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11/12/1985 | CJUE | N°229/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 11 décembre 1985., Maria Sommerlatte contre Commission des Communautés européennes., 11/12/1985, 229/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 11 décembre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le docteur Maria Sommerlatte, fonctionnaire retraitée de la Commission des Communautés européennes, bénéficie à ce titre d'une pension communautaire sur laquelle est actuellement prélevée une contribution de 1,35 % versée à la caisse de maladie des Communautés. Elle est, en outre, titulaire d'une pension allemande en raison de l'activité professionnelle par elle exercée avant sa prise de fonctions à

la Commission. Assujettie de ce chef à une assurance maladie allemande, elle acquitte sur cette ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 11 décembre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le docteur Maria Sommerlatte, fonctionnaire retraitée de la Commission des Communautés européennes, bénéficie à ce titre d'une pension communautaire sur laquelle est actuellement prélevée une contribution de 1,35 % versée à la caisse de maladie des Communautés. Elle est, en outre, titulaire d'une pension allemande en raison de l'activité professionnelle par elle exercée avant sa prise de fonctions à la Commission. Assujettie de ce chef à une assurance maladie allemande, elle acquitte sur cette
pension une cotisation de 6,05 %, perçue par la caisse complémentaire de Barmer (Barmer Ersatzkasse, ci-après « BEK »).

Jusqu'au 31 décembre 1982, les cotisations allemandes à l'assurance maladie obligatoire étaient calculées exclusivement sur le revenu constitué par la pension allemande elle-même. Cette situation a été modifiée par la révision, conformément aux dispositions de la loi du 4 décembre 1981 sur l'adaptation des rentes pour 1982, de l'article 180 de la loi allemande sur l'assurance maladie (Reichsversicherungsordnung, ci-après « RVO »), qui soumet, entre autres, à cotisation, à compter du 1er janvier
1983, les pensions provenant « d'une organisation internationale ou supranationale ».

Pour les pensionnés allemands se trouvant dans la situation de Mme Sommerlatte, cela signifie que l'assiette de la cotisation à l'assurance maladie obligatoire en République fédérale d'Allemagne est étendue au revenu provenant de la pension communautaire, également soumis désormais à la cotisation allemande de 6,05 %, en sus de la contribution précitée de 1,35 %.

La même loi prévoit cependant la possibilité pour toute personne assujettie à l'assurance obligatoire d'en être exemptée, donc d'échapper à la double cotisation sur la pension communautaire, si elle apporte la preuve qu'elle est assurée auprès d'une autre caisse. La demande de sortie « doit être adressée à la caisse compétente jusqu'au 31 mars 1983» (article 534 de la RVO).

2.  En application des dispositions précitées, la BEK a, le 2 mars 1983, calculé la cotisation de Mme Sommerlatte sur la base du revenu constitué par sa pension communautaire dont le montant lui avait été communiqué à sa demande. Par conséquent, depuis le 1er janvier 1983, l'intéressée est redevable d'une cotisation supplémentaire d'environ 140 DM par mois.

En effet, Mme Sommerlatte, affirmant n'avoir pris connaissance du Courrier du personnel du 28 mars 1983 relatif au contenu des modifications législatives précitées que début avril, n'aurait pas été en mesure de profiter, dans le délai légal de trois mois, de la faculté d'exemption prévue par le législateur allemand. C'est dans ce contexte que, en application de l'article 90, paragraphe 1, du statut, elle a saisi, le 27 août 1983, la Commission d'une demande tendant à obtenir le versement d'une
compensation financière couvrant l'augmentation de cotisation ainsi intervenue.

A la suite du rejet de cette demande par la Commission et après que celle-ci lui eut communiqué, le 6 octobre 1983, une attestation certifiant son affiliation au régime maladie des Communautés, elle a présenté, le 29 novembre 1983, à la BEK une demande de sortie du régime allemand qui a été rejetée par la caisse pour forclusion.

Par le présent recours, qui conteste le rejet par la Commission de sa réclamation du 24 décembre 1983, la requérante entend donc voir constater la faute de la Commission, qui ne l'aurait pas mise en mesure d'exercer en temps utile la faculté de désaffiliation prévue par la législation allemande, et réparer le préjudice qui en a résulté et qu'elle subit encore.

Avant d'envisager les moyens invoqués par la requérante, il est nécessaire de les replacer dans le cadre des relations nouées par la Commission avec les fonctionnaires se trouvant dans une situation analogue.

3.  Il ressort, en effet, du dossier que, dès juillet 1982, la Commission avait été saisie des problèmes soulevés par la législation allemande à la fois par l'Association des anciens fonctionnaires et par certains pensionnés.

Dans un premier temps, elle a conseillé aux intéressés, par lettre type du 17 novembre 1982, de ne pas déclarer le montant de la pension communautaire aux caisses allemandes qui en faisaient la demande. Dans cette lettre, elle relevait que « les pensions à charge des Communautés européennes sont exonérées d'une imposition nationale, directe ou indirecte, de nature similaire à celle dont la Communauté frappe les mêmes sources de revenus » et se référait, sur ce point, aux dispositions de
l'article 13, alinéa 2, du protocole sur les privilèges et immunités selon lequel les fonctionnaires et autres agents des Communautés

« sont exempts d'impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés ».

A cela, les autorités allemandes, auxquelles la Commission avait demandé de réviser leur position, ont opposé votre décision dans l'arrêt 23/68, Klomp (Rec. 1969, p. 43), selon laquelle, au regard de l'immunité précitée,

« il convient de distinguer entre un impôt destiné à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics et une cotisation affectée au financement d'un système de sécurité sociale, même si la perception d'une telle cotisation se fait dans des formes empruntées à la perception des redevances fiscales »

et, dès lors, que

« rien ne s'oppose, lorsqu'une telle cotisation est déterminée en considération des revenus de l'intéressé, à ce qu'il soit tenu compte, pour fixer son assiette, des traitements et émoluments versés par la Communauté » (points 20 et 21).

Sur ce, les autorités allemandes ont confirmé à la Commission l'obligation, pour les pensionnés communautaires cotisant à l'assurance maladie, de déclarer, sous peine de sanctions, leur pension communautaire ou de solliciter de leur caisse une sortie du régime.

Prenant acte, le 1er mars 1983, de cette prise de position, la Commission s'est donc, dans un deuxième temps, adressée aux pensionnés communautaires qui s'étaient manifestés par une seconde lettre type, datée du 16 mars 1983, par laquelle, rappelant les dispositions précitées de la loi allemande, elle les a invités à se désaffilier du régime allemand ou à déclarer leur pension communautaire. Dans cette perspective, une attestation d'affiliation du pensionné au régime commun d'assurance maladie
était jointe à la lettre.

4.  La requérante reproche, dans ces conditions, à la Commission:

— d'avoir induit en erreur les pensionnés allemands en adoptant successivement deux positions contradictoires;

— d'avoir omis, après avoir changé d'avis, d'en informer la requérante en n'adressant la lettre type du 16 mars 1983 qu'aux pensionnés allemands qui s'étaient initialement manifestés auprès d'elle;

— d'avoir tardé à informer l'ensemble des pensionnés intéressés puisque le Courrier du personnel, daté du 28 mars, mais parvenu après ce terme légal, ne pouvait plus utilement leur permettre de se désaffilier avant le 31 mars;

— de n'avoir pas saisi la Cour, conformément aux dispositions de l'article 169 du traité, d'un recours dirigé contre la République fédérale.

Selon la requérante, la Commission se serait ainsi déliée du devoir d'assistance dont l'article 24 lui impose le respect envers tous ses fonctionnaires, en ne faisant pas la preuve de toute la diligence voulue. Cette faute aurait eu pour effet d'empêcher la requérante de présenter à temps la déclaration de sortie du régime allemand d'assurance maladie. Mme Sommerlatte fait en outre valoir que, malgré la lettre qu'elle lui avait adressée le 4 mars 1983 et dans laquelle elle l'interrogeait sur la
possibilité légale d'être dispensée de l'augmentation de cotisation intervenue le 2 mars précédent, la BEK ne l'aurait pas informée des modifications introduites par cette législation.

En conséquence, la requérante réclame une indemnité à concurrence de 6,05 % de sa pension communautaire.

5.  Pour sa part, la Commission relève, à titre préliminaire, que, conformément à votre jurisprudence 28/83, Forcheri (Rec. 1984, p. 1429), la question de savoir si la République fédérale d'Allemagne a commis un manquement ou si la Commission devait ou non entamer d'emblée la procédure de l'article 169 ne peut être tranchée dans le cadre de la présente instance.

Pour le reste, elle observe:

— que les doutes par elle exprimés sur la légalité de la législation allemande avaient pour objet d'éviter aux pensionnés concernés une désaffiliation immédiate que des négociations avec les autorités allemandes étaient destinées à éviter;

— qu'une fois connue, le 1er mars 1983, la position de ces dernières, elle en a immédiatement avisé ceux des pensionnés qui lui avaient signalé leur cas, ne pouvant savoir, s'agissant des autres, s'ils étaient ou non affiliés à une caisse allemande;

— qu'il appartenait à la requérante, conformément à l'article 23, alinéa 2, du statut, de lui faire connaître la teneur de la décision prise par la BEK le 2 mars 1983, par laquelle celle-ci l'informait en outre probablement d'une possibilité de sortie du régime allemand, ou, à tout le moins, de la saisir dès réception du Courrier du personnel du 28 mars 1983, la caisse allemande n'ayant pas hésité à proroger le délai de désaffiliation d'un autre pensionné;

— qu'au demeurant la requérante avait été informée de la possibilité de se désaffilier par la réponse de la BEK en date du18 mars 1983, faisant suite aux questions par elle posées dans sa lettre du 4 mars 1983, et que son appartenance professionnelle et son niveau universitaire lui permettaient de saisir toute la portée de cette réponse.

La Commission estime, dès lors, qu'elle n'a pas manqué à son devoir d'assistance envers la requérante qui ne l'a pas mise en mesure de l'exercer concrètement et qui aurait eu la possibilité de se protéger elle-même à temps des conséquences de la législation allemande par une déclaration de sortie, comme suite aux informations qui lui avaient été communiquées par la BEK.

6.  Vous n'aurez pas, dans le cadre de la présente instance, à vous prononcer sur la conformité au regard du droit communautaire de la législation allemande, ni, en particulier, à résoudre le problème de savoir si l'affiliation obligatoire d'un fonctionnaire au régime d'assurance maladie des Communautés est exclusive de toute obligation d'affiliation à un régime du même type dans l'État membre dont il est le national. Vous n'auriez, en effet, à le faire que si vous étiez saisis, à cet égard, par la
Commission d'une action en manquement introduite sur le fondement de l'article 169 (Forcheri, précité, point 12).

Par ailleurs, il ne nous semble pas que la position adoptée dans un premier temps par la Commission, conseillant aux retraités allemands de ne pas déclarer le montant de leur pension communautaire, présente un lien de causalité direct avec le préjudice subi par la requérante. A supposer qu'elle ait pu, ce faisant, induire les pensionnés concernés en erreur, il reste que la Commission a modifié sa position le 16 mars 1983 alors que le délai légal de désaffiliation n'expirait que le 31 mars.
Autrement dit, et sans qu'il y ait donc lieu d'apprécier la valeur des motifs exposés par la Commission pour justifier son comportement initial, on doit circonscrire le présent recours en indemnité au reproche adressé à la défenderesse d'avoir manqué à son devoir d'assistance en omettant d'informer à temps la requérante des conséquences des modifications de la législation allemande.

7.  L'argumentation développée par la Commission ne nous paraît pas devoir être accueillie.

L'audience a révélé que celle-ci disposait des moyens — notamment informatiques — pour dresser, sinon dès l'adoption de la loi allemande en cause, en tout cas en novembre 1982, la liste des pensionnés communautaires se trouvant dans une situation analogue à celle de la requérante, qui n'étaient qu'au nombre de huit. Au demeurant, la Commission n'aurait pas dû ignorer l'affiliation de la requérante à la BEK: celle-ci en avait non seulement, dès 1976, fait la déclaration à la caisse de maladie des
Communautés, mais avait aussi communiqué par la suite à cet organisme le décompte de ses remboursements allemands. Enfin, la Commission ne saurait sérieusement contester que la précaution consistant à informer collectivement les intéressés par le Courrier du personnel du 28 mars 1983 ne pouvait permettre à ceux-ci, compte tenu du nécessaire délai de transmission, de procéder en temps utile, soit avant le 31 mars, à la déclaration de sortie du régime allemand. Elle ne peut, à cet égard, se
prévaloir de la prorogation de délai décidée par la BEK, par lettre du 6 avril 1983, pour l'un des pensionnés concernés: il en ressort, en effet, que ce dernier avait, avant l'expiration du délai précité, présenté à titre conservatoire une déclaration de sortie dont la caisse a seulement accepté de différer l'exécution définitive afin de lui laisser un délai supplémentaire de réflexion.

Dès lors, en omettant d'informer la requérante en même temps que tous les pensionnés qui lui avaient signalé leur cas ou par une information collective effectuée en temps utile, la Commission s'est rendue responsable d'une négligence d'autant plus grave que les circonstances par elle suscitées lui imposaient une vigilance toute particulière envers toutes les personnes concernées. En effet, sa décision — bien que n'apparaissant pas en soi nécessairement critiquable — de conseiller aux pensionnés
qui s'étaient manifestés d'attendre l'issue des contacts pris avec les autorités allemandes avant de procéder à leur déclaration de sortie individuelle aurait dû l'inciter, compte tenu du retard ainsi pris au regard du délai impératif fixé par le législateur allemand, à agir, le moment venu et à l'égard de tous les pensionnés recensés ou qui auraient dû l'être, avec toute la diligence requise de la part d'une administration soucieuse de préserver les droits pécuniaires de ses fonctionnaires.

Il y a lieu, par conséquent, de constater que la Commission a manqué au devoir d'assistance dont l'article 24 du statut lui imposait le respect envers un fonctionnaire dont les droits pécuniaires garantis par les Communautés étaient menacés par la double cotisation décidée par les autorités allemandes (voir, notamment, affaire 140/77, Verhaaf, Rec. 1978, p. 2117, point 12). Plus généralement, la Commission a manqué au principe d'une bonne administration qui exige de chaque institution
communautaire une sollicitude particulière envers ses fonctionnaires retraités, coupés, par la cessation de leurs fonctions, de leur cadre professionnel et, par là-même, des contacts réguliers permettant une information adéquate (33 et 75/79, Kuhner, Rec. 1980, p. 1677, point 22, et conclusions de M. l'avocat général Mayras, notamment p. 1708).

Mme Sommerlatte est donc fondée à déclarer que la Commission a commis une omission fautive qui l'a empêchée d'adresser à la BEK, avant le 31 mars 1983, sa déclaration de sortie du régime allemand.

8.  Pour s'exonérer de sa responsabilité, la Commission invoque la propre faute de la requérante qui se serait abstenue de lui signaler sa situation personnelle alors que l'article 23, alinéa 2, du statut exige que:

« Chaque fois que (les) privilèges et immunités sont en cause, le fonctionnaire intéressé doit immédiatement en rendre compte à l'autorité investie du pouvoir de nomination. »

A cet égard, la Commission ne peut cependant invoquer utilement ni la lettre adressée à la BEK le 4 mars 1983 par Mme Sommerlatte, de laquelle on ne peut déduire que celle-ci était alors informée du contenu de la législation allemande, ni celle de la BEK y répondant, dont il n'est pas établi que la requérante ait eu connaissance.

Il n'en reste pas moins que Mme Sommerlatte n'a pas, comme le lui imposait l'article 23, alinéa 2, précité, informé la Commission de la décision prise le 2 mars 1983 par la BEK de calculer la cotisation de maladie sur sa pension communautaire et ne s'est pas inquiétée auprès de cette caisse du retard à répondre à sa lettre du 4 mars, si l'on admet qu'elle n'avait pas eu connaissance de la lettre du 18 mars.

Toutefois, cette double omission ne saurait exonérer totalement la Commission de sa responsabilité. Cette dernière, pour n'être pas exclusive, nous paraît, en effet, avoir concouru principalement à une proportion que nous estimons être des trois quarts, à la réalisation du préjudice subi par Mme Sommerlatte dont il n'est pas contesté qu'il soit né et actuel.

9.  Nous estimons donc qu'il y a lieu:

— de déclarer que la Commission est tenue, à concurrence des trois quarts, d'indemniser la requérante du préjudice matériel par elle subi en raison de l'obligation dans laquelle elle se trouve de continuer à cotiser au régime allemand complémentaire d'assurance maladie;

— de mettre les dépens à la charge de la Commission.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 229/84
Date de la décision : 11/12/1985
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Fonctionnaires - Affiliation aux régimes nationaux d'assurances.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Maria Sommerlatte
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:498

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