La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/1985 | CJUE | N°143/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 28 novembre 1985., Androniki Vlachou contre Cour des comptes des Communautés européennes., 28/11/1985, 143/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 28 novembre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.

La procédure sur laquelle nous prenons position aujourd'hui a pour objet la décision de la Cour des comptes des Communautés européennes (la défenderesse) du 25 novembre 1983 ( 1 ) nommant le traducteur K. (l'intervenant K.), traducteur principal de grade LA 5, ainsi que la légalité du concours qui a abouti à cette nomination. Cette décision et le concours qui l'a précédée sont attaqu

és par Mme Androniki Vlachou (la requérante), qui avait également participé au concours no CC/LA/20/82...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 28 novembre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.

La procédure sur laquelle nous prenons position aujourd'hui a pour objet la décision de la Cour des comptes des Communautés européennes (la défenderesse) du 25 novembre 1983 ( 1 ) nommant le traducteur K. (l'intervenant K.), traducteur principal de grade LA 5, ainsi que la légalité du concours qui a abouti à cette nomination. Cette décision et le concours qui l'a précédée sont attaqués par Mme Androniki Vlachou (la requérante), qui avait également participé au concours no CC/LA/20/82, mais avec un
succès moindre.

1. A l'issue de ses études universitaires et d'une activité professionnelle qu'elle exerça ensuite à l'extérieur des Communautés, la requérante est entrée au service du Parlement européen en 1981 après avoir passé un concours. Avec effet au 1er mars 1981, elle a été nommée traductrice stagiaire au grade LA 7, échelon 3.

Sur la base d'un contrat du 8 décembre 1981, la requérante a été engagée par la défenderesse avec effet au 1er décembre 1981, d'abord pour deux ans comme agent temporaire de grade LA 5, échelon 2 (réviseur) ( 2 ). A l'expiration de ce contrat, la requérante a continué d'être employée pendant une année supplémentaire comme traductrice de grade LA 6, échelon 3, en vertu d'un contrat du 25 novembre 1983.

Après avoir passé le concours interne no CC/LA/14/83, la requérante a été nommée fonctionnaire stagiaire avec effet au 1er mars 1984. Compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle, elle a été classée, en application de l'article 3, paragraphe 1, de la décision 81/5 de la Cour des comptes, du 3 décembre 1981, relative au classement des agents, dans le grade LA 6, échelon 3. Sa titularisation est intervenue le 1er décembre 1984.

2. En vue de pourvoir à l'un des deux emplois de la carrière LA 5/4 qui étaient prévus pour l'équipe grecque du service de traduction, la défenderesse a publié, le 26 avril 1983, un avis de concours interne à l'institution no CC/LA/20/82 (réviseur-traducteur principal) ( 3 ) Cette procédure était organisée comme un « concours sur titres et épreuves ».

Cet avis indiquait — comme l'avis de concours no CC/LA/4/83 — que la nomination se ferait en principe au grade de base de la carrière, c'est-à-dire au grade LA 5.

Selon le point V.2 de l'avis précité, l'une des conditions d'admission au concours était une « expérience professionnelle d'une durée minimale de six années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ».

La nature des fonctions attachées à l'emploi était décrite de la manière suivante :

« — effectuer la révision de traductions ou, le cas échéant, la traduction de textes sans révision;

— contrôler des travaux de terminologie, des travaux de documentation ou d'autres travaux spécialisés dans le domaine linguistique;

— participer au perfectionnement professionnel des traducteurs ».

La requérante a participé à ce concours, mais ne fut pas nommée parce qu'elle n'était classée qu'en deuxième rang sur la liste d'aptitude établie par le jury.

Le 2 juin 1983, la défenderesse a publié l'avis de concours interinstitutionnel no CC/LA/4/83 visant à pourvoir à un emploi de chef d'équipe/réviseur de la carrière LA 5/4 ( 4 ). Sous le point V.2, cet avis mentionnait comme condition d'admission une « expérience professionnelle d'une durée minimale de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ». La nature des fonctions attachées à l'emploi était décrite de la manière suivante:

«... diriger la section de traduction grecque;

... »

(Ce point est suivi des mêmes indications que celles qui figuraient également dans l'avis de concours no CC/LA/20/82.)

Après que le jury du concours no CC/LA/4/83 avait constaté dans son rapport final qu'aucun des candidats ne remplissait les conditions d'admission à concourir, et notamment la condition reprise au point V.2 de l'avis de concours, à savoir « une expérience professionnelle d'une durée minimale de dix années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir », la défenderesse a informé la requérante par lettre du 30 septembre 1983 que le jury ne l'avait pas admise au concours. Cette
décision fait l'objet du litige dans l'affaire 162/84.

3. Le jury du concours no CC/LA/20/82 s'est réuni pour la première fois le 29 juin 1983. Il était composé du chef du service de traduction de la défenderesse, d'un chef de division de nationalité grecque ainsi que d'un traducteur principal de l'équipe de traduction danoise de la défenderesse (l'intervenant D.) en tant que troisième membre du jury désigné par le comité du personnel. Au cours de la réunion du 29 juin 1983, le jury décida d'admettre au concours l'intervenant K. ainsi que la requérante.

En outre, il décida en principe sur la base de quels critères les diplômes universitaires et l'expérience professionnelle des candidats devraient être appréciés, puis il procéda concrètement à leur examen. Il fixa en même temps la date des épreuves et décida de faire appel comme assesseur lors de la correction des épreuves écrites au chef du service spécialisé de traduction grecque du service de traduction à moyen et à long terme de la Commission installé à Luxembourg.

Après le passage et la correction des épreuves, le jury établit son rapport final pour l'autorité investie du pouvoir de nomination ainsi que la liste d'aptitude sur laquelle l'intervenant K. figurait au premier rang avec 104 points, la requérante étant classée en deuxième position avec 96 points. Le jury avait en particulier attribué les cotes suivantes pour les titres, les épreuves écrites et orales :

— l'intervenant K.: 56, 33, 15 = 104 points,

— la requérante: 54, 26, 16 = 96 points.

La requérante avait ainsi atteint précisément le nombre de points minimal (60 % des 160 points susceptibles d'être obtenus) qui, selon le point VII de l'avis de concours, permettait l'inscription sur la liste d'aptitude.

Sous les signatures du rapport final figure encore une annotation manuscrite de l'intervenant D., dans laquelle celui-ci exprime le point de vue que les notations attribuées par le jury reflètent la hiérarchie de la valeur respective des candidats.

Le 20 juillet 1983, la défenderesse a publié la liste d'aptitude qui avait été établie à l'issue du concours no CC/LA/20/82.

Le 17 novembre 1983, la requérante a saisi la défenderesse d'une demande et informé celle-ci du fait qu'elle considérait que le concours no CC/LA/20/82 était entaché d'irrégularités et que le résultat du concours et la liste d'aptitude n'étaient pas valides.

La requérante a demandé à la défenderesse d'inviter le jury à communiquer les critères appliqués pour attribuer les points de la cotation et à examiner la possibilité de revenir sur le classement des lauréats en tenant notamment compte de son expérience professionnelle complémentaire de deux années et demie.

Par décision du 25 novembre 1983 ( 5 ) et sur la base de la liste d'aptitude établie par le jury à la suite du concours no CC/LA/20/82, la défenderesse a nommé l'intervenant K. traducteur principal de grade LA 5, échelon 1, avec effet au 1er décembre 1983.

Le 17 février 1984, la requérante a introduit une réclamation ( 6 ) contre la décision de la défenderesse nommant l'intervenant K. traducteur principal. A son avis, celui-ci ne disposait pas de l'expérience professionnelle requise pour être admis à concourir. Au reste, le jury aurait violé le principe d'égalité de traitement parce qu'il n'avait pas attribué à la requérante un nombre de points correspondant à son expérience professionnelle ni dûment tenu compte de son diplôme universitaire. Elle
attire enfin l'attention sur le fait que le membre du jury désigné par le comité du personnel (l'intervenant D.) aurait dû se récuser dans cette procédure en application de l'article 14 du statut des fonctionnaires parce qu'il aurait entretenu, à l'époque du déroulement du concours, des « relations extraordinairement intimes » avec son concurrent (l'intervenant K.).

En conséquence, la requérante demandait à la défenderesse d'annuler les décisions du jury d'admettre l'intervenant K. à concourir et de l'inscrire sur la liste d'aptitude; à titre subsidiaire, de réformer la décision du jury et d'inscrire la requérante en tête de la liste d'aptitude; d'annuler en tout cas la nomination de l'intervenant K. à l'emploi de traducteur principal.

La défenderesse a rejeté cette réclamation par décision du 9 mars 1984 ( 7 ). Cette décision est fondée en substance sur les dispositions régissant la procédure de concours qui ne permettent pas à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'intervenir dans l'organisation et le déroulement des travaux d'un jury dont l'appréciation serait souveraine. D'après la jurisprudence de la Cour, il ne serait d'ailleurs pas permis à l'autorité investie du pouvoir de nomination de s'écarter sans raison
valable de l'ordre de la liste d'aptitude établie par le jury.

4. Les conclusions des parties

La requérante conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

— annuler la décision du jury du concours interne no CC/LA/20/82 autorisant M. K. à participer audit concours et, partant, annuler la décision de ce même jury en vertu de laquelle M. K. a été inscrit sur la liste d'aptitude;

— annuler la nomination de M. K. à l'emploi de traducteur principal auprès du secteur visé par la décision de nomination en date du 25 novembre 1983;

— condamner la partie défenderesse à l'ensemble des dépens.

La défenderesse conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

— rejeter le recours comme irrecevable et non fondé;

— condamner la requérante à l'ensemble des dépens.

5. Par ordonnances du 14 novembre 1984, la Cour a admis le candidat K. ainsi que le membre du jury D. à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse, l'intervention de M. D. n'étant cependant admise que dans la mesure où ses conclusions impliquent le rejet du moyen que la requérante a tiré d'une violation alléguée de l'article 14 du statut des fonctionnaires par M. D.

6. a) Au cours de la procédure orale, la défenderesse a décrit les travaux du jury du concours no CC/LA/20/82. A partir de ces explications et compte tenu des deux procès-verbaux du jury, ses travaux peuvent être reconstitués comme suit.

Au cours de sa réunion constitutive du 29 juin 1983, le jury a d'abord décidé que l'intervenant K. ainsi que la requérante remplissaient les conditions d'admission au concours.

Eu égard à l'expérience professionnelle des candidats, le jury a constaté qu'ils disposaient tous les deux d'une expérience de plus de six années. Puis il a retenu qu'aucun des candidats ne pouvait justifier d'une expérience professionnelle de six années en qualité de réviseur. Cette constatation a conduit le jury à ne pas insister sur une « expérience professionnelle d'une durée minimale de six années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir » et à ne plus exiger qu'une
expérience professionnelle comme traducteur, c'est-à-dire à un niveau responsable moindre.

b) Le jury a ensuite fixé les critères sur la base desquels les diplômes universitaires et l'expérience professionnelle devaient être cotés. A cet égard, il a décidé d'attribuer jusqu'à 40 points pour le diplôme universitaire et 10 autres points pour des connaissances universitaires supplémentaires.

L'expérience professionnelle devait être cotée de la manière suivante:

— 36 points, dont 6 points par année de service (ou 0,5 point par mois de service), pour l'expérience professionnelle acquise à l'intérieur de la Cour des comptes ou des Communautés européennes, ainsi que

— 14 points, dont 2,3 points par année ou 0,2 point par mois, pour l'expérience acquise à l'extérieur des Communautés.

Pour justifier le fait que l'on ait attribué à l'expérience acquise à l'intérieur des Communautés une cotation deux fois et demie plus importante que celle qui a été attribuée pour l'expérience acquise à l'extérieur des Communautés, la défenderesse a fourni les précisions suivantes.

Le jury aurait disposé de documents provenant de Grèce sur l'expérience professionnelle antérieure des candidats. En l'espèce, ces documents auraient cependant été d'une nature hautement douteuse, surtout dans le cas de l'un des candidats. Il aurait déposé une déclaration très vague selon laquelle la candidate possédait une expérience professionnelle acquise en Grèce. Le jury n'aurait pas été convaincu de la réalité de cette expérience professionnelle. N'ayant pas voulu ou pu refuser ces
preuves, le jury les aurait acceptées tout en décidant d'attribuer à l'expérience professionnelle acquise à l'intérieur des Communautés une importance sensiblement supérieure à celle qu'il reconnaissait à l'expérience acquise à l'extérieur des Communautés.

c) Le jury a ensuite coté les titres des candidats.

Le diplôme produit par l'intervenant K. et établi par l'université de Thessaloniki indiquait la note « très bien » ainsi qu'une note chiffrée, à savoir 7 2/16 (sur dix). Le jury lui a attribué à cet égard 29 points, bien qu'une cote de seulement 28,5 points eût été appropriée en application des critères généraux préalablement établis.

Le diplôme produit par la requérante et établi par l'université d'Athènes comporte seulement la mention « bien », mais pas de notation chiffrée. Estimant que la note « bien » correspondait aux chiffres 5 et 6, le jury a retenu la valeur moyenne et attribué à la requérante 22 points. Il est cependant apparu au regard des documents soumis ultérieurement à la défenderesse que la note de la requérante correspondait à la valeur 6,04 (sur 10). La défenderesse a désormais reconnu que 24 points
auraient dû être attribués à la requérante.

En ce qui concerne l'expérience professionnelle acquise à l'intérieur de la Communauté, le jury a attribué à l'intervenant K. 16 points pour 31 mois de service. Sur la base des critères généraux qu'elle avait établis, une expérience de 31 mois n'aurait cependant pu être cotée qu'avec 15,5 points.

Pour son expérience professionnelle de 28 mois à l'intérieur des Communautés, la requérante a obtenu 14 points ainsi qu'une bonification de 5 points pour son activité en qualité de réviseur à la Cour des comptes, soit 19 points.

La bonification de 5 points pour l'expérience professionnelle acquise en qualité de réviseur ne trouve aucun fondement dans les critères généraux de cotation fixés par le jury.

Pour l'expérience acquise à l'extérieur des Communautés, l'intervenant K. s'est vu attribuer 11 points pour 62 mois. Une application des critères généraux se serait traduite par 12 points.

La requérante a obtenu 13 points pour son expérience de neuf ans et six mois; si le jury avait appliqué les critères qu'il avait lui-même arrêtés, la. requérante aurait dû théoriquement obtenir ici 22 points mais comme les critères généraux prévoyaient en l'occurrence un maximum de 14 points, la cotation maximale de 14 aurait dû au moins être attribuée.

Pour expliquer ce « calcul », la défenderesse a exposé que l'attribution de 13 points au lieu de 14 constituait une erreur de calcul. En compensation, on aurait cependant également réduit le nombre de points attribué à l'intervenant K.

d) Au reste, le jury a décidé de la suite de la procédure de concours, et notamment de la désignation d'un assesseur, de l'organisation des épreuves et de leur cotation.

e) A l'issue des épreuves, le jury a ensuite établi le 15 juillet 1983 son rapport final avec les cotations détaillées ainsi que la liste d'aptitude qu'il a transmis à l'autorité investie du pouvoir de nomination.

B.

Dans les développements que nous consacrerons à cette affaire, nous exposerons notre propre point de vue aussitôt après avoir rappelé les griefs de la requérante, les moyens de défense de la défenderesse et les observations de l'intervenant D. Les observations de l'intervenant K. n'appellent pas d'examen particulier étant donné que leur contenu correspond aux moyens de défense de la défenderesse.

1. Sur la recevabilité du recours

a) La défenderesse excipe de la tardiveté du recours à tout le moins en ce qui concerne les conclusions dirigées contre les décisions du jury. La liste d'aptitude aurait été publiée le 20 juillet 1983. C'est pourquoi la réclamation introduite le 17 février 1984, soit sept mois après la publication de la décision attaquée, serait déjà irrecevable, de même, par conséquent, que le présent recours.

La requérante rétorque que les décisions du jury et la liste d'aptitude constitueraient, au regard de la nomination de l'intervenant K., des actes préparatoires. Ces actes préparatoires ne seraient pas susceptibles de recours en tant que tels, mais il serait nécessaire et suffisant d'attaquer l'acte final et définitif affectant la position juridique de la requérante, c'est-à-dire la nomination de l'intervenant K.

b) A notre avis, il importe peu de savoir si les conclusions tendant à l'annulation de certaines décisions du jury constituent des conclusions autonomes du recours. La requérante n'aurait certainement aucun intérêt à attaquer les décisions précitées sans contester la nomination de l'intervenant K. par l'autorité investie du pouvoir de nomination.

Il résulte d'ailleurs de la jurisprudence de la Cour que les décisions des jurys ne sont pas, en règle générale, susceptibles de recours en tant que telles; le recours doit, au contraire, être dirigé contre la décision définitive de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Dès son arrêt rendu le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65 ( 8 ), la Cour a en effet affirmé :

« Attendu qu'en principe les actes du jury ne sont pas susceptibles de recours en tant que tels, le jury n'étant pas une autorité investie du pouvoir de prendre des décisions liant des fonctionnaires;

qu'ils ne sont que des actes préparatoires, de sorte que leur illégalité ne saurait être invoquée qu'à l'occasion d'un recours contre la décision qu'ils ont préparée;

que, d'ailleurs, le requérant lui-même a compris son recours en ce sens, puisqu'il expose que l'objet de celui-ci est constitué ‘plus particulièrement’ par la nomination de M. P.;

que, dès lors, le recours contre cette nomination est recevable et que les conclusions visant l'annulation du classement ne doivent être retenues qu'en tant que moyen dirigé contre la décision de nomination. »

Les décisions du jury, allant de l'admission au concours jusqu'à l'établissement de la liste d'aptitude, sont donc, en principe, des actes préparatoires. Cette conclusion ne se heurte pas non plus à l'arrêt rendu le 9 février 1982 dans les affaires jointes 316/82 et 40/83 ( 9 ), selon lequel l'autorité investie du pouvoir de nomination est, dans une large mesure, liée aux résultats du concours et doit, en règle générale, nommer le lauréat. Comme la Cour l'a exposé, l'autorité investie du pouvoir
de nomination peut certes s'écarter pour de sérieuses raisons de l'ordre de la liste d'aptitude, mais elle doit justifier d'une manière claire et complète une telle décision.

Si l'établissement de la liste d'aptitude traduit ainsi assurément une certaine décision préliminaire, la décision effective relève néanmoins de l'autorité investie du pouvoir de nomination, qui statue en définitive sur la nomination.

L'exception d'irrecevabilité n'est donc pas pertinente.

2. a) La requérante soutient tout d'abord que son concurrent, l'intervenant K., ne

remplissait pas les conditions d'admission énoncées dans l'avis de concours. Il n'aurait donc pas pu être admis au concours puisqu'il ne disposait pas de l'expérience professionnelle requise, à savoir une « expérience professionnelle d'une durée minimale de six années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir », en l'occurrence l'emploi d'un réviseur-traducteur principal. Au demeurant, il y aurait lieu de signaler qu'un jury composé des mêmes personnes aurait, par la suite —
dans le cadre du concours no CC/LA/4/83, dont l'avis aurait contenu la même condition d'expérience professionnelle, libellée en termes identiques, sauf pour le nombre d'années, pour un poste de chef d'équipe —, interprété les conditions d'admission en ce sens qu'un minimum d'expérience en tant que réviseur ou chef d'équipe, ou les deux ensemble, était requis.

La défenderesse invoque le fait que, d'après la jurisprudence de la Cour de justice, l'autorité investie du pouvoir de nomination n'a pas le pouvoir d'apprécier le résultat des délibérations d'un jury ni les éléments sur lesquels celui-ci a fondé son appréciation. Elle ne serait donc pas compétente pour apprécier, en l'espèce, le bien-fondé de la décision du jury admettant l'intervenant K. à concourir. Au demeurant, il y aurait lieu de douter de l'intérêt juridique de la requérante à contester
la décision d'admission du jury dans la mesure où elle aurait été admise au concours en vertu de la même interprétation des conditions d'admission qu'elle conteste.

b) Il y a d'abord lieu de clarifier ici la question de savoir si la condition d'admission précitée constitue un critère objectif susceptible d'un contrôle juridictionnel ou s'il s'agit d'un critère qui requiert l'appréciation du jury. Dans cette dernière hypothèse, les décisions du jury ne pourraient pas être contrôlées quant à leur contenu dans la mesure où le jury disposerait alors d'une marge d'appréciation; dans ce cas, il resterait simplement à clarifier la question de savoir si la procédure
a été correctement appliquée.

L'avis de concours exige une « expérience professionnelle d'une durée minimale de six années à un niveau responsable en rapport avec l'emploi à pourvoir ». Il s'agissait, ainsi que cela ressort de l'avis de concours, d'un emploi de réviseur-traducteur principal.

L'avis ne contient cependant aucune indication sur ce qu'il convient d'entendre par expérience professionnelle « à un niveau responsable ». Les conditions d'admission ne sont donc pas présentées d'une manière telle que leur réunion puisse être constatée au moyen d'une simple vérification de critères objectifs.

Il était donc nécessaire que le jury fixât, dès avant l'admission des candidats au concours, les principes régissant l'admission des candidats pour pouvoir décider de l'admission sur la base de ces critères. Cette obligation découle tant de la formulation, qu'il est nécessaire de compléter, de l'avis de concours que de l'article 5 de l'annexe III au statut. Selon l'article 5, paragraphe 1, de l'annexe III au statut, le jury doit d'abord seulement prendre connaissance des dossiers des candidats et
déterminer la liste de ceux qui répondent aux conditions fixées par l'avis de concours. Mais si les conditions de l'avis de concours ne sont pas directement applicables en tant que telles et exigent déjà de la part du jury une interprétation sur le plan de la valeur, celui-ci doit déterminer, avant d'examiner l'admissibilité, les principes régissant l'interprétation des conditions d'admission.

En effet, si le jury n'établissait pas ces principes, il ne serait pas en mesure, par la suite, d'établir correctement la liste d'aptitude prévue à l'article 5, paragraphe 6, de l'annexe III au statut, qui doit comporter un rapport motivé.

Dans ce contexte, il y a lieu, à notre avis, d'appliquer par analogie la disposition de l'article 5, paragraphe 3, de l'annexe III lorsqu'un critère d'admission qu'il est nécessaire de compléter exige, de la part du jury, un jugement de valeur.

Le procès-verbal de la réunion du jury du 29 juin 1983 ne comporte cependant aucune indication selon laquelle le jury aurait établi les principes précités pour l'interprétation des conditions d'admission. Il relève simplement que le jury a décidé d'admettre les deux candidats au concours.

Ce résultat, à savoir que le jury n'a pas établi de principes pour l'interprétation des conditions d'admission, du moins pas avant d'examiner les dossiers des candidats, est corroboré par les déclarations que la défenderesse a faites au cours de la procédure orale.

La défenderesse a en effet exposé que la condition d'admission de l'expérience professionnelle à un niveau supérieur n'avait été évoquée qu'à l'occasion de l'examen des deux candidatures. En partant de l'idée qu'aucune des candidatures ne pourrait être admise si des exigences rigoureuses étaient posées, on se serait résolu à n'exiger qu'une expérience professionnelle à un niveau moins responsable, à savoir celui d'un traducteur.

Cette démarche suivie par le jury n'est pas conforme aux dispositions de l'annexe III au statut. Étant donné qu'à notre avis, l'article 5, paragraphe 3, de l'annexe III doit être appliqué par analogie dans le cas de conditions d'admission qu'il est nécessaire de compléter, c'est-à-dire qu'il y a lieu d'établir, comme pour l'appréciation de titres, des principes aux fins de cette appréciation, nous pouvons renvoyer à l'arrêt rendu par la Cour le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65 ( 10 ), dans
lequel la Cour a dit pour droit:

« que, notamment, le jury n'ayant pas énoncé les critères sur la base desquels il a apprécié lesdits titres, il manque à son rapport un élément essentiel à l'appui des propositions qui y sont contenues;

que, de ce fait, le jury a violé les dispositions de l'alinéa 6 de l'article 5 de l'annexe III du statut ».

Ces considérations de la Cour peuvent être entièrement reprises, également dans la présente procédure. Cela vaut pareillement pour l'attendu suivant que la Cour a énoncé dans son arrêt du 14 décembre 1965:

« Attendu que les formalités prévues par ces dispositions doivent être considérées comme substantielles;

que, en effet, la fixation préalable de critères d'appréciation tend à assurer que l'examen des titres soit effectué d'une manière objective et dépourvue d'arbitraire;

que, d'autre part, l'exigence d'un rapport ‘motivé’ doit permettre à l'autorité investie du pouvoir de nomination de faire un usage judicieux de sa liberté de choix, ce qui suppose qu'elle soit informée tant sur les critères généraux retenus par le jury que sur l'application que celui-ci en a faite aux candidats portés sur la liste d'aptitude;

que, les formalités susvisées étant prévues également dans l'intérêt des candidats, leur violation constitue, à l'égard des concurrents évincés, un grief au sens de l'article 91 du statut des fonctionnaires. »

Il ressort clairement tant du procès-verbal de la réunion du jury du 29 juin 1983 que des déclarations faites par la défenderesse au cours de la procédure orale que les critères précités n'avaient pas été fixés par le jury. En conséquence, la décision du jury d'admettre les deux candidats au concours no CC/LA/20/82 doit déjà, pour cette raison, être considérée comme illégale.

3. a) La requérante invoque par ailleurs une violation du principe d'égalité du fait que le jury n'aurait pas tenu compte à sa juste valeur, dans l'attribution des points, de l'expérience professionnelle de la requérante, dont la durée serait le double de celle de l'autre candidat, mais aurait attribué à celui-ci des points supplémentaires en raison de la note figurant sur son diplôme universitaire alors que rien de tel n'aurait été prévu dans l'avis de concours.

Dans ce contexte également, la défenderesse rétorque qu'elle n'est pas en mesure d'interférer dans les appréciations du jury.

b) Il convient d'abord d'attirer l'attention sur le fait qu'il était prévu dans l'avis de concours, sous le point VI.A.2, (« Cotation des titres »), d'attribuer respectivement 50 points pour les diplômes universitaires et l'expérience professionnelle pertinente. Cela suffit à réfuter le grief de la requérante selon lequel les diplômes universitaires n'auraient pas dû être cotés.

En ce qui concerne l'appréciation de l'expérience professionnelle, il y a lieu de retenir que le jury a fixé ici des critères d'appréciation généraux en prévoyant d'attribuer un maximum de 36 points, à savoir 6 points par année, pour l'expérience acquise à l'intérieur des Communautés, ainsi que 14 points, à savoir 2,3 points pour chaque année ou 0,2 point pour chaque mois, pour l'expérience acquise à l'extérieur des Communautés.

Ces critères d'appréciation ont cependant été établis non pas avant, mais seulement après que le jury eut pris connaissance des dossiers de candidature. Cela avait pour but déclaré d'éviter que l'expérience professionnelle sensiblement plus longue que la requérante avait acquise à l'extérieur des Communautés n'entre pleinement en ligne de compte.

Ce que nous avons déjà exposé sous le point 2 en nous référant à l'arrêt rendu par la Cour le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65 s'applique ici dans une mesure encore plus large: le jury a omis de fixer avant l'examen des titres les critères sur la base desquels il les apprécierait. Il a donc violé des formes substantielles dans la mesure où « la fixation préalable de critères d'appréciation tend à assurer que l'examen des titres soit effectué d'une manière objective et dépourvue d'arbitraire
» ( 11 ).

Au contraire, il a établi les critères d'appréciation dans le but de défavoriser un candidat déterminé. C'est précisément le contraire de ce que la Cour a défini comme un « examen des titres... effectué d'une manière objective et dépourvue d'arbitraire ».

Nous sommes donc en présence d'un autre vice de procédure, qui revêt cette fois-ci un caractère grave.

Cette conclusion ne peut pas non plus être réfutée par l'affirmation de la défenderesse selon laquelle les documents produits par la requérante n'auraient pas été indiscutables. Il appartenait au jury d'examiner la valeur de ces documents pour décider s'il pouvait ou non les utiliser. En revanche, il n'était pas admissible juridiquement de les accepter dans un premier temps tout en les sousévaluant ensuite dans un but précis.

4. Les autres erreurs commises par le jury n'appellent que des remarques succinctes. Elles sont décrites ci-dessus sous le point A 6 c) et concernent des défauts dans l'exécution de simples opérations de calcul. Si le jury — de la Cour des comptes — a commis des erreurs de calcul, celles-ci ont lésé quasi exclusivement la requérante.

Rappelons encore, à titre accessoire, que l'avis de concours prévoyait somme toute l'attribution de 100 points pour la cotation des titres, alors que 60 points seulement pouvaient encore être obtenus lors des épreuves proprement dites. Or, si la procédure était manipulée au détriment d'un candidat déterminé dès la cotation des dossiers de candidature, il était difficile, voire impossible, lors de la deuxième étape des épreuves proprement dites, de compenser ce désavantage.

5. Nous n'examinerons enfin que sommairement les autres griefs de la requérante.

a) aa) La requérante invoque une violation du principe de la confiance légitime parce que des membres et des hauts fonctionnaires de la défenderesse lui auraient promis formellement que sa titularisation ne serait qu'une simple formalité.

La défenderesse le conteste.

bb) La question de savoir si de quelconques assurances ont été données à la requérante lors de son entrée en fonctions auprès de la défenderesse peut rester ouverte. Elle importe peu dans la mesure où le statut des fonctionnaires subordonne le recrutement de fonctionnaires, notamment dans l'article 29, à une procédure formelle de sorte que d'éventuelles assurances contraires eussent été illégales et, partant, non contraignantes.

b) aa) La requérante invoque par ailleurs une violation de l'article 5, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires, en vertu duquel les fonctionnaires appartenant à une même catégorie ou à un même cadre sont soumis respectivement à des conditions identiques de recrutement et de déroulement de carrière. De nombreux agents du même cadre que la requérante, parmi lesquels figurent les autres traducteurs grecs, auraient été titularisés non pas sur concours, mais sur simple colloque ad hoc.

La défenderesse se borne à répondre à cette affirmation en relevant qu'elle n'apporte aucune précision et qu'elle doit donc être rejetée.

bb) En effet, la requérante n'a pas démontré dans quelle mesure elle a été désavantagée par la procédure appliquée lors du recrutement d'autres fonctionnaires. Il convient d'ailleurs d'observer que le règlement no 662/82 du Conseil, du 22 mars 1982 ( 12 ), habilitait l'autorité investie du pouvoir de nomination à déroger jusqu'au 31 décembre 1982 à certaines dispositions imperatives du statut des fonctionnaires au profit de ressortissants grecs. En conséquence, il était permis à la
défenderesse de recourir jusqu'à la date précitée à une procédure de recrutement simplifiée pour les agents ressortissants de la République hellénique.

Mais, dans la mesure où la requérante aurait visé d'autres procédures de recrutement qui ne seraient pas compatibles avec le statut des fonctionnaires, il y aurait lieu de lui opposer qu'elle ne dispose pas du droit de bénéficier de la même manière d'un traitement de faveur illégal.

c) aa) La requérante conteste ensuite la composition du jury en affirmant qu'aucun de ses membres ne possédait les connaissances linguistiques suffisantes pour pouvoir apprécier la deuxième épreuve écrite (la révision d'un texte traduit en grec). Au demeurant, l'assesseur désigné en application de l'article 3, paragraphe 2, de l'annexe III en vue de la correction des épreuves aurait déjà participé illégalement au choix des épreuves écrites.

La défenderesse réplique qu'il serait licite de faire appel à un ou plusieurs assesseurs ayant voix consultative. Il résulterait d'ailleurs de la chronologie des travaux du jury que l'assesseur n'a pas participé au choix des épreuves.

bb) L'article 3, paragraphe 2, de l'annexe III au statut des fonctionnaires permet en effet de désigner pour certaines épreuves un ou plusieurs assesseurs avec voix consultative. La défenderesse était d'autant plus fondée à recourir à cette procédure qu'il s'agissait précisément de créer l'équipe grecque de traduction dans son service linguistique, de sorte que la défenderesse ne pouvait pas encore disposer dans ses services de fonctionnaires possédant les qualifications linguistiques
appropriées. Outre le directeur de son service de traduction, la défenderesse avait d'ailleurs désigné comme membre du jury un chef de division de nationalité grecque exerçant ses fonctions dans l'administration, de sorte qu'il ne saurait être question à cet égard d'une composition inappropriée du jury. Il était également pertinent de désigner comme assesseur le chef du service spécialisé de traduction grecque du service de traduction à moyen et à long terme installé à Luxembourg.

Enfin, la requérante n'a pas prouvé non plus que l'assesseur cité avait déjà participé au choix des épreuves. L'argument que la défenderesse avance pour sa défense, à savoir que le jury aurait sélectionné les épreuves le 29 juin 1983 et désigné un assesseur, mais que la défenderesse ne se serait adressée à l'assesseur que le 1er juillet 1983 en l'invitant à participer aux travaux du jury, paraît plausible.

d) La requérante n'a fourni aucune preuve suffisante à l'appui de son allégation — contestée par la défenderesse et l'intervenant D. — selon laquelle certains membres du jury auraient nourri des préjugés à son égard et n'auraient donc pas dû prendre part aux travaux du jury.

Cela vaut, d'une part, en ce qui concerne l'affirmation selon laquelle des rapports extrêmement étroits auraient existé entre le concurrent K. et le membre du jury D. (les deux intervenants). En admettant même que certains indices d'un préjugé du jury à l'encontre de la requérante puissent être déduits du fait que la requérante a été illégalement défavorisée par le jury ainsi que de l'annotation manuscrite que l'intervenant D. a portée sur le rapport final du jury, ces indices ne permettent
cependant pas de considérer les faits allégués par la requérante comme établis.

La même conclusion vaut pour la prétendue partialité de l'assesseur à l'encontre de la requérante parce que celle-ci aurait participé à une décision négative concernant la soeur de l'assesseur. Les documents du jury qui pourraient ici revêtir de l'importance, à savoir les notations des épreuves écrites et orales pour lesquelles l'assesseur doit avoir exercé une influence déterminante sur les autres membres du jury en raison de sa qualification linguistique, ne font pas apparaître une telle
intention de défavoriser la requérante. La requérante a, somme toute, obtenu dans l'épreuve orale une cotation dans l'ensemble légèrement meilleure que son concurrent; ce n'est que dans la cotation des épreuves écrites qu'elle a obtenu un résultat sensiblement inférieur. Bien que deux candidats seulement aient participé à ces épreuves, la requérante n'a pas prétendu en tout cas que l'anonymat des épreuves écrites n'avait pas été préservé.

6. a) Enfin, il convient encore d'examiner brièvement l'argument de la défenderesse selon lequel elle n'aurait pas été compétente, selon la jurisprudence de la Cour, pour annuler ou modifier la décision du jury. Un jury serait souverain et indépendant, de sorte que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'aurait ni la compétence ni la vocation à contrôler la légalité de la procédure mise en oeuvre par le jury.

b) Par sa généralité, l'argument de la défenderesse n'est pas pertinent.

Nous concédons certes que le jury est indépendant en ce qui concerne l'appréciation objective des titres et épreuves. Cela résulte, entre autres, des arrêts rendus par la Cour le 9 octobre 1974 dans les affaires jointes 112, 144 et 145/73 ( 13 ) le 16 mars 1978 dans l'affaire 7 ( 14 )177 12, et le 9 février 1984 dans les affaires jointes 316/82 et 40/83 ( 15 ).

Mais cette indépendance du jury porte uniquement sur l'appréciation objective de titres et d'épreuves tels qu'ils ont fait l'objet des arrêts précités: contrôle de l'aptitude (arrêt du 9 octobre 1974), contrôle de l'expérience pertinente (arrêt du 16 mars 1978) et appréciation de la compétence professionnelle (arrêt du 9 février 1984).

Or, cette indépendance ne dispense pas le jury du respect des dispositions légales. C'est ce que l'avocat général Gand a souligné dans les termes pertinents suivants dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire 23/64 ( 16 )

« Il est certain que la liberté du jury trouve sa limite dans l'obligation qui s'impose à lui de respecter les dispositions légales régissant le concours: textes généraux, règlement du concours sous tous ses aspects qui peut fixer, par exemple, de façon précise la nature des épreuves, les coefficients attribués à chacune de celles-ci. En revanche, sa souveraineté est entière lorsque, à l'intérieur des limites ci-dessus indiquées, il apprécie la valeur respective des divers candidats et leur
attribue une note ou un classement. »

Cette distinction entre, d'une part, la soumission au droit et, d'autre part, la compétence d'appréciation revêt de l'importance pour la détermination des compétences dont l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose à l'égard du jury. Dans son arrêt précité rendu le 16 mars 1978 dans l'affaire 7/77, la Cour a certes relevé que la procédure de réclamation n'avait pas de sens dans le cas d'un grief contre les décisions d'un jury de concours, l'autorité investie du pouvoir de nomination
manquant de moyens pour réformer ces décisions. Mais cette constatation n'est applicable que dans le cas où le jury porte régulièrement des appréciations dans le cadre des tâches qui lui sont confiées. Elle ne peut cependant plus valoir lorsque le jury passe outre à des dispositions légales puisqu'il n'est pas habilité à le faire en dépit de son indépendance objective.

L'autorité investie du pouvoir de nomination a donc non seulement la compétence, mais également l'obligation de veiller à la légalité des travaux des jurys et d'annuler, le cas échéant, les décisions illégales d'un jury tant qu'elle respecte son indépendance objective en ce qui concerne l'appréciation des titres et des épreuves.

Cela répond également aux exigences d'une protection juridique utile et effective. Il n'est pas juste de renvoyer un fonctionnaire lésé dans le cas d'un comportement manifestement illégal d'un jury à la voie de recours sensiblement plus longue devant la Cour alors que l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose déjà de la possibilité de donner suite à la réclamation de l'intéressé dans le cadre de la procédure administrative de l'article 90 du statut des fonctionnaires.

La défenderesse ne l'a cependant pas fait en l'espèce.

7. Il y a lieu de constater, en résumé, que diverses décisions du jury du concours no CC/LA/20/82 étaient illégales, de sorte que le jury ne pouvait pas adresser à l'autorité investie du pouvoir de nomination une liste d'aptitude valide accompagnée d'un rapport motivé du jury. Faute d'une liste d'aptitude légalement établie, la décision de la défenderesse du 25 novembre 1983, nommant l'intervenant K. à l'emploi de traducteur principal de grade LA 5 était également entachée d'illégalité. Il y a donc
lieu d'annuler cette décision.

8. En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens. Eu égard au fait que la décision qu'il y a lieu d'annuler relève de la responsabilité de la seule défenderesse, il nous paraît opportun de mettre à sa charge uniquement les frais de la requérante. En conséquence, les intervenants ne doivent supporter que leurs propres frais.

C.

Eu égard à ce qui précède, nous proposons à la Cour de dire pour droit et de statuer comme suit:

1) la décision no 3931 de la défenderesse, du 25 novembre 1983, nommant M. K. à l'emploi de traducteur principal, est annulée;

2) la défenderesse est condamnée aux dépens, à l'exception des frais exposés par les intervenants;

3) les intervenants supportent leurs propres frais.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) Annexe 9 au mémoire en défense.

( 2 ) Annexe 1 au mémoire en défense.

( 3 ) Annexe 7 à la requête.

( 4 ) Annexe 10 au mémoire en défense.

( 5 ) Annexe 9 au mémoire en défense.

( 6 ) Annexe 9 à la requête.

( 7 ) Annexe 10 à la requête.

( 8 ) Arrêt rendu le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65, Domenico Morina/Parlement européen, Rec. 1965, p. 1279.

( 9 ) Arrêt rendu le 9 février 1984 dans les affaires jointes 316/82 et 40/83, Nelly Kohler/Cour des comptes des Communautés européennes, Rec. 1984, p. 641.

( 10 ) Arrêt rendu le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65, Domenico Morina/Parlement européen, Rec. 1965, p. 1279; cet arrêt, qui concernait encore le statut des fonctionnaires de la CEE et de la CECA [règlement no 31 (CEE), 11 (CEEA), JO 1962, p. 1385], peut être appliqué au statut des fonctionnaires des Communautés européennes puisque les termes des annexes III respectives sont identiques.

( 11 ) Arrit rendu le 14 décembre 1965 dans l'affaire 21/65, Domenico Morina/Parlement européen, Rec. 1965, p. 1279.

( 12 ) Règlement instituant des mesures particulières et temporaires concernant le recrutement des fonctionnaires des Communautés européennes en raison de l'adhésion de la République hellénique aux Communautés, JO L 78, p. 1.

( 13 ) Arrêt rendu le 9 octobre 1974 dans les affaires jointes 112, 144 et 145/73, Anna-Maria Campogrande/Commission des Communautés européennes, Rec. 1974, p. 957.

( 14 ) Arrêt rendu le 16 mars 1978 dans l'affaire 7/77, Bernhard Diether Ritter von Wüllerstorff und Urbair/Commission, Rec. 1978, p. 769.

( 15 ) Arrêt rendu le 9 février 1984 dans les affaires jointes 316/82 et 40/83, Nelly Kohler/Cour des comptes des Communautés européennes, Rec. 1984, p. 641.

( 16 ) Affaire 23/64, Thérèse Vandevyvere/Parlement européen, Rec. 1965, p. 205.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 143/84
Date de la décision : 28/11/1985
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Fonctionnaires - Annulation d'une décision d'un jury de concours.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Androniki Vlachou
Défendeurs : Cour des comptes des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:475

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award