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14/05/1985 | CJUE | N°71

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 14 mai 1985., Robert Surcouf et Jean Vidou contre Communauté économique européenne., 14/05/1985, 71


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 14 mai 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.  Dans les affaires dans lesquelles nous présentons nos conclusions aujourd'hui, les requérants demandent la réparation du dommage qu'ils auraient subi du fait que la Communauté économique européenne aurait appliqué irrégulièrement des montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande porcine.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 14 mai 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.  Dans les affaires dans lesquelles nous présentons nos conclusions aujourd'hui, les requérants demandent la réparation du dommage qu'ils auraient subi du fait que la Communauté économique européenne aurait appliqué irrégulièrement des montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande porcine.

Les requérants sont des producteurséleveurs de porcs établis en Bretagne et dans les Pyrénées. M. Surcouf demande le versement de la somme de 70541 FF et M. Vidou le versement de 74136 FF. Les requérants exposent le bien-fondé de leurs prétentions de la façon suivante.

Selon eux, l'application de montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande bovine serait contraire au principe de non-discrimination figurant dans l'article 7 du traité CEE ainsi qu'aux objectifs de la politique agricole mentionnés à l'article 39, paragraphe 1, selon lequel il convient d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole et de stabiliser les marchés. En outre, les conditions établies par le règlement (CEE) no 974/71 du Conseil, du 12 mai 1971, relatif à
certaines mesures de politique. de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres ( 1 ) ne seraient pas remplies pour appliquer des montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande porcine. Les requérants font valoir que l'objectif du règlement mentionné est de préserver l'unité du marché et l'unicité des prix qui est mise en cause par les fluctuations monétaires. Selon les
requérants, les montants compensatoires ne devraient pas être plus élevés que les montants strictement nécessaires pour compenser l'incidence des mesures monétaires sur les prix des produits de base.

Le requérant estime que la Communauté économique européenne ne se serait pas conformée à ces principes et qu'en instaurant et en maintenant par la suite les montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande porcine elle aurait faussé les courants commerciaux à l'intérieur de la Communauté ainsi que la situation concurrentielle au détriment des producteurs français.

Les requérants estiment qu'en vertu de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 974/71, les montants compensatoires monétaires pourraient être appliqués aux produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés. Selon eux, cette condition n'est pas remplie dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande porcine [règlement (CEE) no 2759/75 du Conseil, du 29 octobre 1975] ( 2 ) puisque aucun
prix d'intervention n'aurait jamais été fixé dans ce secteur. Selon les conditions de l'organisation des marchés en cause, l'application de mesures d'intervention ne serait que facultative; aucun achat d'intervention n'aurait plus eu lieu depuis 1971. Les requérants estiment que les montants compensatoires monétaires sont calculés sur la base d'un prix d'achat fictif qui ne serait pratiquement pas appliqué.

Les requérants estiment de même que le prix de base fixé annuellement qui permet d'établir le niveau du prix d'achat ne peut pas être considéré comme un prix d'intervention puisqu'il ne constitue pour la Commission qu'un « indicateur d'alerte » pour examiner s'il convient d'adopter des mesures d'intervention.

Les requérants estiment que si, somme toute, il avait été possible d'appliquer des montants compensatoires monétaires, ceux-ci auraient dû être calculés — comme c'est le cas pour les prélèvements à l'importation et les montants compensatoires au titre de l'article 75 de l'acte d'adhésion de 1972 — sur la base de la quantité d'aliments pour animaux nécessaires à la production de viande porcine.

Les requérants estiment que, dans l'ensemble, les institutions communautaires auraient manifestement et notablement dépassé leur marge de compétence.

Les requérants calculent le préjudice subi sur la base du montant compensatoire monétaire applicable à la viande porcine en provenance des Pays-Bas au moment de l'introduction du recours.

Au premier plan de leur argumentation, les requérants évoquent l'octroi de montants compensatoires monétaires pour les exportations de viande porcine des Pays-Bas à destination de la France. Ce n'est que dans leur mémoire en réplique qu'ils évoquent également le problème de la perception de montants compensatoires monétaires à l'importation aux Pays-Bas sans émettre toutefois de considérations plus précises sur ce point.

Les montants compensatoires monétaires s'élevaient à 5,8 % d'un prix théorique calculé par la Commission, ce qui équivaut à 49,20 FF par carcasse de 80 kg. Les requérants font valoir que cette subvention bénéficiant à la viande porcine importée des Pays-Bas aurait entraîné une baisse des prix en conséquence sur le marché français. Se fondant sur leur production moyenne de viande au cours des cinq dernières années, les requérants estiment avoir subi respectivement un préjudice de 52253 FF et de
54916 FF.

En outre, les requérants estiment avoir subi un préjudice indirect du fait qu'ils ont été empêchés d'améliorer l'état de leurs liquidités, les installations de leurs entreprises ainsi que leur productivité. Ils évaluent ce préjudice à 35 % du dommage direct subi.

Selon les requérants, tant le préjudice direct que le préjudice indirect subi sont directement liés à l'application des montants compensatoires monétaires.

La Communauté économique européenne défenderesse, représentée par le Conseil et la Commission, estime que les demandes d'indemnisation ne sont pas justifiées. Les deux institutions concluent au rejet des recours.

Elles estiment que les requérants ne sauraient valablement invoquer les articles 7 et 39 du traité CEE. Selon les institutions communautaires, il est vrai que l'article 7 interdit toute discrimination en raison de la nationalité. Elles estiment, toutefois, qu'en l'espèce cette interdiction ne serait pas affectée puisqu'il ne s'agirait pas d'une différenciation en raison de la nationalité, mais selon les différents lieux de production des produits en cause. Elles estiment que l'article 39 du
traité CEE ne permet pas aux différents opérateurs du marché de fonder des prétentions parce que cette disposition du traité décrit certains objectifs de la politique agricole, pour la réalisation desquels les institutions communautaires jouissent d'une certaine marge de compétence.

Les institutions communautaires estiment de même que les conditions prévues par le règlement (CEE) no 974/71 pour l'application des montants compensatoires monétaires sont remplies. En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, les montants compensatoires monétaires seraient applicables aux produits pour lesquels des mesures d'intervention seraient prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles. Les institutions communautaires font valoir que le règlement (CEE) no 2759/75
portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc prévoit des mesures d'intervention. Le Conseil et la Commission font observer que l'article 3 du règlement mentionne les mesures d'intervention suivantes:

— aides au stockage privé,

— achats effectués par les organismes d'intervention.

Les institutions communautaires estiment qu'en vertu du règlement (CEE) no 974/71 du Conseil, il suffit que des mesures d'intervention soient prévues et qu'il n'est pas nécessaire qu'elles soient appliquées effectivement ou qu'il existe un prix d'intervention. Elles estiment que, même s'il est vrai qu'aucun achat n'a été effectué par des organismes d'intervention depuis 1971, la Communauté est cependant intervenue à plusieurs reprises par des aides au stockage privé dans le secteur de la viande
de porc. Selon les institutions, cela aurait suffi pour garantir, dans le secteur de la viande de porc, le niveau de prix considéré comme nécessaire dans la Communauté.

Le Conseil et la Commission font valoir que les requérants n'ont pas prouvé que les marchés de la viande de porc auraient été désorganisés; une telle désorganisation ne pourrait d'ailleurs pas non plus être constatée. Selon les institutions communautaires, la production de viande de porc se caractérise par une tendance à la hausse tant dans les États à monnaie faible que dans les États à monnaie forte.

Elles estiment qu'il aurait, en revanche, été nécessaire d'introduire des montants compensatoires monétaires pour faire échec à une désorganisation des marchés face à l'évolution divergente des monnaies des États membres. En l'absence de montants compensatoires monétaires, le système d'intervention aurait été perturbé et les courants commerciaux se seraient modifiés. Elles estiment qu'il convient d'appliquer des montants compensatoires monétaires pour compenser les différences de prix dues à
l'application des taux « verts » aux produits agricoles. De ce fait, le niveau des montants compensatoires monétaires serait de façon quasi mathématique fonction des taux verts.

Le Conseil et la Commission estiment que, tel qu'il a été évalué par les requérants, le préjudice subi est tout à fait théorique. Ces derniers n'auraient indiqué nulle part d'où ils tirent le montant de 49,20 FF qui représenterait le montant de la subvention accordée pour chaque carcasse provenant des Pays-Bas.

Même si l'application de montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande de porc n'avait pas été régulière en droit, le Conseil et la Commission estiment que cela n'entraîne pas comme conséquence que les requérants puissent prétendre à une réparation du dommage subi en vertu de l'article 215, paragraphe 2, du traité CEE. En effet, le Conseil et la Commission estiment qu'il ne suffit pas en soi de constater qu'une disposition comme le règlement cité est irrégulière pour engager la
responsabilité de la Communauté. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, la responsabilité de la Communauté ne serait engagée du fait d'un acte normatif qui implique des choix de politique économique qu'en présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers. Tel ne serait pas le cas en l'espèce.

B.  Sur les recours en indemnité formés, nous prenons position comme suit.

Comme nous l'avons déjà évoqué, la Cour de justice déclare dans une jurisprudence constante que la Communauté ne saurait engager sa responsabilité du fait d'un acte normatif qu'en présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers ( 3 ). De ce fait, il convient tout d'abord de vérifier si l'application de montants compensatoires monétaires à la viande de porc doit, somme toute, être considérée comme une violation du droit et si l'on est
en présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers. Le cas échéant, il conviendra ensuite d'examiner également si les requérants ont prouvé avoir subi un préjudice qui, à son tour, serait éventuellement lié à un comportement irrégulier de la Communauté.

1. Quant au problème de la régularité de l'application de montants compensatoires monétaires dans le secteur de la viande de porc

a)

Le règlement (CEE) no 974/71 du Conseil, du 12 mai 1971, relatif à certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres, a donné compétence aux États membres d'appliquer des montants compensatoires monétaires aux transactions commerciales portant sur certains produits agricoles. L'article 1er du règlement a soumis l'application de montants compensatoires monétaires à
la condition que, pour les transactions commerciales, un État membre admette pour sa monnaie un taux de change supérieur à la limite de fluctuation autorisée par la réglementation internationale, qui résulte, pour sa part, de la parité de la monnaie nationale de l'État intéressé déclarée auprès du Fonds monétaire international et reconnue par celui-ci. Toutefois, les États membres ne pouvaient recourir à cette possibilité que dans la mesure où l'application des mesures monétaires en question
entraînerait des perturbations dans les échanges des produits agricoles. Au départ, la compétence conférée aux États membres a été envisagée comme une mesure provisoire pour lutter contre les risques que pouvaient présenter pour le bon fonctionnement du marché commun agricole les afflux anormaux de capitaux à court terme. Par la suite ( 4 ), l'instabilité monétaire a entraîné, dans le secteur agricole, l'instauration de taux de conversion spéciaux destinés à garantir la stabilité des prix des
produits agricoles. L'application de ces taux représentatifs qui, en règle générale, s'écartait des taux de conversion effectifs a entraîné des niveaux de prix qui, exprimés en monnaie nationale, différaient d'un État membre à l'autre. Pour neutraliser l'incidence de ces différents niveaux de prix sur les courants d'échanges de produits agricoles à l'intérieur de la Communauté, l'application de montants compensatoires monétaires a été maintenue.

Dès le règlement (CEE) no 1112/73 ( 5 ), les éléments de référence pour le calcul des montants compensatoires monétaires ont été nouvellement définis: si le règlement (CEE) no 974/71 se fondait encore sur la différence entre la parité de la monnaie nationale de l'État membre en cause déclarée auprès du Fonds monétaire international et reconnue par celui-ci et la moyenne arithmétique des cours de change par rapport au dollar des États-Unis d'Amérique, le nouveau règlement est fondé sur l'écart entre
le taux de conversion utilisé dans le cadre de la politique agricole commune et le taux de conversion résultant du taux central ( 6 ).

En conséquence, il est possible de constater que depuis leur introduction, la signification des montants compensatoires monétaires s'est modifiée. S'ils avaient tout d'abord été considérés comme un instrument permettant de neutraliser des fluctuations des monnaies à court terme, ils ont été utilisés ultérieurement pour compenser les différents niveaux de prix de produits agricoles dans la Communauté, qui découlaient de l'application de différents taux de conversion représentatifs aux prix agricoles
uniformément exprimés en unités de compte tout d'abord, puis en Écus ( 7 ).

Comme la signification des montants compensatoires monétaires s'est transformée — comme nous l'avons constaté — et que le règlement (CEE) no 974/71 a été modifié itérativement — le règlement (CEE) no 855/84 cité à plusieurs reprises dans la présente procédure en constitue déjà la quatorzième modification —, la jurisprudence suivie jusqu'à présent par la Cour de justice en la matière ne peut être appliquée qu'avec prudence au cas d'espèce. Il faut tenir compte dans chaque cas à quelle version du
règlement (CEE) no 974/71 les arrêts antérieurs de la Cour se référaient et dans quel contexte juridico-monétaire elle s'inscrivait. L'observation que nous venons de faire vaut, en particulier, pour les déclarations de la Cour fondées sur l'existence d'un « système de prix uniformes » qui, exprimé en unités de compte ou en Écus, existe certes mais a progressivement été abandonné après que les prix ont été exprimés en monnaie nationale. En vérité, on peut constater qu'il existe à l'heure actuelle au
niveau des prix agricoles des gradations qui sont fonction des régions, de l'époque et des produits et qui résultent des différences de structure des taux représentatifs pour les produits agricoles. C'est ainsi qu'il convient de relever que les écarts existants entre les taux représentatifs et les cours pivots (ou entre leur équivalent s'il n'existe pas de cours pivots comme c'est le cas pour les monnaies flottant librement) diffèrent d'une monnaie à l'autre, que les modifications des taux
représentatifs prennent effet à différents moments dans les différents États membres, que jusqu'à présent les taux représentatifs différaient selon les produits et que même la relation de prix entre différents produits agricoles diffère jusqu'à présent d'un État membre à l'autre. Nous ne désirons pas analyser plus précisément la question de savoir si la gradation (en fonction des régions, de l'époque et des produits) qui existe au niveau des prix agricoles est régulière sous cette forme, puisqu'elle
ne fait pas l'objet de la présente procédure. Indiquons simplement que l'article 40, paragraphe 3, alinéa 3, du traité CEE prévoit qu'une « politique commune éventuelle des prix doit être fondée sur des critères communs et sur des méthodes de calcul uniformes »; il n'est pas question, dans le traité CEE, de « prix uniformes ».

Dans son arrêt du 21 février 1979, la Cour a admis l'application de taux de conversion « verts », pour le moins dans le cadre du prélèvement de coresponsabilité dans le secteur des produits laitiers.

Quant à la question de savoir si l'utilisation des taux « verts » n'est pas contraire au principe de non-discrimination prévu par l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE parce qu'ils peuvent aboutir à des charges inégales par rapport aux situations monétaires respectives des États membres, la Cour a déclaré ce qui suit:

« que, s'il est vrai que, dans certaines opérations, l'application de ces taux de change peut, le cas échéant, comporter des avantages ou des désavantages qui peuvent apparaître comme des discriminations, il n'en reste pas moins que, d'une façon générale, cette application sert à remédier à des situations monétaires qui ... aboutiraient à des discriminations beaucoup plus graves, patentes et générales;

que l'adoption du système des taux de change ‘verts’, même s'il n'est pas sans inconvénient, est donc justifié par l'interdiction de discriminations et les. exigences d'une politique agricole commune » ( 8 ).

En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 974/71, des montants compensatoires monétaires pouvaient être appliqués:

a) aux produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles;

b) aux produits dont le prix est dépendant de celui des produits visés sous a) et qui relèvent de l'organisation commune des marchés ou font l'objet d'une réglementation spécifique au titre de l'article 235 du traité.

b)

Comme les requérants estiment que l'application des montants compensatoires monétaires est irrégulière, en raison notamment de l'absence de prix d'intervention dans l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, il convient tout d'abord d'examiner si les conditions pour l'application de montants compensatoires monétaires à la viande de porc sont remplies.

Le règlement (CEE) no 2759/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc contient, dans son titre I, un régime des prix. Conformément à l'article 3, les mesures d'intervention suivantes peuvent être prises pour éviter ou atténuer une baisse importante des prix:

— aides au stockage privé,

— achats effectués par les organismes d'intervention.

Toutefois, contrairement à la situation existant dans la plupart des autres organisations de marché, les mesures d'intervention ne sont pas automatiques, mais, en vertu de l'article 4, paragraphe 6, elles doivent être décidées selon la procédure du comité de gestion prévue à l'article 24. Des mesures d'intervention peuvent être adoptées lorsque le prix communautaire de marché du porc abattu se situe à un niveau inférieur à 103 % du prix de base et qu'il est susceptible de se maintenir à ce niveau.
Le prix de base mentionné est fixé annuellement avant le 1er août et s'applique à partir du 1er novembre de la même année. Le prix de base permet de déterminer le prix d'achat pour le porc abattu de la qualité type, auquel les organismes d'intervention interviennent le cas échéant sur le marché. Dans la version du règlement (CEE) no 1423/78 ( 9 ), l'article 5, paragraphe 1, du règlement prévoit que le prix d'achat du porc doit se situer entre 78 et 92 % du prix de base. A l'intérieur de cette marge,
le prix d'achat doit être fixé selon la procédure prévue à l'article 24, c'est-à-dire selon la procédure du comité de gestion.

Le régime de la deuxième mesure d'intervention mentionnée dans l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, les aides au stockage privé de viande de porc, est actuellement soumis au règlement (CEE) no 2763/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, relatif aux règles générales applicables en cas de hausse sensible des prix dans le secteur de la viande de porc ( 10 ), ainsi qu'au règlement (CEE) no 1092/80 de la Commission, du 2 mai 1980 portant modalités d'application de l'octroi
d'aides au stockage privé de viande de porc ( 11 ). Selon le tableau produit par la Commission — et que les requérants n'ont pas contesté —, un total de 512776 tonnes de viande de porc a été provisoirement retiré du marché par l'effet de vingt-quatre actions d'aides au stockage privé pendant la période en cause en l'espèce.

A titre de conclusion partielle, nous voudrions constater que l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc prévoit des mesures d'intervention et que celles-ci sont également appliquées en pratique. En conséquence, les conditions textuellement prévues par l'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 974/71 sont remplies, c'est-à-dire que, selon nous, il est satisfait aux conditions mises à l'application de montants compensatoires monétaires.

Toutefois, pour autant que les requérants n'en estiment pas moins qu'il est impossible d'appliquer des montants compensatoires monétaires parce qu'il n'existe pas de prix d'intervention et que les organismes d'intervention n'ont plus acheté de viande de porc depuis 1971, il convient de faire les observations suivantes.

En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 974/71, il suffit que des mesures d'intervention soient prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles. Il en est clairement ainsi dans le secteur qui nous intéresse. Si la Communauté décidait d'intervenir sur le marché de la viande de porc en ce que les organismes d'intervention procéderaient à des achats, il conviendrait de fixer un prix d'achat se situant dans la marge prévue par l'article 5, paragraphe 1, du
règlement (CEE) no 2759/75. Comme l'intervention sur le marché se situerait alors au niveau de ce prix, nous ne voyons aucun élément s'opposant à ce que celui-ci soit désigné comme prix d'intervention.

Néanmoins, les requérants réduisent la portée de la notion de mesures d'intervention de façon incorrecte lorsqu'ils prétendent qu'on ne saurait parler de mesures [d'intervention] que lorsque les organismes d'intervention achètent de la viande.

L'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc prévoit précisément deux types différents de mesures d'intervention; elle semble même donner la préférence à l'intervention par l'octroi d'aides au stockage privé. En effet, au troisième considérant du règlement (CEE) no 2759/75, il est dit ce qui suit:

« que ces dernières mesures [d'intervention] peuvent revêtir la forme d'achats effectués par les organismes d'intervention; qu'il y a lieu, toutefois, de retenir également les mesures d'aides au stockage privé, étant donné que ce sont celles qui affectent le moins la commercialisation normale des produits et qu'elles sont susceptibles de réduire l'importance des achats à effectuer par les organismes d'intervention; que, à cette fin, il y a lieu de prévoir notamment la fixation d'un prix de base
servant au déclenchement des mesures d'intervention ainsi que les conditions dans lesquelles s'effectue l'intervention ».

Au demeurant, quant à leur effet à long terme, les deux mesures d'intervention ne présentent pas de différence notable. En effet, les mesures d'intervention visent seulement à soulager provisoirement le marché et non à éliminer définitivement les produits retirés du marché. Comme les produits en cause ne peuvent pas être stockés indéfiniment, il est inéluctable qu'ils soient ultérieurement remis dans le commerce. Cela vaut tant pour la mesure tendant à l'octroi d'aides au stockage privé que pour
celle tendant à faire effectuer des achats par les organismes d'intervention: les « autorités publiques » stockent de la viande de porc qui, ultérieurement, doit être vendue par les organismes d'intervention dans les conditions prévues à l'article 6 du règlement (CEE) no 2759/75.

Si, de l'avis des institutions communautaires, il a suffi de stabiliser le marché de la viande de porc en intervenant par l'octroi « d'aides au stockage privé », on ne peut qu'en conclure que les régimes d'intervention et de prix de l'organisation des marchés en cause ont fonctionné de manière satisfaisante. A cet égard, nous nous rallions aux considérations émises par un expert en matière de droit agricole, qui — sous le titre « Problèmes actuels » — a déclaré relativement à l'organisation commune
des marchés dans le secteur de la viande de porc ce qui suit:

« Au cours des années passées, l'octroi sporadique d'aides au stockage privé à titre de mesure temporaire de stabilisation des marchés à un coût réduit a fait ses preuves. Depuis 1971, les autorités publiques ne sont plus intervenues en effectuant des achats dans la Communauté. Dans l'ensemble, on peut considérer que le marché communautaire de la viande de porc tel qu'il fonctionne sous le régime en vigueur de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc est un marché
stable » ( 12 ).

Il est donc, en principe, licite d'appliquer des montants compensatoires monétaires à la viande de porc. Ce résultat découle indirectement déjà de l'arrêt du 6 octobre 1982 ( 13 ), dans lequel la Cour de justice avait été appelée à se prononcer sur la délivrance a posteriori de documents pour l'octroi de montants compensatoires monétaires pour de la graisse de porc. Dans l'arrêt cité, la Cour de justice s'est bornée à examiner s'il était possible de délivrer a posteriori un exemplaire de contrôle
et, de ce fait, elle a admis tacitement la licéité de l'application de montants compensatoires monétaires à des produits soumis à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc lors de l'examen de cette question de forme.

c) Quant au mode de calcul des montants compensatoires monétaires pour la viande de porc

Les requérants estiment également que le calcul concret des montants compensatoires monétaires est irrégulier parce qu'il est fondé sur un prix d'achat fictif qui n'existe pas en pratique. Ils font valoir que, même dans le cadre de la réglementation des échanges avec les pays tiers, la viande de porc est considérée comme un produit dérivé des céréales. Cet avis serait partagé par le législateur communautaire pour le mode de calcul à venir des montants compensatoires monétaires, puisque, avec effet
au 1er janvier 1985, il considère que la viande porcine est un produit dérivé des céréales ( 14 ).

Dans ce contexte, il convient tout d'abord de relever que, selon un graphique également produit par la Commission et que les requérants n'ont pas contesté, la base de calcul des montants compensatoires monétaires fixée par les intitutions communautaires a presque toujours été notablement inférieure aux prix de marché de la viande de porc, à l'exception d'un trimestre en 1983. C'est ce qui résulte des modalités de calcul qui se référaient tout d'abord, en 1971, au prix d'achat des porcs abattus au
sens de l'article 5, paragraphe 1, alinéa 2, du règlement (CEE) no 121/67 et qui ont établi la base de calcul à 92 % du prix de base ( 15 ). Ultérieurement, la base de calcul a été fixée au prix d'achat minimal, c'est-à-dire, dans un premier temps, à 85 %, puis à 78 % du prix de base. Pour la période qui nous intéresse en l'espèce, la base de calcul a d'abord été de 78 % du prix de base conformément au règlement (CEE) no 1517/78, du 30 juillet 1978 ( 16 ). Par l'effet du règlement (CEE) no 2025/83
du Conseil, du 18 juillet 1983 ( 17 ), l'article 2 du règlement (CEE) no 974/71 a été complété par le paragraphe 3 bis, dans les termes suivants:

« Le montant compensatoire monétaire pour les produits relevant du secteur de la viande de porc est calculé sur la base de 90 % de la limite inférieure du prix d'achat applicable aux porcs abattus. »

De ce fait, la base de calcul des montants compensatoires monétaires s'élève à 70,2 % du prix de base fixé annuellement.

L'évolution de la base de calcul des montants compensatoires monétaires et, en conséquence, leur niveau pour la viande de porc se caractérise par une tendance continue à la baisse. Cette évolution a trouvé un aboutissement provisoire dans l'adoption du règlement (CEE) no 855/84 du Conseil qui prévoit que, du 1er janvier 1985 au 31 octobre 1987, la viande ¡de porc est considérée comme un produit dérivé des céréales pour le calcul des montants compensatoires monétaires.

Toutefois, le fait que les requérants invoquent le régime des échanges avec les pays tiers, le régime spécial prévu pour les échanges avec les nouveaux États membres et le nouveau mode de calcul des montants compensatoires à partir du 1er janvier 1985 n'est pas de nature à établir l'irrégularité des modalités de calcul appliquées antérieurement. Le nouveau mode de calcul introduit par l'effet du règlement (CEE) no 855/84, « relatif au calcul et au démantèlement des montants compensatoires monétaires
applicables à certains produits agricoles » ( 18 ), est lié à une série de mesures qui visent à démanteler les montants compensatoires monétaires et qui sont simultanément en rapport avec une adaptation des taux représentatifs. Le nouveau mode de calcul se situe donc dans un contexte tout à fait différent des modalités de calcul des montants compensatoires monétaires applicables pendant la période en cause en l'espèce.

Le mode de calcul des prélèvements à l'importation et des restitutions à l'exportation se situe également dans un contexte différent de celui des montants compensatoires monétaires. Les prélèvements à l'importation, d'une part, se composent de différents éléments — dont il est admis qu'une partie est fonction de la quantité d'aliments pour animaux nécessaire —, alors que, d'autre part, le régime des échanges avec les pays tiers vise d'autres objectifs que l'application des montants compensatoires
monétaires. Ceux-ci sont destinés à compenser les différences de niveaux de prix du régime de prix communautaire uniforme exprimé en monnaies nationales, alors que le calcul des prélèvements à l'importation peut tenir compte également d'autres éléments comme, la nécessité de protéger l'agriculture communautaire à l'extérieur ainsi que les intérêts du commerce mondial ( 19 ).

Les mêmes observations s'appliquent aux considérations émises par les requérants relativement à l'article 75 de l'acte d'adhésion de 1972. Les montants compensatoires appliqués dans le cadre de l'adaptation des prix agricoles des nouveaux États membres aux prix de la Communauté dans sa composition originaire visaient à compenser provisoirement les différences de prix qui devaient être éliminées progressivement. L'examen des méthodes de calcul suivies dans ce contexte ne saurait apporter aucun
élément relativement à la question de savoir si le mode de calcul des montants compensatoires monétaires généralement appliqué est régulier puisqu'il s'agit de domaines de réglementation tout à fait différents.

Les requérants n'ont, en tout cas, pas établi que les institutions communautaires considèrent de façon générale la viande de porc comme un produit dérivé des céréales.

d) Quant à la violation de l'article 39 du traité CEE

Les requérants considèrent que l'application des montants compensatoires monétaires à la viande de porc constitue une violation des objectifs de la politique agricole commune formulés à l'article 39, paragraphe 1, sous b) et c), du traité CEE, à savoir d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture, et de stabiliser les marchés. Toutefois, ils n'établissent pas en détail de quelle façon
l'application des montants compensatoires monétaires à la viande de porc irait à l'encontre de ces objectifs.

Dans l'analyse de ce moyen, il convient, tout d'abord, de faire observer que l'article 39 du traité CEE mentionne toute une série d'objectifs de la politique agricole commune, qu'il appartient aux institutions communautaires de réaliser. Dans ce contexte, il suffit de rappeler, en premier lieu, « comme la Cour l'a itérativement affirmé, que les institutions doivent opérer une conciliation des divers objectifs définis par l'article 39, qui ne permet pas d'isoler l'un ce ces objectifs, au point de
rendre impossible la réalisation d'autres buts » ( 20 ). Les institutions communautaires jouissent donc d'une certaine marge d'appréciation pour la réalisation des objectifs du traité.

Les requérants n'ont rien dit sur le point de savoir si le mécanisme de prix de l'organisation des marchés dans le secteur de la viande de porc allait à l'encontre de l'objectif consistant à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole. La Communauté fixe annuellement un prix de base pour la viande de porc de la qualité type; lorsque le prix de marché se situe à un niveau inférieur à 103 % du prix de base, comme le prévoit l'article 4 du règlement (CEE) no 2759/75, il est possible de
prendre des mesures d'intervention pour soutenir les prix. Les requérants n'ont pas prétendu qu'il fallait considérer que, du fait de la seule fixation du prix de base, les institutions communautaires ne se conformaient pas à leur obligation d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole.

C'est ainsi qu'il reste à examiner si l'application des montants compensatoires monétaires à la viande de porc pourrait aller à l'encontre du principe de la stabilisation des marchés. A cet égard, il convient de faire observer que les montants compensatoires monétaires visent précisément à éviter une désorganisation du marché qui pourrait résulter de l'application de taux représentatifs différant entre eux et s'écartant des cours de change effectifs. De ce fait, les montants compensatoires
monétaires visent précisément aussi à assurer la réalisation de l'objectif mentionné à l'article 39, paragraphe 1, sous c), du traité CEE, à savoir stabiliser les marchés.

Au demeurant, il convient de faire observer que selon la jurisprudence de la Cour de justice, la Commission et le comité de gestion disposent d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer s'il existe un risque de perturbation des marchés agricoles. Dans le cadre du contrôle de légalité, le juge doit se borner à examiner si les autorités n'ont pas commis une erreur manifeste ou n'ont pas abusé des compétences qui leur appartiennent ou si elles ont manifestement dépassé les limites de leur pouvoir
d'appréciation ( 21 ). En l'espèce, aucun élément ne laisse envisager la possibilité d'un tel comportement fautif de la part des institutions communautaires. Comme au cours de la période d'application des montants compensatoires monétaires, les taux représentatifs s'écartaient des cours pivots, une perturbation des échanges était à craindre. Pour le surplus, la Communauté a maintenu ses mesures dans le cadre de ce qui était strictement nécessaire puisqu'elle a calculé les montants compensatoires
monétaires sur une base qui, en règle générale, était inférieure aux prix de marché de la viande de porc. En outre, l'introduction de la « franchise » (voir à cet égard point B.2 ci-dessous) a eu pour conséquence que, même pour les monnaies appréciées, les écarts de prix dus à l'application des taux représentatifs ne soient compensés que partiellement.

e) Quant à la violation de l'interdiction de discrimination prévue à l'article 7 du traité CEE

Les requérants font valoir, en outre, que l'application des montants compensatoires monétaires à la viande de porc constitue une violation de l'interdiction de discrimination prévue à l'article 7 du traité CEE.

L'article 7 du traité CEE interdit « dans le domaine d'application du présent traité, sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, toute discrimination exercée en raison de la nationalité ».

Selon nous, l'application des montants compensatoires monétaires à la viande de porc n'entraîne pas de discrimination et n'entraîne, en particulier, pas de discrimination en raison de la nationalité. En effet, les dispositions relatives à l'application de montants compensatoires monétaires ne renvoient pas à la nationalité des opérateurs économiques mais à l'espace monétaire dans lequel ceux-ci exercent leurs activités. De plus, on ne saurait considérer que la différence de traitement des opérateurs
économiques exerçant leurs activités dans différents espaces monétaires constitue nécessairement une discrimination. Une telle différence de traitement ne constituerait une violation de l'interdiction de discrimination que si elle semblait arbitraire ( 22 ). Il ne saurait être question d'une telle différence de traitement arbitraire en l'espèce. L'application des montants compensatoires monétaires vise, au contraire, précisément à compenser une autre différence de traitement qui résulte de
l'application dans le cadre de l'agriculture de taux représentatifs qui s'écartent des cours de change effectifs et qui entraînent des niveaux de prix différant d'un État membre à l'autre. Il s'agit donc en quelque sorte de neutraliser, pour le moins pour partie, une différence de traitement par une autre.

f) Conclusion partielle

La nouvelle conclusion partielle à laquelle nous avons abouti à ce point de notre analyse est que l'application des montants compensatoires monétaires à la viande de porc ne peut être considérée ni comme un comportement illégal des institutions communautaires ni comme une violation caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers. Toutefois, même si ces conditions étaient remplies, il conviendrait de prendre en considération qu'en cas de préjudice résultant d'un acte normatif
illégal des institutions communautaires, la jurisprudence de la Cour considère que les justiciables ne peuvent prétendre à réparation au titre de l'article 215, paragraphe 2, du traité CEE que dans certaines circonstances. La conception restrictive de la Cour s'explique par la considération qu'on ne saurait toujours entraver le processus de décision de l'autorité législative par la perspective d'actions en dommages-intérêts chaque fois que celle-ci est amenée, dans l'intérêt général, à adopter une
réglementation susceptible de porter atteinte aux intérêts des particuliers. Il en résulte que, dans les domaines relevant de la politique de la Communauté en matière économique, il est possible d'exiger du particulier qu'il supporte, dans des limites raisonnables, qu'un acte normatif ait certains effets préjudiciables à ses intérêts économiques sans qu'il puisse pour autant prétendre obtenir une réparation ( 23 ).

En conséquence, les conditions susceptibles d'engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté conformément à l'article 215, paragraphe 2, du traité CEE ne sont pas réunies.

2. Le préjudice invoqué par les requérants

Toutefois, pour apprécier l'ensemble des arguments invoqués par les requérants, nous nous proposons d'examiner enfin s'ils ont en toute hypothèse établi ou prouvé l'existence d'un préjudice.

Pour le calcul du préjudice subi, les requérants se fondent sur un montant compensatoire monétaire positif qui, pour la viande de'porc en provenance des Pays-Bas, aurait été de 5,8 %. Sur la base de ce chiffre, ils évaluent que la prime à l'exportation s'élevait à 49,20 FF pour une carcasse de 80 kg. Selon eux, il s'est ensuivi que le prix de marché français pour la viande de porc a baissé d'un montant correspondant. Les requérants estiment avoir supporté les charges de ce montant à concurrence de
la moitié alors que les 50 % restants ont été répartis entre les autres opérateurs (commerçants, etc.). Les requérants appliquent ensuite la moitié de 49,20 FF à une production moyenne de 1000 têtes par an pour les cinq dernières années.

Toutefois, lors du calcul du dommage prétendument subi, les requérants omettent de considérer que la conversion du prix uniforme de la viande de porc en monnaies nationales ne s'effectue pas selon les cours de change effectifs des différentes monnaies, mais selon ce qu'on appelle un taux représentatif pour l'agriculture qui, jusqu'à présent, diffère encore d'un produit à l'autre. Pour apprécier si les requérants ont en toute hypothèse subi un dommage du fait que, grâce à l'application de montants
compensatoires monétaires, les producteurs de porc néerlandais ont pu vendre la viande de porc à un prix inférieur à celui que les éleveurs de porc français devaient pratiquer, nous nous proposons de vous présenter les calculs suivants, que nous avons résumés en annexe.

Comme les requérants ont basé l'évaluation de leur préjudice sur des carcasses de 80 kg, notre exemple chiffré est également fondé sur des carcasses de 80 kg. A cet égard, comme les requérants, nous nous fondons sur les prix et les cours en vigueur au moment de l'introduction du recours et sur le prix de base pour les porcs abattus de la qualité type fixé par le Conseil pour la période du 1er novembre 1983 au 31 octobre 1984.

Si l'on se fonde sur un prix de base de 2053,87 Écus par 1000 kg, le prix d'une carcasse de 80 kg est de 164 Écus environ. Converti en monnaies nationales sur la base des taux représentatifs déterminants pour la viande de porc, ce montant représente environ 1112 FF ou 445 HFL.

Si un éleveur de porc néerlandais exporte cette carcasse en France et s'il veut obtenir en francs français l'équivalent du prix de 445 HFL, il doit demander un prix s'élevant à 1208 FF environ. C'est le prix qui résulte de l'application du taux de conversion effectif entre le florin néerlandais et le franc français à cette époque. Il convient d'appliquer en l'espèce le taux effectif, parce que l'exportateur néerlandais ne pourra plus transférer aux Pays-Bas le paiement qu'il a obtenu au cours fictif
applicable dans l'agriculture, mais uniquement au cours du marché.

Si nous comparons à présent le prix que l'éleveur néerlandais doit obtenir pour avoir l'équivalent de 445 HFL, nous constatons que le prix de 1208 FF dépasse de 96 FF le prix de 1112 FF que l'éleveur français doit obtenir pour pouvoir vendre une carcasse de 80 kg au prix de base. Cette différence de prix, qui est la conséquence de l'application dans l'agriculture de taux représentatifs différant des taux effectifs et qui, exprimés en monnaies nationales, entraînent des niveaux de prix différents,
doit à présent étre compensée, pour le moins partiellement, par l'application de montants compensatoires monétaires.

Si, dans l'exemple chiffré, on inclut le montant compensatoire monétaire qui est applicable à la viande de porc domestique — qu'il s'agisse de carcasses entières ou de demi-carcasses —, c'est-à-dire un montant de 18,13 HFL environ, et qui est restitué à l'exportateur néerlandais, le prix néerlandais baisse de 445 à 427 HFL environ. Si nous convertissons le montant de 427 HFL en francs français selon le taux effectif, nous obtenons un prix de 1159 FF que l'opérateur néerlandais doit encaisser pour
obtenir, en monnaie néerlandaise, la contre-valeur de 164 Écus, c'est-à-dire le prix d'une carcasse de 80 kg calculé en application du prix de base. Même ce prix dépasse encore de 47 FF environ le montant que l'opérateur français doit obtenir pour encaisser le même montant de 164 Écus.

Le calcul effectué nous montre que les montants compensatoires monétaires ne compensent pas entièrement, mais uniquement la moitié à peu près du désavantage concurrentiel subi par les opérateurs économiques néerlandais ( 24 ). Si, en l'espèce, les différences réelles entre niveaux de prix ne sont compensées que pour partie, cela résulte du fait que le règlement (CEE) no 652/79 du Conseil, du 29 mars 1979, relatif aux conséquences du système monétaire européen dans le cadre de la politique agricole
commune ( 25 ) a également introduit l'idée d'une franchise pour les États membres à monnaie appréciée. Il s'est ensuivi que tout écart apparaissant entre le taux de conversion appliqué dans le cadre de la politique agricole commune et le taux de conversion résultant du cours pivot n'était plus systématiquement pris en considération pour le calcul des montants compensatoires monétaires, mais que l'écart monétaire effectif était diminué de ce qu'on appelle la franchise. La franchise s'élève à un
point pour les États membres qui perçoivent des montants compensatoires monétaires à l'importation et qui en restituent à l'exportation, c'est-à-dire pour ce qu'on appelle les États membres à monnaie réévaluée.

Si nous comparons à présent les considérations émises par les requérants quant au calcul du préjudice qu'ils auraient subi avec nos propres calculs, nous aboutissons au résultat suivant.

Même avec l'application des montants compensatoires monétaires, la viande de porc néerlandaise reste plus chère en France que la viande de porc produite en France, puisque la différence des deux niveaux de prix nationaux n'est que partiellement compensée par l'application des montants compensatoires monétaires. Si, de ce fait, malgré l'application des montants compensatoires monétaires, la viande de porc néerlandaise est nécessairement plus chère en France que la viande de porc de production
française, nous ne voyons pas comment les producteurs de porcs en France auraient pu subir un préjudice du fait de l'application des montants compensatoires monétaires. Tout au plus serait-il possible d'alléguer que l'incidence des montants compensatoires monétaires empêche que le prix de marché de la viande de porc en France s'élève au niveau de prix des Pays-Bas et que les opérateurs économiques français ont de ce fait un manque à gagner. Toutefois, ce manque à gagner éventuel ne peut pas être
considéré comme un préjudice puisque les opérateurs économiques français ne peuvent pas exiger de la Communauté qu'elle leur garantisse un tel gain. En effet, le niveau de revenu qu'il importe de garantir aux agriculteurs est déterminé, du fait de la fixation des prix — dans le domaine qui nous intéresse ici; de la fixation du prix de base pour la viande de porc de qualité type — et de la fixation des taux représentatifs applicables aux produits agricoles, par le Conseil. Dans ce domaine également,
il convient de reconnaître que les institutions communautaires jouissent d'une certaine marge d'appréciation dans le cadre de laquelle elles peuvent tenir compte de l'évolution générale des prix, de l'évolution de la situation monétaire et, également, du niveau de revenu des personnes travaillant dans l'agriculture.

Comme les requérants n'ont, ainsi, pas établi de façon plausible avoir subi un préjudice, il n'est pas nécessaire d'évoquer d'autres aberrations de leurs calculs. Il suffit de dire encore ce qui suit.

Les requérants estiment que les montants compensatoires monétaires applicables à la viande de porc importée en France en provenance des Pays-Bas s'élèvent à 5,8 % d'un prix théorique. Néanmoins, la Commission exprime les montants compensatoires monétaires, non en pourcentages, mais en chiffres absolus d'une monnaie nationale par unité de poids. En outre, les montants compensatoires monétaires sont soumis à des fluctuations, de sorte qu'on ne voit pas d'où provient le pourcentage mentionné par les
requérants. Au reste, les requérants demandent des dommages et intérêts pour une période de cinq ans antérieure à l'introduction du recours, c'est-à-dire y compris la période allant du 6 avril au 12 octobre 1981, bien que, durant celle-ci, selon leurs propres indications, aucun montant compensatoire monétaire n'a été appliqué à la viande de porc en provenance des Pays-Bas. Ces éléments permettent peut-être d'expliquer que, tout en cherchant à obtenir réparation du dommage qu'ils auraient soi-disant
subi au cours des cinq années passées, les requérants fassent concrètement état de chiffres afférents, selon leurs propres calculs, à la production de viande de porc des trois dernières années.

De surcroît, les requérants n'exposent pas sur la base de quels critères ils ont précisément évalué à 35 % du préjudice direct le dommage indirect qu'ils auraient selon eux subi.

C. Comme, pour ces motifs, l'octroi de montants compensatoires monétaires à l'exportation de viande de porc des Pays-Bas n'est pas irrégulière et que, en outre, les requérants n'ont pas établi l'existence d'un dommage, nous concluons

1) au rejet du recours,

2) à la condamnation des requérants aux dépens.

ANNEXE

A) Taux représentatif pour la viande de porc, applicable à partir du 1er novembre 1983:

1 Écu = 6,77297 FF ( 26 ) = 2,70981 HFL ( 27 )

B) Taux effectif au 4 novembre 1983 ( 28 ):

1 Écu = 6,87689 FF = 2,53280 HFL
  = 1 FF = 0,36831 HFL
  = 2,71513 FF = 1 HFL

C) Prix de base pour les porcs abattus de la qualité type ( 29 ) (du 1er novembre 1983 au 31 octobre 1984):

2053,87 Écus par 1000 kg

D) Montants compensatoires monétaires pour la viande de porcs domestiques, carcasses entières ou demi-carcasses, en provenance des Pays-Bas ( 30 ):

22,66 HFL par 100 kg

E) Carcasses de 80 kg au prix de base de:

164,31 Écus = 1 112,86 FF (prix de base France)
  = 445,25 HFL (prix de base Pays-Bas)

F) Prix de base de la carcasse Pays-Bas (445,25 HFL) converti en francs français selon le taux effectif au 4 novembre 1983:

1208,91 FF = prix de base + 96,05 FF

G) Prix de base par carcasse Pays-Bas diminué du montant compensatoire monétaire :

445,25 HFL— 18,13 HFL = 427,12 HFL

H) Carcasse de 80 kg au prix de base Pays-Bas diminué du montant compensatoire monétaire Pays-Bas, converti en francs français selon le taux effectif au 4 novembre 1983:

427,12 HFL = 1 159,68 FF
  = prix de base + 46,82 FF

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( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) JO 1971, L 106, p. 1.

( 2 ) JO 1975, L 282, p. 1.

( 3 ) Arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77, Bayerische HNL et autres/Conseil et Commission, Rec. 1978, p. 1209, à la page 1224.

( 4 ) Tout d'abord pour les «nouveaux» États membres par l'effet du règlement (CEE) no 222/73, JO 1973, L 27, p. 4; pour les Pays-Bas, par l'effet du règlement (CEE) no 2544/73, JO 1973, L 263, p. 2; pour l'Italie, par l'effet du règlement (CEE) no 2958/73, JO 1973, L 303, p. 1; pour tous les États membres, par l'effet du règlement (CEE) no 475/75, JO 1975, L 52, p. 28.

( 5 ) JO 1973, L 114, p. 4.

( 6 ) Cela s'applique aux monnaies qui flottaient ensemble mais qui ont maintenu entre elles un écart maximal de 2,25 %. Pour les monnaies flottant librement, la réglementation était quelque peu plus complexe: voir article 2, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 974/71 dans la version du règlement (CEE)no 1112/73.

( 7 ) Voir P. Gilsdorf, Der Währungsausgleich aus rechtlicher Sicht, Cologne, 1978, p. 22 et suiv.; Gilsdorf estime que les montants compensatoires monétaires ne constituent plus des mesures provisoires pour éviter les perturbations qui résultent de l'ordre monétaire, mais considère qu'ils sont quasi un « élément de l'organisation commune des marchés ».

( 8 ) Arrêt du 21 février 1979 dans l'affaire 138/78, Hans-Markus Stölting/Hauptzollamt Hamburg-Jonas, Rec. 1979, p. 713, aux pages 722 et suiv.

( 9 ) JO 1978, L 171, p. 19.

( 10 ) JO 1975, L 282, p. 19.

( 11 ) JO 1980,1. 114, p. 22.

( 12 ) O. Gottsmann, Der gemeinsame Agrarmarkt, sous le point III A 3, p. 4.

( 13 ) Arrêt du 6 octobre 1982 dans l'affaire 302/81, Alfred Eggers & Co./Hauptzollamt Kassel, Rec. 1982, p. 3443.

( 14 ) Article 2, paragraphe 1, alinéa 3, du règlement (CEE) no 974/71, dans la version du règlement (CEE) no 855/84 du Conseil, du 31 mars 1984, relatif au calcul et au démantèlement des montants compensatoires monétaires applicables à certains produits agricoles (JO 1984, L 90, p. 1).

( 15 ) Règlement (CEE) no 641/71 de la Commission, du 26 mars 1971, JO 1971, L 73, p. 10.

( 16 ) JO 1978, L 178, p. 65.

( 17 ) JO 1983, L 199, p. 11.

( 18 ) JO 1984, L 90, p. 1.

( 19 ) Voir arrêt du 15 octobre 1980 dans l'affaire 4/79, Société coopérative « Providence agricole de la Champagne »/ONIC, Rec. 1980, p. 2823, aux pages 2845 et suiv.

( 20 ) Arrêt du 6 décembre 1984 dans l'affaire 59/83, SA Biovilac BV/Communauté économique européenne, point 16 des motifs, Rec. 1984, p. 4057.

( 21 ) Voir arrêt du 20 octobre 1977 dans l'affaire 29/77, SA Roquette frères/République française, Rec. 1977, p. 1835, à la page 1842.

( 22 ) Arrêt du 24 octobre 1973 dans l'affaire 43/72, Merkur-Außenhandels-GmbH/Commission, Rec. 1973, p. 1055, à la page 1074.

( 23 ) Voir arrêt du 25 mai 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe GmbH & Co. KG et autres/Conseil et Commission des Communautés européennes, Rec. 1978, p. 1209, aux pages 1224 et suiv., affaire dans laquelle le caractère illégal du comportement des institutions communautaires était établi.

( 24 ) Des calculs analogues établis pour d'autres moments se situant dans la période de cinq ans en cause en l'espèce donnent des résultats similaires.

( 25 ) JO 1979, L 84, p. 1.

( 26 ) Règlement (CEE) no 1626/83, JO 1983, L 160, p. 6.

( 27 ) Règlement (CEE) no 1223/83, JO 1983, L 132, p. 33.

( 28 ) JO 1983, C 298, p. 1.

( 29 ) Règlement (CEE) no 1599/83, JO 1983, L 163, p. 55.

( 30 ) Règlement (CEE) no 3032/83, JO 1983, L 300, p. 1.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 71
Date de la décision : 14/05/1985
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Responsabilité non contractuelle - Montants compensatoires pour la viande de porc.

Agriculture et Pêche

Responsabilité non contractuelle

Mesures monétaires en agriculture

Viande de porc

Montants compensatoires - adhésion

Adhésion


Parties
Demandeurs : Robert Surcouf et Jean Vidou
Défendeurs : Communauté économique européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:191

Source

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