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28/11/1985 | CJUE | N°162/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 28 novembre 1985., Androniki Vlachou contre Cour des comptes des Communautés européennes., 28/11/1985, 162/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 28 novembre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.

La procédure sur laquelle nous prenons position aujourd'hui a pour objet la décision de la Cour des comptes des Communautés européennes (la partie défenderesse), du 30 septembre 1983 ( 1 ), refusant d'admettre Mme Androniki Vlachou (la requérante) au concours interinstitutionnel no CC/LA/4/83.

1. A l'issue de ses études universitaires et d'une activité pr

ofessionnelle qu'elle exerça ensuite, entre autres, du mois de janvier 1975 au mois de décembre 1980 aup...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 28 novembre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.

La procédure sur laquelle nous prenons position aujourd'hui a pour objet la décision de la Cour des comptes des Communautés européennes (la partie défenderesse), du 30 septembre 1983 ( 1 ), refusant d'admettre Mme Androniki Vlachou (la requérante) au concours interinstitutionnel no CC/LA/4/83.

1. A l'issue de ses études universitaires et d'une activité professionnelle qu'elle exerça ensuite, entre autres, du mois de janvier 1975 au mois de décembre 1980 auprès d'une maison d'éditions juridiques spécialisées à Athènes, la requérante est entrée au service du Parlement européen en 1981 après avoir passé un concours. Avec effet au 1er mars 1981, elle a été nommée traductrice stagiaire de grade LA 7, échelon 3 ( 2 ).

Sur la base d'un contrat du 8 décembre 1981, la requérante a été engagée par la défenderesse avec effet au 1er décembre 1981, d'abord pour deux ans comme agent temporaire de grade LA 5, échelon 2 (réviseur).

A l'expiration de ce contrat, la requérante a continué d'être employée pendant une année supplémentaire comme traductrice de grade LA 6, échelon 3, en vertu d'un contrat du 25 novembre 1983.

Après avoir passé le concours interne no CC/LA/14/83, la requérante a été nommée fonctionnaire stagiaire avec effet au 1er mars 1984. Compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle, elle a été classée, en application de l'article 3, paragraphe 1, de la décision no 81/5 de la Cour des comptes du 3 décembre 1981 ( 3 ), relative au classement des agents, dans le grade LA 6, échelon 3. Sa titularisation est intervenue le 1er décembre 1984.

2. En vue de pourvoir à l'un des deux emplois de la carrière LA 5/4 qui étaient prévus pour l'équipe grecque du service de traduction, la défenderesse a publié, le 26 avril 1983, un avis de concours interne à l'institution no CC/LA/20/82 (réviseurtraducteur principal) ( 4 ).

Selon le point V.2 de l'avis précité, l'une des conditions d'admission à concourir était une « expérience professionnelle d'une durée minimale de six années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ».

La requérante a participé à ce concours, mais ne fut pas nommée parce qu'elle n'avait été classée qu'à la deuxième place sur la liste d'aptitude établie par le jury. La légalité de ce concours fait l'objet de l'affaire 143/84.

Le 2 juin 1983, la défenderesse a publié l'avis de concours interinstitutionnel no CC/LA/4/83 visant à pourvoir à un emploi de chef d'équipe-réviseur de la carrière LA 5/4 ( 5 ). Le point V.2 de cet avis prévoyait comme condition d'admission à concourir « une expérience professionnelle d'une durée minimale de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ». L'avis comportait — à l'instar de l'avis relatif au concours no CC/LA/20/82 — l'indication selon laquelle l'emploi
serait pourvu, en principe, au grade de base, c'est-à-dire en LA 5.

La nature des fonctions attachées à l'emploi était décrite de la manière suivante :

« — diriger la section de traduction grecque;

— effectuer la révision de traductions ou, le cas échéant, la traduction de textes sans révision;

— contrôler des travaux de terminologie, des travaux de documentation et d'autres travaux spécialisés dans le domaine linguistique;

— participer au perfectionnement professionnel des traducteurs ».

Dans son rapport final du 16 septembre 1983 ( 6 ) adressé à l'autorité investie du pouvoir de nomination, le jury du concours no CC/LA/4/83 a constaté qu'aucun des candidats ne remplissait les conditions d'admission à concourir, et notamment la condition énoncée au point V.2 de l'avis de concours, soit « une expérience professionnelle d'une durée minimale de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ». Le jury ne s'est pas estimé en mesure d'établir une liste
d'aptitude.

Par lettre du 30 septembre 1983 ( 7 ), la défenderesse a informé la requérante du fait que le jury ne l'avait pas admise à concourir parce qu'elle ne remplissait pas l'exigence de l'expérience professionnelle d'une durée de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir.

Le 24 novembre 1983 ( 8 ), la requérante a demandé à la défenderesse, entre autres, de suspendre la procédure du concours no CC/LA/4/83 pour permettre de pourvoir ainsi à l'emploi en question par la voie d'un concours interne. Par une réclamation introduite le 22 décembre 1983 ( 9 ), la requérante a demandé l'annulation de sa non-admission au concours interinstitutionnel no CC/LA/4/83, l'annulation dans son ensemble du concours précité ainsi que l'organisation d'un concours interne à
l'institution en vue de pourvoir à l'emploi en question.

La défenderesse a rejeté la réclamation par décision du 30 mars 1984 ( 10 ) en observant en particulier, à cet égard, que, d'après les dispositions du statut et la jurisprudence impérative de la Cour, il n'appartiendrait pas à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'apprécier les travaux d'un jury, notamment en ce qui concerne les motifs qui l'ont conduit à retenir ou à rejeter une candidature.

La défenderesse a rejeté comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondée la demande tendant à l'annulation du concours interinstitutionnel et à l'organisation d'un concours interne. D'une part, la demande serait tardive et, d'autre part, la défenderesse aurait examiné les différentes possibilités que prévoit l'article 29 du statut pour pourvoir aux vacances d'emploi. Elle ne serait cependant pas obligée de recourir aux possibilités d'une promotion, d'une mutation ou d'un concours interne
si elle acquiert la conviction qu'une procédure de concours interinstitutionnel est de nature à mieux répondre aux exigences du service lorsqu'il est pourvu à l'emploi.

Le présent recours est avant tout dirigé contre les deux décisions de ne pas admettre la requérante au concours no CC/LA/4/83 et de ne pas annuler dans son ensemble la procédure de concours. Dans sa réplique, la requérante n'a cependant plus qualifié que de subsidiaire sa demande tendant à l'annulation de la procédure du concours et elle y a finalement renoncé au cours de la procédure orale.

3. Les conclusions des parties à l'issue de la procédure orale peuvent être résumées comme suit:

a) La requérante conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

— dire que c'est à tort que le jury a jugé que la requérante ne pouvait pas être admise à concourir;

— partant, dire que le jury doit reprendre ses opérations;

— de toute façon, condamner la défenderesse aux dépens de l'instance.

b) La défenderesse conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

— rejeter le recours;

— condamner la requérante à l'ensemble des dépens.

4. Par lettre du 11 mars 1985, la Cour a invité la défenderesse:

a) à lui communiquer les critères d'interprétation des conditions d'admission au concours retenus par le jury et

b) à produire le procès-verbal de la réunion du jury dans laquelle ces critères ont été appliqués.

En réponse à cette lettre de la Cour, la défenderesse a de nouveau produit le procès-verbal de la délibération du jury du 16 septembre 1983 qu'elle avait déjà versé au dossier comme annexe 2 au mémoire en défense.

5. Étant interrogée au cours de la procédure orale sur les critères d'interprétation des conditions d'admission au concours retenus par le jury, la défenderesse a précisé ce qui suit:

« Pour pouvoir être nommé chef d'équipe, un candidat devait avoir été réviseur. Aucun des candidats n'ayant disposé d'une expérience professionnelle de dix ans comme réviseur, toutes les candidatures auraient été rejetées. Ces critères de décision auraient été communiqués à l'un des candidats; il s'en serait satisfait. »

B.

Dans nos développements sur cette affaire, nous exposerons notre propre point de vue aussitôt après avoir rappelé les griefs de la requérante et les moyens de défense de la défenderesse.

1. a) La requérante soutient que sa confiance légitime aurait été trompée par des assurances données par la défenderesse.

Avant son entrée au service de la défenderesse, un membre de la Cour des comptes ainsi que des fonctionnaires responsables lui auraient donné des assurances sur l'avenir de sa carrière. Il lui aurait été indiqué, en particulier, que, pour la défenderesse, la titularisation de la requérante ne serait qu'une simple formalité.

La défenderesse rétorque à cela que, lors du recrutement de la requérante, aucune assurance ne lui aurait été donnée en ce qui concerne sa titularisation. Au demeurant, on ne percevrait pas de quelle manière une prétendue violation du principe de la confiance légitime devrait influencer la présente procédure.

b) La question de savoir si des assurances quelconques ont été données à la requérante lors de son entrée au service de la défenderesse peut rester ouverte. Cette question importe peu puisque le statut des fonctionnaires subordonne le recrutement, notamment dans l'article 29, à une procédure formelle, de sorte que d'éventuelles assurances contraires eussent été illégales et, partant, non contraignantes.

2. a) Par un autre grief, la requérante reproche à la défenderesse le fait que les jurys des concours nos CC/LA/20/82 et CC/LA/4/83 — composés des mêmes personnes — auraient, dans un bref laps de temps, interprété différemment les conditions d'admission au concours formulées en des termes identiques. La condition d'une « expérience professionnelle à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir » aurait été interprétée dans la première procédure citée d'une manière sensiblement moins
rigoureuse que dans la deuxième.

Étant donné que les conditions d'admission revêtiraient un caractère objectif, il serait possible de vérifier si elles ont été remplies.

Le jury ne disposerait d'aucun pouvoir d'appréciation dans la constatation de critères objectifs.

La défenderesse oppose à ces arguments qu'elle n'est pas compétente en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination pour apprécier les travaux d'un jury et, en particulier, les motifs qui ont conduit celui-ci à retenir ou à rejeter une candidature. Il ne lui appartiendrait donc pas de s'écarter de l'interprétation que le jury a donnée des termes « niveau responsable par rapport à l'emploi à pourvoir ».

Sans préjudice de cette considération, le jury serait cependant légitimement arrivé en l'espèce à la conclusion de la non-admissibilité de la candidature. Compte tenu du fait que l'emploi à pourvoir était un emploi de chef d'équipe, la nature même de ce poste aurait exigé que le jury demande au candidat une expérience significative en qualité au moins de réviseur. Il n'aurait donc pas suffi de justifier d'une durée minimale de l'expérience professionnelle requise, mais cette expérience aurait
aussi dû faire apparaître, en totalité ou en partie — selon l'appréciation du jury —, un niveau qualitativement plus élevé.

Il ne serait pas possible d'établir une comparaison avec les conditions d'admission au concours no CC/LA/20/82 puisque ces deux concours visaient à pourvoir à des postes différents. L'objet des deux concours étant différent, les jurys auraient été fondés à apprécier différemment l'expérience professionnelle des candidats.

b) Il y a d'abord lieu de clarifier ici la question de savoir si la condition d'admission précitée constitue un critère objectif susceptible d'un contrôle juridictionnel ou s'il s'agit d'un critère qui requiert l'appréciation du jury. Dans cette dernière hypothèse, les décisions du jury ne pourraient pas être contrôlées quant à leur contenu dans la mesure où le jury disposerait alors d'une marge d'appréciation; dans ce cas, il resterait simplement à clarifier la question de savoir si la procédure
a été correctement appliquée.

L'avis de concours exige une « expérience professionnelle d'une durée minimale de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ». Il s'agissait, ainsi que cela ressort de l'avis de concours, d'un emploi de chef d'équipe ou de réviseur.

L'avis ne contient cependant aucune indication sur ce qu'il convient d'entendre par expérience professionnelle « à un niveau responsable ». Les conditions d'admission ne sont donc pas présentées d'une manière telle que leur réunion puisse être constatée au moyen d'une simple vérification de critères objectifs.

Il était donc nécessaire que le jury fixât, dès avant l'admission des candidats au concours, les principes régissant l'admission des candidats pour pouvoir décider de l'admission sur la base de ces critères. Cette obligation découle tant de la formulation, qu'il est nécessaire de compléter, de l'avis de concours que de l'article 5 de l'annexe III au statut. Selon l'article 5, paragraphe 1, de l'annexe III au statut, le jury doit d'abord seulement prendre connaissance des dossiers des candidats et
déterminer la liste de ceux qui répondent aux conditions fixées par l'avis de concours. Mais si les conditions de l'avis de concours ne sont pas directement applicables en tant que telles et exigent déjà, de la part du jury, une interprétation sur le plan de la valeur, celui-ci doit déterminer, avant d'examiner l'admissibilité, les critères relatifs à l'interprétation des conditions d'admission. En effet, si le jury ne fixait pas ces critères, il ne serait pas en mesure, par la suite, d'établir
correctement la liste d'aptitude prévue à l'article 5, paragraphe 6, de l'annexe III au statut, qui doit comporter un rapport motivé du jury.

Dans ce contexte, il y a lieu, à notre avis, d'appliquer par analogie la disposition de l'article 5, paragraphe 3, de l'annexe III lorsqu'un critère d'admission qu'il est nécessaire de compléter exige de la part du jury un jugement de valeur.

Le rapport final du jury du concours précité du 16 septembre 1983 ( 11 ) n'indique cependant nullement que le jury a établi les critères précités pour l'interprétation des conditions d'admission. Il se borne à constater qu'aucun des candidats ne remplissait les conditions d'admission, et notamment la condition reprise au point V.2 de l'avis de concours, soit une « expérience professionnelle d'une durée minimale de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ».

Eu égard à ce rapport, le jury n'a donc pas établi les critères précités.

La défenderesse a, certes, fait observer d'une manière générale qu'elle avait exigé pour toutes les autres sections linguistiques dans lesquelles il devait être pourvu au poste de chef d'équipe, une longue expérience professionnelle (dix années) en rapport avec l'emploi à pourvoir; elle aurait entendu par là une expérience professionnelle qui a été acquise au moins en partie dans le cadre des fonctions de réviseur.

En réponse à une question écrite de la Cour sur l'établissement des critères précités, la défenderesse s'est bornée à produire de nouveau le rapport final du jury. Au cours de la procédure orale, elle a, ensuite, exposé qu'elle avait exclu de la suite de la procédure tous les candidats qui ne pouvaient pas justifier d'une expérience professionnelle de dix années en qualité de réviseur.

Cette démarche suivie par le jury n'est pas conforme aux dispositions de l'annexe III au statut. Étant donné que, à notre avis, l'article 5, paragraphe 3, de l'annexe III doit être appliqué par analogie dans le cas de conditions d'admission qu'il est nécessaire de compléter, c'est-à-dire qu'il y a lieu, comme dans le cas de l'appréciation de titres, d'établir des critères aux fins de cette appréciation, nous pouvons renvoyer à l'arrêt rendu par la Cour, le 14 décembre 1965, dans l'affaire 21/65 (
12 ), dans lequel la Cour a dit pour droit:

« que, notamment, le jury n'ayant pas énoncé les critères sur la base desquels il a apprécié lesdits titres, il manque à son rapport un élément essentiel à l'appui des propositions qui y sont contenues;

que, de ce fait, le jury a violé les dispositions de l'alinéa 6 de l'article 5 de l'annexe III du statut ».

Ces considérations de la Cour peuvent être entièrement reprises également dans la présente procédure. Cela vaut pareillement pour l'attendu suivant que la Cour a énoncé dans son arrêt du 14 décembre 1965:

« Attendu que les formalités prévues par ces dispositions doivent être considérées comme substantielles;

que, en effet, la fixation préalable de critères d'appréciation tend à assurer que l'examen des titres soit effectué d'une manière objective et dépourvue d'arbitraire;

que, d'autre part, l'exigence d'un rapport ‘motivé’ doit permettre à l'autorité investie du pouvoir de nomination de faire un usage judicieux de sa liberté de choix, ce qui suppose qu'elle soit informée tant sur les critères généraux retenus par le jury que sur l'application que celui-ci en a faite aux candidats portés sur la liste d'aptitude;

que, les formalités susvisées étant prévues également dans l'intérêt des candidats, leur violation constitue, à l'égard des concurrents évincés, un grief au sens de l'article 91 du statut des fonctionnaires. »

Il ressort clairement tant du rapport final du jury que des déclarations faites par la défenderesse au cours de la procédure orale que les critères précités n'avaient pas été fixés par le jury. En conséquence, il y a lieu d'annuler comme viciée la décision de la défenderesse de ne pas admettre la requérante au concours no CC/LA/4/83.

Cette conclusion ne serait pas non plus modifiée si le jury avait effectivement défini la condition d'admission précitée en ce sens qu'une expérience professionnelle de dix années en qualité de réviseur était exigée, puisque ce critère n'est pas mentionné dans son rapport.

Au demeurant, on peut à tout le moins douter que si ce critère avait été énoncé, il aurait dû être considéré comme approprié. De fait, la défenderesse a elle-même exposé que, dans d'autres concours visant à pourvoir à des emplois comparables dans d'autres sections linguistiques, on avait exigé une expérience professionnelle d'au moins dix années qui ne devait avoir été acquise qu'en partie en qualité de réviseur. Il était a fortiori indispensable de fixer les critères sur la base desquels
l'expérience professionnelle a été appréciée. Si le jury entendait désormais s'écarter de la pratique antérieure, il aurait dû, à tout le moins, s'en expliquer.

3. Il n'y a pas lieu d'examiner davantage dans la présente procédure le grief selon lequel la défenderesse aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la durée de l'expérience professionnelle de la requérante, parce que les critères d'appréciation de l'expérience professionnelle n'existent pas ou n'ont pas été régulièrement fixés.

4. Il n'est pas nécessaire non plus de se pencher davantage sur le grief de la requérante selon lequel la défenderesse aurait commis un détournement de pouvoir, parce qu'il y aurait lieu de supposer qu'elle n'entendait pas du tout voir aboutir le concours en question à un résultat positif, puisque la décision de la défenderesse faisant grief à la requérante doit, en tout état de cause, être annulée.

5. Outre sa demande d'annulation, la requérante a également conclu à ce que la défenderesse soit condamnée dans le sens d'une reprise des opérations du jury.

Cette demande ne saurait être accueillie parce que, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 179 du traité CEE, la Cour peut seulement annuler un acte faisant grief à la requérante et non pas adresser des injonctions quant aux conséquences que la défenderesse doit tirer de l'arrêt ( 13 ). Au demeurant, l'institution dont émane l'acte annulé est, en tout état de cause, tenue, en vertu du principe général énoncé à l'article 176 du traité CEE, de prendre les mesures que comporte
l'exécution de l'arrêt de la Cour.

Nous considérons donc cette demande comme sans objet.

6. a) Enfin, il convient encore d'examiner brièvement l'argument de la défenderesse selon lequel elle n'aurait pas été compétente, d'après la jurisprudence de la Cour, pour annuler ou modifier la décision du jury. Un jury serait souverain et indépendant, de sorte que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'aurait ni la compétence ni la vocation à contrôler la légalité de la procédure mise en oeuvre par le jury.

b) Par sa généralité, l'argument de la défenderesse n'est pas pertinent.

Nous concédons, certes, que le jury est indépendant en ce qui concerne l'appréciation objective des titres et épreuves. Il dispose à cet égard d'une marge d'appréciation. Cela résulte du sens de la procédure de concours et de la jurisprudence de la Cour, par exemple des arrêts rendus le 9 octobre 1974 dans les affaires jointes 112, 144 et 145/73 ( 14 ), le 9 février 1984 dans les affaires jointes 316/82 et 40/83 ( 15 ) et le 16 mars 1978 dans l'affaire 7/77 ( 16 ).

Or, cette indépendance du jury porte uniquement sur l`appréciation objective de titres et d'épreuves tels qu'ils ont fait l'objet des arrêts précités: contrôle de l'aptitude (arrêt du 9 octobre 1974), appréciation de la compétence professionnelle (arrêt du 9 février 1984), contrôle de l'expérience pertinente (arrêt du 16 mars 1978).

Mais cette indépendance ne dispense pas le jury du respect de dispositions légales. C'est ce que l'avocat général Gand a souligné dans les termes pertinents suivants dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire 23/64: ( 17 )

« Il est certain que la liberté du jury trouve sa limite dans l'obligation qui s'impose à lui de respecter les dispositions légales régissant le concours: textes généraux, règlement du concours sous tous ses aspects, qui peut fixer, par exemple, de façon précise la nature des épreuves, les coefficients attribués à chacune de celles-ci. En revanche, sa souveraineté est entière lorsque, à l'intérieur des limites ci-dessus indiquées, il apprécie la valeur respective des divers candidats et leur
attribue une note ou un classement. »

Cette distinction entre, d'une part, la soumission au droit et, d'autre part, la compétence d'appréciation, revêt de l'importance pour la détermination des compétences dont l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose à l'égard d'un jury. Dans son arrêt précité rendu le 16 mars 1978 dans l'affaire 7/77, la Cour a, certes, relevé que la procédure de réclamation n'avait pas de sens dans le cas d'un grief contre les décisions d'un jury de concours, l'autorité investie du pouvoir de
nomination manquant de moyens pour réformer ces décisions. Mais cette constatation n'est applicable que dans le cas où le jury porte régulièrement des appréciations dans le cadre des tâches qui lui sont confiées. Elle ne peut cependant plus valoir lorsque le jury passe outre à des dispositions légales puisqu'il n'est pas habilité à le faire en dépit de son indépendance objective.

L'autorité investie du pouvoir de nomination a donc non seulement la compétence, mais également l'obligation de veiller à la légalité des travaux des jurys et d'annuler, le cas échéant, les décisions illégales d'un jury tant qu'elle respecte son indépendance objective en ce qui concerne l'appréciation des titres et des épreuves.

Cela répond également aux exigences d'une protection juridique utile et effective. Il n'est pas juste de renvoyer un fonctionnaire lésé dans le cas d'un comportement manifestement illégal d'un jury à la voie de recours sensiblement plus longue devant la Cour, alors que l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose déjà de la possiblité de donner suite à la réclamation de l'intéressé dans le cadre de la procédure administrative de l'article 90 du statut des fonctionnaires.

La défenderesse ne l'a cependant pas fait en l'espèce.

7. Par conséquent, étant donné qu'il y a lieu d'accueillir la demande principale du recours et que seule doit être rejetée la demande tendant à constater les obligations juridiques concrètes que l'arrêt impose en tout état de cause à la défenderesse, il nous paraît opportun de condamner la défenderesse à l'ensemble des dépens en application de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

Cela ne se heurte pas au fait que la requérante ait, dans un premier temps, également conclu à l'annulation du concours dans son ensemble. Étant donné qu'une interprétation littérale du recours aurait placé cette demande en contradiction avec les autres demandes, il était évident qu'elle était formulée à titre subsidiaire ou alternatif. La requérante l'a précisé dans sa réplique avant de renoncer finalement à cette demande au cours de la procédure orale. Il n'y a donc pas lieu de mettre une
partie des frais à la charge de la requérante en application de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure.

C.

En conséquence, nous proposons à la Cour de dire pour droit et de statuer comme suit:

1) La décision de la défenderesse notifiée à la requérante le 30 septembre 1983 et refusant de l'admettre au concours no CC/LA/4/83 est annulée.

2) Le recours est rejeté au surplus.

3) La défenderesse est condamnée aux dépens.

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( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) Annexe 1 à la requête.

( 2 ) Décision du secrétaire général du Parlement européen du 29 juillet 1981, annexe 3, sous c), à la duplique.

( 3 ) Annexe 2 à la duplique.

( 4 ) Annexe 1 à la duplique.

( 5 ) Annexe 1 à la requête.

( 6 ) Annexe 2 au mémoire en défense.

( 7 ) Annexe 2 à la requête.

( 8 ) Annexe 3 à la requête.

( 9 ) Annexe 4 à la requête.

( 10 ) Annexe 5 à la requête.

( 11 ) Annexe 2 au mémoire en défense.

( 12 ) Arrêt rendu le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65, Domenico Morina/Parlement européen, Rec. 1965, p. 1279; cet arrêt, qui concernait encore le statut des fonctionnaires de la CEE et de la CEEA [règlement no 31 (CEE), 11 (CEEA), JO 1962, p. 1385], peut être appliqué au statut des fonctionnaires des Communautés européennes puisque les termes des annexes III respectives sont identiques.

( 13 ) Arrêt rendu le 28 octobre 1980 dans l'affaire 2/80, Hubert Dautzenberg/Cour de justice des Communautés européennes, Rec. 1980, p. 3107, ainsi que les conclusions de l'avocat général Warner, loc. cit., en particulier p. 3123; arrêt rendu le 15 décembre 1966 dans l'affaire 62/65, Manlio Serio/Commission de la CEEA, Rec. 1966, p. 813.

( 14 ) Arrêt rendu le 9 octobre 1974 dans les affaires jointes 112, 144 et 145/73, Anna Maria Campogrande et autres/Commission des Communautés européennes, Rec. 1974, p. 957.

( 15 ) Arrêt rendu le 9 février 1984 dans les affaires jointes 316/82 et 40/83, Nelly Kohler/Cour des comptes des Communautés européennes, Rec. 1984, p. 641.

( 16 ) Arrêt rendu le 16 mars 1978 dans l'affaire 7/77, Bernhard Diether Ritter von WUllerstorff und Urbair/Commission des Communautés européennes, Rec. 1978, p. 769.

( 17 ) Affaire 23/64, Thérèse Vandevyvere/Parlement européen, Rec. 1965, p. 205.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 162/84
Date de la décision : 28/11/1985
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Non-admission à un concours général.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Androniki Vlachou
Défendeurs : Cour des comptes des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:476

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