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08/10/1985 | CJUE | N°42/85

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 octobre 1985., Cockerill - Sambre SA contre Commission des Communautés européennes., 08/10/1985, 42/85


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 8 octobre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le 14 février 1985, la société Cockerill-Sambre a déposé au greffe de la Cour, en vertu de l'article 36, alinéa 2, du traité CECA, un recours en annulation d'une décision individuelle no C(84) 1958/1 prise à son encontre le 19 décembre 1984 par la Commission des Communautés européennes. Cette décision lui infligeait une amende de 620570 Ecus par application des dispositions de l'article 58 du traité CE

CA, pour dépassement, au cours du premier semestre de 1983, de quotas de production fixés dans
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 8 octobre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le 14 février 1985, la société Cockerill-Sambre a déposé au greffe de la Cour, en vertu de l'article 36, alinéa 2, du traité CECA, un recours en annulation d'une décision individuelle no C(84) 1958/1 prise à son encontre le 19 décembre 1984 par la Commission des Communautés européennes. Cette décision lui infligeait une amende de 620570 Ecus par application des dispositions de l'article 58 du traité CECA, pour dépassement, au cours du premier semestre de 1983, de quotas de production fixés dans
la décision no 1696/82/CECA de la Commission du 30 juin 1982.

La question à examiner aujourd'hui concerne non le fond, mais la recevabilité du recours: il s'agit de savoir si celui-ci a été introduit dans le délai fixé par l'article 39, alinéa 1, du protocole sur le statut de la Cour de justice CECA, en vertu duquel

« les recours prévus par les articles 36 et 37 du traité doivent être formés dans le délai d'un mois prévu au dernier alinéa de l'article 33 ».

A cette durée s'ajoutent deux jours au titre du délai de distance conformément à l'article 81 du règlement de procédure de la Cour et à l'article 1er de son annexe II.

La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, par acte séparé, conformément à l'article 91 du règlement de procédure.

2.  Au soutien de son exception, elle a fait valoir que

— la décision attaquée a été notifiée le 9 janvier 1985 à la société Cockerill-Sambre, à son siège social à Seraing;

— par application des textes rappelés ci-dessus, le recours aurait dû être déposé au plus tard le 12 février 1985;

— le recours n'a été introduit que le 14 février 1985.

Se référant à votre jurisprudence, la Commission a rappelé le caractère strict des délais de recours et contesté l'affirmation de la requérante selon laquelle la notification de la décision litigieuse n'aurait eu lieu que le 11 janvier 1985, à ses bureaux de Bruxelles.

3.  Pour justifier cette dernière affirmation, la requérante a exposé que si son siège social se trouve toujours à Seraing, la présidence, la direction générale, puis les services fonctionnels ont été transférés à Bruxelles à partir de juin 1984. Tous les correspondants habituels de la société — dont la Commission — auraient été avisés de cette modification par lettre circulaire du 29 mai 1984.

Constatant que la Commission n'en avait pas tiré les conséquences qui s'imposaient, la requérante, par lettres au contenu identique du 21 décembre 1984, adressées à la Commission, respectivement au vice-président (M. Davignon) et à la DG III (direction générale Acier), aurait expressément demandé que toute correspondance lui soit adressée à Bruxelles « afin d'éviter qu'elle ne se perde ou ne soit retardée au siège social à Seraing et ce, à l'attention du destinataire final ou de G. Paulus,
quotas groupe, qui fera suivre ». Ces lettres seraient parvenues à leurs destinataires le 3 janvier 1985.

La décision contestée, envoyée par la Commission par lettre recommandée avec accusé de réception le 8 janvier 1985, serait parvenue le 9 janvier 1985 au siège social d'où elle aurait, après signature de l'accusé de réception, été retransmise aux bureaux bruxellois par pli recommandé parvenu le vendredi 11 janvier 1985.

Selon la société Cockerill-Sambre, aucune règle du droit communautaire n'imposerait que les décisions infligeant des amendes soient notifiées exclusivement au siège social des sociétés concernées.

Dès lors que celles-ci en feraient la demande, ce qu'aucun texte n'interdirait, la Commission devrait procéder aux notifications aux adresses indiquées par ses correspondantes, faute de quoi, par application des dispositions de l'article 173, alinéa 2, in fine, du traité CEE, le délai pour agir commencerait à courir à partir du moment où l'entreprise intéressée aurait effectivement eu connaissance de la décision.

Estimant avoir été diligente dans la retransmission à Bruxelles du pli parvenu le 9 janvier 1985 à son siège social, la société Cockerill-Sambre soutient qu'il y aurait lieu de considérer qu'elle n'a eu connaissance effective de la décision que le 11 janvier 1985 et qu'en conséquence, le recours a été intenté le dernier jour du délai légal.

A titre subsidiaire, elle prétend qu'à supposer même que la Commission ait été fondée à effectuer la notification au siège social, il y aurait lieu de lui opposer sa négligence qui aurait empêché la requérante de prendre connaissance de la décision avant le 11 janvier 1985.

4.  Admise à répliquer par note en raison des éléments nouveaux dont faisait état la requérante, la Commission a maintenu sa demande incidente. Selon elle, la notification était régulière et valable et s'appuierait même sur une règle de bon sens, laquelle voudrait que la notification d'une décision de la Commission destinée à une personne morale ait lieu au siège social, a fortiori dans le cas d'une décision imposant des sanctions pécuniaires.

A titre subsidiaire, la Commission a fait valoir qu'il n'était pas possible de conclure de la lettre circulaire du 29 mai 1984 qu'elle aurait été « tenue » de notifier ses décisions — et tout spécialement celles imposant les amendes — à la nouvelle adresse qui y était indiquée. Elle a ajouté que celle du 21 décembre 1984 ne donnait pas plus de précisions à cet égard et qu'au surplus, il y aurait eu pratiquement coïncidence entre sa date de réception (3 janvier) et celle de l'envoi de la décision
(8 janvier), ce qui ferait justice des reproches de négligence à elle adressés.

5.  La question posée par cette affaire est de savoir si la Commission est tenue d'effectuer la notification de ses décisions à l'endroit que lui indique le destinataire.

Nous estimons qu'il doit y être répondu par la négative. La Commission aurait certes pu déférer à un tel souhait. Elle n'y était pas tenue.

Dans l'arrêt 209/83 (affaire Ferriera Valsabbia SpA/Commission, arrêt du 12 juillet 1984, Rec. 1984, p. 3089), vous affirmiez que

« ... l'application stricte des réglementations communautaires concernant les délais de procédure » répond « à l'exigence de la sécurité juridique et à la nécessité d'éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l'administration de la justice » (point 14).

Le règlement de procédure de la Cour ne définit pas les modalités des notifications dont il fait état à l'article 81, paragraphe 1, selon lequel

« les délais impartis pour l'introduction des recours contre un acte d'une institution commencent à courir, en cas de notification, le lendemain du jour où l'intéressé a reçu notification de l'acte... ».

Mais il ressort de votre jurisprudence

« qu'une décision est dûment notifiée, au sens du traité (il s'agit en l'occurrence du traité CEE), dès lors qu'elle est communiquée à son destinataire et que celui-ci est mis en mesure d'en prendre connaissance » (affaire 6/72, Europemballage et Continental Can/Commission, arrêt du 21 février 1973, Rec. p. 215, point 10, p. 241).

Dans l'affaire 224/83 (Ferriera Vittoria/Commission, arrêt du 30 mai 1984, Rec. 1984, p. 2349), après avoir rappelé les dispositions des articles 33, paragraphe 3, du traité CECA et 81, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicables dans la présente affaire, vous disiez que:

« La notification a été faite en l'espèce par lettre recommandée avec accusé de réception ..., moyen qui permet de déterminer avec certitude le dies a quo du délai en question... » (point 9).

Ainsi, vous n'imposiez pas de forme pour la notification ma vous déclariez que celle de la lettre recommandée avec accusé de réception était, en la matière, appropriée. Vous ne fixiez pas davantage de règle concernant le lieu de notification, l'essentiel étant que connaissance effective soit prise par le destinataire de la décision notifiée.

En l'occurrence, il n'est pas soutenu que la lettre recommandée ait été remise à une personne non habilitée à la recevoir. Il est, dès lors, difficile d'admettre qu'une notification faite au siège social d'une société (c'est-à-dire à son domicile) ne mette pas celle-ci en mesure de prendre connaissance de l'acte notifié.

Ce qui doit être considéré comme une simple préférence exprimée par la société Cockerill-Sambre quant au lieu de notification des décisions ne saurait, au vu des textes applicables et de votre jurisprudence, créer une obligation à l'égard de la Commission ni avoir d'incidence sur les délais. La sécurité juridique commande, en effet, que l'interprétation et l'application des règles de procédure ne soient pas subordonnées aux aléas de l'organisation interne des entreprises concernées.

Une application stricte de la réglementation communautaire amène à constater qu'en l'espèce, notification ayant dûment été faite le 9 janvier 1985 de la décision litigieuse, le délai pour la contester expirait le 12 février 1985.

6.  Le recours introduit le 14 février 1985 doit donc, selon nous, être déclaré irrecevable.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 42/85
Date de la décision : 08/10/1985
Type de recours : Recours contre une sanction - irrecevable

Analyses

CECA - Notification d'une décision.

Matières CECA

Sidérurgie - acier au sens large

Quotas de production


Parties
Demandeurs : Cockerill - Sambre SA
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:399

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