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22/11/1984 | CJUE | N°173/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 22 novembre 1984., Commission des Communautés européennes contre République française., 22/11/1984, 173/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 22 novembre 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.

La procédure dont il s'agit aujourd'hui a pour objet des mesures que le gouvernement français a prises pour la mise en œuvre de la directive du Conseil du 16 juin 1975 concernant l'élimination des huiles usagées (JO L 194, 1975, p. 31 et suiv.), arrêtée dans le cadre du programme d'action de la Communauté en matière de protection de l'environnement.

Cette directive et le décret

français n° 79/981 pris à cet égard le 21 novembre 1979, ainsi que les arrêtés d'application du décret p...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 22 novembre 1984 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A.

La procédure dont il s'agit aujourd'hui a pour objet des mesures que le gouvernement français a prises pour la mise en œuvre de la directive du Conseil du 16 juin 1975 concernant l'élimination des huiles usagées (JO L 194, 1975, p. 31 et suiv.), arrêtée dans le cadre du programme d'action de la Communauté en matière de protection de l'environnement.

Cette directive et le décret français n° 79/981 pris à cet égard le 21 novembre 1979, ainsi que les arrêtés d'application du décret pris à la même date, ont déjà joué un rôle dans les affaires 172/82 ( 2 ) et 295/82 ( 3 ). Nous pouvons donc d'abord renvoyer ici à ce qui y a été exposé. Retenons seulement que la Cour a, le 10 mars 1983, affirmé, dans le premier cas, que les règles communautaires sur la libre circulation des marchandises ainsi que la directive précitée n'autorisent pas « un État
membre à organiser sur son territoire le système de ramassage et d'élimination des huiles usagées par des entreprises agréées de façon à interdire les exportations à un éliminateur ou régénérateur autorisé d'un autre État membre » (Rec. 1983, p. 567 et suiv. ( 2 )). Par ailleurs, il a été établi, dans l'arrêt rendu le 9 février 1984 ( 3 ) dans la deuxième affaire, que les objectifs de la directive précitée et les dispositions des règles du traité CEE sur la libre circulation des marchandises «
exigent que les huiles usagées puissent être livrées à un éliminateur d'un autre État membre qui a obtenu dans cet État l'autorisation prévue à l'article 6 de la directive, aussi bien par l'intermédiaire d'un détenteur que d'un ramasseur agréé ».

Conformément au point de vue qu'elle avait déjà adopté dans les deux premières procédures précitées et selon lequel la réglementation française ne serait compatible ni avec la directive ni avec l'article 34 du traité CEE, la Commission a, par lettre du 23 décembre 1982, engagé une procédure, au titre de l'article 169 du traité CEE, contre la République française. Il était exposé dans cette lettre qu'il résultait des articles 3, 4 et 6 du décret précité, ainsi que des articles 10 et 15 de l'annexe à
l'arrêté relatif aux conditions de ramassages des huiles usagées, qu'il est interdit aux détenteurs d'huiles usagées de livrer celles-ci à des ramasseurs agréés d'un autre État membre et qu'il est interdit aux détenteurs ou ramasseurs d'huiles usagées de livrer celles-ci à des éliminateurs agréés dans d'autres États membres. A cet égard, il y aurait lieu d'observer que les objectifs définis dans la directive pourraient également être atteints si les livraisons aux ramasseurs ou éliminateurs d'autres
États membres étaient autorisées et il conviendrait d'ajouter que la violation de l'article 34 du traité CEE que constitue la réglementation française ne pourrait pas non plus être justifiée par l'article 36 de ce traité.

Le gouvernement français n'ayant pas pris position à cet égard dans le délai prescrit, un avis motivé a été émis le 25 mai 1983 en application de l'article 169 du traité CEE. Il y était à nouveau souligné que la réglementation française comportait une interdiction d'exporter contraire aux dispositions du traité. Cela résulterait tant des modalités des obligations imposées aux détenteurs d'huiles usagées, aux ramasseurs et éliminateurs agréés que de la circonstance que la réglementation ne prévoit
aucune dérogation pour les livraisons aux éliminateurs autorisées dans les autres États membres. Cela serait encore renforcé par des contrôles tels que les prescrit une circulaire du 26 octobre 1982 (nous reviendrons sur ce point). Par ailleurs, il était exposé dans l'avis motivé qu'une justification à cet égard ne saurait être tirée de l'article 5 de la directive aux termes duquel:

« Dans les cas où les objectifs définis aux articles 2, 3 et 4 ne peuvent être atteints autrement, les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu'une ou plusieurs entreprises effectuent la collecte des produits offerts par les détenteurs et/ou l'élimination de ces produits, le cas échéant dans la zone qui leur est attribuée par l'administration compétente. »

En outre, il a été souligné qu'une telle réglementation ne répondait pas non plus à une nécessité économique puisque les articles 13 et 14 de la directive prévoient, en vue de compenser les obligations imposées aux ramasseurs et/ou éliminateurs, l'octroi d'indemnités à de telles entreprises. Enfin, la Commission invitait encore la République française à prendre les mesures requises pour se conformer à l'avis motivé dans un délai d'un mois à compter de la notification de celui-ci.

Le gouvernement français a réagi à cet avis motivé, le 21 juillet 1983, par un télex adressé à la direction générale de l'environnement. Il y était surtout fait référence à la circulaire du ministère de l'Économie et du Budget du 26 octobre 1982 diffusée aux services subordonnés et la Commission était invitée à reconsidérer sa position. Il en résulterait, en effet, que les exportations sont tout à fait admises lorsque l'exportateur peut présenter une attestation faisant apparaître que le
destinataire final est un éliminateur agréé, et il serait également clair que les contrôles critiqués par la Commission se borneraient à vérifier si l'exportateur est détenteur ou ramasseur agréé d'huiles usagées et si le destinataire est habilité à acquérir des huiles usagées en application de sa réglementation nationale.

Ce télex étant apparemment parvenu tardivement au service compétent de la Commission (comme nous le verrons ci-après, il n'aurait de toute façon pas influencé la position de la Commission), la Cour a été saisie, le 10 août 1983, d'un recours tendant à ce qu'elle constate que, en instaurant par le décret n° 79/981, du 21 novembre 1979, et par deux arrêtés d'application pris à la même date, un système de ramassage et d'élimination des huiles usagées qui exclut l'exportation desdites huiles, fût-ce
pour la livraison à des ramasseurs et des éliminateurs autorisés dans d'autres États membres, la République française a enfreint l'article 34 du traité CEE.

B.

Cette demande — comme vous le savez, le gouvernement français la considère comme non fondée et il conclut donc au rejet du recours — appelle de notre part l'appréciation suivante.

1. Si nous limitons notre appréciation aux termes du décret français et de ses arrêtés d'application, les modalités des obligations, telles qu'elles s'appliquent aux détenteurs d'huiles usagées (c'est-à-dire aux personnes qui accumulent des huiles usagées en raison de leurs activités professionnelles), aux ramasseurs et aux éliminateurs agréés, conduisent effectivement à la conclusion que les exportations à destination de ramasseurs et d'éliminateurs autorisés dans d'autres États membres (eux seuls
sont visés par la Commission comme partenaires dans les échanges entre États membres) ne sont pas possibles.

C'est assurément clans ce sens qu'il faut comprendre l'article 3 du décret qui précise à qui les détenteurs d'huiles usagées (lorsqu'ils ne sont pas eux-mêmes autorisés à les éliminer) doivent livrer, à savoir aux ramasseurs agréés en vertu de l'article 4 (il s'agit en France des entreprises agréées pour une zone déterminée) ou aux éliminateurs qui sont agréés en application de l'article 8 (ce qui se limite également à la France). C'est dans ce sens également que doit être compris l'article 6,
qui dispose que les ramasseurs agréés doivent livrer aux éliminateurs agréés conformément à l'article 8 du décret (ce qui, d'ailleurs, résulte également des articles 10 et 15 de l'annexe à l'arrêté d'application concernant la récupération des huiles usagées). Et c'est dans ce sens aussi que doit être appréhendé l'article 2 de l'arrêté d'application concernant l'élimination des huiles usagées, puisqu'il mentionne l'élimination dans les installations agréées conformément aux dispositions de
l'article 7 du décret (ce qui ne peut viser que les entreprises agréées en France).

A cet égard, nous pouvons en outre nous référer à l'appréciation qui ressort de l'arrêt rendu dans l'affaire 172/82 ( 2 ) (encore qu'il n'y ait lieu de ne la considérer que comme une sorte d'obiter dictum parce que la Cour n'est pas appelée, dans une telle procédure, à interpréter le droit national). En effet, la Cour y a constaté qu'il était constant « que la législation française comporte implicitement une interdiction d'exporter les huiles usagées vers l'étranger, en ce compris les autres
États membres de la Communauté»; par ailleurs, « aucune dérogation n'est ainsi prévue pour la revente aux éliminateurs d'autres États membres qui auraient obtenu l'autorisation prévue à l'article 6 de la directive 75/439 ». Nous pouvons, en outre, nous reporter à l'appréciation portée par la cour d'appel de Lyon, et reprise dans l'arrêt rendu dans l'affaire 295/82 ( 3 ), selon laquelle la législation française comporte implicitement, tant pour les ramasseurs agréés que pour les détenteurs
d'huiles usagées, une interdiction d'exporter celles-ci vers l'étranger, y compris vers les autres États membres de la Communauté. De plus, il est intéressant d'observer que dans l'affaire 172/82 ( 2 ), le gouvernement français luimême a répondu de la manière suivante à des questions posées en ce sens par la Cour:

«1) En ce qui concerne le ramassage des huiles usagées, il appartient aux détenteurs, s'ils choisissent d'assurer eux-mêmes le transport de leurs huiles usagées, ou aux ramasseurs agréés, de livrer ces huiles à des éliminateurs agréés (français), conformément à la procédure prévue à l'article 8 du décret du 21 novembre 1979.

2) En ce qui concerne l'élimination, il appartient aux éliminateurs agréés, au sens du décret du 21 novembre 1979, de traiter les huiles usagées dans leurs installations. »

En conséquence, si l'on se fonde uniquement sur les textes précités et eu égard à la définition suffisamment connue des mesures restreignant les exportations, telle qu'elle a été utilisée itérativement dans la jurisprudence (voir, par exemple, l'affaire 172/82 ( 2 )), force est effectivement de constater que le droit français n'est pas compatible avec le principe de libre circulation des marchandises et qu'il s'applique aux livraisons à l'exportation.

2. Si l'on examine les arguments que le gouvernement défendeur a, en revanche, invoqués pour se justifier, deux réflexions peuvent très rapidement être écartées comme non pertinentes. Nous songeons à l'indication selon laquelle le décret se réfère dans ses visas à la directive qui souligne pour sa part, dans son septième considérant, que les échanges intracommunautaires ne doivent pas être entravés. Et nous songeons, aussi, au point de vue connexe selon lequel, parce que, conformément à un principe
général de droit français en vertu duquel tout ce qui n'est pas interdit serait à considérer comme permis et parce qu'aucune disposition de la réglementation française ne comporte explicitement une interdiction d'exporter, une dérogation pour les exportations n'aurait même pas été nécessaire.

Abstraction faite de ce que ces affirmations sont difficilement conciliables avec le point de vue du gouvernement français qui résulte des réponses qu'il a fournies aux questions posées par la Cour dans l'affaire 172/82 ( 2 ), il faut à tout le moins observer que l'interprétation quasiment péremptoire des dispositions françaises au regard des possibilités d'exportation suscite pour le moins des incertitudes et des ambiguïtés. Or, cela aussi — l'application de l'article 34 ne requiert pas
davantage — est de nature à entraver les exportations. Au demeurant, il est tout à fait clair également que cette ambiguïté et cette incertitude ne sont pas suffisamment levées par le fait que le décret était précédé d'une référence globale à la directive qui, pour sa part, se borne à mentionner dans ses considérants les exigences des échanges intracommunautaires.

3. La partie défenderesse fait également observer que les dispositions strictes françaises sur l'élimination et la régénération des huiles usagées se traduiraient, en l'occurrence, par un niveau de prix plus faible que dans les autres États membres, ce qui constituerait pratiquement une incitation aux exportations. Des exportations à partir de la France auraient effectivement lieu et (comme le révéleraient les statistiques produites dans le cadre de l'affaire 172/82 ( 2 )) elles représenteraient une
part très importante (à savoir environ 36000 tonnes) de l'ensemble des échanges intracommunautaires d'huiles usagées (lesquels atteignent environ 40000 tonnes). Nous ne pouvons pas partager ce point de vue.

A ce sujet, nous pouvons d'abord renvoyer à l'arrêt rendu dans l'affaire 295/82 ( 3 ) (point 11 des motifs), dans lequel la Cour a exposé que la seule circonstance qu'une majorité des exportations intracommunautaires provienne d'un État membre ne permet pas de déduire que la réglementation de cet État membre autorise les exportations vers les autres États membres par l'intermédiaire des ramasseurs agréés et des détenteurs d'huiles usagées. D'autre part, il est intéressant à cet égard de noter ce
qui a été exposé sur la quantité totale (environ 0,5 million de tonnes) d'huiles usagées accumulées annuellement en France (quantité par rapport à laquelle les chiffres précités des exportations paraissent bien modestes). L'idée connexe, selon laquelle la différence de prix laisserait parfaitement à supposer que les exportations non entravées atteindraient un niveau sensiblement supérieur, est également évidente.

4. Le gouvernement français attache une importance particulière à l'argument selon lequel il résulterait clairement de la réglementation, pertinente dans son ensemble, qu'il n'existe aucune interdiction d'exporter, et il vise à cet égard une circulaire complétant le décret et ses arrêtés d'application et concernant le contrôle du respect de la réglementation sur la collecte et l'élimination des huiles usagées, circulaire que le ministère de l'Économie et des Finances a adressée aux services
compétents le 26 octobre 1982.

Il est question dans cette circulaire — permettez-nous de le mentionner d'emblée — d'un contrôle particulièrement vigilant et de l'illégalité des exportations vers les pays tiers. Il y est, d'autre part, prévu que les détenteurs d'huiles usagées et les ramasseurs agréés par l'administration française peuvent exporter vers d'autres États membres avec, toutefois, cette restriction que seuls des éliminateurs agréés dans les autres États membres entrent en ligne de compte comme destinataires, ce qui
doit être prouvé au moyen d'une attestation.

Comme vous le savez, cela n'est pas non plus considéré comme suffisant par la Commission, et ce ni du point de vue formel ni en ce qui concerne le contenu de la réglementation.

a) A notre avis, il convient d'approuver la Commission quant au premier aspect mentionné.

Il importe de relever à cet égard que la circulaire n'a pas le même rang que le décret et ses arrêtés d'application. Cela peut susciter — eu égard à l'interprétation à l'évidence aisément concevable des textes cités en dernier lieu —, en ce qui concerne les possibilités d'exporter, des ambiguïtés et des incertitudes susceptibles d'entraver les exportations, et ce, notamment, au regard de la remarque figurant à la fin de la circulaire et aux termes de laquelle:

« Il va de soi que ces mesures transitoires — qui pourraient être réexaminées à la lumière des constatations faites par le service — sont sans préjudice de la position du gouvernement sur la licéité des exportations en cause au regard du droit communautaire. »

Par ailleurs, il est important de noter que la circulaire n'a pas été publiée, de sorte qu'il n'est pas certain que tous les intéressés en aient eu connaissance et qu'ils aient pu l'utiliser.

En outre, le fait que de telles réflexions revêtent effectivement de l'importance dans le cadre de l'appréciation de l'application du traité par les États membres a déjà été mis en évidence par la jurisprudence. A cet égard nous songeons, par exemple, à l'arrêt rendu dans l'affaire 167/73 ( 4 ) (Rec. 1974, p. 372, attendus 41 et 42). Comme vous le savez, la Cour y a souligné qu'il y avait lieu de critiquer le maintien, sans révision, du code du travail français — parce qu'il violait
l'interdiction de discrimination énoncée par le traité —, nonobstant le fait que le droit communautaire pertinent (l'article 48 et le règlement n° 1612/68) soit directement applicable et prime le droit français, précisément parce que cela laisserait subsister des ambiguïtés et des incertitudes qui ne peuvent pas non plus être levées par des instructions purement administratives de caractère interne et verbal. Un raisonnement analogue s'impose assurément aussi dans un cas comme l'espèce
présente où il s'agit d'instructions administratives non publiées qui peuvent être à tout moment rapportées.

D'ailleurs, le gouvernement français ne paraît pas non plus l'exclure. En effet — comme nous l'avons appris —, le décret et ses arrêtés d'application (qui, à cet égard ont été qualifiés d'incomplets) doivent être modifiés par l'intégration des dispositions contenues dans la circulaire (ce qui n'a cependant pas été fait jusqu'à présent et doit être réalisé tout au plus pour la fin de l'année).

b) Eu égard à ces constatations qui suffisent en fait à fonder le grief tiré de la violation du traité, il n'est en vérité même plus nécessaire d'approfondir l'examen du contenu de la circulaire. Quelques mots nous paraissent cependant encore s'imposer à ce sujet, précisément parce que le gouvernement français se propose de reprendre dans son décret les dispositions de la circulaire et parce qu'il se posera dès lors certainement la question de savoir si tout ce qui est nécessaire aux fins du
respect de l'article 34 du traité CEE se trouvera ainsi accompli.

La Commission considère la circulaire comme insuffisante sous plusieurs aspects: d'une part, parce qu'elle prévoit des exportations uniquement pour les détenteurs d'huiles usagées et les ramasseurs agréés en France et non pas pour les éliminateurs français et les ramasseurs non agréés; d'autre part, parce qu'elle autorise les exportations uniquement à destination d'éliminateurs agréés dans d'autres États membres, c'est-à-dire pas à destination de ramasseurs; enfin, également parce qu'elle
exige la production d'une attestation faisant apparaître que le destinataire est autorisé à éliminer les huiles usagées.

aa) En ce qui concerne d'abord les entreprises habilitées à exporter, nous estimons qu'à tout le moins le fait de ne pas mentionner (et, partant, d'exclure) les éliminateurs, est contestable, cela, bien que l'on puisse à juste titre s'interroger sur le point de savoir si, à cet égard, la cession d'huiles usagées peut somme toute présenter un intérêt économique puisqu'en principe il importe sans doute aux éliminateurs d'utiliser eux-mêmes la totalité des huiles qui leur sont livrées, dans
l'intérêt d'une utilisation optimale de leurs installations. Mais, parce qu'il n'est pas totalement à exclure qu'il puisse exister, dans certains cas, un intérêt à céder les huiles à des entreprises établies dans d'autres États membres, on pourra difficilement justifier l'exclusion catégorique de ces entreprises des activités d'exportation.

En revanche, le fait d'exclure des exportations les ramasseurs non agréés ne nous paraît pas critiquable. Cela doit être appréhendé dans le cadre de la réglementation française qui, en application de l'article 5 de la directive, a divisé le territoire en zones de ramassage et a accordé dans chaque zone le droit exclusif de ramassage à une entreprise. Cela signifie sans doute nécessairement que les ramasseurs non agréés ne peuvent pas exercer leur activité dans les zones en question et
qu'ils n'ont pas non plus le droit — parce que, dans le cas contraire, la réglementation n'atteindrait pas son but — d'exercer de telles activités à des fins d'exportation. Certes, la Commission a soulevé, dans son deuxième mémoire, la question de savoir si la possibilité ouverte par l'article 5 avait été correctement utilisée en France, car elle estimait — faisant allusion à la formulation contenue dans l'article 5 et aux termes de laquelle « dans le cas où les objectifs définis aux
articles 1, 3 et 4 ne peuvent être atteints autrement » — qu'il n'avait pas été démontré que l'instauration de zones et l'octroi de droits exclusifs de ramassage étaient nécessaires au sens de la formulation précitée. Or, le gouvernement français a, à juste titre, rétorqué sur ce point qu'un tel moyen n'avait été soulevé par la Commission ni au cours de la procédure administrative ni dans la requête et qu'il devait donc — parce qu'il n'a été invoqué que dans la réplique — être considéré
comme irrecevable. Par la suite, la Commission ne paraît pas non plus avoir réfuté cette argumentation puisqu'elle a explicitement déclaré au cours de la procédure orale qu'il n'y avait pas lieu de mettre en question la réglementation française sur la division en zones géographiques et l'octroi de droits exclusifs de ramassage (comme M. Narjes, membre de la Commission, paraît l'avoir déclaré également en réponse à une question). En conséquence, le droit d'exporter de ramasseurs non agréés
ne permet effectivement pas, à notre avis, d'autre appréciation que celle que nous avons précédemment évoquée.

bb) Quant à la question de savoir si les exportations sont à bon droit restreintes aux livraisons à destination d'éliminateurs agréés dans d'autres États membres (c'est-à-dire à l'exclusion de ramasseurs autorisés dans d'autres États membres), rien de décisif ne peut être tiré à cet égard de l'arrêt rendu dans l'affaire 172/82 ( 2 ). En effet, s'il n'est question ici que d'un éliminateur ou d'un régénérateur agréé clans un autre État membre, cela s'explique uniquement par la formulation
restreinte des questions qui visent seulement l'entrave mise à la livraison d'huiles à un éliminateur ou un régénérateur dans un État membre de la CEE (voir Rec. 1983, p. 558 ( 2 )).

A ce propos, un élément décisif ne résulte pas plus de la réglementation française sur les droits exclusifs de ramassage dans certaines zones que de l'article 7 de la directive aux termes duquel:

« Quiconque détient des huiles usagées doit, s'il ne peut pas respecter les mesures prises en vertu de l'article 4, les tenir à disposition d'une ou des entreprises visées à l'article 5. »

Sur le premier point, il convient seulement d'observer qu'il ne s'agit pas d'une immixtion dans l'activité du ramassage (qui n'est effectivement pas une affaire de franchissement des frontières), mais de la possibilité, entre autres pour les détenteurs d'huiles usagées, d'exporter. Or, si ceux-ci peuvent livrer, sans violer le droit exclusif précité, à des ramasseurs à l'extérieur de leur zone, on comprend mal pourquoi une solution différente devrait s'appliquer aux exportations, dont il
est très clairement rappelé dans les considérants de la directive qu'elles ne doivent pas être entravées et qui priment donc certainement le droit exclusif de ramassage. D'autre part, le gouvernement défendeur doit admettre, au sujet du deuxième point, que l'article 7 énonce uniquement l'obligation de tenir les huiles usagées à la disposition des entreprises qui sont habilitées à effectuer la collecte, mais sans que l'on puisse en déduire, en liaison avec l'article 5, aucun élément sur le
lieu où ces entreprises doivent être établies.

La partie défenderesse s'inspire dans ce contexte de l'idée d'un contrôle efficace de l'élimination des huiles usagées dont il est effectivement question dans les considérants de la directive. Elle indique, en outre, que le contrôle d'un petit nombre d'éliminateurs peut être organisé d'une manière plus simple et plus efficace. Dans l'affaire 240/83 ( 5 ), le gouvernement italien a également exprimé des réserves sur la mise en place de multiples stades intermédiaires. Enfin, comme le
révéleraient des études faites en 1980 et 1983, on constaterait dans d'autres États membres des négligences dans la mise en œuvre de la directive, raison pour laquelle une partie considérable des huiles usagées accumulées — 40 % — échapperait à l'élimination correcte et serait notamment brûlée. On peut, en particulier, rétorquer à cet argument qu'une mise en œuvre incorrecte de la directive par d'autres Etats membres ne peut certainement pas justifier de la part de la partie défenderesse
un comportement contraire au traité en ce qui concerne l'exportation. Il appartient à la Commission d'y remédier dans le cadre de sa mission de contrôle. Au demeurant, on ne comprend cependant pas non plus en quoi l'intervention supplémentaire de ramasseurs étrangers, dont le comportement correct relève de la compétence de l'État membre intéressé, menacerait la réalisation des objectifs de la directive.

En conséquence, on ne peut effectivement pas justifier le fait que les exportations d'huiles usagées soient limitées aux livraisons à destination d'éliminateurs agréés dans d'autres États membres.

cc) La circulaire exige enfin de l'exportateur qu'il présente une attestation faisant apparaître que le destinataire est habilité à éliminer les huiles usagées. Cette exigence devra sans doute — si l'on considère comme correct d'étendre les possibilités d'exportations aux livraisons à destination de ramasseurs étrangers — s'appliquer aussi à leur égard. De telles attestations ne fournissent naturellement aucune indication sur la destination finale des huiles usagées. C'est pourquoi on pourrait
douter de leur efficacité en tant qu'instruments de contrôle et dire que l'indication du nom et de l'adresse du destinataire est suffisante parce qu'elle permet d'effectuer le contrôle nécessaire de la destination finale des huiles usagées dans l'État de destination qui est compétent à cet égard dès le franchissement de la frontière.

D'autre part, la Commission elle-même a donné une réponse affirmative à la question de savoir s'il était admissible, dans l'intérêt de la mise en œuvre efficace de la directive, d'interdire les exportations aux ramasseurs ou aux éliminateurs non agréés. Or, si une telle distinction peut être faite à la sortie d'un État membre, il doit naturellement être possible également de contrôler à cet instant si la condition de l'agrément est remplie et, à cet égard, une assistance administrative apportée
seulement a posteriori selon les indications fournies aux douanes ne saurait apparaître comme satisfaisante. En outre, on peut sans plus également supposer — le gouvernement français a sans doute raison en l'occurrence — qu'il est possible de se procurer de telles attestations sans difficultés particulières ni dépenses susceptibles d'entraver les exportations. Et ce, en tout cas — et telles devraient être les caractéristiques d'opérations d'exportations sérieuses —, lorsqu'un contrat de vente est
déjà conclu avec un acheteur étranger avant la livraison, voire lorsqu'il existe déjà des rapports commerciaux constants.

C'est pourquoi nous estimons que l'exigence en cause est formulée à juste titre dans le cadre de l'exécution correcte de la directive et qu'elle ne constitue pas un élément de nature à rendre plus difficiles ou à entraver les exportations et qu'il y aurait lieu de critiquer sur la base de l'article 34 du traité.

5. Nous constatons, en résumé, que les dispositions françaises arrêtées aux fins de la mise en œuvre de la directive, et qui seules entrent en ligne de compte dans la présente procédure (décret et arrêtés d'application de l'année 1979), obligent à conclure que les livraisons d'huiles usagées effectuées par les détenteurs, les ramasseurs et les éliminateurs français aux ramasseurs ou éliminateurs agréés dans d'autres États membres sont exclues, ce qui n'est ni justifié en vertu de la directive ni
compatible avec l'article 34 du traité CEE.

C.

Conformément à la demande, il y a donc lieu de constater que la partie défenderesse manque aux obligations qui lui incombent en vertu du traité tant qu'elle n'a pas apporté aux dispositions précitées les modifications appropriées tenant compte des exigences de l'article 34. Cette appréciation de la situation juridique conduit, en outre, à condamner la partie défenderesse aux dépens.

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( 1 ) traduit de l'allemand

( 2 ) Arrêt rendu le 10 mars 1983 dans l'affaire 172/82, Syndicat national des fabricants raffineurs d'huile de graissage et autres/Groupement d'intérêt économique « înter-Huiles » et autres, Rec. 1983, p. 555.

( 3 ) Arrêt rendu le 9 février 1984 dans l'affaire 295/82, Groupement d'intérêt économique « Rhône-Alpes Huiles » et autres/Syndicat national des fabricants raffineurs d'huile de graissage et autres, Rec. 1984, p. 575.

( 4 ) Arrêt rendu le 4 avril 1974 dans l'affaire 167/73, Commission des Communautés européennes/République française, Rec. 1974, p. 359.

( 5 ) Demande de décision préjudicielle, formée par le tribunal de grande instance de Créteil dans l'affaire 240/83, Procureur de la République/Association de défense des brûleurs d'huiles usagées, Rec. 1985, p. 531.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 173/83
Date de la décision : 22/11/1984
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'État - Libre circulation des marchandises - Huiles usagées.

Mesures d'effet équivalent

Rapprochement des législations

Environnement

Restrictions quantitatives

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:356

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