CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT
présentées le 11 décembre 1985 ( *1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I — Observations préliminaires
En raison des nombreux aspects différents que cette affaire présente, nous estimons utile d'exposer d'abord globalement notre point de vue sur ces divers aspects. Dans les remarques préliminaires qui suivent, nous allons donc insérer d'emblée quelques conclusions auxquelles l'étude du dossier nous conduit.
1. Conclusions de la Commission
L'objet juridique du litige est clairement défini par la Commission dans les conclusions de sa requête. Dans ces conclusions, la Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
a) constater que le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965 et des articles 5 et 7 du traité CEE:
— en omettant de prendre les mesures nécessaires pour que, dans les règlements des communes d'Etterbeek du 13 octobre 1983, de Woluwé-Saint-Pierre du 25 novembre 1983, d'Uccie du 28 février 1984, de Jette du 15 mai 1984 et d'Evere du 26 juin 1984, soient exemptées de la taxe sur les résidences non principales les personnes qui résident à titre principal dans la commune concernée et qui sont dispensées de l'inscription aux registres de la population en Belgique en vertu de l'article 12, sous b),
du protocole, soit les fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes, affectés en Belgique, ainsi que les conjoints et les membres de leur famille vivant à leur charge et ressortissants d'un Etat membre autre que la Belgique;
— en procédant, par ses autorités communales, à la perception desdites taxes auprès des personnes susvisées et en omettant de prendre les mesures nécessaires pour que les montants ainsi perçus soient remboursés et les intérêts légaux versés;
b) condamner le royaume de Belgique aux dépens.
A propos de ces conclusions, nous formulons dès à présent les remarques suivantes.
a) L'article 12, sous b), dudit protocole dispose que, sur le territoire de chacun des États membres et quelle que soit leur nationalité, les fonctionnaires et autres agents des Communautés
« ne sont pas soumis, non plus que leur conjoint, et les membres de leur famille vivant à leur charge, aux dispositions limitant l'immigration et aux formalités d'enregistrement des étrangers ».
b) Cette disposition vaut pour tous les États membres. Conformément à des principes élémentaires d'interprétation du droit communautaire, dont le protocole fait partie, l'interprétation de cette disposition ne peut pas dépendre du droit national belge. Aussi bien la lettre de la disposition que sa portée, telle qu'elle a été explicitée par la Commission en réponse à une question de la Cour, indiquent qu'elle est applicable à toute forme d'enregistrement des étrangers, c'est-à-dire indépendamment des
formes d'enregistrement des étrangers pratiquées par l'État membre concerné.
c) Étant donné que toutes les dispositions du protocole sont basées sur l'article 28 du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes (JO 152 du 13.7.1967, p. 2), il faut tenir compte également, pour l'interprétation de l'article 12, sous b), du protocole, du fait qu'aux termes dudit article 28 les privilèges et immunités des Communautés, inscrits dans les dispositions, sont « nécessaires à l'accomplissement de leur mission ».
d) On ne saurait déduire ni de l'article 12, sous b), en tant que tel, ni d'autres articles du protocole que les fonctionnaires et autres agents des Communautés sont exonérés d'impôts autres que les impôts indirects visés à l'article 12, sous d) et e), ou les impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés, ou encore les impôts sur les revenus et sur la fortune et les droits de succession dont parle l'article 14 du protocole et qui sont liés au lieu de
résidence. Les fonctionnaires et autres agents des Communautés peuvent donc, sur un pied d'égalité avec les citoyens belges, être soumis, par exemple, à des impôts fonciers communaux qui existeraient éventuellement, à des taxes de voierie, à des redevances dues en rémunération de services publics, ainsi qu'à des taxes sur une seconde résidence qu'ils posséderaient en Belgique en sus d'une résidence principale.
e) Lorsque des fonctionnaires ou agents des Communautés, qui sont des ressortissants d'autres États membres et qui, à ce titre, sont exemptés de l'enregistrement des étrangers, mais qui résident à titre principal dans l'une des communes concernées, se voient imposés en fait comme si leur résidence principale était une seconde résidence, à la suite de l'application de critères utilisés dans les règlements fiscaux communaux, cela constitue en tout cas une discrimination exercée en raison de la
nationalité au sens de l'article 7 du traité CEE. A ce sujet, la Commission se réfère à l'arrêt rendu par la Cour le 13 juillet 1983 dans l'affaire Forcheri (affaire 152/82, Rec. 1983, p. 2323). Il est établi que la conséquence concrète précitée s'est déjà produite dans une des communes concernées. Dans les circulaires des autorités belges que nous mentionnerons tout à l'heure, il est toutefois reconnu que les règlements des autres communes citées ne garantissent pas non plus que les
fonctionnaires et agents des Communautés européennes, qui sont dispensés de l'enregistrement, seront traités de la même manière que les personnes qui sont inscrites au registre de la population et qui résident à titre principal dans la commune concernée. A notre avis, cela constitue alors également, en fait, une discrimination exercée en raison de la nationalité. La question de savoir si une telle taxe est aussi incompatible — indirectement — avec l'article 12, sous b), du protocole, nous paraît
à cet égard avoir peu d'importance pratique pour le personnel des Communautés. Pour les membres du personnel d'autres organisations internationales installées à Bruxelles, ainsi que pour les membres du personnel des ambassades établies dans cette ville qui ne sont pas des ressortissants d'un autre État membre, cette question est naturellement importante de manière indirecte. Ainsi qu'on l'a exposé dans la réponse de la Commission à une question de la Cour, ces personnes bénéficient en effet d'une
exemption de l'enregistrement des étrangers qui est rédigée dans des termes similaires. Comme la Commission fonde son recours également sur la violation de l'article 12, sous b), du protocole, nous reviendrons sur ce point, ainsi que sur la violation de l'article 5 du traité CEE invoquée en même temps à ce propos, ultérieurement dans nos conclusions.
f) Dans la mesure où cette formalité est nécessaire pour constater l'existence d'une résidence principale, l'obligation imposée aux membres non inscrits du personnel des Communautés de remplir un formulaire fournissant les renseignements nécessaires à ce sujet peut être considérée comme n'étant pas, en tant que telle, incompatible avec l'article 12, sous b), du protocole. A l'audience, la Commission a confirmé que cela est également son point de vue. Il ne pourra être question d'une incompatibilité
avec l'article 5 du traité CEE sur ce point que lorsque la commune concernée aura déjà reçu tous les renseignements nécessaires des institutions communautaires elles-mêmes, par une autre filière (notamment par le ministère des Relations extérieures). Compte tenu de la position précitée de la Commission, il n'est cependant pas nécessaire, nous semble-t-il, que la Cour se prononce sur ce point. En fait, il n'existe aucun désaccord à ce sujet entre la Commission et le gouvernement belge, lequel a
également souligné l'importance d'une pratique administrative confirmée en vue de l'information des communes par les institutions communautaires elles-mêmes.
2. La position du gouvernement belge
Le gouvernement du royaume de Belgique conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
— déclarer le recours de la Commission irrecevable et, subsidiairement, non fondé;
— condamner la Commission aux dépens.
Concernant cette position, nous formulons dès à présent les observations suivantes.
a) Nous traiterons les moyens invoqués à l'appui de l'exception d'irrecevabilité ultérieurement dans les présentes conclusions.
b) Quant au fond de l'affaire, le gouvernement belge est actuellement d'accord en substance avec la Commission pour dire que les membres du personnel de la Communauté, qui sont à la fois des ressortissants d'autres États membres et, à ce titre, exemptés de l'enregistrement des étrangers et qui résident à titre principal en Belgique, ne peuvent pas être imposés au titre de cette résidence principale comme si celle-ci n'était que leur seconde résidence. C'est ce qui ressort notamment de la circulaire,
produite en réponse à une question de la Cour, que le président de l'exécutif de la région bruxelloise a adressée aux bourgmestres et échevins concernés. A l'audience, le gouvernement belge a précisé que cette circulaire devait être considérée comme une instruction contraignante aux communes concernées, les invitant à insérer dans leurs règlements litigieux une disposition qui assimile les fonctionnaires et agents concernés aux personnes inscrites aux registres de la population. Il a communiqué
en même temps, à l'audience, que le ministre de l'Intérieur avait envoyé le 3 octobre 1985 une circulaire imperative, d'une teneur analogue, à toutes les autorités belges compétentes.
c) Bien que le gouvernement belge vise ainsi à atteindre un résultat final identique à celui que poursuit la Commission, il conteste, d'autre part, qu'il existe en l'occurrence une quelconque incompatibilité avec le droit communautaire. Il ne s'agirait pas d'une violation de l'article 12, sous b), du protocole, parce que les fonctionnaires et agents des Communautés ne sont soumis à aucune forme de limitation de l'immigration ou d'enregistrement des étrangers (comme nous l'avons déjà dit, nous
reviendrons sur ce point séparément).
Il n'y aurait pas d'incompatibilité avec l'article 7 parce que les règlements communaux sont applicables à toutes les secondes résidences. Sur la base des observations que nous avons faites précédemment, nous estimons que ce deuxième moyen de défense doit être rejeté lorsque — comme c'est le cas en l'espèce — les fonctionnaires et agents concernés qui ne sont pas des citoyens belges sont taxés, en fait, au titre d'une résidence principale qui, parce qu'il n'est pas tenu compte de leur statut
particulier dans les dispositions concernées ou lors de l'application de celles-ci, est considérée comme une seconde résidence.
En conclusion, le gouvernement belge estime que l'objet du litige relève essentiellement de la compétence du juge national. Les fonctionnaires et agents concernés devraient dès lors suivre la voie judiciaire nationale pour défendre leurs droits. Cette position a également déjà été exprimée dans la lettre, mentionnée ci-après, du représentant permanent du royaume de Belgique en date du 24 janvier 1985.
3. Appréciation de la thèse de base du gouvernement belge
L'affirmation du gouvernement belge selon laquelle l'objet du litige relève essentiellement de la compétence des juges nationaux est effectivement exacte en soi. Cette compétence du juge national à statuer sur les impositions individuelles n'exclut, toutefois, aucunement la compétence de la Cour à connaître de l'objet différent du litige qui oppose la Commission et l'État belge, tel qu'il a été défini dans les conclusions de la Commission. Cet objet réside, en effet, principalement dans la violation
du droit communautaire par le maintien et l'application de règlements fiscaux communaux qui rendent possibles les impositions individuelles incorrectes dont il s'agit en l'espèce.
La différence entre la procédure nationale et la procédure communautaire a également une grande importance pratique. En premier lieu, la nécessité pour les fonctionnaires et agents des Communautés concernés, qui sont déjà 350 actuellement et dont le nombre augmentera peut-être encore à l'avenir, d'engager chaque année une action devant le juge national aussi longtemps que les règlements en cause seront maintenus perturbe naturellement la réalisation des tâches principales des institutions
communautaires et de leur personnel. En deuxième lieu, le représentant du gouvernement belge a dû reconnaître, à l'audience, que la décision sur le pourvoi en cassation formé en l'espèce par une commune n'interviendrait certainement pas avant une à deux années, si on se réfère à la durée moyenne de telles procédures, à moins d'un examen prioritaire. Nous ajouterons que, dans l'hypothèse où la Cour de cassation prendrait également en considération les aspects de droit communautaire que le litige
comporte et poserait à la Cour des questions à ce sujet, la procédure en cassation pourrait naturellement durer encore plus longtemps. Pendant tout ce temps, les communes pourront continuer à envoyer des avis d'imposition contre lesquels les fonctionnaires et agents individuels devront alors chaque fois introduire un recours. En troisième lieu, et surtout, la voie judiciaire nationale ne peut cependant jamais aboutir à l'annulation ou à la modification de plein droit des règlements concernés. Selon
les explications fournies par le gouvernement belge à l'audience, leur annulation peut avoir lieu exclusivement par voie légale et le dépôt d'un projet de loi à cet effet ainsi que son adoption, ou l'accomplissement de démarches informelles du gouvernement belge auprès des communes concernées, dans l'hypothèse où celles-ci ne donneraient aucune suite aux circulaires susmentionnées, dépendent naturellement, à défaut d'un arrêt de la Cour, exclusivement de l'appréciation propre des autorités belges.
En outre, rien ne permet d'affirmer a priori que de pareilles mesures nationales auraient un effet rétroactif vis-à-vis de taxes déjà imposées et perçues, ni qu'elles créeraient des obligations de remboursement en la matière. Également pour des raisons pratiques, il nous paraît dès lors nécessaire que la Cour se prononce sur le litige dont elle a été saisie par la Commission.
4. Plan de la suite des présentes conclusions
Afin d'apporter davantage de clarté sur les faits, nous allons tout d'abord maintenant, dans le paragraphe 2 des présentes conclusions, reprendre, en y ajoutant quelques indications, le résumé des faits et de la procédure qui figure dans le rapport d'audience. Comme nous avons déjà exposé les principaux moyens et arguments des parties, nous allons ensuite, dans le paragraphe 3, traiter les questions juridiques qui sont encore ouvertes, à savoir la recevabilité du recours et la violation, invoquée
par la Commission, de l'article 12, sous b), du protocole et, de manière concomitante, de l'article 5 du traité CEE. Dans le paragraphe 4, nous allons finalement résumer nos constatations.
II — Faits et procédure
1. Diverses communes de l'agglomération bruxelloise, et plus précisément celles d'Etterbeek (décision du conseil communal du 13 octobre 1983, approuvée par la deputation permanente le 16 février 1984), Jette (décision du 15 mai 1984, approuvée le 26 juillet 1984), Uccie (décision du 28 février 1984, approuvée le 1er mai 1984), Woluwé-Saint-Pierre (décision du 25 novembre 1983, approuvée le 31 janvier 1984) et Evere (décision du 26 juin 1984, approuvée le 13 septembre 1984), ont adopté dans le
courant des années 1983 et 1984 des règlements en vue de l'instauration d'une « taxe sur les résidences non principales » ou « taxe sur les secondes résidences ».
2. L'imposition de cette taxe est liée à la non-inscription aux registres de la population de la commune en cause, inscription dont sont dispensés les fonctionnaires et agents des Communautés européennes affectés en Belgique, ainsi que leur conjoint et les membres de leur famille vivant à leur charge, qui sont des ressortissants d'un État membre autre que la Belgique.
3. Les règlements des communes d'Etterbeek, Uccie, Jette et Evere, rédigés de manière similaire, définissent la résidence non principale comme « tout logement privé, autre que celui destiné à la résidence principale... » et ils soumettent à la taxe « les personnes non inscrites aux registres de la population » de la commune, qui sont propriétaires ou locataires ou usagers à titre gratuit d'un logement à titre de résidence non principale.
4. Selon le règlement de la commune de Woluwé-Saint-Pierre, la taxe est due par celui qui dispose d'une seconde résidence, comme telle étant entendue tout logement ... dont la personne pouvant l'occuper n'est pas, pour le logement, inscrite aux registres de la population.
5. Le montant de la taxe est fixé dans les cas susmentionnés à 10000 BFR par an et par résidence.
6. Tous les règlements cités prévoient une procédure de réclamation individuelle à introduire auprès de la deputation permanente du conseil provincial dans les trois mois de la délivrance de l'avertissement-extrait de rôle. Ces règlements prévoient, en outre, certaines exceptions dont aucune ne s'applique aux fonctionnaires des Communautés européennes.
7. Conformément à la réglementation nationale, par registres de la population, il faut entendre:
« a) le registre de la population proprement dit, appelé registre principal;
b) l'index, le registre spécial des étrangers, le registre des entrées, celui des sorties, celui des naissances, celui des cartes d'identité de Belges et celui des pièces d'identité... ».
En principe, les étrangers qui viennent établir leur résidence en Belgique sont inscrits au registre spécial des étrangers. Cependant, deux catégories d'étrangers doivent être inscrits au registre principal de population, où sont également inscrits les ressortissants belges, à savoir:
a) les étrangers dont la « demande d'établissement » a été acceptée, s'ils justifient d'un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans dans le royaume de Belgique;
b) les ressortissants des États membres de la Communauté européenne qui viennent en Belgique pour y exercer une activité salariée ou non salariée dont la durée prévue est supérieure à un an, après acceptation de leur « demande d'établissement », soit par le ministre, soit par l'administration communale compétente.
Les étrangers, inscrits au registre de la population, sont rayés du registre des étrangers. Les personnes tenues à une inscription aux registres de la population (registre de la population ou registre des étrangers) doivent s'inscrire dans la commune où ils ont leur résidence habituelle principale.
L'inscription aux registres de la population d'une commune constitue une preuve que la personne réside à titre principal dans la commune du fait que, depuis mars 1981, une personne ne peut être inscrite à titre de résidence principale qu'à une seule commune du royaume.
8. Aux fonctionnaires des Communautés européennes affectés en Belgique et aux autres agents des Communautés européennes, ainsi qu'à leur conjoint et aux membres de leur famille vivant à leur charge, le ministère des Relations extérieures de Belgique délivre un permis de séjour spécial sur lequel est apposé un cachet « Dispensé de l'inscription aux registres des étrangers en vertu de la loi du 13 mai 1966, relative au protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes ». Ce permis
a une durée de validité de quatre ans. Il n'est délivré qu'aux personnes n'ayant pas la nationalité belge.
Les fonctionnaires belges sont inscrits au registre de la population de leur commune. Les fonctionnaires des Communautés européennes des autres nationalités ne sont inscrits dans aucun registre de la commune. Leurs adresses privées sont communiquées régulièrement au service du protocole du ministère des Relations extérieures du royaume de Belgique, subdivisées par commune. Ces adresses sont transmises par le ministère aux diverses communes.
Dans une circulaire du ministre de l'Intérieur du 19 mars 1981, il est expressément prévu que « les étrangers qui exercent en Belgique des fonctions conférées par les Communautés européennes ne doivent pas non plus être inscrits aux registres de la population d'une commune belge ».
9. Au fur et à mesure que l'existence de ces règlements communaux parvenait à sa connaissance, la Commission, agissant par son directeur général du personnel et de l'administration, a adressé plusieurs lettres au représentant permanent de la Belgique, avec copies aux bourgmestres des communes concernées, les priant de surseoir à l'application de ces règlements tant qu'une solution globale n'aurait pas été trouvée avec les autorités centrales (lettres des 24 mai, 19 juin, 2 juillet, 31 juillet, 17
octobre et 12 décembre 1984 et du 22 janvier 1985); elle a estimé, en se référant à l'article 12, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965, que les fonctionnaires des Communautés européennes ne pouvaient être considérés d'office comme occupant des résidences non principales en raison du seul fait de leur non-inscription aux registres de la population et qu'ils ne devraient pas être soumis à cette taxation en vertu d'une telle présomption.
Elle a fait valoir ce point de vue au cours de plusieurs contacts informels avec les autorités, tandis que, par lettre du 24 janvier 1985, le représentant permanent de la Belgique a avisé la Commission des différentes démarches entreprises par le gouvernement belge à ce sujet.
Malgré ces démarches, la commune de Woluwé-Saint-Pierre a adressé vers la fin de 1984, à une dizaine de fonctionnaires des Communautés européennes résidant sur son territoire, des avertissements-extraits de rôle en vue du paiement de 10000 BFR au titre de la taxe sur les résidences non principales dans les deux mois. Les nouvelles démarches entreprises sont restées sans issue positive pour la Commission.
10. La Commission a alors pris, par procédure accélérée, la décision d'engager la procédure prévue à l'article 169 du traité CEE et, par lettre du 12 février 1985, elle en a informé le gouvernement belge et l'a invité à formuler des observations dans un délai de quinze jours. Cette lettre est demeurée sans réponse.
11. Parallèlement à la procédure engagée par la Commission, les fonctionnaires concernés ont introduit des réclamations auprès de la deputation permanente de la province du Brabant en vue d'obtenir l'annulation de l'imposition. La deputation permanente a pris, le 7 février 1985, un arrêté faisant droit à la réclamation dans un cas.
Toutefois, le 20 février 1985, la commune de Woluwé-Saint-Pierre a adressé, le même jour, à quelque 250 autres fonctionnaires résidant sur son territoire des avertissements-extraits de rôle au titre de ladite taxe, dont la date limite de paiement était fixée au 22 avril 1985.
Par lettre du 26 février 1985, M. Willy de Clercq, membre de la Commission, a invité à nouveau le ministre de l'Intérieur de Belgique à rechercher une solution concertée. Par lettre du 4 mars 1985, le directeur général du personnel et de l'administration a réitéré, auprès de la représentation permanente du royaume de Belgique, sa demande pour qu'une décision rapide soit trouvée.
12. Le 8 mars 1985, la Commission a, par procédure accélérée, adressé au royaume de Belgique un avis motivé l'invitant à prendre, dans un délai de quinze jours, les mesures nécessaires pour se conformer audit avis et, notamment, supprimer les infractions relevées dans les règlements communaux et rembourser les sommes versées au titre de la taxe ainsi que les intérêts légaux dus.
Par télex du 19 mars 1985, le royaume de Belgique a demandé une prolongation de ce délai, laquelle a été refusée par la Commission par télex du 27 mars 1985.
L'avis motivé est demeuré sans réponse.
13. Par requête, enregistrée au greffe de la Cour le 3 avril 1985, la Commission a introduit une procédure en manquement au titre de l'article 169, alinéa 2, du traité CEE.
14. Par télex du 13 mai 1985, la Commission a fait savoir qu'elle renonçait à déposer un mémoire en réplique, demandant en outre à la Cour de fixer l'audience le plus rapidement possible, dès lors que les mesures de recouvrement de la taxe en cause n'avaient pas été suspendues, étant actuellement au stade de la saisie, et que le nombre des fonctionnaires concernés était passé d'environ 260 à plus de 350.
15. Sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, la Cour a décidé d'ouvrir la procédure orale, sans procéder à des mesures d'instruction préalable. Elle a cependant posé des questions, d'une part, à la Commission sur la raison d'être de l'article 12, sous b), du protocole et, d'autre part, au gouvernement belge sur les résultats des échanges de vues entre le gouvernement et l'autorité de tutelle afin de résoudre le problème surgi.
Dans sa réponse, la Commission a expliqué, en résumé, qu'à l'instar de dispositions rédigées en termes similaires dans les protocoles comparables de pratiquement toutes les autres organisations internationales, l'article 12, sous b), du protocole fait partie des attributs classiques des immunités diplomatiques et que, comme l'indique notamment l'article 18 du protocole, il vise à assurer l'exercice sans entrave des tâches du personnel des Communautés. Cet objectif serait resté le même que celui
des protocoles des différentes Communautés, étant donné que la réglementation communautaire en matière d'accès, de séjour et d'enregistrement des ressortissants d'autres États membres en général maintient encore certaines possibilités de limiter l'immigration et le séjour qui, aux termes du protocole, ne doivent pas être applicables aux fonctionnaires des Communautés.
Le gouvernement belge a signalé, en réponse à la question de la Cour, que le groupe de travail ad hoc avait proposé que les organes exerçant la tutelle sur les communes de l'agglomération bruxelloise envoient à celles-ci une lettre circulaire, à publier au Moniteur belge, les invitant à insérer dans leur règlement sur la seconde résidence une disposition assimilant aux personnes inscrites aux registres de la population les fonctionnaires et agents des Communautés européennes résidant à titre
principal dans la commune. Une copie de la circulaire destinée aux communes de l'agglomération bruxelloise, signée par le président de l'exécutif et, selon les informations fournies à l'audience, expédiée entretemps, est annexée à la réponse. Un projet de circulaire d'une teneur analogue serait incessamment soumis au ministre de l'Intérieur. Selon les renseignements donnés à l'audience, cette deuxième circulaire aurait également été envoyée entre-temps.
III — Examen des questions juridiques restantes
1. La recevabilité du recours
Dans son mémoire en défense, le gouvernement belge affirme en premier lieu que la procédure exceptionnelle adoptée par la Commission, en ne laissant que des délais de moins d'un mois entre la lettre de mise en demeure, l'avis motivé et l'introduction du recours lui-même, constitue une méconnaissance de la notion de délai raisonnable que tout État membre serait en droit d'attendre de la Commission. Répondant à des questions posées par un membre de la Cour, le représentant du gouvernement belge a
expliqué à l'audience que le gouvernement aurait estimé raisonnable un délai de six mois à un an. Comme nous l'avons observé dans notre résumé antérieur des faits, il est constant que, depuis environ un an avant l'introduction du recours, la Commission avait déjà adressé régulièrement plusieurs lettres au représentant permanent de la Belgique, avec copie aux bourgmestres des communes concernées, les priant de surseoir à l'application de ces règlements tant qu'une solution globale n'aurait pas été
trouvée avec les autorités centrales. Cela n'est pas non plus contesté par le gouvernement belge. Compte tenu également du surcroît de travail incontestable que l'attitude communale a causé pour un nombre croissant de membres du personnel de la Commission, nous sommes d'avis que, dans les circonstances de l'espèce, ce premier moyen d'irrecevabilité doit être rejeté.
En second lieu, le gouvernement belge affirme, comme nous l'avons déjà noté plus haut, qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une violation du droit communautaire et que le problème doit dès lors être résolu selon la voie judiciaire nationale. Étant donné que cet argument concerne essentiellement l'affaire au fond, il doit également être rejeté en tant que moyen d'irrecevabilité.
2. La violation alléguée de l'article 12, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes
Selon sa requête et les précisions qu'elle a apportées sur son point de vue à l'audience, la Commission estime que la violation alléguée de l'article 12, sous b), du protocole réside notamment dans la violation de l'exemption des formalités d'enregistrement. Cette violation consisterait en ce que les communes concernées ont soumis les fonctionnaires et agents intéressés à une taxe sur les secondes résidences sur la base du fait qu'en vertu de cette exemption ils ne sont pas inscrits aux registres de
la population. Une possibilité d'exonération de la taxe au titre de leur exemption des formalités d'enregistrement, lorsqu'ils résident à titre principal dans la commune concernée, n'a pas été prévue. Le règlement fiscal — précité — de la commune de Woluwé-Saint-Pierre (où le conflit s'est particulièrement concentré jusqu'à présent) constitue l'exemple le plus clair à cet égard.
Entre-temps, la conclusion même de la Commission est formulée en des termes plus larges à cet égard, puisqu'elle fait valoir une violation de l'article 12, sous b), du protocole dans sa totalité, pour les raisons énoncées dans cette conclusion.
A notre avis, c'est à bon escient que, dans sa réponse, citée précédemment, à une question de la Cour, la Commission a affirmé, en outre, que ladite disposition allait plus loin que le droit relatif à la libre circulation des personnes dont jouissent tous les ressortissants d'autres États membres. Cela découle d'ailleurs également, selon nous, du fait que la disposition est empruntée à des protocoles comparables des Nations unies et d'autres organisations internationales ainsi qu'à des
réglementations encore plus anciennes en matière d'immunités et de privilèges des représentations diplomatiques (auxquelles le protocole sur l'OTAN, cité par la Commission, renvoie lui-même expressément). Dans ces exemples, il n'existe généralement pas de droit à un traitement identique à celui dont jouissent les nationaux du pays d'établissement qui soit comparable au droit communautaire en cause. En outre, un pareil droit à l'égalité de traitement dans des pays où les droits comparables des
nationaux sont soumis à de nombreuses restrictions ne garantirait pas encore à suffisance l'exercice indépendant et sans entrave des tâches des organisations concernées ou des représentations diplomatiques. L'article 12, sous b), du protocole doit dès lors, à notre avis, être interprété de façon autonome, bien qu'aux termes de l'arrêt précité rendu par la Cour dans l'affaire Forcheri, il n'exclue pas que les fonctionnaires et agents des Communautés se prévalent en même temps des règles du droit
communautaire général concernant la libre circulation des personnes.
Interprétée de façon autonome et si on la considère à la lumière de l'article 18 du protocole et de l'article 28 du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, la non-application des dispositions limitant l'immigration et de celles relatives à l'enregistrement des étrangers signifie alors, à notre avis, que cette exemption recouvre toutes les restrictions qui limitent en fait la liberté d'immigration (ainsi que, selon leur portée, la liberté de séjour)
ou la non-application des règles concernant l'enregistrement des étrangers et qui perturbent dans le même temps l'accomplissement des tâches des fonctionnaires et agents intéressés.
A notre avis, ces critères sont réunis en l'espèce. La liberté de séjour et, partant, la liberté d'immigration sont limitées en ce que les fonctionnaires et agents des Communautés sont soumis en fait à des taxes communales plus lourdes que les nationaux ou du moins en ce qu'ils ne sont pas traités, dans les règlements en cause, sur un pied d'égalité avec les nationaux inscrits au registre de la population. En outre, l'exemption de l'enregistrement des étrangers est limitée, en fait, en ce qu'il
résulte des règlements en cause une pression évidente sur les fonctionnaires et agents pour qu'ils se soumettent néanmoins à l'enregistrement. La suggestion faite par le gouvernement belge au cours de la procédure, aussi bien par écrit qu'oralement, selon laquelle l'inscription au registre de la population constitue la solution la plus simple du litige, confirme l'existence de cette pression. Enfin, les fonctionnaires et agents concernés sont naturellement perturbés dans l'exercice de leurs
fonctions normales par la nécessité de payer en toute hypothèse, le cas échéant, les taxes — qui, selon le gouvernement belge non plus, ne sont pas dues — et d'introduire ensuite une réclamation contre l'imposition.
Le moyen de défense du gouvernement belge, selon lequel les fonctionnaires et autres agents des Communautés ne sont soumis à aucune forme de limitation de l'immigration ou d'enregistrement des étrangers, doit dès lors, selon nous, être rejeté et le moyen de la Commission, que nous venons d'examiner, être considéré comme fondé.
3. La violation alléguée de l'article 5 du traité CEE
Nous tenons également pour établie la violation, par le royaume de Belgique, de l'article 5 du traité CEE, qui est alléguée dans la requête. En particulier, il est actuellement certain, à notre avis, sur la base des renseignements fournis par écrit et oralement au cours de la procédure:
a) que les communes concernées ou du moins une ou plusieurs d'entre elles ont pris, en contradiction avec la dernière phrase dudit article, des règlements qui mettent en péril, de la manière décrite précédemment, la réalisation des buts du traité CEE;
b) que, contrairement à l'alinéa 1 de l'article en question, l'autorité de tutelle ne s'est pas opposée à l'entrée en vigueur sans amendement des règlements concernés dans le délai de quarante jours dont elle dispose à cet effet selon le droit belge.
IV — Conclusion
En résumé de nos constatations, nous vous proposons:
1) de constater qu'en omettant de prendre les mesures nécessaires pour garantir qu'à l'occasion de l'adoption ou de l'application de règlements de communes faisant partie de l'agglomération bruxelloise, les personnes qui résident à titre principal dans les communes concernées et qui sont dispensées de l'inscription aux registres de la population (soit les fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes, affectés en Belgique, ainsi que leur conjoint et les membres de leur famille vivant à
leur charge et ressortissants d'un État membre autre que la Belgique), soient exemptées de la taxe sur les secondes résidences prévue dans ces règlements, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965 et des articles 5 et 7 du traité CEE;
2) de condamner le royaume de Belgique aux dépens.
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( *1 ) Traduit du néerlandais.