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06/06/1985 | CJUE | N°219/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 6 juin 1985., Michael Powell contre Commission des Communautés européennes., 06/06/1985, 219/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 6 juin 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Par décision du 1er mars 1974, le requérant dans la présente affaire a été nommé fonctionnaire stagiaire avec classement au grade A 5, échelon 3, et affecté à la direction générale Affaires économiques et financières avec effet au 11 février 1974. Par une décision ultérieure du 31 octobre 1974, il a été titularisé au même grade à compter du 11 novembre 1974.

Avant sa nomination, une c

orrespondance avait été échangée entre le requérant et les services compétents de la Commission au sujet de so...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 6 juin 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Par décision du 1er mars 1974, le requérant dans la présente affaire a été nommé fonctionnaire stagiaire avec classement au grade A 5, échelon 3, et affecté à la direction générale Affaires économiques et financières avec effet au 11 février 1974. Par une décision ultérieure du 31 octobre 1974, il a été titularisé au même grade à compter du 11 novembre 1974.

Avant sa nomination, une correspondance avait été échangée entre le requérant et les services compétents de la Commission au sujet de son grade. Par lettre du 2 novembre 1973, M. Powell avait protesté auprès de M. Baxter, directeur du personnel à la Commission, contre la proposition visant à lui attribuer le grade A 5. Compte tenu de son expérience professionnelle, il affirmait qu'il devait être nommé à tout le moins au grade A 4. M. Baxter lui a répondu le 21 novembre 1973 que le comité chargé de
déterminer le grade et l'échelon des fonctionnaires au moment de leur recrutement avait émis un avis spécial en vue du réexamen de son grade à l'issue de sa période de stage. Par la même lettre, il s'est engagé à ce que le service du personnel donne à cet avis la suite voulue. Le requérant a écrit ensuite une deuxième lettre à M. Baxter en date du 26 novembre 1973 aux termes de laquelle il acceptait le poste qui lui était offert, étant entendu que son grade initial ferait l'objet d'un nouvel examen
à l'issue de la période de stage dans la perspective de son reclassement au grade A 4.

Nonobstant les assurances susvisées, il ressort d'une lettre envoyée au requérant le 27 mai 1982 par la direction du personnel que son cas particulier (dénommé « cas limite individuel ») n'avait pas été examiné, bien que le classement attribué à des fonctionnaires britanniques, danois et néerlandais recrutés au grade A 4 et A 5 ait fait l'objet d'un examen général. Néanmoins, il a été informé de ce que sa promotion au grade A 4 avait été proposée.

A la suite de cette dernière lettre, le requérant a introduit une demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut en vue de son reclassement au grade A 4 avec effet rétroactif au 31 décembre 1974. Sa demande, datée du 1er septembre 1982, a été rejetée le 5 janvier 1983 par lettre de M. Burke, membre de la Commission compétent. A la suite du rejet de sa demande, M. Powell a présenté une réclamation le 28 mars 1983 au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, laquelle a été également
rejetée par M. Burke, par lettre du 8 juillet 1983, faisant valoir notamment qu'il ne pouvait plus attaquer la décision le nommant au grade A 5 pour cause de forclusion. Néanmoins, il n'a pas saisi la Cour du rejet de sa réclamation.

Les informations administratives no 420 du 21 octobre 1983 ont été ensuite publiées. Elles comprenaient « une décision relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement ». Cette partie de ces informations, pertinente pour la présente affaire, est libellée comme suit:

« Il est porté à la connaissance du personnel de la Commission que M. Burke, membre responsable des affaires du personnel et de l'administration, a adopté une nouvelle décision relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement prenant effet à la date du 1er septembre 1983. Elle annule et remplace la décision du 6 juin 1973 en vigueur jusqu'à présent.

A titre exceptionnel, tout fonctionnaire classé en application de cette dernière décision dispose toutefois, s'il estime avoir fait l'objet d'un classement non conforme aux critères qui y étaient prévus, d'un dernier délai de trois mois à compter de la date de la présente communication de cette nouvelle décision pour introduire une demande de reclassement.

Le directeur général

du personnel et de l'administration

J.-C. Morel »

Le 22 novembre 1983, le requérant a demandé son reclassement conformément à l'information administrative ci-dessus. Sa demande a été rejetée par M. Morel par note du 6 janvier 1984. Le 2 février 1984, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision de rejet mais a attendu vainement une réponse.

Dans le recours qu'il a formé auprès de la Cour le 28 août 1984, le requérant demande à la Cour d'annuler les décisions de nomination des 1er mars 1974 et 31 octobre 1974 dans la mesure où elles concernent son grade, d'annuler la décision qui lui a été notifiée par note du 6 janvier 1984 et la décision implicite de rejet de sa réclamation du 2 février 1984 et de dire pour droit qu'il est ou devait être classé au grade A 4 avec effet au 11 février 1974.

La Commission a soulevé l'exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91 du règlement de procédure pour cause de forclusion. Selon elle, la décision contestée est la décision du 1er mars 1974 qui a été portée à la connaissance du requérant le 19 mars 1975 au plus tard, puisque c'est à cette date qu'il a signé un accusé de réception de la décision du 31 octobre 1974. Elle affirme que les informations administratives du 21 octobre 1983 n'ont pas eu et ne pouvaient avoir pour effet de faire courir
à nouveau le délai.

En ce qui concerne les décisions antérieures de la Cour, il n'est pas douteux, ce que l'avocat général Mancini a récemment souligné dans ses conclusions relatives à l'affaire 231/84, Valentini/Commission (Rec. 1985, p. 3028), que les délais prescrits par les articles 90 et 91 du statut doivent être respectés pour des raisons touchant à l'ordre public. Les parties ne peuvent ni y renoncer ni les modifier (affaire 227/83, Moussis/Commission, Rec. 1984, p. 3133). En outre, dans plusieurs affaires
auxquelles il se réfère également, la Cour a systématiquement jugé qu'une décision confirmant simplement une décision antérieure ne fait pas à nouveau courir le délai.

Néanmoins, la Cour a reconnu qu'un fait nouveau important peut se présenter, lequel permet à un requérant de demander à la Commission de revoir une décision qui ne pourrait être autrement contestée (affaires jointes 109/63 et 13/64, Muller/Commission, Rec. 1964, p. 1293). Un refus de réexaminer la décision ou un rejet d'une demande de réexamen de cette décision peut ainsi permettre la formation d'un recours du fait que le délai recommence à courir.

Ainsi dans l'affaire 190/82, Blomefield/Commission (Rec. 1983, p. 3981), la Cour a reconnu que la communication aux membres du personnel de la Commission de la décision du 6 juin 1973 par voie d'une circulaire en mars 1981 était un fait nouveau faisant courir à nouveau le délai, ce qui est dû principalement au fait que le requérant n'était pas informé de l'existence ou, en tout cas, des termes de la décision en cause.

Dans l'affaire 231/84, l'avocat général a estimé que le délai avait commencé à courir à l'égard de M. Valentini le 12 mai 1982 après réception d'une réponse à sa demande déposée le 4 juin 1981 en vue d'un réexamen de son classement, de sorte qu'il ne pouvait invoquer la décision Blomefield relative à une affaire où un recours avait été formé dans le délai prescrit, motif pris de ce que le délai de recours avait recommencé à courir.

M. Powell n'a introduit aucune demande basée sur la publication en 1981 des critères remontant à 1973, de sorte que, à cet égard, sa cause différait de celle de M. Valentini. Néanmoins, l'avocat général Mancini a également estimé qu'il ressortait tout au plus des mesures du 21 octobre 1983 que la Commission était disposée à suivre une procédure de révision officieuse, non typique et dépourvue de caractère impératif et qu'il ne s'agissait pas d'un fait nouveau pouvant être invoqué.

Nous reconnaissons que la publication en 1981 de critères non divulgués auparavant qui pour cette raison n'auraient pu être contestés antérieurement diffère de la publication simultanée en 1983 de nouveaux critères et d'une information selon laquelle « à titre exceptionnel » un fonctionnaire estimant qu'il n'avait pas été classé conformément aux critères fixés par la décision antérieure avait une dernière possibilité de demander un reclassement dans les trois mois de la date de la publication.

Ladite information, même si elle été communiquée officieusement et s'il s'agissait d'une offre inhabituelle, a été cependant signée par le directeur général du personnel et de l'administration, qui doit être censé avoir été autorisé par la Commission à cet effet. Il s'agissait peut-être d'une offre que la Commission n'était pas obligée de présenter. Néanmoins, elle a été présentée et elle doit être tenue pour une offre sérieuse et présentée pour des raisons valables. A notre avis, il s'ensuit
apparemment que la Commission reconnaît que si un fonctionnaire, qui ne pourrait dans d'autres circonstances demander à la Commission de revoir son reclassement, juge qu'il aurait dû bénéficier d'un classement différent en fonction des critères antérieurs, il peut former un recours dans les trois mois et qu'elle, la Commission, réexaminera la question de son classement. Le fonctionnaire qui a formé son recours dans les délais (qui, naturellement, sont aujourd'hui expirés depuis longtemps) était en
droit d'obtenir une décision. Si cette décision lui était défavorable, il était, selon nous, en droit de recourir à la procédure prescrite par les articles 90 et 91, paragraphe 2, du statut.

Si la Commission engage la procédure susvisée et prend une décision à ce titre, nous ne voyons aucune raison valable pour laquelle la Cour ne pourrait connaître de la légalité de cette décision, pour autant que l'action soit engagée dans les délais prescrits.

Le cas où un requérant saisit la Commission de sa propre initiative et où la Commission estime que le délai de recours contre la décision relative au classement est expiré ou confirme sa position à la suite de ce recours nous semble être différent. Les considérations déjà développées ne peuvent être invoquées à l'encontre des décisions de la Cour, aux termes desquelles un requérant ne peut de sa propre initiative demander la réouverture de son dossier en introduisant une nouvelle réclamation contre
une décision qui n'a pas été contestée dans les délais. Néanmoins, en l'espèce, une offre explicite sérieuse, acceptée sérieusement, débouche selon nous sur une décision susceptible d'un examen juridictionnel. Les délais à compter de la décision initiale ne sont pas prorogés par les parties. Une nouvelle décision a été prise.

En ce qui concerne l'avis contraire exprimé dans le cadre de l'affaire 231/84, nous admettons en conséquence que l'offre de la Commission constitue un fait nouveau, qu'une décision faisant suite à une réclamation était une décision entièrement nouvelle et que la Commission ne peut prétendre que, parce qu'il s'agissait d'une décision gracieuse, elle était dépourvue de conséquences juridiques.

A notre avis, la réclamation susvisée a été introduite dans les délais et est recevable.

Dans ses observations écrites relatives à l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, la partie requérante a invoqué un moyen basé sur la note de M. Morel du 6 janvier 1984. Outre qu'il rejetait la demande de reclassement de M. Powell, M. Morel a précisé dans cette note que son expérience professionnelle de douze ans et trois mois à la Midland Bank, au Department of Economie Affairs et au Greater London Council devait être ramenée à une période de 11 ans et 3 mois. Aux termes de cette
note, la réduction de la période d'expérience professionnelle du requérant aux fins de son classement était fondée sur le paragraphe 2, sous a), de l'annexe II à la circulaire au personnel de mars 1981, dans laquelle la décision du 6 juin 1973 a été publiée. Le requérant affirme qu'avant de recevoir la note du 6 janvier 1984, il ignorait que la période correspondant à son expérience professionnelle antérieure à ses fonctions au service de la Commission était censée être inférieure d'un an à sa durée
effective. Il soutient donc que cette note constitue un fait nouveau faisant courir à nouveau le délai.

Au cours de l'audience, la Commission n'a pas mentionné le point susvisé et n'a répondu ni aux arguments ni aux allégations de fait soulevés par le requérant. Dans ce cas, la recevabilité de son recours dépend du point de savoir si les termes de l'annexe II à la circulaire au personnel de mars 1981 étaient tels que le requérant ne pouvait avoir manqué d'être informé de l'élément suivant: il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier qu'avant le 6 janvier 1984 M. Powell était informé ou aurait dû
être informé de la réduction de sa période d'expérience professionnelle aux fins de son classement.

Aux termes de l'article 3 de la décision du 6 juin 1973, l'autorité investie du pouvoir de nomination pouvait classer un candidat au grade A 4 s'il avait 12 ans d'expérience professionnelle. La pratique du comité de classement est exposée à l'annexe II à la circulaire de mars 1981. La première partie de son paragraphe 2, qui est intitulé « Carrière A 7/A 6 », est libellée comme suit

« a) Sur recommandation du comité du classement, vu les écarts constatés dans les États membres quant à la durée des études universitaires (de 3 à 8 ans) et en vue d'éviter des distorsions de classement, l'écart pratique est en définitive réduit à deux ans au lieu de cinq ans.

En effet, dans le cas d'un cycle court universitaire, l'expérience professionnelle éventuelle n'est prise en compte qu'a l'issue de la quatrième année après le diplôme secondaire.

Par contre, dans le cas d'un cycle long universitaire, l'expérience professionnelle éventuelle est décomptée dès la septième année d'étude post-secondaire. »

Nous reconnaissons avec le requérant qu'à la lecture de ces dispositions reprises ci-dessus il ne peut avoir été censé être informé de la réduction de la période correspondant à son expérience professionnelle.

Premièrement, le paragraphe 2 de l'annexe II est intitulé « Carrière A 7/A 6 », et il était donc normal, à tout le moins, qu'il suppose qu'il ne lui était pas applicable.

Deuxièmement, M. Powell a suivi les cours de l'université de Dublin (Trinity College) pendant quatre ans, ce qui ressort de l'attestation annexée à sa requête. La Cour a considéré dans l'affaire 25/83, Buick/Commission (Rec. 1984, p. 1773), que la période de quatre ans mentionnée à la deuxième phrase du paragraphe 2, sous a), court dès le début des études universitaires des candidats. Il nous semble à tout le moins légitime d'en conclure, comme le requérant, qu'aux fins de son classement, son
expérience professionnelle a été censée commencer à l'issue de ses études et au début de sa carrière post-universitaire. Dans ces conditions, son expérience professionnelle théorique coïnciderait avec la durée effective de sa carrière post-universitaire.

Nous estimons que les termes de la circulaire au personnel de mars 1981 n'étaient pas tels que le requérant aurait dû savoir que son expérience professionnelle était censée n'avoir duré que 11 ans et 3 mois. Que son interprétation de l'annexe II soit ou non juste pose une question de fond au sujet de laquelle il devra être statué ultérieurement.

En outre, il est évident que l'information susvisée qui lui a été transmise par la note du 6 janvier 1984 est capitale pour la cause du requérant. Quant au fond, sa requête est basée exclusivement ou, en tout cas, dans une très large mesure sur cette information.

Compte tenu des considérations ci-dessus, la note du 6 janvier 1984 doit être tenue pour un fait nouveau faisant courir à nouveau le délai. Le recours en cause est donc recevable pour ce motif également.

Selon nous, en ce qui concerne cet aspect de l'affaire, la question des dépens doit être réglée dans le cadre de l'examen au fond.

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( *1 ) Traduit de l'anglais


Synthèse
Numéro d'arrêt : 219/84
Date de la décision : 06/06/1985
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Fonctionnaires - Demande de reclassement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Michael Powell
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sir Gordon Slynn
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:245

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