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03/06/1986 | CJUE | N°149/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 3 juin 1986., Roger Wybot contre Edgar Faure et autres., 03/06/1986, 149/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 3 juin 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Quelle est l'étendue ratione temporis de l'immunité dont jouissent les membres de l'Assemblée des Communautés européennes?


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 3 juin 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Quelle est l'étendue ratione temporis de l'immunité dont jouissent les membres de l'Assemblée des Communautés européennes?

Telle est la question qui est au centre de la présente instance préjudicielle.

Poursuivi en diffamation devant le tribunal de grande instance de Paris par M. Roger Wybot, M. Edgar Faure, en sa qualité de parlementaire européen, s'est prévalu de l'article 10 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965 (JO 152 du 13.7.1967, p. 13, ci-après «PPI») pour conclure à l'irrecevabilité de l'action ainsi introduite.

La juridiction de première instance a constaté que, lors de la délivrance de la citation à comparaître, le 27 janvier 1983, la session parlementaire 1982-1983 était en cours. Elle a donc fait droit à l'exception ainsi soulevée, bien que le Parlement ne fût pas effectivement réuni en séance à la date précitée. Le requérant au principal a interjeté appel devant la Cour de Paris qui vous demande si,

« en raison de la rédaction actuelle des textes et de la pratique suivie par le Parlement européen (l'article 10 du PPI doit) être interprété comme conférant aux parlementaires européens une immunité permanente, s'étendant à la durée entière de leur mandat, sauf levée de l'immunité par le Parlement, ou seulement une immunité pendant certaines périodes de la session annuelle ».

2.  Selon l'article 28 du « traité de fusion » du 8 avril 1965 (JO 152 du 13.7.1967, p. 2),

« les Communautés européennes jouissent sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l'accomplissement de leur mission dans les conditions définies au protocole annexé au présent traité ».

A cet effet, le PPI a défini, en son chapitre III, les privilèges et immunités des « membres de l'Assemblée ». L'article 8 garantit leur liberté de déplacement, en provenance ou à destination de cette institution, en levant les obstacles d'ordre administratif, notamment douaniers et de change. L'article 9 consacre le principe dit de l'« irresponsabilité » des parlementaires pour les « opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions ». Enfin, l'article 10 consacre ce qu'il est
convenu d'appeler l'« inviolabilité » des parlementaires, c'est-à-dire l'immunité de juridiction. pour les actes étrangers à l'exercice de leurs fonctions, accomplis par eux sur leur territoire national ou celui de tout autre État membre.

Cet article est ainsi libellé:

« Pendant la durée des sessions de l'Assemblée, les membres de celle-ci bénéficient:

a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b) sur le territoire de tout autre État membre, de l'exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L'immunité les couvre également lorsqu'ils se rendent au lieu de réunion de l'Assemblée ou en reviennent.

L'immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit de l'Assemblée de lever l'immunité d'un de ses membres. »

Comme l'a relevé le tribunal de grande instance, la Cour de justice a déjà eu l'occasion, précisément pour déterminer le champ d'application temporel de l'immunité parlementaire, de se prononcer, dans sa décision 101/63, Wagner, du 12 mai 1964 (Rec. p. 384), sur la signification de la notion de « durée des sessions », telle qu'elle figurait déjà dans l'article 9 des protocoles sur les privilèges et immunités annexés aux traités CECA, CEE et CEEA, identique en substance à l'article 10
actuellement applicable.

Cet arrêt doit être replacé dans le cadre juridique particulier qui régissait alors la réunion de l'Assemblée en session. En effet, jusqu'à l'adoption du traité de fusion, l'article 22 du traité CECA délimitait la session du Parlement, en prévoyant que « la session ne peut se prolonger au-delà de l'exercice financier en cours », alors que les articles 139 CEE et 109 CEEA indiquaient seulement la date d'ouverture des sessions.

La Cour a donc fait la double constatation suivante :

— d'une part, « l'Assemblée tient une ‘session annuelle’ le deuxième mardi de mai se terminant au plus tard à la fin de l'exercice financier de la CECA, c'est-à-dire le 30 juin, et une autre session annuelle à partir du troisième mardi d'octobre »,

— d'autre part, « dans les intervalles de ces ‘sessions annuelles’, le Parlement peut également, aux termes des mêmes articles, se réunir en ‘session extraordinaire’, au titre de l'une ou l'autre des trois Communautés... »

(101/63, Wagner, précité, p. 395-396).

Dans ses conclusions, M. l'avocat général Lagrange rapprochait des textes précités la pratique suivie par l'Assemblée consistant à tenir une session annuelle jamais close, mais seulement interrompue.

Ce régime ne lui apparaissait pas pour autant contraire aux traités. En effet, ces derniers ne prévoient pas la « clôture » d'une session. De plus, l'existence d'interruptions de session, visées par le règlement intérieur de l'Assemblée, écarterait par hypothèse un régime permanent de session. M. Lagrange en concluait que le Parlement devait être considéré comme n'étant pas en session pendant la durée de ces interruptions, l'immunité ne s'appliquant pas alors aux parlementaires.

Contrairement à cette interprétation, vous avez considéré qu'en l'absence, dans les articles 139 CEE et 109 CEEA, d'une disposition expresse, telle que celle figurant à l'article 22 CECA et fixant une date limite à la session annuelle, on ne pouvait « forcer le sens du terme interruption (pour) l'identifier à la notion de clôture », en sorte que,

« sous réserve des dates d'ouverture et de clôture de la session annuelle déterminées par l'article 22 du traité CECA, le Parlement européen doit être considéré en session, même s'il n'est pas effectivement en séance, jusqu'au moment de la clôture des sessions annuelles ou extraordinaires» (101/63, précité, p. 396, souligné par nous).

3.  Tant les motifs de la cour d'appel de Paris que les observations qui vous ont été soumises soulèvent la question de savoir si cette interprétation conserve sa pleine valeur, compte tenu, en particulier, des modifications des textes de référence intervenues depuis lors.

En premier lieu, l'article 27 du traité de fusion de 1965 a abrogé les articles 22 CECA, alinéa 1, 139 CEE, alinéa 1, et 109 CEEA, alinéa 1, pour y substituer la disposition suivante:

« l'Assemblée tient une session annuelle. Elle se réunit de plein droit le deuxième mardi de mars ».

Ainsi, la nouvelle formulation abandonne-t-elle toute référence à une date limite de clôture de la session, comme il en était pour la CECA.

En second lieu, si le règlement intérieur de l'Assemblée des Communautés européennes, tel que refondu le 26 mars 1981 (JO C 90 du 21.4.1981, p. 49), énonce, comme le règlement précédent, le principe de la souveraineté de décision du Parlement en matière d'interruption des sessions (article 9, paragraphe 2), il prévoit, tirant les conséquence de l'« acte portant élection des représentants à l'Assemblée au suffrage universel direct» du 20 septembre 1976 (JO L 278, p. 5, du 8.10.1976), que

— « la législature coïncide avec la durée du mandat des députés prévue par l'acte du 20 septembre 1976», soit cinq ans selon l'article 3, paragraphe 1, de ce dernier,

— « la session correspond à une période de un an », comme cela ressort de l'acte (article 10, paragraphe 3) et des traités (article 27 du traité de fusion, précité),

— « la période de session est la réunion que tient en règle générale le Parlement chaque mois. Elle se décompose en séances»

(article 9, paragraphe 1, souligné par nous).

Précisons enfin que l'article 4, paragraphe 2, de l'acte de 1976 fait application du PPI aux représentants ainsi élus au suffrage universel direct.

Telles sont les dispositions dans le cadre desquelles s'inscrivent les observations des parties au principal, de la Commission et la réponse du Parlement européen à la question que vous lui avez posée.

4.  Selon le requérant au principal, l'arrêt Wagner serait fondé sur des dispositions impliquant nécessairement une rupture dans la continuité des sessions (CECA d'une part, CEE et CEEA d'autre part) du 30 juin au second mardi d'octobre de chaque année et ne saurait donc être transposé à la situation actuelle, où aucun terme exprès n'est plus fixé à la session annuelle de l'Assemblée. Le traité ne prévoirait plus aucune période pendant laquelle, par hypothèse, l'Assemblée ne peut être en session. En
pratique, d'ailleurs, il n'y aurait pas actuellement d'intervalle séparant chaque session annuelle, la clôture d'une session ne faisant que précéder l'ouverture de la session suivante.

Dans ces circonstances, réputer encore le Parlement en session, alors qu'il n'est pas effectivement en séance, ferait apparaître quatre incohérences.

1) La disposition prévoyant la possibilité de sessions extraordinaires serait privée d'effet, celle-ci ne pouvant, par définition, intervenir que dans l'intervalle des sessions annuelles ordinaires. Cela irait à l'encontre de votre propre arrêt précité par lequel vous avez affirmé que« la notion de ‘sessions annuelles’ doit... être conçue de manière à être conciliée avec la possibilité de sessions extraordinaires qu'aucun texte n'interdit d'ailleurs de fixer longtemps à l'avance » (101/63,
précité, p. 396).

Serait, en outre, vidée de son sens la disposition de l'article 9, paragraphe 5, du règlement intérieur de l'Assemblée selon lequel « le président... convoque le Parlement à titre exceptionnel » à la demande des parlementaires.

2) La durée de l'immunité parlementaire coïnciderait, de facto, avec celle du mandat de membre de l'Assemblée des Communautés européennes. Celle-ci ayant compétence exclusive pour décider la levée de l'immunité d'un membre, on arriverait à lui réserver, pendant cinq ans, l'entière appréciation à porter sur l'opportunité des poursuites judiciaires engagées contre un parlementaire européen. Il y aurait là, au bénéfice du Parlement européen, transfert de prérogatives de souveraineté nationale dont
le Conseil constitutionnel français aurait expressément exclu l'éventualité.

3) L'identité de traitement des parlementaires européens et nationaux, qui résulte du renvoi aux dispositions nationales régissant l'immunité, ne serait pas respectée en France où cette protection est liée aux sessions, non au mandat.

4) Enfin, la précision relative à l'immunité des parlementaires qui se rendent aux réunions de l'Assemblée ou en reviennent n'aurait plus aucune raison d'être.

Le requérant au principal estime qu'il faudrait donc considérer que le Parlement européen n'est pas en session lorsque celle-ci est interrompue, c'est-à-dire pendant le laps de temps séparant deux séances effectives.

5.  Pour le défendeur au principal comme pour la Commission aucun élément nouveau, intervenu depuis 1965, ne serait de nature à remettre en cause l'interprétation de la notion de durée des sessions de l'Assemblée européenne, donnée dans l'arrêt 101/63.

Selon la Commission, l'analyse comparative des règles applicables, tant avant qu'après 1965, démontrerait que le pouvoir de décision autonome du Parlement européen quant à la tenue, la durée et la fin des sessions est resté inchangé. La faculté d'intercaler une session extraordinaire aurait été constamment préservée. La notion de « session » aurait gardé la même signification malgré les textes successifs. Dans la pratique, les conditions d'ouverture, de clôture ou d'interruption des sessions
seraient restées identiques, les sessions annuelles se succédant sans discontinuité, ce qui rendrait en fait inutile le recours aux sessions extraordinaires.

En définitive, il y aurait lieu de considérer que l'immunité du parlementaire européen lui est conférée pendant toute la durée de la session annuelle, sans pouvoir être limitée dans le temps aux seules séances ou périodes de sessions, ni élargie à la législature.

6.  Le Parlement européen, que vous avez interrogé sur les conséquences qu'il estime devoir être tirées tant des textes que de sa propre pratique en la matière, soutient que, la session étant continue et l'activité des parlementaires ininterrompue, l'article 10 du PPI leur serait applicable pendant toute l'année.

A l'appui de son interprétation, il présente quatre arguments. Il relève, en premier lieu, que l'immunité parlementaire, en tant qu'elle garantit l'indépendance de l'institution, constitue un principe commun aux États membres, dont seule l'étendue pourrait être variable.

Il fait, en second lieu, valoir que les dispositions des traités et de l'acte de 1976 laisseraient à l'Assemblée le pouvoir discrétionnaire de déterminer la durée des sessions, la seule contrainte à cet égard étant la date d'ouverture de la session annuelle, le deuxième mardi de mars, fixée par l'article 27 du traité de fusion. En ce sens, l'article 9 du règlement intérieur précise les modalités de déroulement de la session annuelle, compte tenu des besoins fonctionnels de l'Assemblée. Au
demeurant, la Cour aurait reconnu au Parlement l'autonomie nécessaire à son fonctionnement.

Le Parlement européen ajoute, en troisième lieu, qu'une telle immunité liée au mandat ne serait en rien contredite par la jurisprudence Wagner puisque la seule limite à la durée des sessions — contenue dans le traité CECA — a été abrogée par l'article 27 précité et que l'acte de 1976 fixe la durée de la législature à cinq ans, sans affecter le pouvoir d'organisation de l'Assemblée. Il indique qu'à son initiative, la Commission a soumis à l'approbation du Conseil un « projet de protocole portant
sur la révision » du PPI, en date du 30 novembre 11984, qui modifierait son article 10 en supprimant toute référence à la durée des sessions.

Il souligne, en dernier lieu, que les impératifs de son fonctionnement imposeraient à ses membres un calendrier de travaux particulièrement chargé. Aux rythmes déjà imposés à l'Assemblée, liés par exemple à la procédure budgétaire ou à l'examen des prix agricoles, s'ajouteraient les contraintes inhérentes à la fonction de contrôle du Parlement européen et à la nécessité de prévoir des réunions préparatoires, en commissions ou en groupes politiques.

Telles sont, en substance, les moyens développés devant vous par les parties au principal, la Commission et le Parlement.

7.  Il ressort des renseignements communiqués par le Parlement européen que celui-ci se réunit en séance une fois par mois, sauf en août, pour une durée d'une semaine. Ces « périodes de sessions », selon la définition de l'article 9 de son règlement intérieur, sont séparées par des périodes d'interruption permettant notamment la réunion des commissions parlementaires ou des groupes politiques. Le président du Parlement européen prononce la clôture de chaque session annuelle à la veille de
l'ouverture de la session suivante: il n'y a donc, en fait, aucune solution de continuité entre les différentes sessions annuelles de la législature.

Cette pratique s'inscrit dans le cadre juridique tracé par votre Cour dans l'arrêt Wagner, quant à l'interprétation de la notion de « durée des sessions de l'Assemblée » figurant à l'article 10 du PPI. On peut dire, en effet, que l'Assemblée se considère en session, même si elle n'est pas effectivement en séance, tant que le président n'en a pas prononcé la clôture, en sorte que, pas plus que la session annuelle elle-même, l'immunité des députés européens ne connaîtrait de discontinuité.

La constatation de la convergence existant entre votre interprétation et la pratique décrite suffit-elle pour déterminer le champ d'application ratione temporis de l'inviolabilité garantie par l'article 10 du PPI? L'examen des observations présentées devant vous laisse, à cet égard, apparaître deux pôles de discussion, évidemment reliés par la pratique parlementaire décrite précédemment: l'un concerne « l'actualité » de votre décision 101/63, l'autre la conformité au droit communautaire de la
pratique décrite. Avant d'approfondir chacune de ces deux questions, il convient de rechercher, à titre préliminaire, d'une part, si la notion de « sessions » est de nature communautaire, d'autre part, si la maîtrise par l'Assemblée de la durée de ses sessions résulte de l'étendue du pouvoir d'organisation interne qui lui est reconnu par les traités.

8.  Pour le requérant au principal, une immunité liée au mandat placerait les parlementaires européens de nationalité française dans une situation privilégiée par rapport à leurs homologues nationaux qui ne seraient couverts que pendant les deux sessions annuelles de leur parlement. Une telle discrimination serait contraire aux dispositions de l'article 10, sous a), du PPI qui posent précisément le principe de l'égalité de traitement des parlementaires.

Une telle argumentation se heurte à la lettre, à l'économie et à l'objectif de l'article 10 du PPL Cette disposition ne renvoie, en effet, au droit interne que pour la définition matérielle de l'immunité du député européen. Elle institue un régime d'immunité, différencié selon la nationalité du parlementaire lorsqu'il est poursuivi dans son propre pays, mais commun chaque fois que les poursuites judiciaires sont engagées dans un État membre dont il n'est pas le ressortissant.

Le contenu de l'immunité est déterminé soit par un renvoi aux différents droits nationaux soit par l'exemption de détention et de toute poursuite judiciaire. Par contre, sa durée est fonction de celle des « sessions de l'Assemblée », référence qui s'analyse, en définitive, comme un renvoi à l'organisation par le Parlement de ses propres travaux.

L'article 10 du PPI fait donc apparaître une dissociation entre les portées ratione temporis et materiae de l'immunité. Cette dissociation traduit le souci du législateur communautaire d'assurer l'autonomie institutionnelle de l'Assemblée européenne. En effet, l'article 28 du traité de fusion, en tant qu'il vise expressément le PPI, fait de l'immunité l'une des conditions de l'accomplissement de sa mission par l'Assemblée des Communautés européennes. Une autre condition fondamentale est la
liberté qui doit être reconnue au Parlement d'organiser son propre fonctionnement. Les traités, nous le verrons, y ont pourvu en donnant pleine compétence au Parlement pour élaborer son règlement intérieur.

Il s'ensuit, dès lors, que la durée de l'immunité, commandée par les nécessités de ce fonctionnement, doit être la même pour tous les parlementaires concernés: le temps de l'immunité est communautaire.

C'est donc dans le droit originaire qu'il convient de rechercher le sens à donner à l'expression « pendant la durée des sessions de l'Assemblée ».

9.  L'article 10 ne fournit aucune précision à cet égard. On est ainsi renvoyé au pouvoir d'organisation interne reconnu à l'Assemblée par les traités. Ces derniers, comme votre jurisprudence, conduisent à constater que celle-ci détermine de façon discrétionnaire le rythme et la durée de ses sessions.

Cette constatation est d'abord fondée sur les dispositions concordantes des articles 25, alinéa 1, du traité CECA, 142, alinéa 1, du traité CEE et 112, alinéa 1, du traité CEEA, selon lesquelles:

« L'Assemblée arrête son règlement intérieur à la majorité des membres qui la composent. »

Comme vous l'avez souligné dans votre arrêt 230/81, Luxembourg/Parlement (Rec. 1983, p. 255, point 38), ce dernier

« est autorisé à prendre, en vertu du pouvoir d'organisation interne (que ces dispositions lui attribuent), des mesures appropriées en vue d'assurer son bon fonctionnement et le déroulement de ses procédures ».

Expression de l'autonomie institutionnelle du Parlement européen, ce pouvoir d'organisation interne, en ce qui concerne la détermination de la durée des sessions, n'est guère limité par les traités.

Les articles 22 CECA, 139 CEE et 109 CEEA, dans leur version modifiée par le traité de fusion, indiquent

— que le Parlement « tient une session annuelle »,

— qu'il « se réunit de plein droit le deuxième mardi de mars »,

— qu'il peut être réuni en session extraordinaire à la demande de la majorité de ses membres, du Conseil ou de la Commission.

Deux principes gouvernent donc les mesures d'organisation interne que le Parlement est amené à prendre en la matière:

— unicité de la session, sauf session extraordinaire,

— annualité de la session, cette dernière commençant en mars.

Les traités n'imposent, par contre, aucun « butoir » à l'Assemblée quant au terme de la session annuelle unique. La latitude ainsi laissée autorise, par conséquent, le Parlement à décider de façon discrétionnaire, selon les besoins de son fonctionnement, le moment de la clôture de chaque session annuelle.

10.  Cette seconde constatation permet de mieux délimiter les données du problème d'interprétation à résoudre. Selon quel critère doit-on déterminer la durée de l'immunité?

Dans votre arrêt Wagner, vous vous êtes fondés sur un critère qui, tiré du droit originaire, laissait à la totale discrétion de l'Assemblée, tout au moins en ce qui concerne la CEE et la CEEA, la décision de clôturer les sessions ordinaires ou extraordinaires.

Contrairement au requérant au principal, nous estimons que la finalité de l'immunité, d'une part, la conformité aux règles du traité de la pratique parlementaire, d'autre part, conduisent à maintenir votre interprétation.

L'immunité des parlementaires a pour objet d'éviter toute entrave au bon fonctionnement de l'institution dont ils sont membres, donc à l'exercice des compétences, notamment de contrôle, de cette institution.

On pourrait en déduire, selon une approche stricte, qu'un parlementaire ne doit être protégé que lorsque sa participation aux séances de l'Assemblée risque d'être compromise par des poursuites judiciaires engagées contre lui. Une conception aussi restrictive ne nous paraît guère justifiée. Elle revient à ne pas prendre en compte la diversité des activités du Parlement, née notamment de la nécessité croissante d'exercer un contrôle permanent sur l'exécutif communautaire. Ainsi, l'activité de
l'Assemblée comprend non seulement les séances où sont discutés les textes, mais également les réunions des différentes commissions parlementaires, permanentes ou ad hoc.

On le voit, votre critère fondé sur le texte des traités cerne aussi au plus près la réalité institutionnelle. Il faut lier l'immunité à l'activité parlementaire lato sensu du député européen, le rôle du Parlement ne pouvant être réduit à la seule addition des séances où il est effectivement réuni.

Telle est, au demeurant, la conception retenue dans la plupart des États membres de la Communauté où l'inviolabilité est mise en oeuvre. En Allemagne, au Danemark, en Italie, en Espagne, en Grèce et au Portugal, les parlementaires sont, en effet, protégés contre les poursuites judiciaires pendant toute la durée de leur mandat. Le même principe s'applique en fait en Belgique et au Luxembourg, par le biais d'une pratique similaire à celle suivie par le Parlement européen. Pour ce qui est de la
France, l'article 26 de la Constitution, s'il cantonne l'inviolabilité à la durée de la session parlementaire stricto sensu, n'en subordonne pas moins l'arrestation d'un parlementaire, en dehors de cette session, à l'autorisation de l'Assemblée dont il fait partie, laquelle, au surplus, peut faire suspendre la détention ou la poursuite dont un parlementaire ferait l'objet.

On le voit, les régimes nationaux précités ne sont séparés que par des nuances.

11.  Conforme à la finalité de l'immunité, une telle conception est-elle, comme le prétend le requérant, contraire au droit originaire, compte tenu de la pratique de sessions annuelles se succédant sans discontinuité?

A cet égard, l'argument relatif aux sessions extraordinaires mérite attention. M. Wybot soutient qu'avant 1965 l'Assemblée cessait d'être en session depuis la date de la clôture en juin de la session CECA jusqu'à celle de l'ouverture en octobre de la session CEE/CEEA. Cette période aurait constitué l'« intervalle » que la Cour aurait précisément, dans sa décision 101/63, considéré comme propice à la tenue des sessions extraordinaires. L'unification réalisée par le traité de fusion de 1965 ayant
supprimé toute référence expresse à la notion de clôture, il y aurait lieu, pour préserver la possibilité de sessions extraordinaires, de modifier votre jurisprudence Wagner en définissant la notion de session par référence aux seules périodes où le Parlement est effectivement en séance.

Ce raisonnement et la proposition qui le conclut doivent être rejetés. En premier lieu, comme nous l'avons indiqué, votre décision relevait que la session annuelle CEE/CEEA n'expirait que lorsque l'Assemblée avait pris la décision de clôture. En conséquence, rien n'interdisait déjà au Parlement de se réunir à ce titre sans discontinuité en clôturant la session annuelle la veille de l'ouverture de la session suivante.

Au demeurant, c'est dans ce cas de figure que s'était situé M. l'avocat général Lagrange.

Comme il le constatait,

« le régime adopté par le Parlement européen repose... sur l'existence d'une session annuelle, qui n'est jamais close (ni d'ailleurs suspendue), mais ‘interrompue’ à des dates et pour une durée fixées par le Parlement luimême et, exceptionnellement dans certaines conditions, par le ‘bureau élargi’».

Et il poursuivait son analyse en soulevant le problème de la compatibilité de la permanence des sessions,

« avec l'institution d'un régime de sessions extraordinaires prévu par les traités » (101/63, précité, conclusions p. 407).

Comme on le voit, les données du problème d'interprétation posé alors à la Cour étaient celles-là mêmes qu'il vous est demandé aujourd'hui d'examiner.

Cette constatation ne saurait suffire. Il convient de s'assurer que, par sa pratique, l'Assemblée n'a pas exclu la possibilité de se réunir en session extraordinaire.

A cet égard, nous ferons les deux observations suivantes.

Les règles du traité s'imposent à l'Assemblée comme à toute autre institution. Au demeurant, le règlement intérieur s'y conforme expressément, puisqu'il prévoit en son article 9, paragraphe 5, la convocation du Parlement à « titre exceptionnel ». L'Assemblée européenne n'a d'ailleurs pas le monopole de l'initiative de la tenue des sessions extraordinaires, puisque celles-ci peuvent être provoquées non seulement par les parlementaires eux-mêmes mais aussi par le Conseil et la Commission. La
pratique parlementaire ne saurait donc priver ces deux institutions d'une prérogative inscrite dans les traités.

Au-delà de ces considérations de principe, ajoutons que la tenue de sessions extraordinaires est loin d'être hypothétique. La session extraordinaire ne vise pas seulement à prolonger dans le temps pendant une période supplémentaire les travaux parlementaires, après l'expiration de la session ordinaire. Elle peut être aussi l'instrument approprié pour mettre l'accent sur l'importance des questions mises à son ordre du jour. Ainsi s'expliquent, en sus des dispositions du règlement intérieur du
Parlement européen permettant de déclarer l'urgence ou d'organiser un débat d'actualité (articles 48 et 57), la possibilité précitée de l'article 9, paragraphe 5, et la faculté ouverte par les traités au Conseil et à la Commission. C'est ce que, s'agissant de la formalité substantielle de consultation de l'Assemblée par le Conseil, vous avez relevé dans votre arrêt Roquette en déclarant que

« le Conseil aurait pu user de la possibilité que lui offrait l'article 139 du traité de demander une session extraordinaire de l'Assemblée, cela d'autant plus que le Bureau du Parlement, en date des 1er mars et 10 mai 1979, avait attiré son attention sur cette possibilité»

(138/79, Rec. 1980, p. 3333, point 36, souligné par nous).

On pourrait donc concevoir que le Parlement décide, pour tenir une session extraordinaire, de clôturer, de façon anticipée, la session annuelle. N'avez-vous pas, d'ailleurs, relevé dans votre arrêt 101/63 « qu'aucun texte n'interdit... de fixer longtemps à l'avance » les réunions du Parlement en session extraordinaire (101/63, précité, p. 396).

Quelle que soit à ce jour la réalité de la pratique, l'existence d'une session ordinaire continue n'empêche pas le Parlement de créer les intervalles nécessaires à la tenue d'une session extraordinaire et même l'y oblige chaque fois que les conditions posées par les traités sont réunies.

12.  Nous serons beaucoup plus bref sur les deux derniers arguments avancés par le requérant au principal.

S'agissant, tout d'abord, de l'effet utile de l'alinéa 2 de l'article 10 selon lequel, rappelons-le, l'immunité couvre également les parlementaires « lorsqu'ils se rendent au lieu de réunion de l'Assemblée ou en reviennent », il y a lieu de faire l'observation suivante. Certes, nous avons considéré que la pratique suivie par le Parlement aboutit à conférer à ses membres une immunité permanente. Mais il ne s'agit là que d'une pratique qu'il est loisible au Parlement de modifier en clôturant sa
session de façon à faire apparaître une intersession. C'est dans une telle hypothèse que cette « immunité de trajet » trouverait à s'appliquer. La disposition en cause, loin de la contredire, s'explique par l'autonomie de fonctionnement du Parlement qui résulte du traité.

Quant à la compétence de l'Assemblée européenne en matière de mainlevée de l'immunité de ses membres, il suffira de dire qu'elle résulte du droit originaire et que l'étendue de ses effets n'est que la marque de l'autonomie institutionnelle du Parlement.

Nous vous suggérons donc de maintenir votre jurisprudence Wagner en disant pour droit que:

Pour l'application de l'expression « pendant la durée des sessions de l'Assemblée », qui introduit l'article 10 du protocole sur les privilèges et immunités, le Parlement européen doit être considéré en session, même s'il n'est pas effectivement en séance, jusqu'à la décision par laquelle il prononce la clôture des sessions annuelles ou extraordinaires.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 149/85
Date de la décision : 03/06/1986
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France.

Immunité des députés européens.

Privilèges et immunités


Parties
Demandeurs : Roger Wybot
Défendeurs : Edgar Faure et autres.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:224

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