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28/03/1985 | CJUE | N°16/84.

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Darmon présentées le 28 mars 1985., Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas., 28/03/1985, 16/84.


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 28 mars 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par les présents recours, la Commission entend vous faire constater que les Pays-Bas et l'Irlande ont manqué aux obligations que leur impose la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145 du 13. 6. 1977, p. 1). La Commission le

ur reproche, en effet, d'avoir maintenu inchangé, après l'entrée en vigueur de cette
...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 28 mars 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par les présents recours, la Commission entend vous faire constater que les Pays-Bas et l'Irlande ont manqué aux obligations que leur impose la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145 du 13. 6. 1977, p. 1). La Commission leur reproche, en effet, d'avoir maintenu inchangé, après l'entrée en vigueur de cette
directive, un régime fiscal, applicable à une transaction comportant la vente d'un bien neuf avec reprise d'un bien d'occasion de même nature, dont l'effet serait de réduire, à concurrence de la valeur du bien repris, la base d'imposition de la TVA à laquelle le bien neuf est soumis.

Citons le contenu des dispositions nationales ainsi contestées:

L'article 8, paragraphe 3, de la loi néerlandaise du 28 juin 1968, relative à la taxe sur le chiffre d'affaires prévoit, à cet égard, que :

« ... lorsqu'un bien meuble est livré en échange d'un bien du même type, la valeui du bien repris n'est pas comprise dans la rémunération. »

L'article 10, paragraphe 2, de la loi irlandaise de 1972 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée en 1978, précise que:

« ... la base d'imposition sera ... le montant total en espèces dont il est raisonnablement permis de considérer qu'il serait réclamé si la contrepartie consistait entièrement en un montant en espèces équivalant au prix normal du marché ... à condition qu'en calculant la base imposable telle que définie ci-dessus, une déduction puisse être faite quant au prix normal du marché de biens meubles d'occasion échangés pour la totalité ou une partie de leur valeur contre des biens neufs ou d'occasion
de même nature. »

2.  Ces deux dispositions appliquent donc la même modalité fiscale, consistant à réduire, à concurrence de la valeur du bien repris par le contribuable assujetti à la TVA, la base d'imposition servant au calcul de la TVA à laquelle la vente du bien neuf est soumise. Cependant, leur champ d'application n'est pas absolument identique.

Le régime fiscal institué aux Pays-Bas ne distingue pas, en effet, selon que les biens repris ont été utilisés ou sont neufs. Si telle était également la solution adoptée à l'origine en Irlande, la rectification introduite dans cette législation en 1978, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur différée de la sixième directive au 1er janvier 1979 telle que l'avait prévue la neuvième directive 78/583 du Conseil JO L 194 du 19. 7. 1978, p. 16), a circonscrit le traitement fiscal prévu par l'article
10, paragraphe 2, précité, au seul cas de la vente d'un bien neuf ou d'occasion en échange de la reprise d'un bien d'occasion. Le législateur irlandais a ainsi tiré les conséquences de l'adoption de la sixième directive qui ne s'applique qu'aux transactions entre assujettis portant sur des biens neufs et non à la vente par un assujetti d'un bien d'occasion, repris à un particulier en échange d'un autre bien d'occasion ou d'un bien neuf.

3.  S'agissant de biens d'occasion, l'article 32, alinéa 1, de la sixième directive prévoit l'adoption par le Conseil d'un «régime communautaire de taxation applicable dans le domaine des biens d'occasion ainsi que des objets d'art, d'antiquités et de collection ». Les fondements et les éléments d'un tel régime ont fait l'objet de propositions de la part de la Commission, tant dans le cadre de l'adoption de la sixième directive [proposition de sixième directive, doc. COM(73) 950 final du 20. 6.
1973] qu'en vue de l'adoption du régime visé par cet article (proposition de septième directive présentée au Conseil le 11 janvier 1978, JO C 26 du 26. 2. 1978, p. 1). Le Conseil n'ayant pas établi ce régime à la date prévue — le 31 décembre 1977 — cette matière fait encore l'objet, à titre transitoire, de l'alinéa 2 de ce même article 32 qui dispose que:

«Jusqu'à la mise en application de ce régime communautaire, les États membres qui, lors de l'entrée en vigueur de la présente directive, appliquent un régime particulier dans le domaine visé ci-dessus peuvent maintenir ce régime. »

Cette disposition permet, à titre transitoire et jusqu'à achèvement de l'harmonisation en matière de TVA, de déroger au régime commun établi par la sixième directive, donc de laisser coexister dans les États membres des systèmes radicalement différents tels que:

— taxation de la vente par un assujetti d'un bien d'occasion acheté à un particulier sans déduction fiscale possible (cumul d'imposition),

— régimes propres aux biens d'occasion permettant, selon des méthodes différentes, d'éviter la double imposition.

Précisons d'ailleurs que le manquement reproché ici par la Commission ne vise pas les transactions portant exclusivement sur des biens d'occasion, mais la transaction dans laquelle la vente d'un bien neuf s'accompagne de la reprise d'un bien d'occasion par un assujetti. L'identité d'objet des deux régimes fiscaux comme celle des deux recours nous permettent de les examiner conjointement.

L'ensemble de ces considérations préliminaires permet d'affirmer que l'essentiel du litige est centré sur le problème de l'applicabilité de l'article 32, alinéa 2, à un régime fiscal qui concerne une transaction à caractère mixte puisqu'elle porte à la fois sur un bien neuf et sur un bien d'occasion.

4.  Avant d'examiner le fond du litige, il convient d'apprécier le moyen d'irrecevabilité soulevé par les Pays-Bas dans l'affaire 16/84 à l'encontre du recours introduit par la Commission.

Le gouvernement néerlandais relève, en effet, qu'à la suite de l'avis motivé émis par la Commission et dans le cadre du délai de deux mois prévu par cet avis, il avait fait parvenir à celle-ci différents exemples chiffrés destinés à démontrer l'équivalence d'effet existant entre le système en vigueur aux Pays-Bas et les méthodes de calcul de la TVA applicable à la vente de biens d'occasion élaborées par la Commission, notamment dans sa proposition de septième directive. Or, il aurait résulté
sans ambiguïté de l'entretien que des fonctionnaires néerlandais avaient eu sur cette question avec leurs correspondants de la Commission que le délai imposé par l'avis motivé devait être suspendu pendant le temps nécessaire à l'examen des données ainsi transmises. En ne tenant pas compte de cette promesse et en n'appelant pas l'attention de l'État sur le risque de malentendu, la Commission aurait trompé l'attente légitime du gouvernement néerlandais à qui l'on ne pourrait reprocher de ne s'être
pas conformé à un avis dont il pouvait croire le délai d'exécution suspendu.

Ce moyen ne peut être accueilli. L'article 169 du traité CEE prévoit, en effet, que l'État membre doit se conformer à l'avis motivé « dans le délai déterminé par la Commission » qui dispose, à cet égard, d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation. En conséquence, il appartenait au gouvernement néerlandais d'en demander la prolongation à la Commission elle-même, à qui vous avez expressément reconnu la faculté « d'apprécier si une demande en ce sens, de la part d'un État membre, doit être
accueillie» (28/81, Rec. 1981, p. 2577, point 6). Toute autre solution, fondée notamment sur d'éventuels engagements verbaux pris par des fonctionnaires de la Commission, doit être écartée en raison de l'incertitude juridique qu'elle susciterait.

Le recours en manquement introduit par la Commission contre les Pays-Bas doit donc être déclaré recevable. Nous en venons ainsi au fond du litige.

5.  Selon la Commission, les dispositions nationales précitées, en prévoyant que la base d'imposition du bien neuf s'entend déduction faite de la valeur du bien d'occasion repris, entreraient en contradiction avec la définition de l'article 11, point A, de la sixième directive selon lequel:

«1) La base d'imposition est constituée:

a) pour les livraisons de biens... par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur... pour ces opérations de la part de l'acheteur... »

Or, la Commission relève que, dans la transaction considérée, le bien d'occasion ne représenterait rien d'autre qu'une forme de paiement en nature couvrant partiellement la valeur totale d'achat du bien neuf. Ce paiement en nature et le paiement du solde en espèces constitueraient l'exacte contrepartie de la livraison du bien neuf. Conformément aux dispositions précitées de l'article 11, il y aurait donc lieu de considérer cette contrepartie comme constituant la base d'imposition de la TVA
applicable au bien neuf.

La réduction de la base imposable de ce bien aurait une double conséquence. En premier lieu, diminuant l'assiette sur laquelle est imputé le pourcentage de TVA alimentant les ressources propres de la Communauté, elle diminuerait d'autant ces dernières. En second lieu, elle redistribuerait la charge fiscale entre l'acheteur du bien neuf qui n'acquitterait qu'une part de la TVA sur ce bien et l'acheteur du bien repris qui devrait payer le solde de la TVA dont l'acheteur du bien neuf est exonéré.
Cette redistribution se ferait donc au détriment de l'acheteur du bien d'occasion.

La Commission ajoute qu'on ne saurait justifier le régime fiscal ainsi institué en se fondant sur l'article 32 de la sixième directive car, si la transaction en cause concerne aussi un bien d'occasion, elle porterait à titre principal, comme cela résulte clairement des mesures critiquées, sur la vente d'un bien neuf, dont la reprise du bien d'occasion n'est que l'accessoire, destiné à inciter le particulier à l'achat. Il serait, en conséquence, superflu de comparer la méthode fiscale contestée à
celles envisagées par la Commission dans le cadre de ses propositions de sixième et septième directives.

6.  Contrairement à la Commission, les États membres concernés soutiennent qu'il n'y aurait pas lieu de s'interroger sur la conformité du système de déduction prévu par leur législation au regard des dispositions précitées de l'article 11 de la sixième directive.

Ils considèrent, en effet, que cette dernière autoriserait, par son article 32, le maintien de tout régime national propre aux biens d'occasion existant lors de son entrée en vigueur, même s'il déroge aux autres dispositions de la directive. Or, le traitement fiscal appliqué aux transactions portant sur des biens d'occasion repris en échange d'un bien neuf constituerait précisément « un régime particulier« au sens de l'article 32, alinéa 2.

Les deux États membres rejettent comme purement formelle l'argumentation de la Commission consistant à restreindre le champ d'application de l'article 32 aux seules transactions portant sur des biens d'occasion, à l'exclusion des transactions mixtes, portant à la fois sur des biens d'occasion et des biens neufs. Ils considèrent, au surplus, que le caractère mixte de la transaction est indifférent dès lors que la modalité fiscale critiquée par la Commission poursuit le même objectif et atteint le
même résultat que les propositions communautaires formulées par cette institution. Ainsi, la conformité des régimes critiqués dépendrait non d'une interprétation strictement littérale de l'article 32, mais de la raison d'être de l'établissement d'un régime propre aux biens d'occasion dont la nécessité a été reconnue par le législateur communautaire.

Or, il résulterait de l'exposé des motifs des propositions de sixième et septième directives que la finalité d'un tel régime est d'éviter que les biens d'occasion, qui ont déjà supporté une TVA lors de leur première introduction dans le circuit commercial, ne soient soumis, lors de leur revente par un assujetti, à une TVA partiellement assise sur la TVA précédemment acquittée. A cet effet, la Commission envisageait différentes méthodes, notamment dans sa proposition de septième directive, qui
toutes visaient à permettre la déduction de cette part de TVA encore incorporée dans le bien lors de sa revente.

Selon les deux États membres, bien que le système de déduction mis en place par les législations néerlandaise et irlandaise n'ait pas été envisagé par la Commission dans ses propositions, il poursuivrait le même objectif et conduirait à un résultat en tous points identique à celui obtenu par le biais des différentes méthodes présentées par celle-ci. Au surplus, la méthode retenue par ces deux États serait sans effet sur le montant des ressources propres de la Communauté et sur la charge fiscale
respective des acheteurs concernés.

Enfin, les États ont souligné les conséquences paradoxales qu'entraînerait, si on devait suivre l'argumentation de la Commission, l'abrogation des régimes nationaux contestés. On parviendrait, en effet, à supprimer deux régimes qui, matériellement, s'inscrivent dans le cadre des objectifs énoncés par la Commission elle-même, sans qu'il soit possible d'en prévoir le remplacement puisque l'article 32 n'autorise que le maintien des régimes existants.

Dès lors, il en résulterait que les biens d'occasion repris en échange d'un bien neuf seraient, lors de leur revente, soumis à une double imposition jusqu'à l'adoption par le législateur communautaire de la septième directive.

7.  La complexité de l'argumentation ainsi développée par les parties nous conduit, notamment à l'aide de quelques rappels, à cerner plus précisément les données constitutives du litige.

S'agissant de transactions portant sur des biens d'occasion, il est constant qu'en l'état actuel du droit communautaire un tel régime fiscal, propre à ces biens, prévu par l'article 32, alinéa 1, reste à établir. En conséquence, et à titre transitoire, les régimes particuliers existant dans les États membres lors de l'entrée en vigueur de la sixième directive demeurent applicables.

Comme nous l'avons indiqué, le droit comparé révèle que le traitement fiscal réservé par les États membres aux biens d'occasion consiste soit à leur appliquer le régime normal des autres biens, autrement dit à taxer les biens d'occasion lors de la revente sans prévoir aucune déduction de la taxe résiduelle, soit à organiser une telle déduction. Ainsi, l'article 32, alinéa 2, introduit une exception à l'ensemble des principes régissant le régime communautaire de la taxe sur la valeur ajoutée
établi par la sixième directive. On peut en déduire que, si un État membre a prévu un régime national des biens d'occasion, ce dernier, en l'absence de règles communautaires applicables, connaît comme seule limite celle de ne pas interférer avec le régime applicable aux biens neufs, tel qu'il s'impose aux États membres en exécution de la sixième directive.

Le problème se pose en l'espèce, en raison de l'application aux transactions mixtes des dispositions contestées. Pour la Commission, le manquement résulte justement de ce que la méthode fiscale qu'elles instituent réduit la base d'imposition du bien neuf, alors que, selon les États membres, ce système de déduction serait neutre à l'égard de la taxation de ce bien et n'aurait d'autre objet que celui d'éliminer la TVA résiduelle encore incorporée dans le bien d'occasion.

8.  La nécessité d'un traitement fiscal propre aux biens d'occasion s'explique par les particularités du circuit commercial suivi par un tel bien. Pour décrire les différentes étapes de ce circuit, nous prendrons pour hypothèse le cas d'un véhicule d'occasion revendu à un garagiste par son propriétaire lors de l'achat d'un véhicule neuf.

Le véhicule d'occasion a déjà acquitté une TVA lorsque, à l'état neuf, il a été vendu par un assujetti à un particulier. Quand ce dernier, après l'avoir utilisé pendant un certain temps, décide de le céder à un garagiste, cette TVA « originelle » reste, comme vous l'avez souligné dans votre arrêt Schul I (15/81, Rec. 1982, p. 1409), pour partie encore incorporée dans la valeur de ce bien (TVA dite « résiduelle »).

Il importe peu, à cet égard, de constater que le garagiste pourrait chercher à récupérer la taxe résiduelle en cause soit en négociant à la baisse le prix de reprise, soit en augmentant de la taxe résiduelle le prix de revente du véhicule d'occasion. De telles pratiques peuvent parfois permettre de contourner les difficultés consécutives à l'existence d'une TVA résiduelle, elles ne peuvent, en aucun cas, aboutir à son élimination.

En effet, si l'on ne prévoit pas la possibilité pour le garagiste d'éliminer cette « rémanence » de taxe, celle-ci constituera une composante obligée de la base d'imposition de la TVA applicable au véhicule d'occasion que le garagiste entend réintroduire, après l'avoir, le cas échéant, remis en état, dans le circuit commercial. Or, cette situation comportera, du point de vue fiscal, deux conséquences également fâcheuses:

— en premier lieu, elle impliquera une double imposition du véhicule d'occasion, dans la mesure où la TVA applicable lors de la revente sera en partie assise sur la TVA résiduelle;

— ce cumul de taxes aura pour conséquence, en second lieu, de détourner les particuliers propriétaires d'un bien d'occasion du circuit commercial, la sixième directive ne soumettant pas à la TVA les transactions entre particuliers.

Telles sont les deux raisons, invoquées par la Commission dans l'exposé des motifs de ses propositions de sixième et septième directives, qui justifient, selon elle, la nécessité d'établir un régime fiscal propre aux biens d'occasion. Dès lors, pour apprécier la conformité des dispositions nationales en cause, il faut rechercher si elles ont pour résultat d'éviter la double imposition. Ainsi, pour mesurer l'effet réel du système de déduction en vigueur dans les deux États membres, il paraît
nécessaire de le confronter aux méthodes fiscales envisagées par la Commission dans sa proposition de septième directive et, plus particulièrement, aux méthodes dites « taxe sur taxe » et « base sur base », en les transposant l'une et l'autre au type de transactions en cause, c'est-à-dire au cas d'un véhicule d'occasion repris en échange de la vente d'un véhicule neuf et ultérieurement revendu par le garagiste.

9.  On est donc conduit à procéder à une analyse comparée de ces trois méthodes en les confrontant à la situation qui résulterait de l'application pure et simple de la sixième directive en l'absence d'un régime particulier, au sens de son article 32.

Une remarque s'impose. La Commission a, le jour même de l'audience, produit trois tableaux censés décrire trois variantes possibles du système appliqué en Irlande et transposable aux Pays-Bas.

S'agissant d'un recours en manquement visant à voir déclarer l'incompatibilité au regard du droit communautaire d'un système fiscal existant en droit positif, il appartenait à la Commission d'en décrire le fonctionnement réel et non des variantes hypothétiques.

Autorisés, eu égard à la production tardive de ce document, à y répliquer après l'audience, les deux États membres ont indiqué qu'aucune des hypothèses envisagées par la Commission ne correspondait à la situation réelle de leur pays.

Nous serons donc amenés à examiner les systèmes nationaux tels que décrits par les défendeurs, en observant que l'Irlande en avait illustré le fonctionnement par des exemples chiffrés au cours de la procédure écrite. Nous comparerons ces systèmes (quatrième hypothèse), d'une part, à celui qui résulterait de l'application de la sixième directive en l'absence d'un régime propre aux biens d'occasion au sens de son article 32 (première hypothèse), d'autre part aux méthodes envisagées par la
Commission dans sa proposition de septième directive (deuxième et troisième hypothèses).

Pour ce faire, nous reprendrons les données théoriques sur lesquelles les parties se sont fondées pour la commodité du raisonnement, soit:

— taux de TVA supposé: 10 %,

— véhicule d'occasion repris par un garagiste au prix de 5500 IRL, valeur comprenant 500 IRL de TVA résiduelle,

— en paiement partiel d'un véhicule neuf d'une valeur brute (TTC) de 11000 IRL, dont 10 % — soit 1000 IRL — de TVA,

— ultérieurement revendu, après remise en état, avec un bénéfice de 600 IRL.

Première hypothèse: application de la sixième directive, en l'absence d'un régime dérogatoire au sens de l'article 32

Ici, la base d'imposition de la TVA est égale à la valeur brute de reprise (TVA résiduelle comprise), augmentée du bénéfice. Elle est donc de 10 % de 5500 + 600 = 6100, c'est-à-dire de 610 IRL.

En conséquence,

— le prix de vente TTC du bien d'occasion sera de 6100 + 610 = 6710 IRL,

— le montant total de la TVA payée à l'État sera de: 1000 + 610 = 1610 IRL.

Cet exemple fait clairement ressortir, en l'absence de régime dérogatoire, le phénomène de double imposition que la Commission s'efforce justement d'éliminer par sa proposition de septième directive et le risque réel de voir les particuliers dont les transactions avec d'autres particuliers sont exonérées de TVA se détourner du circuit commercial pour échapper au cumul de taxes.

Deuxième hypothèse: méthode de déduction « taxe sur taxe », envisagée par la Commission dans sa proposition de septième directive

Par cette méthode, le garagiste va:

— d'abord déduire la TVA résiduelle du prix d'achat brut du véhicule repris: soit 5500 — 500 = 5000,

— ensuite, déduire cette TVA résiduelle de la TVA afférente au prix net de revente du même véhicule, soit 10 % de 5000 + 600 = 5600, c'est-à-dire de 560; la TVA à acquitter à l'occasion de cette revente sera donc de 560 — 500 = 60.

La TVA perçue par l'État pour l'ensemble des transactions (vente du bien neuf et revente du bien d'occasion) s'élèvera à 1000 + 60 = 1060 IRL.

Quant au prix de revente du véhicule d'occasion, il sera de 6160 IRL, chiffre qui se décompose de la manière suivante:

— prix d'achat TVA résiduelle déduite:5000,

— bénéfice: 600,

— TVA sur la revente: 560.

Troisième hypothèse: méthode « base sur base », envisagée par la Commission dans sa proposition de septième directive

On prend ici en considération la différence entre :

— d'une part, le prix de revente, TVA résiduelle comprise, du bien considéré: soit 5500 + 600 = 6100,

— d'autre part, le prix de reprise, TVA résiduelle comprise: soit 5500.

La différence — 600 — constitue la marge du négociant et la base d'imposition servant au calcul de la TVA restant à acquitter et s'élevant à 10 % de 600, soit: 60.

Ici aussi, l'État perçoit au total, au titre de la TVA, la somme de 1060 IRL.

Quant au prix de revente du bien d'occasion, il s'élèvera, comme au cas précédent, à 6160 IRL, mais décomposé comme suit:

— prix d'achat TVA résiduelle comprise:5500,

— bénéfice: 600,

— TVA sur la revente: 60.

Quatrième hypothèse: système en vigueur aux Pays-Bas et en Irlande

La méthode suivie par les deux États membres se décompose en deux opérations successives.

Au stade de la vente du bien neuf avec reprise d'un bien d'occasion, on calcule la TVA que le garagiste devra effectivement verser à l'État, en appliquant son taux à une base d'imposition représentée par la différence entre le prix de vente hors taxe du bien neuf et le prix de reprise hors taxe (c'est-à-dire déduction faite de la TVA résiduelle) du bien d'occasion, soit 10 % de 10000 — 5000 = 5000, c'est-à-dire 500 IRL.

Au stade de la revente du bien d'occasion, la base d'imposition au titre de la TVA est constituée par la valeur nette précitée de reprise, augmentée du bénéfice, soit 5000 + 600 = 5600, ce qui donne une TVA de 560 IRL, donc un prix de revente de 6160 IRL.

Quant à la TVA totale perçue par l'État, elle est de 500 + 560, soit, ici encore, de 1060 IRL.

10.  Ainsi, comparée aux deux systèmes préconisés par la Commission, la méthode appliquée par les deux États membres n'affecte ni le prix de vente du bien neuf (11000 IRL), ni le prix de revente du véhicule d'occasion (6160 IRL), ni, dès lors, la répartition de la charge fiscale entre l'acheteur du bien neuf et celui du bien d'occasion, ni, enfin, le montant global de la TVA collectée pour l'État par l'assujetti (1060 IRL). Elle est donc parfaitement neutre.

Comme les deux autres méthodes, et contrairement à ce qui résulterait de l'application de la sixième directive, en l'absence -d'un régime dérogatoire au sens de l'article 32, elle parvient à éviter tout cumul de TVA lors de la revente du bien d'occasion.

Ces constatations permettent de qualifier le système appliqué dans les deux États membres de « régime particulier » dans le domaine des biens d'occasion au sens de l'article 32, alinéa 2, de la sixième directive, puisque, appliqué à une transaction mixte, il n'affecte ni le prix, ni la charge fiscale du bien neuf. Cette neutralité et l'applicabilité de l'article 32 qu'elle autorise excluent, au regard des régimes concernés, le jeu des dispositions de l'article 11.

S'agissant d'une exception prévue par la directive elle-même, il n'y a pas lieu d'en examiner les conséquences — au demeurant non établies — au regard des ressources propres. En effet, l'article 32 peut permettre le maintien de tout régime propre aux biens d'occasion, quand bien même il aurait une incidence sur les ressources propres, soit en les augmentant (régime de double imposition), soit en les diminuant (exonération totale).

11.  Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, nous concluons:

— au rejet des recours en manquement introduits par la Commission et

— à ce que les dépens soient mis à la charge de cette dernière.

Tableau synoptique présentant les méthodes fiscales retenues par les parties pour éviter la double imposition des biens d'occasion

Méthode Système «taxe sur taxe» Système «base sur base» Régime appliqué aux Pays-Bas et en Irlande

Transaction
I. Reprise      
1. PA TRC véhicule occasion 5 500 5 500 5 500
2. TVA résiduelle bien occasion 500 500 500
3. PV HT voiture neuve 10 000 10 000 10 000
4. PV TVA comprise véhicule neuf 11 000 11000 11000
5. TVA acquittée par le garagiste assujetti 1 000 1 000 10% de 10 000 - 5 000 = 500
II. Revente du véhicule d'occasion TVA sur valeur nette TVA résiduelle Valeur brute de revente Valeur brute d'achat  
1. Déduction TVA résiduelle 10 % (5 000 + 600) -500 10 % (5 500 + 600) -5 500 5 500 — 500 = 5 000
2. TVA acquittée par le garagiste assujetti 60 60 10% (5 000 + 600) = 560
3. Prix de revente 5 000 5 500 5 000

+ 600 + 600 + 600

+ 560 + 60 + 560

= 6 160 = 6 160 = 6 160
TVA totale perçue par l'État (1 +II) 1 060 1 060 1 060


Synthèse
Numéro d'arrêt : 16/84.
Date de la décision : 28/03/1985
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Affaire 16/84.

Commission des Communautés européennes contre Irlande.

Affaire 17/84.

TVA - Base d'imposition en cas de reprise d'un bien meuble à titre de paiement partiel.

Taxe sur la valeur ajoutée

Rapprochement des législations

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume des Pays-Bas.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:152

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