie du 8 avril 1980 annexée à la requête).

La finalité de cette phase, à savoir indiquer à l'État membre les éléments nécessaires à la préparation de sa défense, a donc été respectée. L'Italie avait la possibilité de présenter ses observations, même si elle n'a pas estimé devoir en faire usage pleinement. La garantie essentielle voulue par les auteurs du traité, à savoir le respect des droits de la défense, a été observée et la procédure contentieuse n'est pas affectée dans sa régularité par une prétendue discordance entre l'objet de la
phase précontentieuse et celui de la procédure contentieuse.

Le problème de fond

En abordant le problème de fond, nous pouvons partir de trois constatations qui vont faciliter considérablement notre tâche.

1. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour ( *1 ) que le droit communautaire ne restreint pas en l'état actuel de son évolution la liberté de chaque État membre d'établir un système de taxation différenciée pour certains produits, en fonction de critères objectifs, tels que la nature des matières premières utilisées ou les procédés de production appliqués. De telles différenciations sont compatibles avec le droit communautaire si elles poursuivent des objectifs de politique économique
compatibles, eux aussi, avec les exigences du traité et du droit dérivé et si leurs modalités sont de nature à éviter toute forme de discrimination, directe ou indirecte, à l'égard des importations en provenance des autres États membres, ou de protection en faveur de la production nationale concurrente.

Dans l'arrêt du 15 mars 1983 (Commission/Italie, 319/81, Rec. p. 601, point 21), la Cour a admis par ailleurs « que les États membres ont la faculté de prévoir, dans le respect des directives en la matière, un taux de TVA supérieur pour les produits de luxe par rapport aux produits nationaux ou importés qui n'ont pas ce caractère, à la condition toutefois que les critères choisis pour déterminer la catégorie de produits plus lourdement frappés ne soient pas discriminatoires à l'égard des produits
importés similaires ou se trouvant, à l'égard des produits nationaux, dans le rapport de concurrence envisagé par l'article 95, alinéa 2 ».

Le fait pour un État membre de taxer plus lourdement certains types de voitures automobiles que d'autres n'est donc — en principe — pas criticable.

2. Même si l'écart entre le taux de TVA « normal » de 20 % et le taux de 38 % appliqué en Italie aux produits dits « de luxe » peut paraître à première vue considérable, les critiques de la Commission ne portent cependant pas sur cet écart. La Cour, de son côté saisie à plusieurs reprises d'affaires dans lesquelles ces taux étaient en cause, n'a pas contesté le pouvoir de l'Italie de fixer de tels taux ( 1 ).

3. La troisième constatation qu'on doit faire est qu'il existe des raisons objectives d'imposer les voitures diesels selon d'autres modalités que les voitures à essence.

Dans sa requête, la Commission expose avec beaucoup de détails les différences qui existent entre les moteurs à essence et les moteurs diesel et elle conclut, au point 10, « que la Commission n'a jamais reproché aux autorités italiennes d'avoir retenu, pour l'application des taux de TVA sur l'acquisition des voitures à moteur diesels, un critère autre que celui utilisé pour les moteurs à essence. Au contraire: la différence de traitement s'explique et se justifie précisément en raison des
caractéristiques différentes de ces moteurs ... Il est donc parfaitement inutile de démontrer qu'il serait injuste d'en revenir à un régime d'imposition identique pour les voitures diesels et pour les voitures à essence, car personne n'a jamais rien prétendu de tel ».

Il découle de ce qui précède que le litige porte en réalité sur les deux questions suivantes:

— une voiture diesel peut-elle être une voiture « de luxe » et, dans l'affirmative, de quelle manière faut-il établir la distinction entre les automobiles diesels « de luxe » et celles qui ne le sont pas ( 2 )?

— le critère de distinction choisi est-il discriminatoire s'il aboutit, en fait, à ne frapper de l'imposition plus lourde que des véhicules importés des autres États membres?

1. Une voiture diesel peut-elle être un véhicule de luxe?

Puisque, selon la jurisprudence de la Cour, un système de taxation différenciée ne peut être appliqué qu'en fonction de critères objectifs, il y a lieu d'examiner tout d'abord si la distinction opérée par l'Italie à l'intérieur de la catégorie des voitures à moteur diesel repose ou non sur un tel critère.

Selon la Commission, « le moteur diesel ne présente pas des caractéristiques qui le rendent apte, en principe, à équiper des voitures de luxe » (point 8 de la requête).

La Commission semble donc être de l'avis qu'aucune voiture diesel, qu'elle qu'en soit la cylindrée, ne saurait être taxée au taux réservé aux produits de luxe.

A l'appui de cette position, la Commission cite à la fin du point 8 de sa requête « les défauts typiques » du moteur diesel. Ces défauts sont généralement reconnus et je ne m'y attarderai pas.

Mais le gouvernement italien fait remarquer à juste titre, et la Commission le reconnaît elle-même dans sa requête, qu'on assiste depuis quelques années à la commercialisation de voitures turbo-diesels dont les performances ont peu, sinon rien, à envier à celles de voitures à essence de même cylindrée et qui sont capables d'atteindre des vitesses maximales élevées et de fournir de bonnes reprises.

Il me semble donc excessif de soutenir qu'en aucune circonstance une voiture diesel ne saurait être considérée comme une automobile de luxe.

On pourrait, certes, être tenté de conclure que les voitures turbo-diesels devraient être imposées au taux des voitures de luxe, à l'image des voitures à essence de puissance comparable.

Mais il reste que les moteurs diesels, même munis d'un turbocompresseur, ont de façon générale une consommation inférieure à celle des moteurs à essence.

Enfin et surtout, aucune disposition du droit communautaire ne permet d'obliger un État membre à introduire un système de taxation fondé sur la puissance des voitures plutôt que sur leur cylindrée.

Reste dès lors à savoir si, sur la base de la seule cylindrée, on peut faire une distinction objective au sein de la catégorie des voitures diesels entre les véhicules « de luxe » et ceux qui n'ont pas cette caractéristique.

Je pense que cela est possible. La cylindrée plus élevée va en effet habituellement de pair avec une puissance accrue (par rapport au moteur diesel de cylindrée inférieure), une carosserie plus spacieuse, des équipements plus complets ou plus raffinés et un prix plus élevé.

Ainsi force est d'admettre qu'une Mercedes 300 diesel (2996 cm ( 2 ), 109 ch, 1031250 BFR) ( 3 ) est bien évidemment un véhicule plus luxueux qu'une Fiat Uno diesel (1301 cm3, 45 ch, 310000 BFR), qu'une Volkswagen Golf diesel (1588 cm3, 54 ch, 362000 BFR), mais aussi plus luxueux qu'une Mercedes 250 diesel (2497 cm3, 90 ch, 937500 BFR).

Il ne faut pas non plus oublier que des firmes japonaises vendent sur le marché de la Communauté des voitures dotées de moteurs diesels de 3120 cm3, 3246 cm3, 3432 cm3 et 3980 cm3.

Enfin, si l'Italie peut légitimement faire une distinction entre une Renault 25 dotée d'un moteur à essence de 1995 cm3 (103 ch, automatique, 620000 BFR) et une Renault 25 dotée d'un moteur à essence de 2165 cm3 (123 ch, 673875 BFR), la dernière étant classée dans la catégorie luxe et frappée du taux de 38 %, pourquoi ne pourrait-elle pas opérer la même différenciation entre deux voitures diesels situées de part et d'autre de la limite des 2500 cm3?

Le palier choisi ne me paraît en effet nullement déraisonnable. C'est sans doute pour des raisons pratiques parfaitement compréhensibles qu'on a choisi un chiffre rond, les notions de « moteur de 2 litres, 2,5 litres et 3 litres » étant bien établies dans le monde automobile.

D'autre part, il résulte d'une analyse que j'ai effectuée a l'aide d'une revue automobile spécialisée que, d'une façon générale, une voiture diesel de 2500 cm3, même non dotée d'un turbocompresseur, développe une puissance comparable à celle d'une voiture à essence dotée d'un moteur de 2000 cm3.

On peut donc dire que la limite des 2500 cm3 retenue pour les voitures diesels correspond plus ou moins à la limite des 2000 cm3 retenue pour distinguer les voitures à essence « de luxe » des voitures à essence « ordinaires ».

Notons enfin que le critère choisi est aussi indépendant de l'origine des produits.

Nous nous trouvons en effet ici dans un contexte tout à fait différent de celui que la Cour avait considéré comme discriminatoire dans ses arrêts déjà cités du 15 mars 1983 (« Taxation des eaux-de-vie ») et du 11 juillet 1985 («TVA — Imposition des vins mousseux »).

Alors que dans ces affaires le critère choisi, de par sa nature même, ne pouvait être applicable en aucun cas aux produits nationaux, tel n'est pas le cas en l'espèce. Si un jour un fabricant italien produit une voiture munie d'un moteur diesel d'une cylindrée supérieure à 2500 cm3, celle-ci tombera automatiquement sous le taux de 38 %.

Force est donc de conclure que les autorités italiennes sont en droit de considérer certaines voitures diesels comme plus luxueuses que d'autres en faisant usage du critère choisi qui peut être considéré comme un critère objectif, indépendant de l'origine des produits.

Reste à savoir si la distinction opérée est néanmoins incompatible avec l'article 95, parce que, en fait, seules des voitures importées tombent dans la catégorie « luxe ».

2. Le critère choisi est-il discriminatoire?

Dans sa réplique, la Commission, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle les critères choisis pour déterminer la catégorie des produits plus lourdement taxés ne doivent pas être discriminatoires à l'égard des produits importés similaires, déclare ensuite:

« Or, un critère comme celui de la cylindrée, dont le plafond est fixé de telle manière que le taux de TVA sensiblement plus élevé frappe exclusivement des automobiles diesels importées d'autres États membres ne satisfait manifestement pas à la condition fondamentale susmentionnée et l'imposition différentielle qui en dérive ne peut, par conséquent, être considérée comme compatible avec l'article 95 du traité ( 4 ). »

La Commission ajoute un peu plus loin qu'elle estime que sa position est pleinement confirmée par le raisonnement suivi par la Cour dans l'affaire Humblot ( 5 ) concernant un cas tout à fait analogue.

Il y a lieu, effectivement, de vérifier si les points communs entre ces deux affaires sont tels qu'une même solution s'impose.

Au moment où l'affaire Humblot a été portée devant la Cour, il existait en France deux taxes annuelles sur les véhicules à moteur: d'une part, une taxe différentielle frappant les voitures dont la puissance était inférieure ou égale à seize chevaux fiscaux, et, d'autre part, une taxe spéciale imposée sur les véhicules dont la puissance fiscale était supérieure à seize chevaux. Alors que le montant de la taxe différentielle augmentait progressivement en fonction de la puissance fiscale des véhicules,
la taxe spéciale avait un montant unique qui s'élevait presqu'au quintuple du palier le plus élevé de la taxe différentielle (5000 FF contre 1100 FF).

Vous avez constaté dans votre arrêt du 9 mai 1985« que pareil système présentait manifestement des traits discriminatoires ou protecteurs contraires à l'article 95 ». « L'assujettissement à la taxe spéciale », aviez-vous ajouté, « entraîne une augmentation de la taxation beaucoup plus importante que celle qui résulterait du passage d'une catégorie à l'autre de voitures dans un système de taxation progressive comportant des écarts équilibrés comme celui auquel correspond la taxe différentielle. Cette
charge supplémentaire est de nature à neutraliser les avantages que pourraient avoir aux yeux des consommateurs certaines voitures importées d'autres États membres par rapport aux voitures de fabrication nationale comparables, d'autant plus qu'elle se répète pendant plusieurs années. Dans cette mesure, la taxe spéciale réduit la concurrence à laquelle sont soumises ces dernières voitures et est, par là, contraire au principe de neutralité auquel doivent obéir les impositions intérieures ».

Il est certain que l'affaire Humblot et la présente affaire sont semblables en ce sens que l'imposition la plus forte ne frappe, en réalité, que des voitures importées.

a) Toutefois, cet élément à lui seul ne me semble pas décisif pour faire conclure à l'existence d'une pratique discriminatoire ou protectionniste.

Considérons par exemple le cas d'un pays comme la Belgique dans lequel on ne fabrique qu'un nombre très limité de types de voitures. Ce pays applique un système de taxation progressive des véhicules (la taxe de circulation annuelle) comportant trente niveaux.

On pourrait être tenté de soutenir que les voitures fabriquées dans le pays et se situant au niveau x du système de taxation sont protégées par la taxation plus élevée qui frappe les voitures se situant au niveau x + 1 lorsque ces dernières sont toutes importées d'autres États membres.

Or, la Commission n'a jamais contesté un tel système de taxation et dans votre arrêt Humblot vous en avez reconnu la conformité avec le traité pour autant que le taux plus élevé, qui ne frappe que des produits importés, fait partie d'un système de taxation progressive comportant des écarts équilibrés (points 12 et 15).

Vos arrêts Chemial Farmaceutici/DAF ( 6 ) et Vinal/Orbat ( 7 ), du 14 janvier 1981, constituent un autre précédent intéressant.

En Italie, l'alcool de synthèse dénaturé, qu'il soit d'origine italienne ou étrangère, est assujetti à un droit d'État de 12000 LIT par hectolitre; l'alcool de fermentation dénaturé (obtenu à partir de produits agricoles), qu'il soit d'origine italienne ou communautaire, est assujetti à un droit d'État de 1000 LIT par hectolitre. Aucun alcool de synthèse n'est fabriqué en Italie.

Dans vos arrêts susmentionnés, vous avez dit pour droit que « l'application d'un tel système de taxation ne saurait être considérée comme constituant une protection indirecte de la production nationale d'alcool de fermentation au sens de l'article 95, alinéa 2, du traité CEE, du seul fait qu'elle a pour conséquence que le produit le plus lourdement taxé est, en fait, un produit exclusivement importé des autres États membres de la Communauté si, en raison de la taxation de l'alcool de synthèse, une
production rentable de ce type d'alcool n'a pas pu se développer sur le territoire national ».

b) En second lieu, il me semble qu'on peut retenir également que l'écart entre deux taux d'impostion n'est pas non plus décisif à lui seul.

Le rapport entre les deux taux italiens (1/1,9) est de toutes façons inférieur au rapport qui existait entre le niveau supérieur de la taxe progressive française sur les automobiles et la taxe spéciale qui frappait les automobiles d'une puissance supérieure à 16 CV (1/4,5).

Dans les affaires « alcools dénaturés » rappelées ci-dessus, on était en présence d'un écart de 1 à 12 qui n'a pas été critiqué.

En matière de TVA, la plupart des États membres connaissent des écarts qui vont du simple au double.

J'ai déjà relevé plus haut que, dans les affaires « vins mousseux » et « eaux-de-vie » qui opposaient l'Italie et la Commission, cette dernière n'a pas mis en cause les taux de 20 % et 38 % pratiqués en Italie, mais la façon dont étaient définis les produits tombant sous le taux le plus élevé.

c) Quel est, dès lors, le critère décisif qui permette de conclure à l'existence d'une pratique discriminatoire ou protectionniste?

Il réside à mon avis dans la conjonction de trois éléments, à savoir:

— l'application d'un taux nettement plus élevé,

— qui marque une rupture ou une discontinuité par rapport au système général d'imposition auquel est soumise la catégorie de produits en question,

— et qui frappe exclusivement des produits importés en provenance des autres États membres.

Cela me semble prouvé par votre arrêt Humblot dans lequel vous avez dit pour droit que

« l'article 95 du traité interdit de soumettre les voitures dépassant une certaine puissance fiscale à une taxe spéciale fixe dont le montant est plusieurs fois le montant le plus élevé de la taxe progressive qui doit être acquittée par les voitures n'atteignant pas cette puissance fiscale, lorsque les seules voitures frappées par la taxe spéciale sont des voitures importées, notamment d'autres États membres. »

La taxe française était pour ainsi dire extérieure au système normal d'imposition des voitures qui consistait en une taxe augmentant progressivement avec la puissance fiscale des voitures. Dans le cas de l'Italie, au contraire, les différents taux applicables sont ceux du régime général de la TVA qui prévoit plusieurs niveaux de taxation parmi lesquels un taux élevé de 38 % frappant les produits de luxe.

Ce taux de 38 % ne frappe pas seulement les voitures diesels d'une cylindrée supérieure à 2500 cm3 et les voitures à essence d'une cylindrée supérieure à 2000 cm3, mais encore un grand nombre d'autres produits, italiens ou importés, qualifiés « produits de luxe » par la législation italienne.

Cela tend à prouver qu'avec ce taux l'État italien ne poursuit pas un objectif de dissuasion, en d'autres termes que ce taux n'a pas été « conçu » pour décourager les importations de certaines voitures diesels.

On peut considérer au contraire que l'imposition des voitures diesels de plus de 2500 cm3, pratiquée en Italie, s'insère, selon la formule que vous avez utilisée dans votre arrêt du 3 février 1981 ( 8 ), dans un «régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits ».

Rappelons aussi que, déjà dans votre arrêt Stier ( 9 ) du 4 avril 1968, vous aviez dit pour droit « qu'une atteinte à la libre circulation des marchandises ne saurait ... être supposée exister lorsque le taux d'imposition reste dans le cadre général du système national d'imposition dont la taxe litigieuse fait partie intégrante. »

On peut dès lors conclure que la condition prescrite par votre arrêt dans l'affaire 319/81 (déjà cité) est remplie, à savoir « que le critère choisi par l'Italie pour déterminer la catégorie de produits plus lourdement frappés n'est pas discriminatoire à l'égard des produits importés similaires ou se trouvant, à l'égard des produits nationaux, dans le rapport de concurrence envisagé par l'article 95, alinéa 2 ».

Il me reste, enfin, à présenter une dernière observation qui me semble importante.

Jusqu'ici, je me suis placé dans la logique de la Commission qui consiste à partir implicitement du principe que seules les voitures diesels fabriquées en Italie peuvent être considérées comme des produits similaires aux voitures diesels fabriquées dans d'autres États membres.

Est-ce-que cette façon de voir les choses est bien conforme à l'interprétation que la Cour a donnée de l'article 95?

D'après votre jurisprudence, il y a lieu de considérer comme « similaires » au sens de l'article 95, alinéa 1, des produits «qui présentent au regard des consommateurs des propriétés analogues ou répondent aux mêmes besoins. C'est, dès lors, en fonction d'un critère, non d'identité rigoureuse, mais d'analogie et de comparabilité dans l'utilisation qu'il convient de déterminer le champ d'application de l'alinéa 1 de l'article 95. » ( 10 )

Or nous constatons que l'Italie produit toute une série de voitures dotées de moteurs à essence d'une cylindrée inférieure à 2500 cm3 (2492 cm3) ou supérieure à 2500 cm3, (2849, 2927, 3185, 3500, 4930, 4942, 5763 et 5769 cm3) dont certaines au moins peuvent, aux yeux de l'acheteur qui est sur le point de faire son choix, se trouver en compétition avec les voitures diesels de haut de gamme.

Ainsi, si l'on considère, comme le fait la Commission, qu'une Lancia Thema turbodiesel (2445 cm3, 100 ch, 805000 BFR) est « similaire » à une Mercedes 300 diesel (2996 cm3, 6 cylindres, 109 ch, 1031250 BFR), ne doit-on pas faire le même raisonnement en ce qui concerne la Lancia Thema V6 qui a la même carrosserie, mais un moteur à essence (2849 cm3, 150 ch, 856000 BFR)?

Comme c'est le cas d'une façon générale, la voiture diesel est, à cylindrée comparable, plus chère et possède une puissance moindre (sauf si elle est dotée d'un turbocompresseur) mais elle offre la perspective de dépenses plus réduites en carburant. L'espace et les équipements offerts par ces types de véhicules sont analogues, leur taxation est la même. Le choix qu'effectuera le consommateur dépendra dès lors de facteurs qui lui sont personnels tels que le nombre de kilomètres qu'il compte parcourir
par an ou son goût pour une conduite sportive.

Il résulte, à mon avis, de ce qui précède que le critère de la « similitude » ne doit pas seulement être appliqué dans le sens vertical (voitures diesels d'une cylindrée plus ou moins grande), mais aussi dans le sens horizontal (voitures offrant un espace et un équipement comparables, quelle que soit la nature de leur moteur).

Cet examen permet de constater qu'il y a, en Italie, des voitures « similaires » aux grosses voitures diesels importées des autres Etats membres qui sont elles-aussi taxées au taux de 38 %.

Il n'y a donc pas de discrimination aux dépens des voitures importées.

Conclusion

Pour tous ces motifs, j'estime qu'en pratiquant le régime fiscal en question, la République italienne n'a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité.

En conséquence, je vous propose de rejeter le recours de la Commission et de condamner cette dernière aux dépens.

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( *1 ) Arrêts du 14 janvier 1981, Chemial, 140/79, et Vinal, 46/80, Rec. p. 1 et 77, points 14 et 13; arrêt du 17 mai 1981, Essevi Salengo, 142 et 143/80, Rec. p. 1413, point 21; arrêt du 15 mars 1983, Commission/Italie, 319/81, Rec. p. 601, points 13 et 14; arrêt du 4 mars 1986, John Walker/Ministère danois des Impôts et Accises, 243/84, Rec. 1986, p. 875, point 22; arrêt 4 mars 1986, Commission/Danemark, 106/84, Rec. 1986, p. 833, point 20.

( 1 ) Arrêt du 15 mars 1983, affaire 319/81, Commission/République italienne, «Taxation des eaux-de-vie», Rec. 1983, p. 601. Arrêt du 11 juillet 1985, affaire 278/83, Commission/République italienne, «TVA — Imposition des vins mousseux », Rec. 1985, p. 2503.

( 2 ) Voir aussi mémoire en défense du gouvernement italien point 7, alinéa 5.

( 3 ) Les prix indiqués sont des prix hors TVA.

( 4 ) Point 2.1. de la réplique.

( 5 ) Arrêt du 9 mai 1985, affaire 112/84, Rec. 1985, p. 1367.

( 6 ) Affaire 140/79, Rec. 1981, p. 1.

( 7 ) Affaire 46/80, Rec. 1981, p. 77.

( 8 ) Affaire 90/79, Commission/France, Rec. p. 283, 301, point 14.

( 9 ) Affaire 31/67, Rec. 1968, p. 357.

( 10 ) Arrêt du 27 février 1980, affaire 169/78, Commission/Italie, Rec. 1980, p. 385, point 5.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 200/85
Date de la décision : 01/10/1986
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Taux de TVA différenciés pour les voitures à moteur diesel.

Taxe sur la valeur ajoutée

Impositions intérieures

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:345

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