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27/06/1985 | CJUE | N°211

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 juin 1985., Krupp Stahl AG et Thyssen Stahl AG contre Commission des Communautés européennes., 27/06/1985, 211


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 27 juin 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

La crise de l'acier a commencé à manifester ses effets à partir de 1973, année du premier choc pétrolier, à la suite de laquelle la croissance économique a diminué, ainsi que les investissements dans l'industrie automobile, la construction navale, etc., qui entraînaient auparavant une grande demande d'acier. A cela se sont ajoutées l'apparition de substituts de l'acier et une augmentation de l'offre

à des prix très bas, en provenance de pays riches en matières premières et à main-d'œuvre bon marc...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 27 juin 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

La crise de l'acier a commencé à manifester ses effets à partir de 1973, année du premier choc pétrolier, à la suite de laquelle la croissance économique a diminué, ainsi que les investissements dans l'industrie automobile, la construction navale, etc., qui entraînaient auparavant une grande demande d'acier. A cela se sont ajoutées l'apparition de substituts de l'acier et une augmentation de l'offre à des prix très bas, en provenance de pays riches en matières premières et à main-d'œuvre bon marché.

L'industrie sidérurgique a alors fonctionné en surcapacité. Les prix ont chuté, alors que les coûts de production augmentaient.

Face à cette situation, il appartenait à la Communauté de rechercher des solutions à partir des dispositions du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) et attribuant en pareille matière un rôle moteur à la Commission agissant sur avis conforme du Conseil.

L'ensemble des États membres a admis que le déséquilibre entre l'offre et la demande était d'ordre structurel et qu'il fallait tout à la fois réduire les capacités de production et moderniser en les rationalisant les installations existantes. L'objectif global était donc de parvenir à la restructuration de l'industrie sidérurgique européenne, tout en assurant un niveau de revenus suffisant aux entreprises.

La politique instaurée à la fin des années 70 a commencé par l'introduction d'un régime de prix minimaux, avec des systèmes d'action indirecte tels qu'engagements individuels de limitations de livraisons, accords avec les pays tiers sur les prix et les quantités.

Elle repose, depuis 1980, sur deux systèmes réglementés:

a) Un système a'encadrement des aides attribuées par les États a été mis en place en 1980, par la décision de la Commission no 257/80/CECA, instituant des règles communautaires pour les aides spécifiques à la sidérurgie (JO L 29 du 6.2.1980, p. 5), prise sur la base de l'article 95 du traité CECA et généralement appelée « premier code des aides ». Elle a été remplacée par la décision de la Commission no 2320/81/CECA (JO L 228 du 13.8.1981, p. 14), dite « deuxième code des aides », applicable
jusqu'au 31 décembre 1985. Ainsi que le rappelle le premier considérant de cette décision,

« le but essentiel (de cette réglementation) était de mettre en place un système communautaire autorisant l'octroi des aides spécifiques à la sidérurgie à affecter à des buts bien définis, à condition qu'elles contribuent à la restructuration du secteur, que leur durée et leur intensité soient limitées et qu'elles ne provoquent pas de distorsion inacceptable de la concurrence ».

En vertu de ce « deuxième code », la Commission, par neuf décisions du 29 juin 1983 (JO L 227 du 19.8.1983), a autorisé neuf États membres à accorder des aides à leurs entreprises pour des montants fixés sur la base de projets communiqués à la Commission par les États concernés. Ces décisions fixent à la fois les montants maximaux d'aides autorisées et les réductions minimales de capacités de production auxquelles l'octroi des aides est subordonné. En outre, les projets communiqués par certains
États étant restés trop sommaires, ceux-ci ont dû transmettre à la Commission, avant le 31 janvier 1984, un tableau indiquant les installations à fermer par entreprise, afin de mettre l'autorité communautaire en mesure de vérifier si les réductions de capacités fixées au vu des projets avaient été atteintes.

Dans le cadre d'une autre instance, la République fédérale d'Allemagne, soutenue par une association professionnelle de l'industrie sidérurgique allemande, a introduit devant vous un recours en annulation partielle des décisions du 29 juin 1983 ayant autorisé les gouvernements belge, français, italien et britannique à accorder des aides à certains producteurs sidérurgiques (affaire 214/83, République fédérale d'Allemagne/Commission). M. l'avocat général VerLoren van Themaat a prononcé ses
conclusions dans cette affaire le 23 mai 1985. De précieuses indications y sont données sur le régime des aides et plus généralement sur la politique de la Communauté face à la crise sidérurgique.

b) Un régime de quotas de production d'acier pour les entreprises de l'industrie sidérurgique, qui vous est connu à la suite des nombreux recours déjà portés devant vous à l'occasion de son application, a été instauré par la décision de la Commission no 2794/80/CECA du 31 octobre 1980 (JO L 291 du 31.10.1980, p. 1). Cette décision a été prise sur la base de l'article 58 du traité CECA, à la suite d'une chute brutale de la demande d'acier dans la Communauté durant le troisième trimestre de 1980. La
Commission, constatant que le taux d'utilisation des capacités de production des entreprises était tombé à 58 %, a considéré que la Communauté se trouvait en état de « crise manifeste » au sens de l'article 58 du traité. Elle a, en outre, indiqué que les modes d'action indirecte auparavant utilisés s'étaient révélés insuffisants et qu'il fallait « intervenir directement et de manière obligatoire dans la production en vue de rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande » (points 2 et 3 du
considérant de la décision no 2794/80 précitée).

Le régime des quotas a été deux fois prorogé par décisions générales de la Commission no 2177/83/CECA du 28 juillet 1983 (JO L 208 du 31.7.1983, p. 1), trois fois modifiée (décisions no 2546/83 du 7 septembre 1983, JO L 250 du 10.9.1983, p. 17; no 2748/83 du 30 septembre 1983, JO L 269 du 30.9.1983, p. 55; no 3280/83 du 8.11.1983, JO L 322 du 19.11.1983, p. 35) et no 234/84/CECA du 31 janvier 1984 (JO L 29 du 1.2.1984, P. 1.

Les quotas sont établis par application de taux d'abattement fixés chaque trimestre sur la base des productions de référence de chaque entreprise.

Au cours de son évolution, le régime des quotas a acquis une certaine souplesse. Il est devenu possible de procéder à des échanges ou cessions de quotas, voire de références, entre entreprises [voir, notamment, documents de la Commission COM(83) 236 final, p. 3],

Par ailleurs, un système de quotas « additionnels » a été mis en place par l'article 14b de la décision no 2177/83, « afin d'inciter les entreprises à procéder rapidement aux fermetures exigées par le plan de restructuration approuvé par la Commission » (considérant, point 11). La décision no 3280/83 a quelque peu modifié le libellé de l'article 14b. La décision no 234/84 a, dans son article 14B reconduit le système des quotas supplémentaires, dans une formulation n'en modifiant pas les critères
d'application essentiels.

Les quatre recours joints dont vous avez à connaître sont relatifs aux critères d'application du système des quotas additionnels. Quelques indications précises sont donc nécessaires à cet égard.

Dans sa première version (décision no 2177/83/CECA), l'article 14b était ainsi libellé:

« 1) La Commission peut attribuer des quotas additionnels à une entreprise lorsque, dans le cadre d'un programme de restructuration dont elle aura admis qu'il est de nature à assurer la viabilité de ladite entreprise en 1986, celle-ci aura, depuis le 1er janvier 1980, réalisé trois quarts au moins des réductions de capacités de production prévues par ce programme; Cette entreprise ne devra pas avoir fait l'objet, au regard des règles de prix, de sanctions ou s'être acquittée des amendes dues.

2) Les entreprises intéressées doivent introduire leurs demandes, accompagnées des pièces justificatives, dans les six premières semaines du trimestre.

3) Le quota additionnel est calculé comme suit:

a) la Commission établit le rapport des productions de référence totale de l'entreprise aux productions de référence de l'ensemble des entreprises;

b) elle établit également le rapport des fermetures déjà effectuées depuis le 1er janvier 1980 par l'entreprise en question aux fermetures totales à effectuer par cette entreprise dans le cadre du plan de restructuration visé au paragraphe 1. Elle établit le coefficient résultant du produit de ces deux rapports;

c) le quota additionnel est, au maximum, égal au produit de 250000 tonnes par le coefficient repris au point b); il sera réparti entre les différentes catégories de produits, suivant la structure des productions de référence de l'entreprise. »

Dans sa seconde version (décision no 3280/83/CECA), prise en raison de « difficultés imprévues » rencontrées pour l'application du texte, la première phrase du paragraphe 1 a été reformulée comme suit:

« La Commission peut attribuer des quotas additionnels à une entreprise si celle-ci a, depuis le 1er janvier 1980, réalisé des réductions de capacités de production au moins égales aux trois quarts du total des réductions de capacités prévues par son plan de restructuration et de celles exigées éventuellement par la Commission dans ses décisions du 29 juin 1983 concernant les aides à la sidérurgie. »

La suite de l'article est restée inchangée.

Dans sa dernière version (décision no 234/84/CECA), l'article 14b est devenu 14B. Pris, selon le considérant no 7 de cette décision, pour « accroître l'incitation des entreprises à se restructurer rapidement en renforçant les dispositions prévues par cet article », demandant aux entreprises, selon le même considérant, « un effort supplémentaire mais pour un gain plus substantiel », ce texte a une portée correspondant très largement à celle de l'ancien aniele 14b. La condition de réduction des trois
quarts prévue initialement est portée à « 85 % du total des réductions de capacités prévues par [le] plan de restructuration [de l'entreprise concernée] et de celles requises éventuellement par la Commission dans ses décisions concernant les aides à la sidérurgie ».

Un alinéa 2, ajouté au paragraphe 2, dispose qu'à partir du 1er juillet 1984, seules pourront prétendre au bénéfice de cet article les entreprises dont le plan de restructuration aura été approuvé par la Commission ou pour lesquelles une demande pourra être considérée par la Commission comme justifiée dans le contexte du plan de restructuration.

2.

Les quatre recours dont vous avez à connaître ont été introduits respectivement par deux entreprises de l'industrie sidérurgique allemande: les recours 211/83 et 78/84 par la société Krupp Stahl AG (ci-après Krupp), les recours 212/83 et 77/84 par la société Thyssen Stahl AG (ci-après Thyssen). La République fédérale d'Allemagne est intervenue au soutien des requérantes.

Il importe de préciser que celles-ci et la partie intervenante ne contestent pas le principe de l'octroi de quotas additionnels qui doivent récompenser des réductions de capacités de production. Elles critiquent les critères retenus par la Commission pour déterminer les bénéficiaires de ces quotas, à savoir principalement la date de référence du 1er janvier 1980 pour l'évaluation des capacités de production déjà réalisées, et, en second lieu, la référence à un « programme de restructuration»
(article 14b décision no 2177/80) ou «plan de restructuration» (article 14b, décision no 3280/83, article 14B décision no 234/84).

Selon elles, ces critères auraient pour conséquence, sinon pour but, de favoriser les entreprises ayant maintenu artificiellement grâce à des subventions leurs capacités de production, au détriment de celles qui auraient, volontairement et sans aides, réduit leurs capacités dès que la crise sidérurgique est apparue ou, au plus tard, lorsque la Commission, en 1977, a recommandé une telle attitude.

Les dispositifs des recours introduits en 1983 ont été quelque peu modifiés par les répliques pour être adaptés à la reformulation de l'article 14b (décision no 3280/83), intervenue au cours de la procédure écrite. Les recours introduits en 1984 font suite à la promulgation de la décision no 234/84 (article 14B). Dans l'ensemble, ils tendent à l'annulation partielle de l'article 14b (14B), pour ce qui concerne les références à la date du 1er janvier 1980 (les deux requérantes) et à un plan de
restructuration (Krupp).

La requérante Krupp vous demande d'annuler:

1) « l'article 14b de la décision no 2177/83/CECA ... modifiée par la décision no 3280/83/CECA ... dans la mesure où:

a) des quotas additionnels ne peuvent être attribués en vertu de cet article qu'à des entreprises qui, depuis le 1er janvier 1980, ont réalisé les 3/4 des réductions de capacités de production prévues par un programme de restructuration, et

b) l'octroi de quotas additionnels est, en outre, subordonné au fait que les entreprises aient réalisé les 3/4 des réductions de capacités de production exigées éventuellement par la Commission dans ses décisions du 29 juin 1983 concernant les aides à la sidérurgie... » (affaire 211/83);

2) l'article 14B de la décision no 234/84/CECA pour les mêmes raisons, étant observé que la proportion des 3/4 a été portée à 85 % par le texte attaqué (affaire 78/84).

La requérante Thyssen a conclu afin de voir annuler:

1) l'article 14b de la décision no 2177/83/CECA, tel que modifié par la décision no 3280/83/CECA de la Commission (affaire 212/83), et

2) l'article 14B de la décision no 234/84/CECA (affaire 77/84),

dans la mesure où ces textes font « dépendre l'attribution de quotas additionnels de conditions de fait excluant la prise en considération d'une réduction de capacités réalisée antérieurement au 1er janvier 1980».

3.

Bien que tendant aux mêmes fins, les moyens et arguments des requérantes, dégagés avec plus de clarté dans les observations du gouvernement allemand, ne sont pas absolument identiques. Ils peuvent cependant, compte tenu de leur similitude, être regroupés sans trop de risque de déformation. Les deux requérantes et la partie intervenante se sont fondées sur l'article 33, alinéa 2, du traité CECA qui permet aux entreprises concernées de former un recours contre les décisions et recommandations
individuelles qui leur sont adressées ou contre les décisions et recommandations générales qu'elles estiment entachées de détournement de pouvoir à leur égard.

Le détournement de pouvoir serait, en l'espèce, constitué par les trois éléments suivants:

a) La date de référence choisie — le 1er janvier 1980 — revêtirait un caractère arbitraire et, par là même, aurait des effets discriminatoires.

Le choix d'une telle date résulterait, en effet, de la volonté de privilégier, en vue de l'octroi de quotas additionnels, non la réduction des capacités effectuée dès 1977 par les entreprises allemandes, mais celle restant encore à accomplir au 1erjanvier 1980. Or, aucun élément objectif ne viendrait expliquer un tel parti alors qu'au contraire il eût été plus justifié de retenir une date proche du moment où la politique de restructuration a été définie par la Commission, par exemple le 1er
janvier 1978.

La césure constituée par la date du 1er janvier 1980 impliquerait l'exclusion des entreprises qui ont su, dès le départ, répondre aux recommandations de la Commission. En effet, seuls seraient pris en compte les efforts accomplis postérieurement à cette date par les entreprises qui auraient eu la possibilité de les différer grâce à des subventions étatiques. On comprendrait mal au surplus la valeur incitative de quotas additionnels ainsi évalués.

De cette discrimination résulteraient des distorsions de la concurrence sur le marché de l'acier puisque les entreprises qui ont œuvré dès l'origine pour le rétablissement de l'équilibre de l'offre et de la demande ne recevraient aucune récompense alors que des entreprises subventionnées se verraient attribuer des quotas additionnels immérités. A cet égard, il a été fait référence à vos arrêts 14/81, Alpha Steel (arrêt du 3 mars 1982, Rec. p. 749) et 275/80, Krupp (arrêt du 28 octobre 1981, Rec.
p. 2489) pour souligner à la fois l'importance du principe de l'égalité de traitement dans le cadre de la mise en oeuvre de l'article 58 et les limites établies par votre jurisprudence à l'octroi de quotas supplémentaires destinés à récompenser un effort de restructuration, sans désavantager les entreprises qui ont agi plus tôt ou plus opportunément.

A cette argumentation, on ne saurait, selon les requérantes, opposer, comme le fait la Commission, que les efforts de restructuration effectués de façon anticipée par les entreprises allemandes auraient déjà été pris en compte par un relèvement des productions de référence, au titre des dispositions des points 4 et 5 de l'article 4 de la décision générale no 2794/80. En effet, ces mesures:

— n'auraient pas même objet que l'article 14b (14B): le point 4 vise les accroissements de capacités de production et le point 5 les entreprises qui ont rentabilisé leur production à la suite de mesures de modernisation;

— ne répondraient pas à un souci de restructuration mais viseraient à éviter que l'introduction de quotas additionnels ne vienne défavoriser certaines entreprises.

De toute manière, le bénéfice de ces mesures s'estomperait avec le temps. Enfin, la date choisie pour les appliquer — le 1er juillet, et non le 1er janvier 1980 — entraînerait pour les entreprises, qui pendant cet intervalle de six mois ont pu procéder à des restructurations conformément à l'article 14b (14B), une double récompense.

La Commission ayant présenté un tableau tendant à mettre en évidence qu'une entreprise ayant restructuré avant 1980 pourrait bénéficier d'un quota additionnel plus aisément que les autres entreprises qui ont tardé à le faire, il y aurait lieu de relever que :

— une entreprise qui aurait, avant 1980, réalisé plus des trois quarts, a fortiori la totalité de son programme de restructuration n'entrerait pas dans les prévisions de l'article 14b (14B);

— le tableau supposerait, par ailleurs, la détermination des réductions de capacités déjà intervenues avant 1980: or, la Commission ne se serait pas inspirée de ce critère, mais des programmes de restructuration;

— en ce qui concerne le calcul du quota additionnel, il serait effectué selon deux modalités également discriminatoires, soit à proportion des réductions à réaliser, ce qui avantagerait les entreprises n'ayant procédé à aucune restructuration avant cette date, soit, à égale proportion de réduction, en attribuant le même quota additionnel sans tenir compte dans sa totalité de l'effort de restructuration réellement accompli.

b) L'existence d'un plan de restructuration conditionne l'octroi des quotas additionnels. Or, une telle exigence serait discriminatoire.

En effet, en l'absence de toute définition, cette notion ne pourrait que renvoyer au plan de restructuration tel qu'il opère dans le code des aides.

Il résulterait du lien obligé établi entre aides, plan de restructuration et octroi de quotas additionnels que seules les entreprises qui en auraient fait la demande et rempliraient les conditions pour l'octroi d'aides au titre du code du même nom seraient éligibles aux quotas additionnels. Dès lors, celles qui, comme les requérantes, n'ont fait aucune demande en ce sens seraient, sans que cette différence de traitement puisse être objectivement justifiée, exclues du bénéfice de ces quotas. Elles
seraient même doublement désavantagées par rapport aux autres entreprises qui bénéficieraient à la fois des aides et des quotas additionnels.

Enfin, les requérantes soutiennent que, à la supposer détachée du code des aides, la notion de plan de restructuration serait si imprécise qu'il en résulterait une autre forme de discrimination. Il appartiendrait alors aux entreprises elles-mêmes de définir la consistance des réductions à réaliser: compte tenu des conditions d'approbation par la Commission des plans ainsi présentés, l'octroi des quotas serait livré à l'arbitraire des entreprises.

c) L'introduction, en dernier lieu, d'une référence expresse aux décisions relatives aux aides ne ferait que cristalliser la discrimination qui vient d'être décrite. Plus encore, ce nouveau critère serait impraticable.

En effet, les exigences de la Commission en matière de réductions de capacités seraient globales, leur répartition entre les différentes entreprises étant laissée à l'appréciation des États membres. Ce relais rendrait inopérant le critère précité puisque les entreprises seraient dans l'impossibilité de déterminer d'emblée, sur la base des décisions de la Commission, leurs propres réductions de capacités.

Au surplus, ce critère serait inapproprié car les conditions d'octroi des aides et des quotas additionnels seraient différentes, les premières étant fondées sur des considérations régionales ou sociales, les seconds sur la répartition objective des réductions de capacités.

4.

Tels sont les moyens qui peuvent être dégagés des quatre affaires jointes, étant observé que selon le cas et le moment, l'accent est plus particulièrement mis sur tel ou tel d'entre eux.

Dans l'affaire 211/83, Krupp insiste autant sur le choix de la date que sur la référence à des plans de restructuration liés à des aides, alors que, dans l'affaire 212/83, Thyssen et le gouvernement allemand s'attachent principalement au choix de la date pour en dénoncer les effets discriminatoires.

Les affaires 77/84 et 78/84 font suite, rappelons-le, à la décision no 234/84, dont l'article 14B se réfère au plan de restructuration des entreprises, ainsi qu'aux réductions de capacités éventuellement requises par la Commission dans ses décisions concernant les aides. L'accent y est dès lors mis principalement sur la nature des liens entre les régimes respectifs de quotas et d'aides.

En outre, Thyssen a fondé ses recours non seulement sur l'article 33, alinéa 2, du traité CECA, mais également, par renvoi de l'alinéa 2, sur l'alinéa 1 du même article. Selon elle, en effet, en dépit d'un libellé abstrait, les décisions nos 2177/83, 3280/83 et 234/84 revêtiraient, en ce qui la concerne, le caractère de décisions individuelies, car l'introduction de la date de référence permettrait de désigner d'emblée un certain nombre d'entreprises, connues de la Commission, qui deviendraient les
bénéficiaires des quotas additionnels. Présentant, en raison du choix de la date, un avantage sélectif pour ces entreprises au détriment d'autres, dont la requérante, les articles 14b et 14B devraient donc être considérés comme des décisions l'affectant directement et individuellement. En tant que tels, ils encourraient votre censure, la Commission n'ayant pas motivé les raisons de ce choix et ayant de ce fait commis une violation des formes substantielles.

5.

La Commission estime que la date choisie est un critère général d'application et que l'article 14b (14B) n'affecte ni individuellement ni directement la situation juridique de la requérante.

Elle vous demande de déclarer irrecevable le recours Thyssen en tant qu'il est fondé sur l'article 33, alinéa 1, du traité CECA.

Subsidiairement, la Commission soutient que ce moyen n'est pas fondé, car toute entreprise soumise au régime des quotas aurait dû savoir que les mesures de restructuration intervenues avant 1980 avaient été prises en compte et récompensées dans le calcul des productions de référence, donnant ainsi lieu à des quotas plus élevés. Une motivation spéciale sur le choix de la date ne se serait donc pas imposée.

6.

La recevabilité des recours en tant qu'ils sont fondés sur l'article 33, alinéa 2, du traité CECA n'est pas contestée par la Commission, qui vous demande cependant de les déclarer mal fondés.

D'une façon générale, elle affirme qu'ils ne sauraient tendre à une simple annulation partielle, car la suppression de certaines références figurant à l'article 14b (14B), notamment de la date du 1er janvier 1980, priverait ce texte de tout équilibre et aurait la portée d'une annulation totale.

La Commission rappelle que la Cour a consacré les principes fondamentaux du système instauré par la décision no 2794/80. Celle-ci aurait déjà établi un lien entre le régime des quotas de production et l'action de restructuration (article 4, point 4). Les efforts volontaires des entreprises s'étant révélés insuffisants, il aurait fallu mettre ce lien plus formellement en relief dans la décision no 2177/83.

La Commission expose le sens de sa politique depuis l'instauration du régime des quotas: pour adapter les structures de l'industrie sidérurgique, il fallait, face à un excédent de production, à la fois moderniser et rationaliser les entreprises, avec accroissement de leur productivité et de leur rentabilité, et faire procéder à des fermetures d'installations non rentables ou vétustés. Malgré de premiers progrès appréciables dans le sens de la modernisation, il convenait, compte tenu des surcapacités
constatées et des objectifs fixés, que le nombre de fermetures augmentât notablement. Ainsi ont été introduits dans les décisions relatives aux quotas les articles 14a, 14b et 15, qualifiés d'« articles de restructuration ».

Le deuxième code des aides subordonne l'octroi de celles-ci à des programmes de restructuration destinés à les rendre, à terme, inutiles. Dans le domaine des quotas, les articles 14a, 14b et 15 tendraient à réaliser les mêmes objectifs que le code des aides.

L'article 14a aurait pour but de permettre aux entreprises, dont la compétitivité justifie le maintien des installations existantes, de bénéficier d'un relèvement de leur taux d'exploitation par adaptation de leurs productions et quantités de référence servant de base au calcul des quotas. En effet, à défaut d'un tel correctif, elles risqueraient d'être défavorisées par rapport aux entreprises dont les installations ont dû être fermées et qui, leurs productions de référence étant maintenues, ont
connu une augmentation du taux d'exploitation des installations subsistantes.

L'article 14b répondrait à la nécessité de combattre le déséquilibre structurel et inciterait à procéder le plus rapidement possible à des réductions de capacités, par attribution de quotas additionnels aux entreprises ayant résorbé la majeure partie de leurs excédents.

L'article 15 vise, quant à lui, à adapter les productions et quantités de référence à la nouvelle structure des installations des entreprises ayant procédé à des restructurations, par échanges de productions et de quantités de référence ou transferts à l'intérieur de certains groupes de catégories de produits.

7.

a) Sur le choix de la date du 1er janvier 1980, la Commission conteste que le but ait été de ne prendre en considération, dans la perspective de relèvements de quotas, que les fermetures opérées postérieurement à cette date.

Il s'agirait d'une date de comptabilité destinée à déterminer les excédents subsistant au 1er janvier 1980 dans la Communauté et répartir entre les États membres les réductions nécessaires. Elle aurait été la plus adaptée car correspondant à la fois à celle de l'instauration du code des aides et du régime des quotas. En outre, c'est sur la base des excédents de capacités de la Communauté constatés au 1er janvier 1980 qu'a été entreprise la répartition des réductions de capacités entre les États
membres. L'excédent a été évalué à 48 millions de tonnes, les réductions de capacités ont été fixées à 27 millions de tonnes, limite de ce que l'industrie sidérurgique européenne aurait été capable de supporter compte tenu des conséquences politiques et sociales en résultant pour certaines régions. Ainsi, sur la base des données relevées au 1erjanvier 1980, ont été imposées aux entreprises sidérurgiques les plus subventionnées de la Communauté, représentant une capacité totale de production de 77
millions de tonnes, des réductions pour un total de 19,8 millions de tonnes.

Les requérantes, faisant partie du groupe d'entreprises non subventionnées jusqu'en 1980, auraient, comme les autres, bénéficié des mesures de crise prises par la Communauté.

Compte tenu des efforts accomplis antérieurement à 1980, elles n'auraient plus à procéder qu'à des mesures de restructuration de bien moins vaste portée.

Enfin, elles auraient bénéficié, au titre des restructurations antérieures à 1980, des dispositions de l'article 4, paragraphes 4 et 5, de la décision no 2794/80, permettant l'adaptation et l'augmentation des productions de référence. Ces dernières auraient, au surplus, été reprises dans les décisions générales ultérieures, ce qui laisserait donc subsister l'avantage ainsi accordé.

La Commission soutient que, pour cette raison, il ne pouvait pas être tenu compte à un second titre des réductions effectuées avant 1980. Celles-ci ayant déjà été récompensées, les réintroduire dans le calcul des quotas additionnels aurait eu pour conséquence de rétribuer deux fois le même effort. A l'opposé, une date postérieure eût pénalisé certaines entreprises ayant procédé à des restructurations à partir de 1980. Le choix de la date du 1er janvier 1980 serait donc, selon la Commission,
objectivement justifié.

b) Quant à l'exigence d'un «programme de restructuration», qui serait lié à une demande d'aides, la Commission soutient qu'il s'agit d'un terme technique recouvrant non seulement les plans à elle soumis par des entreprises en vue d'obtenir des aides, mais aussi ceux établis exclusivement en vue de l'obtention de quotas additionnels.

Krupp aurait fourni en novembre 1983 son plan de restructuration en vue d'obtenir des quotas additionnels. Ce plan, d'abord rejeté comme insuffisant par la Commission, a été finalement accepté, compte tenu d'une réduction supplémentaire de production de 300000 tonnes, et a été ultérieurement repris dans la communication effectuée par le gouvernement allemand dans le cadre des aides. Des quotas ont ainsi pu être accordés à la société Krupp.

c) Quant à la référence aux décisions sur les aides, spécialement dans la deuxième rédaction de l'article 14b, la Commission, soulignant que les conditions d'obtention d'un quota additionnel n'ont pas été rendues plus rigoureuses par rapport à la décision no 2177/83, fait valoir que le fait que les deux systèmes, quotas et aides, ne soient pas de même nature n'empêche pas qu'un lien puisse être établi entre eux qui ne saurait entraîner la nullité de la disposition en cause.

La décision no 3280/83 n'a pu immédiatement imposer aux entreprises allemandes d'obligation de réduction de capacités liée aux aides. En effet, la République fédérale d'Allemagne disposait d'un délai expirant le 31 janvier 1984 pour faire connaître à la Commission la répartition entre entreprises des fermetures envisagées. En conséquence, et jusqu'à cette date, la décision no 3280/83 n'aurait pu faire grief aux requérantes.

Postérieurement, les entreprises allemandes auraient pu bénéficier de quotas additionnels attribués soit en exécution des modalités d'application du code des aides, soit, à défaut de telles subventions, à la condition que leur propre plan de restructuration ait été approuvé par la Commission.

8.

Il convient, avant d'examiner les moyens tels que dégagés ci-dessus, de présenter quelques remarques liminaires.

Si l'objectif communautaire — réduire les capacités de production des entreprises sidérurgiques afin de combattre le déséquilibre structurel existant en ce domaine — a été d'emblée rappelé par la Commission, l'articulation dp dispositif mis en place à cette fin n'est apparue qu'au cours de la procédure.

En pareille matière, régie par des actes de caractère réglementaire, on ne saurait, avez-vous dit

« exiger que la motivation spécifie les éléments de droit et de fait, parfois très nombreux et complexes, qui font l'objet de tels actes, dès lors que ces éléments rentrent dans le cadre de l'ensemble dont ils font partie» (affaire 244/81, Klöckner Werke/Commission, arrêt du 11 mai 1983, Rec. p. 1451, point 33).

Encore faut-il que le raisonnement suivi soit perceptible et ressorte de façon «claire et non équivoque » (même référence).

On peut, dès lors, regretter que le raisonnement suivi par la Commission n'ait pas été davantage explicité dans les décisions litigieuses prises successivement en matière de quotas additionnels. La lecture des différents mémoires de la Commission laisse à penser que s'est formulée, au fil des procédures, une théorie qui eût gagné à être plus clairement perceptible au stade de la prise de décision. Ainsi, tout en observant qu'un certain nombre d'éléments devaient être connus des professionnels de la
sidérurgie, on a parfois le sentiment de découvrir, chemin faisant, tant l'équilibre du système que les rapports existant entre certaines dispositions, telles celles contenues aux articles 14b de la décision no 2177/83 et 4, paragraphes 4 et 5, de la décision no 2794/80.

On doit enfin noter qu'aucune définition n'est donnée du « programme de restructuration » visé à l'article 14b précité, devenu le « plan de restructuration » dans la décision no 3280/83, modifiant cet article, ainsi que dans l'article 14B de la décision no 234/84.

Ces remarques, qui donnent au litige un éclairage spécifique, peuvent avoir des conséquences juridiques si, comme le prétend la requérante Thyssen, les actes contestés doivent s'analyser comme des décisions individuelles, et ce dans la mesure où il y aurait lieu de considérer que la motivation était déterminante.

Mais examinons tout d'abord les moyens fondés sur la notion de détournement de pouvoir en vertu de l'article 33, alinéa 2, du traité CECA, terrain sur lequel, rappelons-le, la recevabilité n'est pas contestée.

9. Sur le moyen tiré du choix de la date de référence du 1erjanvier 1980

Dans votre arrêt 250/83 du 15 janvier 1985 (Finsider/Commission, Rec. 1985, p. 142), vous avez rappelé que:

« Pour qu'on puisse reprocher à la Commission d'avoir commis une discrimination, il faut qu'elle ait traité d'une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certains opérateurs par rapport à d'autres, sans que cette différence de traitement soit justifiée par l'existence de différences objectives d'une certaine importance » (point 8).

Vous avez précisé que, pour qu'un traitement différent reproché par une requérante à la Commission constitue un détournement de pouvoir,

« il faut, en premier lieu, examiner si ce traitement repose sur l'existence de différences objectives et importantes au regard des buts que la Commission peut légalement poursuivre dans le cadre de sa politique industrielle pour la sidérurgie européenne » (même référence).

Partant de ce rappel, il importe donc de déterminer si le critère de date retenu par la Commission pour l'application de l'article 14b (14B) en cause est de nature à désavantager certaines entreprises sidérurgiques européennes par rapport à d'autres.

H ne saurait être contesté que, quelles que soient les entreprises, ce critère de date exclut de la base de calcul des quotas additionnels les mesures de restructuration effectuées avant 1980. En effet, le système établi par l'article 14b (14B) exprime la volonté de la Commission de satisfaire à un impératif d'« incitation à une restructuration rapide », à la charge de certaines entreprises sidérurgiques, comme le souligne cet intitulé du onzième considérant de la décision no 2177/83. Cet objectify
est ainsi décrit:

« Afin d'inciter les entreprises à procéder rapidement aux fermetures exigées par le plan de restructuration approuvé par la Commission, il est apparu utile de prévoir l'attribution de quotas supplémentaires aux entreprises dès qu'elles ont accompli la plus grande partie de ces fermetures. »

Afin de bien saisir la portée de cette disposition, il convient de rappeler le contexte dans lequel elle s'inscrit.

Prise par application de l'article 58 CECA, cette mesure participe de la politique d'intervention engagée par la Commission en raison de l'insuffisance des modes d'action indirecte (voir, notamment, considérant point 3, paragraphes 2 et 3, de la décision no 2794/80). Comme votre Cour l'a elle-même déclaré, le système des quotas de production est apparu comme constituant la réponse adéquate à la

« crise très grave, due à la chute brutale de la demande et à l'effondrement des prix, [qui] a atteint toutes les entreprises sidérurgiques de la Communauté » (263/82, Klöckner, arrêt du 14 décembre 1983, Rec' 1983, p. 4143, point 18).

Le régime des quotas, pour faire face à cette situation, organise une

« diminution concertée de l'offre ... de nature à rééquilibrer les positions sur le marché de l'offre et de la demande et à freiner la chute des prix » (263/82, précité point 19).

Cette politique repose donc sur une réduction de la production, notamment par des mesures de restructuration. Les efforts déjà consentis en ce sens par certaines entreprises sidérurgiques ont été dûment pris en compte. C'est précisément ce qu'exprime te quatrième considérant de' la décision no 2794/80, aux termes duquel

«pour éviter que le régime de quotas de production ne remette en cause les efforts de restructuration réalisés avec succès par certaines entreprises depuis le début de la crise, il y a lieu d'ajuster les productions de référence en tenant compte de la situation effective de ces entreprises sur le marché » (paragraphe 5).

Toutefois, et cela a été souligné par le mémoire en défense de la Commission dans l'affaire 211/83, les efforts consentis par certaines entreprises dans le domaine de la restructuration se sont révélés manifestement insuffisants. Par leur comportement, cts entreprises ne répondaient donc pas à l'attente de la Commission ni ne contribuaient de façon satisfaisante à l'« effort de solidarité communautaire visant à permettre à l'ensemble de l'industrie du secteur concerné de surmonter la crise et de
survivre » (263/82, précité, point 19).

Ainsi, face aux obligations communes de solidarité, apparaissaient deux catégories d'entreprises:

— celles qui, compétitives sur le marché, avaient, sans solliciter d'aides étatiques, pris l'initiative de s'adapter spontanément aux exigences nées de la crise,

— les autres, qui, ayant obtenu des subventions dans des conditions parfois discutables, ont pu différer une telle adaptation, faussant ainsi les règles de la concurrence, et faisant perdurer certaines causes de la crise.

Le dispositif légal mis progressivement en place par la Commission répond à cette situation. Quel est, en effet, le droit positif applicable aux entreprises de la seconde catégorie, c'est-à-dire à celles qu'on peut qualifier d'entreprises « subventionnées »?

a) Par les décisions générales établissant le code des aides, il a été décidé:

— pour tenir compte de certains impératifs sociaux et économiques, soulignés par M. l'avocat général VerLoren van Triemaat dans ses conclusions dans l'affaire 214/83, d'encadrer les aides étatiques au plan communautaire,

— pour revenir le plus rapidement possible à un nouvel équilibre de l'offre et de la demande, avec rétablissement des conditions normales de concurrence entre entreprises modernisées et à nouveau compétitives, de lier ces aides à l'effort de restructuration déterminé globalement par la Commission et réparti entre les différentes entreprises.

L'encadrement des aides lié à la restructuration a pour conséquence de corriger leur aspect négatif. C'est ce qui ressort de votre arrêt Finsider (affaire 250/83, précitée), où vous avez souligné que les formes d'aides de nature à promouvoir la restructuration et l'amélioration de compétitivité recherchées à la fois par le code des aides et le régime des quotas doivent être approuvées dès lors qu'elles permettent de poursuivre les buts de la politique industrielle menée par la Commission (point
10).

Dans le même arrêt, vous avez reconnu à la Commission la faculté de priver de quotas supplémentaires

« les entreprises qui ont reçu une forme d'aide susceptible de retarder la restructuration souhaitée, à savoir une aide destinée à couvrir des pertes d'exploitation... » (point 9).

La distinction entre les entreprises subventionnées à mauvais escient et les entreprises concurrentielles est la toile de fond des dispositions des décisions générales mises en cause en l'espèce.

b) Il y a lieu de rappeler qu'en 1980 le régime des quotas a, en quelque sorte, « figé la situation » — pour reprendre l'expression de M. VerLoren van Themaat — et qu'ainsi ont été définies à ce moment, de façon contraignante, les positions des entreprises existant sur le marché communautaire. Comme l'indique la Commission, la décision générale no 2177/83 a, quant à elle, établi« pour la première fois un lien formel entre le régime des quotas et la restructuration ». La Commission entendait ainsi
tirer au bout de trois ans les conséquences de l'application du régime et, en particulier, prendre en compte le cas des entreprises qui, loin de répondre aux incitations à la restructuration, continuaient à en différer l'échéance.

Ainsi, comme vous l'avez relevé dans votre arrêt Finsider précité, les réglementations concernant les aides et les quotas

« poursuivent un but commun, à savoir celui de promouvoir la restructuration nécessaire pour adapter la production et les capacités à la demande prévisible et de rétablir la compétitivité de la sidérurgie européenne » (point 9).

La cohésion de ce système dépend pour une bonne part de sa délimitation dans le temps.

Précisément, l'objectif poursuivi par la Commission est, par les mesures d'intervention ainsi mises en place, d'aboutir à bref délai tant à la suppression des aides qu'à celle des quotas: la date du 31 décembre 1985 est le «butoir» qui a été choisi. Ce choix éclaire la portée de l'article 14b (14B).

En effet, quel est concrètement le son réservé aux entreprises subventionnées?

D'une façon générale, l'encadrement des aides a coupé court au système de la survie artificielle d'unités de production et contraint les entreprises concernées à des reconversions rigoureuses.

Plus spécifiquement, l'article 14b (14B), en imposant des seuils élevés (75 %, puis 85 % d'exécution d'un programme de restructuration), facilitait aux entreprises déjà implement restructurées l'accès à des quotas additionnels qui représentent un avantage économique, alors que celles auxquelles restaient à effectuer d'importantes restructurations devaient fournir un effort nettement plus considérable pour parvenir à un résultat comparable.

En effet, il n'est guère contestable qu'une entreprise ayant déjà retrouvé une plus grande compétitivité, à laquelle il ne resterait plus à supprimer que 10000 tonnes de capacités de production, aurait à fournir un effort de restructuration notablement moins important que celle dont la compétitivité resterait à rétablir puisqu'elle n'aurait jusqu'alors survécu qu'à l'aide de subventions et qu'elle devrait, pour obtenir un quota additionnel, réduire de 100000 tonnes sa capacité de production.

On peut donc considérer que les entreprises qui ont différé leur restructuration à l'aide -de subventions se sont trouvées sanctionnées par la réglementation tant des aides que des quotas instaurée en 1980, car, contrairement aux entreprises compétitives, elles doivent contribuer aux réductions de capacités envisagées par la Commission pour une part globale qui représente plus du triple de l'effort requis des entreprises subventionnées.. Au surplus, elles sont contraintes, pour obtenir avant 1986
tant des aides que des quotas additionnels, de procéder massivement aux restructurations exigées.

De telles considérations nous amènent à penser que les quotas additionnels prévus à l'article 14b (14B) représentent moins la récompense d'une action de restructuration que la sanction appliquée aux entreprises n'ayant pas répondu en temps utile aux exigences de la politique sidérurgique communautaire.

Quelle est en revanche la situation des entreprises dont l'effort de restructuration a commencé bien avant 1980?

Ces restructurations, spontanément effectuées, ont été intégrées dans la répartition, entre toutes les entreprises, des quotas de production, comme cela résulte en effet du quatrième considérant, paragraphe 5, précité, de la décision no 2794/80.

L'article 4, paragraphes 4 et 5, de cette decision, concrétise cette intention. De vos arrêts Krupp/Commission (affaires 275/80 et 24/81, arrêt du 28 octobre 1981, Rec. p. 2489) et Halyvourgiki/Commission (affaires jointes 39, 43, 85 et 88/81, arrêt du 16 février 1982, Rec. p. 593, spécialement point 28, p. 617) peut être retiré l'enseignement que l'article 4, paragraphes 4 et 5, de la décision no 2794/80 comporte, par dérogation au système de production de reference, des correctifs destinés à
prendre en considération, en faveur de certaines entreprises, les restructurations opérées jusqu en 1979.

Ainsi a-t-on donné une contrepartie aux efforts réalisés à l'initiative de certaines entreprises pas ou peu subventionnées. On pourrait, certes, objecter que cette contribution spontanée, anticipant l'effort ultérieurement imposé par la Commission, même si elle a été prise en compte, ne les a pas dispensées d'être assujetties de toute nouvelle obligation de restructuration. N'y a-t-il pas, dès lors, une atteinte au principe de «répartition équitable» de l'article 58 CECA?

Il faut répondre par la négative.

Il doit être, en effet, rappelé que, quelles qu'aient pu être les réductions de capacités décidées par ces entreprises, des excédents subsistaient en 1980. Comme cela a déjà été indiqué, ces excédents, estimés à 48 millions de tonnes, ont conduit à des exigences de réduction portant sur 27 millions de tonnes dont 7 millions ont été mises à la charge des entreprises peu ou non subventionnées. Or, vous l'avez dit, la réduction de l'offre

entraîne de lourds sacrifices, qui doivent être répartis équitablement entre toutes les entreprises du secteur, impliquées dans un effort de solidarité communautaire visant à permettre à l'ensemble de l'industrie du secteur concerné de surmonter la crise et de survivre y, (263/82; précité, point 19) (c'est nous qui soulignons).

A cet égard, on peut difficilement comparer les charges incombant encore respectivement aux entreprises ayant bénéficié d'aides et à celles qui, parce qu'elles sont rentables ou proches de l'équilibre, ont pu s'en passer: l'effort requis des premières est à la mesure des retards accumulés, bien que « la récompense », c'est-à-dire le quota additionnel, soit de même nature que celle attribuée aux secondes, dès lors que les conditions de l'article 14b (14B) sont remplies.

Le contexte dans lequel s'inscrit l'ensemble du dispositif réglementaire régissant depuis 1980 le marché de l'acier permet donc de discerner, selon la qualité de l'entreprise, des exigences différenciées de solidarité, fonction de la surcapacité à éliminer. En définitive, il y a lieu de constater que, pour une période de six années commençant en 1980 et à l'issue de laquelle le secteur sidérurgique devrait, si les objectifs fixés sont atteints, être assaini, toute mesure concernant la réalisation de
l'objectif de restructuration et soumettant à des conditions identiques les entreprises sidérurgiques existant sur le marché communautaire ne saurait être considérée comme discriminatoire. Les requérantes peuvent bénéficier de quotas additionnels, qu'elles ont d'ailleurs obtenus — nous l'avons appris en cours de procédure -, ou qu'elles peuvent obtenir à moindre coût économique et social.

Il résulte de ces développements que le choix de la date du 1er janvier 1980 repose sur un critère objectif, concordant avec les buts que peut légalement poursuivre la Commission dans le cadre de sa politique sidérurgique.

Au risque de nous répéter, regrettons ici que, compte tenu des réserves déjà émises en 1982 par le gouvernement allemand quant au choix de cette date de référence (voir, dans les annexes produites par la partie intervenante, la lettre du gouvernement allemand du 7 juillet 1982 et la réponse de la Commission datée du 22 juillet 1982), la Commission n'ait pas estimé utile d'expliciter alors sa décision.

10. Sur le moyen fondé sur la référence à un plan de restructuration

Il n'apparaît pas que l'argumentation des requérantes selon laquelle il existerait un lien obligé entre la notion de programme de restructuration et le système des aides soit fondée. Comme cela a été dit, le but du régime des quotas est, comme celui des aides, la restructuration. Dès lors qu'il s'agit d'apprécier la demande d'attribution de quotas supplémentaires, rien n'interdit à la Commission, conformément au pouvoir d'appréciation qui lui est confié par le traité, de se déterminer par référence
à un programme ou plan de restructuration. L'affirmation selon laquelle un tel critère exclurait du bénéfice des quotas additionnels les entreprises qui ne voudraient pas avoir recours à des aides procède d'une assimilation erronée de la notion de programme ou de plan de restructuration à celle utilisée dans le deuxième code des aides. Cette démarche, bien que la terminologie employée puisse éventuellement prêter à confusion, n'est pas corroborée par les faits et les requérantes ne rapportent pas la
preuve qu'un quota additionnel ait été refusé à une entreprise pour la seule raison qu'elle n'avait pas sollicité d'aide.

Ajoutons qu'on ne saurait partager le point de vue des requérantes selon lequel l'établissement d'un tel programme, laissé à la libre détermination des entreprises, retirerait à l'article 14b (14B) tout effet incitatif à la restructuration. Une telle conception fait bon marché de l'impératif de saine gestion qui s'impose à toute entreprise prenant en compte les « objectifs acier » de la Commission. Elle néglige, de plus, le contrôle sur l'efficacité du plan de restructuration exercé par la
Commission préalablement à l'octroi des aides, le critère de plan de restructuration doit être entendu de façon large. Il recouvre certes le plan prévu dans le code des aides pour les entreprises y ayant recours, sans exclure cependant le programme propre aux entreprises ne sollicitant pas de telles subventions.

Aucun élément des dossiers ne permettant de dire que ce critère a été appliqué dans la conception restrictive décrite par les requérantes, aucune discrimination constitutive d'un détournement de pouvoir ne saurait être reprochée à la Commission de ce chef.

11. Sur le moyen fondé sur une référence aux décisions relatives aux aides à la sidérurgie

La décision no 3280/83 a intégré dans l'article 14b une nouvelle condition d'octroi de quotas additionnels, à savoir la mise en œuvre de trois quarts du total des réductions de capacités « exigées éventuellement par la Commission dans ses décisions du 29 juin 1983 concernant les aides à la sidérurgie ». L'article 14B de la décision no 234/84 évoque les réductions « requises éventuellement par la Commission dans ses décisions concernant les aides à la sidérurgie » (c'est nous qui soulignons).

Les critiques des requérantes, relatives à l'introduction de critères relevant d'un système différent, celui des aides, ne résistent pas à la simple constatation que, dès lors que les deux systèmes, dont les critères d'appréciation sont certes différents, ont tous deux la restructuration pour objectif, rien ne doit pouvoir s'opposer à ce que les données résultant de l'application de l'un des systèmes puissent être reprises à titre de référence dans l'autre.

Cela ressort, en effet, du pouvoir d'appréciation de la Commission. Rechercher, comme le font les requérantes, un élément discriminatoire dans la référence aux décisions sur les aides, revient en réalité, à défaut de toute autre précision, à critiquer le code des aides lui-même. Or, celui-ci n'est pas, en tant que tel, contesté dans le cadre du présent recours.

Rien ne paraît, dès lors, s'opposer à ce que, pour l'attribution des quotas additionnels, référence soit faite au régime des aides.

Prenons maintenant position sur le grief de la requérante Krupp, qui estime qu'il n'aurait pas dû être fait référence à la décision de la Commission du 29 juin 1983 concernant la République fédérale d'Allemagne, cette donnée étant trop imprécise eu égard à la délégation donnée aux États membres en vue de déterminer pour chaque entreprise les réductions de capacités requises par la Commission.

Ce grief ne résiste pas à l'examen. Il résulte tant de la procédure que des explications fournies au cours des débats que la Commission n'a nullement délégué de telles attributions aux États membres.

En ce qui concerne la République fédérale d'Allemagne, la décision 83/392/CECAdu 29 juin 1983 a été élaborée sur la base d'indications données à la Commission par la République fédérale d'Allemagne, en concertation étroite avec les entreprises sidérurgiques concernées, et de contacts suivis avec la Commission.

Cette décision à caractère global a été ultérieurement détaillée au vu du tableau fourni par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et précisant la répartition des réductions de capacités à opérer par les entreprises allemandes. Ce processus décisionnel de la Commission forme un tout inséparable et rie saurait être taxé d'imprécision.

Entre le 29 juin 1983 et le 31 janvier 1984, Krupp, comme nous l'avons indiqué, a présenté une demande de quotas qui, d'abord refusée, a été acceptée lorsque l'entreprise concernée a consenti une réduction supplémentaire de capacités que la République fédérale d'Allemagne a inscrite dans le tableau de répartition communiqué à la Commission. Ayant satisfait à cette condition, Krupp a pu obtenir un quota additionnel et une aide. Cela prouve à l'évidence que le dispositif a fonctionné dans toute sa
cohérence au bénéfice de l'intéressée.

12. Sur la recevabilité du recours de la société Thyssen fondé sur l'article 33, alinéa 1, du traité CECA (défaut de motivation)

Dirigé contre une décision générale, un recours en annulation n'est recevable que si les dispositions attaquées

« sont de nature à affecter d'une façon individuelle et directe la situation des assujettis » (affaires 55 à 59 et 61 à 63, Acciaierie Fonderie Ferriere di Modena et autres/Haute Autorité, arrêt du 9 juin 1964, Rec. p. 413 et 447).

A cet égard, la possibilité de connaître par avance les entreprises concernées ne suffit pas pour remettre en cause le caractère général d'une décision (affaire 242/81, Société Roquette/Commission, arrêt du 30 septembre 1982, Rec. p. 3213, plus précisément au point 7, p. 3230).

En effet, selon votre jurisprudence, il faut encore que l'acte attaqué concerne la requérante

« en raison de certaines qualités qui [lui] sont particulières ou d'une situation de fait qui [la] caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait [l']individualise d'une manière analogue à celle du destinataire » (25/62, Plaumann, Rec. 1963, p. 223).

Dans le cas d'espèce, il s'agit donc de savoir si Thyssen est caractérisée par rapport aux autres entreprises en raison de la date choisie pour l'application de l'article 14b (14B).

Nous avons vu que la date du 1er janvier 1980 concerne aussi bien les entreprises sidérurgiques subventionnées que celles qui ne le sont pas. L'argumentation de Thyssen repose sur l'idée que la date de référence a été intentionnellement introduite en vue de privilégier telle ou telle entreprise. Outre l'absence de toute preuve à l'appui de pareille affirmation, il y a lieu de relever, comme nous l'avons déjà indiqué, que toute entreprise est eligible aux quotas additionnels de l'article 14b (14B).
Cette disposition s'insère dans une réglementation générale et ne revêt pas, selon nous, un caractère individuel.

Nous concluons donc à l'irrecevabilité de ce moyen.

13.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, nous vous proposons de:

— déclarer irrecevable le recours introduit par la requérante Thyssen sur le fondement de l'article 33, alinéa 1, du traité CECA,

— rejeter, comme non fondés, les recours introduits par les requérantes Krupp et Thyssen sur le fondement de l'article 33, alinéa 2, du traité CECA,

— condamner celles-ci aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 211
Date de la décision : 27/06/1985
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Sidérurgie: attribution de quotas additionnels.

Matières CECA

Quotas de production

Sidérurgie - acier au sens large


Parties
Demandeurs : Krupp Stahl AG et Thyssen Stahl AG
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:277

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