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05/06/1985 | CJUE | N°107/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 5 juin 1985., Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne., 05/06/1985, 107/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 5 juin 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Quelle est la portée de l'expression « prestations des services publics postaux», employée dans la version française de l'article 13, titre A, paragraphe 1, sous a) [ci-après article 13, A, 1, sous a] de la sixième directive du Conseil no 77/388 (CEE) du 17 mars 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relative aux taxes sur le chiffre d'affaires... (ci-après la sixième directive)?


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 5 juin 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Quelle est la portée de l'expression « prestations des services publics postaux», employée dans la version française de l'article 13, titre A, paragraphe 1, sous a) [ci-après article 13, A, 1, sous a] de la sixième directive du Conseil no 77/388 (CEE) du 17 mars 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relative aux taxes sur le chiffre d'affaires... (ci-après la sixième directive)?

a) Inclut-elle seulement les prestations effectuées par les services publics postaux d'un État membre, ou peut-elle également concerner les prestations effectuées pour le compte de ces services en vue de l'accomplissement de leur mission?

b) Les services publics postaux se définissent-ils en fonction de l'institution qui exerce l'activité postale, ou de cette activité même?

Telles sont les questions que paraît poser le recours introduit par la Commission contre la République fédérale d'Allemagne sur le fondement de l'article 169 du traité CEE.

Aux termes de l'article 4, point 7, de la loi allemande intitulée « Umsatzsteuergesetz » (loi relative aux taxes sur le chiffre d'affaires, ci-après UStG) du 26 novembre 1979,

« parmi les opérations figurant au paragraphe 1, alinéa 1, no 1 à 3 (de l'UStG), sont exonérées :

...

7) les prestations effectuées en vertu de la loi par les entreprises de transport pour la Deutsche Bundespost ».

En vertu de ce texte, la République fédérale d'Allemagne exonère de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après TVA) les transports de courriers, colis ou documents postaux effectués par les chemins de fer fédéraux (Deutsche Bundesbahn), ou la compagnie aérienne Lufthansa, ainsi que certaines entreprises ferroviaires privées en vertu de contrats conclus avec la Deutsche Bundespost (ci-après la Bundespost). Ces transports sont effectués pour le compte de cette dernière contre compensation ou
rémunération. Il y a lieu de souligner que les entreprises de transports susvisées y sont tenues en vertu de la loi fédérale sur la poste (Postgesetz, article 4, paragraphe 2) et de la loi sur les transports aériens (article 21, paragraphe 4). Ce sont ces prestations, qualifiées d'« input » par la Commission, qui sont exonérées de la TVA.

Les services de la Commission ont estimé que l'article 4, point 7, de l'UStG n'est pas conforme aux dispositions de l'article 13, A, 1, sous a), de la directive. Sous l'intitulé « exonérations à l'intérieur du pays », commun aux diverses dispositions de l'article 13, ce dernier texte est ainsi libellé:

«A. Exonération en faveur de certaines activités d'intérêt général

1. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :

a) les prestations de services et les livraisons de biens accessoires à ces prestations, à l'exception des transports et des télécommunications, effectuées par les services publics postaux;

... ».

2.  La Commission soutient que l'article 13 de la sixième directive établit une liste exhaustive des cas d'exonération, par dérogation au principe énoncé à l'article 2, lequel soumet de façon générale à la TVA les livraisons et les prestations de services. Comportant une exception, l'article 13, A, 1, sous a), devrait donc être interprété restrictivement. Si l'intitulé de l'article 13, titre A, vise l'exonération de certaines activités d'intérêt général, seules peuvent être exonérées les activités
qu'il énumère, et non des activités du même type. Ainsi sont soumises à la TVA, par application de l'article 4, paragraphe 5, alinéa 3, et de l'annexe D, point 2, de la sixième directive, les distributions d'eau, de gaz, d'électricité et d'énergie thermique.

La Commission propose une interprétation à caractère institutionnel, sur la base d'un critère organique, de la notion de services publics postaux. Selon elle, il y a lieu de dégager une notion communautaire autonome, laquelle ne saurait viser que les institutions postales étatiques connues, soit en l'espèce exclusivement la Bundespost, et en aucun cas les entreprises travaillant pour le compte de cette dernière. Seules les prestations de services effectuées directement par ces institutions
pourraient être exonérées, et non celles de tiers agissant pour leur compte.

Pour s'opposer à l'argumentation de la Commission, la République fédérale d'Allemagne s'appuie essentiellement sur une interprétation à caractère « fonctionnel », faisant appel à un critère matériel. Les prestations des services publics postaux seraient toutes celles effectuées directement ou indirectement par la poste. Quel que soit l'exécutant, l'organisme postal public lui-même ou les entreprises opérant pour son compte, les prestations de transport du courrier postal devraient être
considérées comme des activités d'intérêt général. Comme le démontrerait l'intitulé de l'article 13, titre A, la directive aurait prévu de privilégier fiscalement ces activités.

La République fédérale d'Allemagne fait valoir que si l'expression « öffentliche Posteinrichtungen » employée dans la version allemande de l'article 13, A, 1, sous a), semble plutôt plaider en faveur d'un critère organique, la notion de « services publics », terme employé dans la version française, a un double sens, à la fois institutionnel et fonctionnel. Le terme allemand pourrait également avoir une acception plus étendue.

Estimant qu'une interprétation littérale ne permet pas de départager les points de vue, la République fédérale d'Allemagne propose une interprétation systématique et téléologique en se référant, en l'absence de considérant explicite dans la directive, au contenu des articles 4, paragraphe 5, et 13, titre A, de la directive. Selon elle, l'article 13, titre A, dans ses autres points b) à q) vise un ensemble d'activités matérielles, publiques ou privées, en fonction de l'objectif poursuivi.
L'article 4, paragraphe 5, fait dépendre l'exonération au profit des services publics non pas de conditions d'organisation juridique mais de l'exercice d'activités matérielles déterminées. En définitive, les organismes de droit public seraient tous ceux, personnes morales de droit public ou « services publics concédés », qui exercent une activité de puissance publique ou d'intérêt général, recouvrant ainsi de façon extensive la notion d'exercice de l'autorité publique. La Cour aurait (affaire
149/79, Commission/Belgique, arrêt du 17. 12. 1980, Rec. p. 3881) interprété de cette façon la notion d'administration publique.

La République fédérale d'Allemagne en tire une double conclusion.

D'une part, seule une définition large du concept de service public, incluant à la fois l'administration directe et l'administration « indirecte » permettrait de sauvegarder la liberté des États membres d'organiser leurs structures internes, conformément aux règles du droit international et du droit européen, et également le respect du principe de l'égalité des États membres devant les charges.

D'autre part, les activités de la Bundespost relèveraient de la notion d'autorité publique telle que visée à l'article 4, paragraphe 5, dernier alinéa. L'article 13, A, 1, sous a), serait dépourvu d'effet utile si son champ d'application n'élargissait pas celui de l'article 4, paragraphe 5.

Les chemins de fer fédéraux et la Lufthansa n'agiraient pas seulement pour le compte de la Bundespost, mais seraient, en raison de leur obligation légale de fournir des prestations à celle-ci, intégrés dans les services postaux, au sens restreint, et exerceraient des « activités postales indirectes ». Ces dernières devraient donc être exonérées en vertu de l'article 13, A, 1, sous a).

Objectant à la République fédérale d'Allemagne le fait qu'elle n'a proposé aucune définition de la notion d'« activité postale matérielle », la Commission a maintenu son argumentation selon laquelle l'article 13, A, 1, sous a), établit une liste d'exceptions, et qu'il doit dès lors être interprété à partir de son contenu même, auquel renvoie l'article 4, paragraphe 5, alinéa 4. Elle fait valoir qu'on ne saurait utiliser l'article 4 de la directive pour faire des chemins de fer et des compagnies
aériennes publics des administrations postales indirectes pour les englober ensuite à nouveau dans les services publics postaux au sens de l'article 13, A, 1, sous a). Une notion communautaire de tels services, interprétée de façon autonome, impliquerait un renvoi non pas à l'activité mais à l'organisme.

3.  Il importe, pour la solution du litige, de rechercher tout d'abord comment s'inscrivent les dispositions à interpréter dans le système instauré par la directive.

L'article 2 de ce texte établit le principe général suivant: toutes « les livraisons de biens et prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur d'un pays par un assujetti agissant en tant que tel » sont soumises à la TVA.

L'article 4, paragraphe 5, alinéa 1, établit l'exception générale suivante:

« Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions ».

Il en résulte que les prestations de services effectuées par des organismes de droit public ne sont pas en principe soumises à la TVA.

Les deux alinéas suivants du même article indiquent qu'y sont néanmoins soumises:

— les activités des organismes précités qui pourraient aboutir à des distorsions de concurrence d'une certaine importance (alinéa 2),

— les prestations d'organismes publics pour certaines activités énumérées à l'annexe D de la directive (alinéa 3), comme par exemple les transports de biens, les transports de personnes ou les télécommunications.

Le quatrième et dernier alinéa de l'article 4, paragraphe 5, précise enfin que « les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu des articles 13 ou 28 ».

Le système général se présente donc comme suit:

sont soumises à la TVA toutes les prestations de services effectuées par un assujetti qui n'est pas un organisme de droit public ou qui n'agit pas dans le cadre d'activités telles que définies à l'article 13, titres A et B, de la directive. Ces dernières sont en quelque sorte assimilables à des activités de l'autorité publique. Selon la Commission, cette assimilation est le résultat d'un « compromis » intervenu entre les États membres lors de l'élaboration du texte. Elle revêt dès lors un
caractère exceptionnel et exhaustif. Mais il reste à en interpréter la portée.

Prenant appui sur la différence des expressions employées dans les articles 4, paragraphe 5, et 13, A, 1, sous a), respectivement « organismes de droit public » et « services publics postaux », la République fédérale d'Allemagne soutient que les deux notions ne se recouvrent pas.

Alors que la première ne peut qu'être univoque, la seconde, empruntée au droit français, peut avoir, ou bien, un sens institutionnel, ou bien, un sens fonctionnel. Les parties ont proposé des méthodes d'interprétation différentes, la Commission mettant essentiellement l'accent sur une interprétation littérale de l'article 13, A, 1, sous a), la République fédérale d'Allemagne s'appuyant plutôt sur l'économie du texte.

4.  Comme l'ont admis les deux parties, la Commission s'étant sur ce point rapprochée à l'audience de la République fédérale d'Allemagne, une interprétation de la directive à partir des versions linguistiques allemande et française ne paraît pas la voie la plus appropriée pour dégager le sens de l'expression « services publics postaux ».

Il convient, dès lors, de -se référer à votre jurisprudence constante relative à l'attitude à adopter lorsque diverses versions linguistiques emploient des termes différents, de sorte qu'on ne saurait tirer de conséquences juridiques certaines de la terminologie employée.

Tout récemment encore, vous avez rappelé que,

« en cas de divergence entre les versions linguistiques, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément » (affaire 100/84, Commission/Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, arrêt du 28 mars 1985, Rec. 1985, p. 1177).

C'est donc à une interprétation de cette nature, à la fois systématique et téléologique, que vous renvoyez.

Les considérants de la sixième directive sont peu explicites en ce qui concerne les motifs des exonérations prévues par l'article 13.

L'objectif poursuivi est le financement intégral de la Communauté par des ressources propres. Ces ressources comprennent principalement celles provenant de la TVA et sont obtenues par l'application d'un taux commun à une

« assiette déterminée d'une manière uniforme et selon des règles communautaires » (deuxième considérant).

Selon le onzième considérant,

« ... il convient d'établir une liste commune d'exonérations en vue d'une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres». (C'est nous qui soulignons.)

Le but de la directive est donc d'assurer des ressources propres à la Communauté en établissant, sur la base d'une assiette uniforme, un système égal de contribution pour chaque État membre.

La République fédérale d'Allemagne ne saurait être contredite lorsqu'ayant rappelé ce but, elle soutient que la directive ne peut porter atteinte à la compétence réservée des États membres d'organiser leurs services postaux. La directive ne tend pas, en effet, à harmoniser les législations des États membres en matière postale. Si elle peut avoir un effet incitatif indirect, elle ne comporte aucune contrainte affectant la liberté des États membres en la matière.

Il convient au surplus de rappeler que l'élaboration des directives fait l'objet de consultations et négociations qui permettent à chaque État membre, avant mise au point définitive du texte, de faire valoir les observations et réserves que rendrait nécessaire pour chaque pays la sauvegarde de ses prérogatives propres.

En ce sens, la Commission a fait observer que lors de l'adoption de la directive par le Conseil, le gouvernement fédéral devait avoir pris conscience des nécessaires incidences de ce texte sur sa législation interne.

La République fédérale d'Allemagne, nous l'avons dit, a en outre soutenu que la notion de service public doit englober l'administration indirecte, afin de respecter le principe de l'égalité des États membres devant les charges.

Certes, une définition communautaire de la notion de « services publics postaux » aurait pour avantage décisif d'éviter que ne soient créées des disparités devant les charges. Si cette expression est entendue de la même façon dans toute la Communauté, il en résultera bien une assiette uniforme de la TVA et un traitement égal des États membres. Mais il n'est pas certain que l'interprétation de l'article 13, A, 1, sous a), soit subordonnée à une exacte délimitation de la notion de service public.

Il ne s'agit pas, en effet, ici, de rechercher si l'activité postale poursuit un but d'intérêt général, condition nécessaire de l'existence d'un service public. Cette condition, nul ne le conteste, est remplie en l'espèce, et le législateur communautaire a prévu que les prestations de services et les livraisons de biens effectuées dans ce domaine étaient à classer au nombre des activités bénéficiant d'exonérations au titre de l'intérêt général.

Il faudrait plutôt rechercher si la notion de service public, susceptible d'une double acception, autrement dit « amphibologique », pour reprendre l'expression du président Odent, a un sens institutionnel ou fonctionnel. Elle a un sens institutionnel lorsqu'elle désigne un organe de gestion administrative. Elle a un sens fonctionnel lorsqu'elle définit une mission ayant un caractère d'intérêt général.

Selon la Commission, il faut retenir le sens institutionnel: les auteurs de la sixième directive auraient renoncé à énumérer les administrations postales visées par l'article 13, A, 1, sous a), parce qu'ils auraient considéré que celles-ci étaient parfaitement connues de tous les États membres. Il faudrait donc, afin que la notion soit communautaire, la limiter en vertu d'un critère organique aux seules institutions postales de droit public.

Cette argumentation, qui procède plus de l'affirmation que de la démonstration, est, à elle seule, insuffisante pour emporter la conviction. Elle n'explique pas pourquoi les termes employés dans les articles 4, paragraphe 5, et 13, A, 1, sous a), sont différents.

La nature étatique du service public sur laquelle se fonde le critère organique retenu par la Commission ne paraît guère irréversible. En effet, à propos de l'affaire 41/83 (République italienne/Commission, arrêt du 20 mars 1985, Rec. 1985, p. 880), vous avez pu constater que certains organismes postaux de droit public, en l'espèce British Telecommunications, peuvent parfaitement être privatisés.

Le critère organique lié à la forme juridique de droit public de l'institution postale ne permet pas de donner à la notion de service public une forme plus précise que le critère fonctionnel utilisé par la République fédérale d'Allemagne, laquelle a admis que « l'activité matérielle » de la poste ne peut être définie avec exactitude, et a fait alors appel à des paramètres formels accessoires, telles les obligations envers la Bundespost mises par la loi allemande à la charge des entreprises
ferroviaires et aériennes. Il faut donc ne pas se laisser enfermer dans l'alternative proposée entre la conception organique de la Commission et celle, matérielle, de la République fédérale d'Allemagne, mais, comme l'enseigne votre jurisprudence, rechercher la réponse au problème posé par une interprétation fidèle à la fois à la lettre, l'économie et la finalité de la directive.

Son article 4, paragraphe 1, définit les assujettis à la TVA. La qualité d'assujetti résulte de l'accomplissement d'une activité telle que définie par la directive. La forme juridique de celui qui agit n'a pas d'incidence. Seule compte l'exécution de l'activité. Accomplir une activité définie à l'article 2 entraîne l'assujettissement, accomplir l'une de celles énumérées aux articles 13 et 28 l'exclut. Plus spécialement, l'article 13, A, 1, sous a), vise l'exécution de toute activité postale
autre que le transport de personnes ou les télécommunications. Celui qui exécute une telle activité échappe à l'assujettissement. Peu importe la forme juridique de l'organisme exécutant, laquelle sera, par application de l'article 4, paragraphe 5, alinéa 4, déterminée librement par chaque État membre. Il faudra simplement que celui qui prétend ne pas être assujetti démontre qu'il exerce lui-même la mission de service public postal.

Une réponse communautaire pourra donc être donnée en fonction, non pas d'une définition du service public, mais bien plutôt de la notion d'assujetti. Or, tant l'interprétation littérale de l'expression «par les services publics postaux » employée à l'article 13, A, 1, sous a), que la definition générale d'assujetti contenue à l'article 4, paragraphe 1, font apparaître que cette qualité résulte nécessairement de l'exécution directe d'une activité. Admettre qu'une exécution « indirecte » d'une
activité exonérée affranchisse de la qualité d'assujetti revient à étendre sans justification légale la portée du texte, et ce d'autant plus que l'article 13 représente une dérogation au principe établi par l'article 2.

La discussion sur la notion d'« activité matérielle » de la poste ne présente d'intérêt que dès lors qu'il s'agit de définir la notion de service public en vertu d'un critère matériel par opposition à un critère organique. Elle perd son utilité lorsqu'on admet qu'il appartient aux États membres en vertu de l'article 4, paragraphe 5, alinéa 4, de définir et d'organiser l'activité postale.

Cette interprétation a également pour conséquence de faire ressortir l'effet utile de l'article 13, A, 1, sous a): l'article 4, paragraphe 5, alinéas 1 à 3, ne concerne que les activités des organismes publics agissant en tant qu'autorités publiques. L'alinéa 4 de ce paragraphe assimile à de telles activités celles qui peuvent être exercées par d'autres organismes. L'activité postale, mission de service public, peut être accomplie par des organismes n'étant pas de droit public: elle peut être
considérée au regard de la TVA comme une activité de l'autorité publique au sens de l'article 4, paragraphe 5, alinéa 1. Tout dépendra alors de la question de savoir si l'organisme légalement en charge de l'activité postale ou d'un secteur de cette activité l'accomplit lui-même.

5.  La République fédérale d'Allemagne a certes soutenu que la Bundesbahn ou la Lufthansa sont tenues à une obligation légale envers la Bundespost. L'argument tiré de l'obligation légale ne résiste pas aux dispositions de la directive, dont l'article 6 prévoit qu'une opération consistant « en l'exécution d'un service... aux termes de la loi » est considérée comme prestation de service. Au surplus, l'UStG elle-même dispose en son paragraphe 1, alinéa 1, 1) que

« le caractère imposable... ne disparaît pas lorsque

a) l'opération est effectuée en vertu d'une disposition légale ou administrative... », en sorte qu'il apparaît que les prestations et livraisons effectuées par la Lufthansa et la Bundesbahn bénéficient à cet égard d'un régime dérogatoire au droit commun national et à première vue contraire à l'article 6 précité de la directive.

La République fédérale d'Allemagne prétend en outre qu'en agissant pour son compte, la Lufthansa et la Bundesbahn prennent en charge l'activité même de la Bundespost. Il s'agirait d'une « administration étatique indirecte ».

La Bundespost est tout à fait libre d'organiser ses activités postales, de la façon qu'elle estime préférable. Cependant, il n'est pas contesté qu'elle pourrait assurer par elle-même le transport du courrier et des paquets postaux. Confier ce transport à certaines entreprises relève d'un choix économique sans doute justifié, mais dont les limites sont tracées par les buts fixés par la directive: système égal de contribution des États membres, harmonisation de l'assiette de la TVA et nécessité
d'assurer des ressources propres à la Communauté. Il en résulte que seules peuvent être exonérées les prestations de services directement exécutées par les organismes légalement en charge de l'activité postale.

Toute autre solution aurait pour conséquence qu'il suffirait que ces organismes décident de sous-traiter d'autres activités qui leur sont propres à différentes entreprises privées pour que les exonérations se multiplient dans des secteurs économiques différents, avec risque de distorsions de concurrence dans ces secteurs et de réduction des ressources propres de la Communauté. Rien n'empêche un État membre de confier la gestion de toute l'activité postale à une entreprise privée, mais dans ce
cas, pour qu'il y ait lieu à exonération, il faudra que celle-ci effectue elle-même l'activité concédée.

6.  Nous concluons en conséquence, à ce que

— vous constatiez qu'en prévoyant dans le paragraphe 4, alinéa 7, de la loi UStG l'exonération des prestations effectuées en vertu de la loi UStG par des entreprises de transport pour la Deutsche Bundespost, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 189 du traité CEE ainsi que de la sixième directive du Conseil no 77/388/CEE du 17 mai 1977« en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le
chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme », et notamment de ses articles 2, 4, paragraphe 5, et 13, point A, paragraphe 1, sous a);

— vous condamniez la République fédérale d'Allemagne aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 107/84
Date de la décision : 05/06/1985
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

TVA - Exonération des prestations effectuées pour les services postaux.

Fiscalité

Rapprochement des législations

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:236

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