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24/10/1985 | CJUE | N°208/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 24 octobre 1985., Vonk's Kaas Inkoop en Produktie Holland BV contre Minister van Landbouw en Visserij et Produktschap voor Zuivel., 24/10/1985, 208/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 24 octobre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La société néerlandaise Vonk's Kaas Inkoop en Produktie Holland BV (ci-après « Vonk ») transforme, notamment en vue de l'exportation, des déchets de fromage en fromage fondu ou en poudre. Pour l'exercice de cette activité, elle collecte ces déchets essentiellement en France et en République fédérale d'Allemagne. Une partie de ces importations est réexportée en l'état, notamment vers le Danemark.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 24 octobre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La société néerlandaise Vonk's Kaas Inkoop en Produktie Holland BV (ci-après « Vonk ») transforme, notamment en vue de l'exportation, des déchets de fromage en fromage fondu ou en poudre. Pour l'exercice de cette activité, elle collecte ces déchets essentiellement en France et en République fédérale d'Allemagne. Une partie de ces importations est réexportée en l'état, notamment vers le Danemark.

A l'occasion de ces différentes opérations, des montants compensatoires monétaires (ci-après MCM) étaient habituellement appliqués. Or, pour des opérations effectuées au début de 1984, Vonk s'est vu imposer des MCM majorés pour l'importation de déchets et refuser l'octroi de MCM pour la réexportation à destination du Danemark de déchets du même type.

Ces deux mesures étaient fondées sur le règlement n° 3281/83 de la Commission, du 18 novembre 1983, modifiant la réglementation antérieure en la matière (JO L 322, p. 36). S'estimant défavorisée par l'application qui en avait été faite par les autorités néerlandaises, Vonk, excipant de l'invalidité des dispositions réglementaires modificatrices, a demandé au College van Beroep voor het Bedrijfsleven (ci-après College van Beroep) d'annuler les deux mesures précitées.

La juridiction néerlandaise, constatant au surplus qu'une nouvelle modification avait été introduite en la matière par le règlement n° 270/84 de la Commission, du 1er février 1984 (JO L 31, p. 15), vous renvoie, dès lors, les questions suivantes:

« Dans la mesure où la note 5 de la partie 5 de l'annexe I du règlement (CEE) n° 1245/83, telle que modifiée par la suite par l'effet des règlements (CEE) n° 3281/83 et (CEE) n° 270/84, prévoit que, pour le fromage de moindre valeur qui y est précisément décrit, aucun montant compensatoire monétaire n'est octroyé à l'exportation et que, lorsque le montant compensatoire monétaire doit être perçu pour un envoi consistant en un mélange de différents types de fromages d'une faible valeur, le montant
compensatoire à appliquer est celui prévu à la note 5, le règlement (CEE) n° 1245/83 est-il invalide:

a) parce qu'il est contraire à l'article 12 combiné aux articles 38 à 46 du traité CEE, ou

b) parce qu'il est contraire au règlement (CEE) n° 974/71 du Conseil, ou

c) parce que les règlements (CEE) n° 3281/83 et (CEE) n° 270/84 modifiant la note 5 sont insuffisamment ou ne sont pas motivés, ou

d) parce qu'il est contraire au principe de proportionnalité, ou

e) parce qu'il est contraire au principe de non-discrimination? »

2.  Les MCM ont été prévus par le règlement n° 974/71 du Conseil, du 12 mai 1971, relatif à certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres (JO L 106, p. 1). Comme l'indique le dernier considérant de ce règlement,

« les montants à instaurer doivent être limités aux montants strictement nécessaires pour compenser l'incidence des mesures monétaires sur les prix des produits de base pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues », précisant « qu'il convient de les appliquer dans les seuls cas où cette incidence conduirait à des difficultés ».

Jusqu'en 1977, les MCM des différentes variétés de fromages s'appliquaient à leurs déchets. Considérant que le MCM ainsi appliqué aux « croûtes et déchets de fromages ... n'était pas en relation correcte avec la valeur de ces produits » (cinquième considérant), la Commission, par le règlement (CEE) n° 1824/77, du 4 août 1977, modifiant les montants compensatoires monétaires applicables dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 203, p. 7), a instauré, pour les « croûtes et déchets de
fromages », un MCM forfaitaire moins élevé, à savoir celui applicable aux produits relevant de la sous-position tarifaire 04.04 E I c) du tarif douanier commun (TDC). Le même règlement définissait les déchets comme « des produits impropres à la consommation humaine en l'état ».

Cette modification a été reprise dans le règlement n° 1245/83 de la Commission, du 20 mai 1983, fixant les montants compensatoires monétaires, sous forme d'une note 5 figurant dans la partie 5 de l'annexe I (JO L 135, p. 3).

Par le premier règlement critiqué n° 3281/83, entré en vigueur le 2 janvier 1984, la Commission a modifié la note 5 de la manière suivante:

— d'une part, les croûtes et déchets sont désormais définis comme fromages de « faible valeur », c'est-à-dire ceux « dont le prix france frontière ... est inférieur à 140 Écus par 100 kilogrammes» (nous désignerons ci-après les fromages de « faible valeur » par l'appellation « déchets ») ;

— d'autre part, « aucun montant compensatoire n'est octroyé » pour l'exportation de ces déchets (article 1er), tandis qu'il est décidé « d'appliquer le montant plein en cas de perception » (deuxième considérant du règlement).

Enfin, il y a lieu de souligner que la note a fait l'objet de deux nouvelles modifications.

Avec effet au 6 février 1984, le règlement n° 270/84, lui aussi critiqué, a prévu que sur les mélanges de différents types de fromages seraient perçus les montants compensatoires applicables aux produits relevant de la sous-position tarifaire 04.04 E Ib) 2 du TDC (JO L 31, p. 15). Concrètement, les montants ainsi prélevés sont moins élevés car forfaitaires (cinquième considérant). Ce règlement reprenait en outre la disposition relative à la suppression de l'octroi de MCM pour les déchets.

Le règlement n° 635/84 de la Commission du 12 mars 1984 a rétabli l'octroi des MCM pour l'exportation de certains types de fromages relevant de la sous-position tarifaire 04.04 E I c) du TDC, même si leur valeur est inférieure à 140 Écus par quintal (JO L 70, p. 6).

3.  La suppression de l'octroi et le rétablissement de la perception au taux plein des MCM sont les modifications dont la validité, au regard du droit communautaire, est mise en cause par la requérante au principal. Elle présente, en substance, quatre moyens d'invalidité.

En premier lieu, elle conteste la conformité du mécanisme mis en place par le règlement n° 3281/83 au regard des conditions posées par le règlement de base n° 974/71. La Commission aurait, en effet, porté atteinte tant au système des montants compensatoires qu'aux modalités de sa mise en œuvre.

Elle rappelle, d'une part, que l'instauration des MCM a pour finalité de corriger les effets des variations des taux de change sur les échanges et les prix des produits agricoles. Or, le dispositif critiqué, en perturbant les échanges, irait à l'encontre de cet objectif. De ce fait, équivalant à un droit de douane, il violerait les articles 12 et 38 à 46 du traité.

Vonk relève, d'autre part, que la Commission aurait fixé arbitrairement les MCM applicables aux différents types de fromages, en violation du principe posé par le règlement n° 974/71 selon lequel les MCM des produits dérivés doivent correspondre à l'incidence, sur leur prix, de l'application de MCM aux produits de base. La majoration des MCM perçus sur les déchets contredirait un autre principe posé par ce même règlement, selon lequel les MCM doivent être fonction du prix, représentatif de leur
valeur marchande, des produits concernés. Or, cette règle ne serait pas respectée dès lors que les mêmes MCM sont applicables tant aux fromages qu'à leurs déchets.

En deuxième lieu, Vonk reproche à la Commission d'avoir insuffisamment motivé les modifications introduites par le règlement n° 3281/83. La seule justification serait tirée de l'existence de courants commerciaux artificiels. Cependant, la Commission n'expliquerait pas en quoi les mesures critiquées seraient ainsi rendues nécessaires. En réalité, seule la perception de MCM pourrait servir l'objectif allégué, alors que la suppression de leur octroi serait sans effet à cet égard. La requérante au
principal considère que le règlement n° 270/84 serait lui aussi insuffisamment motivé, la Commission n'expliquant pas le choix de la sous-position tarifaire applicable aux mélanges.

En troisième lieu, la société Vonk soutient que, par le mécanisme contesté, la Commission aurait, à un double titre, porté atteinte au principe de proportionnalité.

D'une part, la suppression de l'octroi des MCM, dont elle a souligné le caractère inadéquat pour lutter contre les courants commerciaux artificiels, aurait pour effet d'entraver les échanges, notamment pour les entreprises qui, telle la requérante au principal, doivent s'approvisionner sur d'autres marchés. La Commission l'aurait, elle-même, reconnu en réintroduisant, pour certains types de déchets, l'octroi de MCM par le règlement n° 635/84.

D'autre part, la perception sur les déchets des MCM applicables aux fromages dont ils proviennent, donc l'abandon de la prise en compte de leur faible valeur, serait disproportionnée à l'objectif poursuivi.

Des mesures moins drastiques auraient pu être envisagées: régime fondé sur la valeur du fromage ou introduction, dans les documents douaniers, d'une déclaration obligatoire de destination des déchets importés.

En dernier lieu, Vonk reproche à la Commission de n'avoir pas respecté le principe de non-discrimination, tel qu'il est énoncé à l'article 40, paragraphe 3, du traité.

Elle rappelle que l'objet des MCM est de compenser les fluctuations des parités monétaires afin d'éviter les distorsions dans les conditions de concurrence. Or, ces distorsions seraient précisément recréées par la suppression de l'octroi des MCM qui désavantagerait ceux des opérateurs exportant des déchets depuis un État membre dont la monnaie a un cours de change supérieur au taux vert. Elle relève ensuite que la perception sur les déchets de fromages de MCM majorés, équivalents à ceux des
fromages dont ils sont issus, constituerait aussi une atteinte au principe de non-discrimination, puisqu'elle reviendrait à appliquer les mêmes MCM à des produits dont la valeur n'est pas comparable.

4.  Le gouvernement néerlandais et la Commission soulignent, pour leur part, que le régime instauré en 1977 — application d'un MCM réduit pour les déchets de fromages — avait engendré l'apparition d'échanges commerciaux artificiels. Certains opérateurs, tirant parti à la fois de l'interprétation, divergente selon les États membres, de la notion de « déchets » et de la différence de montant entre les MCM applicables respectivement à ces derniers et aux fromages, auraient procédé de la manière
suivante :

— le fromage aurait été exporté depuis un État membre à MCM positifs (par exemple, les Pays-Bas) vers un État membre à MCM négatifs (par exemple, la France), cette première opération donnant lieu à l'octroi des MCM élevés applicables au fromage;

— ce dernier aurait ensuite été découpé pour être réexporté vers l'État membre d'origine sous forme de déchets, cette seconde opération emportant perception des MCM réduits applicables aux déchets de fromage;

— ceux-ci auraient alors pu être transformés en fromage (par fonte ou rapage), ce qui aurait pu ouvrir la voie à nouvelle exportation et à nouvel octroi.

Ces échanges circulaires, qualifiés de « trafic du carrousel », auraient non seulement été source de perturbations dans la production de fromage et dans les échanges, mais auraient de plus entraîné des dépenses communautaires économiquement injustifiées. La réglementation mise en cause aurait eu précisément pour objet de mettre un terme à ce type de circuits artificiels.

a) Le gouvernement néerlandais estime, en effet, que la Commission est compétente pour adapter les MCM qu'elle instaure, dès lors qu'ils entraînent eux-mêmes des perturbations dans les échanges commerciaux. Quant au mécanisme établi, il serait justifié dans la mesure où, s'il avait été maintenu, l'octroi, pour les déchets, de MCM entre-temps majorés aurait provoqué l'apparition d'autres courants artificiels.

b) Pour sa part, la Commission déclare, qu'avant 1977, l'identité des MCM applicables aux fromages et à leurs déchets avait faussé la concurrence entre ces deux types de produits, rendant nécessaire l'application d'un MCM réduit pour les seconds. Cette modification aurait eu, elle-même, les effets ci-dessus décrits, appelant la modification réglementaire contestée devant le College van Beroep.

A cet égard, la Commission rappelle que sa compétence, en matière de MCM, devrait s'apprécier dans le cadre du règlement de base n° 974/71 dont il ressort notamment que l'instauration de MCM n'est pas automatique, mais fonction des perturbations dans les échanges, provoquées par la fluctuation des parités monétaires. Dans ce domaine, il lui incomberait non seulement de corriger l'effet éventuel de ces fluctuations sur les échanges intracommunautaires, mais aussi d'éviter que les MCM eux-mêmes ne
perturbent les échanges. Tel aurait été précisément l'objet des dispositions attaquées.

En effet, la définition des déchets de fromages, bien que plus objective puisque fondée sur la valeur, n'aurait pas, à elle seule, empêché l'apparition de courants commerciaux artificiels. C'est pourquoi la Commission aurait mis en place le dispositif contesté.

L'alignement, sur les MCM applicables aux fromages, des MCM à percevoir sur les déchets aurait pour objectif de priver les opérateurs d'un avantage indu. On se serait donc borné, pour les échanges visés ci-dessus, à revenir au système applicable jusqu'en 1977.

Quant à la suppression de l'octroi, elle répondrait, comme l'a finalement précisé la Commission en réponse à l'une des questions posées par la Cour, à une autre pratique. En effet, il existerait, à côté des déchets aptes à la transformation, des déchets inutilisables dont la transformation n'est pas rentable et qui devraient normalement être détruits. Précisément, c'est pour éviter l'exportation artificielle de tels déchets depuis un État membre à MCM positifs vers un État membre à MCM négatifs,
à seule fin de bénéficier des MCM réduits jusque-là octroyés, que la Commission aurait opté pour leur suppression pure et simple.

Compte tenu des perturbations provoquées par les échanges fictifs, la Commission aurait choisi de protéger l'intérêt des finances communautaires en évitant le paiement injustifié des MCM. Elle estime, eu égard aux considérations qui précèdent, que le règlement attaqué est conforme aux dispositions du règlement de base n° 974/71 et des articles 12 et 38 à 46 du traité.

En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité, la Commission ajoute que, même s'ils sont financièrement moins attrayants, les échanges resteraient possibles. De plus, aucune des solutions de rechange indiquées n'aurait été adaptée. Pour ce qui est de l'atteinte au principe de non-discrimination, la Commission précise que la nouvelle réglementation n'a retiré que pour partie à Vonk l'avantage financier dont elle bénéficiait avant 1984.

5.  L'appréciation qu'il vous est demandé de porter concerne la légalité d'une réglementation par laquelle la Commission a décidé la suppression des montants compensatoires monétaires jusque-là octroyés en cas d'exportation de déchets et le relèvement des montants compensatoires perçus sur ces derniers, au niveau des MCM applicables aux fromages dont ils sont issus. En pareille matière, l'étendue de votre contrôle est restreinte par la marge d'appréciation discrétionnaire que vous avez reconnue aux
institutions, et notamment à la Commission.

Le règlement de base n° 974/71, comme le précise son article 1er, dernier alinéa, subordonne l'octroi et la perception de montants compensatoires à la condition que les variations de change résultant de la fluctuation des parités monétaires, entraînent « des perturbations dans les échanges des produits agricoles ». La réalisation de cette condition doit être appréciée par la Commission à laquelle, « aux termes de l'article 6 du règlement n° 974/71, il appartient ... de juger de l'existence d'un
risque de perturbation » (55/75, Balkan, Rec. 1976, p. 19, point 7, ainsi que 136/77, Racke, Rec. 1978, p. 1245, point 3).

Or, vous avez constamment affirmé que « s'agissant de l'évaluation d'une situation économique complexe », la Commission jouit, « à cet égard, d'un large pouvoir d'appréciation » (29/77, Roquette, Rec. 1977, p. 1835, point 19), qui porte sur la nécessité d'établir les montants compensatoires monétaires, compte tenu aussi bien des facteurs monétaires que des conditions du marché (29/77, précité, point 24).

L'étendue de cette marge d'appréciation a pour conséquence, avez-vous précisé, que

« en contrôlant la légalité de l'exercice d'une telle compétence, le juge doit se limiter à examiner si elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste, ou de détournement de pouvoir, ou si cette autorité n'a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation » (55/75, Balkan, précité, point 8; 29/77, Roquette, précité, point 20; 136/77, Racke, précité, point 4; 98/78, Racke, Rec. 1979, p. 62, point 5).

Comme le relevait M. l'avocat général Capotorti, la Cour est ainsi « appelée à examiner si les limites que les règles du traité ou les principes généraux apportent à l'exercice des pouvoirs discrétionnaires conférés à ces institutions communautaires ont été dépassées» (114/76, Bela-Mühle, Rec. 1977, p. 1226).

Ces constatations de principe conduisent à considérer que la Commission, dans le cadre des pouvoirs qui lui ont été conférés par le règlement de base n° 974/71 et aux conditions qu'il fixe, doit se voir reconnaître non seulement la faculté d'établir des montants compensatoires monétaires, mais aussi de les aménager, voire de les supprimer, en fonction de l'évolution tant des facteurs monétaires perturbant les échanges que des conditions du marché (voir, notamment, l'article 3 du règlement n°
974/71, ainsi que 74/74, CNTA, Rec. 1975, p. 583, points 17 et suiv.; 67 à 85/75, Lesieur, Rec. 1976, p. 391, points 24 à 28).

A ce titre, la Commission, à laquelle la mission de gérer le système des montants compensatoires a été confiée, doit nécessairement prendre aussi en considération l'effet des MCM eux-mêmes sur les conditions du marché. En effet, les MCM visent à préserver l'unicité du marché, en garantissant la libre circulation des produits agricoles, malgré la variation des taux de change (80 et 81/77, Ramei, Rec. 1978, p. 927, points 35 à 37; 4/79, Providence agricole, précité, point 20; 281/82, Unifrex, 12
avril 1984, point 22). Or, des montants compensatoires dont l'établissement viendrait perturber les échanges intracommunautaires manqueraient leur but. Face à une telle éventualité, il reviendrait à la Commission de corriger les effets pervers des MCM qu'elle a établis, voire de prévenir ceux des MCM qu'elle envisage d'instaurer.

Le droit pour la Commission d'intervenir sur les MCM applicables aux déchets, eu égard aux courants commerciaux artificiels que leur maintien impliquait, ne peut donc être contesté.

Dans la présente affaire, à l'appui de l'invalidité des règlements nos 3281/83 et 270/84, trois ordres de moyens ont été présentés, concernant successivement le caractère insuffisant de leur motivation, le nonrespect de certaines dispositions du règlement de base n° 974/71 et la violation des principes de proportionnalité et de non-discrimination. Nous examinerons tout d'abord le moyen tiré de l'insuffisance de motivation. Les autres moyens tendent à voir déterminer si, à l'issue du « bilan »
avantages-inconvénients auquel la Commission a procédé, celle-ci pouvait, sans outrepasser les limites de son pouvoir d'appréciation, décider la suppression des MCM jusque-là octroyés tout en maintenant la perception de MCM eux-mêmes majorés. Il s'agira donc de savoir si, dans l'exercice de sa compétence discrétionnaire, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation.

6.  Sur la motivation

Conformément à l'article 190 du traité CEE, la Commission a l'obligation de motiver les règlements qu'elle adopte. Ce principe a pour but de permettre le contrôle de la validité d'une réglementation tant par les sujets de droit concernés que par la Cour de justice, notamment par le biais du renvoi préjudiciel en appréciation de validité. Toutefois, en raison du large pouvoir d'appréciation reconnu à la Commission, le contenu de l'obligation de motivation dépend de la nature des mesures adoptées.
En ce sens, vous avez considéré que la Commission, pour l'établissement des MCM, peut se borner à constater une baisse sensible du taux de change d'une monnaie, en renvoyant, pour ce qui est de l'effet perturbateur sur les échanges, aux dispositions énonçant cette condition dans le règlement n° 974/71 (29/77, précité, points 5 et suiv.). Par contre, l'aménagement et, a fortiori, la suppression des MCM, alors que la situation monétaire qui a présidé à leur adoption subsiste de façon inchangée,
doivent nécessairement être fondés sur un motif spécifique.

En l'occurrence, la Commission nous semble avoir satisfait à cette exigence. Après avoir constaté que:

« la différence entre les montants compensatoires monétaires pour les fromages en l'état et ceux pour (les déchets) a conduit à des courants commerciaux artificiels entre États membres »,

elle a, par le règlement n° 3281/83, introduit le mécanisme contesté « pour éviter un tel trafic » (deuxième considérant). Cette motivation met en relief les circonstances particulières que la Commission a été amenée à prendre en considération pour adopter les mesures critiquées. La requérante au principal considère que la Commission aurait dû s'expliquer sur le caractère approprié des moyens choisis. Un tel moyen, dont le mérite ne peut être apprécié qu'à l'occasion de l'examen du bien-fondé de
la mesure critiquée, est sans pertinence au regard de la motivation.

En ce qui concerne le règlement n° 270/84, la Commission a indiqué, en réponse aux questions posées par la Cour, que la nouvelle modification introduite pour les mélanges de déchets serait le fruit d'une concession faite aux opérateurs commerciaux. En effet, au lieu de percevoir sur ces mélanges, conformément aux dispositions de l'article 30, paragraphe 2, du règlement n° 1371/81 de la Commission, le MCM le plus élevé applicable au composant qui représente au moins 10 % en poids du mélange, on
aurait choisi d'appliquer, compte tenu de l'impossibilité de différencier le poids respectif des différentes variétés de déchets contenues dans un mélange donné, un MCM forfaitaire. Or, on ne peut contester que le choix d'une position tarifaire unique pour les déchets présentés sous forme de mélanges permet précisément d'éviter, par « l'application d'un montant compensatoire forfaitaire » (cinquième considérant), que l'on aboutisse à des MCM « trop élevés » pour les produits en question. Cette
motivation, compte tenu des explications fournies par la Commission, nous paraît satisfaire à l'obligation de l'article 190 du traité CEE.

7.  Sur l'erreur manifeste

Il convient ici de distinguer chacun des deux éléments du système applicable aux déchets depuis 1984: la perception de MCM au taux plein et la décision de ne plus octroyer de MCM pour les exportations de déchets.

La perception sur les déchets des MCM applicables aux différentes variétés de fromage dont ils sont issus a pour finalité de mettre un terme aux échanges en circuit fermé décrits précédemment. Il n'est pas contestable, en effet, que certains opérateurs ont pu tirer parti de la différence entre les MCM réduits, perçus sur les déchets, et, après leur transformation en fromages, les MCM à taux plein octroyés à l'exportation de ces derniers. Une telle opération, dont la raison d'être n'est que
spéculative, trouvait sa source dans le « différentiel de MCM » existant. En supprimant celui-ci, la Commission a adopté une mesure appropriée au type d'échange considéré, empêchant qu'à l'avenir une opération de transformation factice puisse ouvrir droit au versement de fonds prélevés sur les finances communautaires. Ainsi, en décidant d'appliquer des MCM identiques aux déchets et aux fromages, la Commission n'a manifestement pas dépassé les limites du pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu
en la matière.

Comme l'a précisé la Commission en réponse à l'une de vos questions, la décision de ne plus octroyer de MCM à l'exportation de déchets ne concerne pas les déchets transformés, mais exclusivement les déchets exportés ou réexportés en l'état.

S'agissant de ces derniers, il y a rupture de l'équilibre habituellement pratiqué en matière de MCM: la compensation des variations de change n'est plus assurée lorsque les déchets sont exportés d'un État membre à MCM positifs vers un État membre à MCM négatifs. Une telle solution ne saurait, en tant que telle, être exclue, mais doit demeurer exceptionnelle puisque, la Commission l'a elle-même relevé, elle rompt avec la logique monétaire qui soustend l'adoption des MCM.

En effet, au-delà des seuls facteurs monétaires, l'appréciation de la Commission porte également, nous l'avons rappelé, sur les conditions du marché. Or, celles-ci peuvent justifier une certaine dissymétrie entre MCM octroyés et perçus. L'équivalence entre octroi et perception ne saurait donc être absolue. Il reste que la suppression pure et simple des MCM jusque-là octroyés suppose, dès lors qu'elle n'est pas fondée sur la disparition des facteurs monétaires qui en ont justifié l'établissement,
que les conditions du marché soient plus gravement altérées par le maintien des MCM que par leur abrogation. C'est cette confrontation qui doit normalement déterminer le choix de la Commission.

Encore faut-il que le moyen exceptionnellement choisi soit de nature à servir l'objectif poursuivi. Ce dernier, exprimé au deuxième considérant du règlement n° 3281/83, est, rappelons-le, de mettre un terme aux « courants commerciaux artificiels » suscités par le différentiel de MCM. Or, force est de constater que les deux éléments du dispositif établi par ce règlement ne sauraient avoir à cet égard le même effet. Si la majoration des MCM jusqu'à disparition du différentiel est certainement un
instrument adapté au but recherché, la suppression de l'octroi de MCM ne peut, par contre, avoir aucun effet à cet égard.

Certes, en cours de procédure, la Commission a justifié cette mesure par le souci de prévenir un autre type d'échanges artificiels portant sur des déchets inaptes à la transformation en raison de leur détérioration. Sans revenir sur l'objection tirée par Vonk du rétablissement partiel de l'octroi de MCM par le règlement n° 635/84, il suffit de relever qu'on ne saurait accueillir une motivation a posteriori, destinée, au surplus, à justifier une mesure étrangère à l'objectif déclaré du règlement
critiqué.

L'absence de lien entre le non-octroi de MCM et la disparition des courants artificiels décrits suffit à révéler l'erreur manifeste commise par la Commission, donc à conclure à ce que vous déclariez invalide, sur ce point et pour cette raison, le règlement n° 3281/83.

En l'absence d'indications fournies à la Cour et tendant à ce que, par exception, les conséquences d'une telle invalidité soient limitées, il apparaît que celle-ci doit sortir son entier effet. Si telle est votre décision, il appartiendra à la Commission, conformément à l'obligation prescrite par l'article 176, alinéa 1, du traité, d'en tirer les conséquences à l'égard aussi bien du règlement précité que de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 270/84.

8.  Pour ce motif et sans qu'il y ait lieu d'examiner le bien-fondé des autres moyens invoqués par la requérante au principal, nous concluons à ce que vous déclariez que:

— le règlement n° 3281/83 est invalide, pour autant qu'il supprime l'octroi des montants compensatoires monétaires à l'exportation de « fromages de faible valeur »;

— il appartient à la Commission de prendre, au regard des règlements nos 3281/83 et 270/84, les mesures que comporte l'exécution de votre arrêt.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 208/84
Date de la décision : 24/10/1985
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: College van Beroep voor het Bedrijfsleven - Pays-Bas.

Montants compensatoires monétaires - Déchets de fromage.

Mesures monétaires en agriculture

Agriculture et Pêche

Produits laitiers


Parties
Demandeurs : Vonk's Kaas Inkoop en Produktie Holland BV
Défendeurs : Minister van Landbouw en Visserij et Produktschap voor Zuivel.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:441

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