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10/11/1983 | CJUE | N°211/80.

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'avocat général Rozès présentées le 10 novembre 1983., Michel Advernier et autres contre Commission des Communautés européennes., 10/11/1983, 211/80.


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 10 NOVEMBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis de recours introduits contre leur institution par de nombreux fonctionnaires de la Commission ( 1 ), du Conseil ( 2 ) et du Parlement ( 3 ), visant à mettre en cause la légalité des règlements du Conseil, du 21 janvier 1980, no 160/80, modifiant le statut des fonctionnaires ainsi que le régime applicable aux autres agents, et no 161/80, portant adaptation des rémunérations et des pensions

des fonctionnaires et autres agents ainsi que des coefficients correcteurs dont sont affectée...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 10 NOVEMBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis de recours introduits contre leur institution par de nombreux fonctionnaires de la Commission ( 1 ), du Conseil ( 2 ) et du Parlement ( 3 ), visant à mettre en cause la légalité des règlements du Conseil, du 21 janvier 1980, no 160/80, modifiant le statut des fonctionnaires ainsi que le régime applicable aux autres agents, et no 161/80, portant adaptation des rémunérations et des pensions des fonctionnaires et autres agents ainsi que des coefficients correcteurs dont sont affectées
ces rémunérations et pensions ( 4 ) ou du premier d'entre eux seulement ( 5 ).

Les circonstances de fait qui sont à l'origine de ces actions et les problèmes juridiques de fond qu'elles posent sont identiques à ceux de l'affaire 64/80, Giuffrida et Campogrande, qui a donné lieu à votre arrêt du 26 février 1981 ( 6 ). Dans cet arrêt, vous avez jugé irrecevable le recours en annulation du règlement no 160/80, fondé sur l'article 173, alinéa 2, du traité, qu'avaient introduit contre le Conseil un fonctionnaire de cette institution et un fonctionnaire de la Commission.

Dans les présentes affaires, vous serez en revanche vraisemblablement amenés à prendre parti sur les questions de fond -en raison de leur base juridique différente. Ces actions sont ou peuvent être comprises comme des recours dits de fonctionnaires, introduits en vertu des articles 179 du traité et 91 du statut, à l'occasion desquels est utilisé le mécanisme de contrôle incident de la légalité des règlements organisé par l'article 184 du traité. Elles sont en effet dirigées ( 7 ) ou peuvent être
entendues comme étant partiellement dirigées ( 8 ) contre certains bulletins de traitement des requérants et certains bulletins portant rappel des arriérés de leur rémunération, qui seraient nuls parce qu'ils auraient été établis en application des règlements nos 160 et 161/780 dont l'illégalité est invoquée ( 9 ).

Des recours similaires ont également été introduits par des fonctionnaires de la Cour de justice ( 10 ), de la Cour des comptes ( 11 ) et du Comité économique et social ( 12 ). Mais, dans ces affaires, un report pour le dépôt de leur mémoire en défense a été accordé sine die à l'institution et aux organes concernés. Contre le Parlement, la procédure s'est développée jusqu'à son terme à la demande des requérants, car une branche d'un de leurs moyens concerne directement cette institution et les
intéressés espéraient une réponse au fond. Le Parlement s'en est toutefois remis à cet égard à votre sagesse, en limitant pour l'essentiel ses développements aux questions de recevabilité.

I — L'historique des événements ayant conduit aux litiges et les causes, de. ceux-ci ayant été décrites en détail dans l'arrêt Giuffrida et Campogrande ( 13 ) ainsi que dans les conclusions de M. l'avocat général Reischl sur cette affaire ( 14 ), nous nous permettons de les résumer brièvement.

1) Le règlement no 160/80 a eu pour objet d'éliminer les avantages pécuniaires dont bénéficiaient certains fonctionnaires (chargés de famille, titulaires de l'indemnité de dépaysement) à la suite de l'incorporation, en 1976 ( 15 ), dans les traitements de base, du coefficient correcteur pour Bruxelles et Luxembourg et l'adaptation en conséquence des autres coefficients correcteurs. A cet effet, l'article 1 du règlement modifia à la baisse le barème de ces traitements pour tous lès fonctionnaires et
autres agents ( 16 ). Toutefois, pour ceux d'entre eux qui, en termes nets, subissaient dès lors une perte, son article 2 a maintenu le traitement de base antérieur.

Cette dernière disposition n'a été appliquée qu'à un très petit nombre de fonctionnaires, car le règlement no 161/80, entré en vigueur le même jour, a conduit, dans le cadre de l'examen périodique du niveau des rémunérations, à une augmentation des traitements de base ( 17 ). Le règlement no 161/80 a de plus abrogé le règlement no 160/80, à l'exception de son article 2.

Nous aurons l'occasion de mentionner de nombreuses autres circonstances de fait en étudiant les problèmes juridiques de fond soulevés par ces affaires.

2) Toutefois, à ce stade, nous ajouterons encore, étant donné l'objet des recours, que les premiers actes individuels d'application du règlement no 160/80 effectués par la Commission ont consisté dans le versement, les 27 et 28 février 1980, des arriérés de rémunération pour les mois de janvier et février 1980. Dans cette institution, la première rémunération mensuelle établie selon les barèmes fixés par ce règlement a été payée en mars 1980. Au secrétariat général du Conseil, le versement des
arriérés de rémunération a eu lieu les 9 et 10 février 1980 et couvrait la période du 1er janvier 1979 au 31 janvier 1980. La première rémunération mensuelle établie selon les nouveaux barèmes a été payée fin février 1980, les bulletins de rémunération étant envoyés aux intéressés en mars. Au Parlement, la chronologie a été identique à celle du Conseil, les bulletins de rémunération de février 1980 étant seulement adressés plus tôt aux fonctionnaires concernés.

Dans l'affaire Advernier et autres et dans les affaires contre le Conseil et le Parlement, les requérants ont adressé à l'autorité compétente, dans les délais utiles, une réclamation contre les bulletins reçus, réclamation motivée par une même argumentation juridique. Celles adressées à la Commission par les requérants dans les affaires jointes furent également introduites en temps utile.

Ces réclamations ont fait l'objet d'une décision explicite de rejet par la Commission le 28 juillet 1980 et par le Conseil le 7 octobre 1980. Le Parlement n'ayant pas répondu dans le délai prévu, son silence équivaut à une décision implicite de rejet ( 18 ).

3) Les requérants ont introduit les présents recours les 27 ( 19 ), 28 octobre ( 20 ) et 25 novembre 1980 ( 21 ).

Vous avez déclaré irrecevables les recours dirigés contre le Conseil dans les affaires jointes par ordonnance du 8 juillet 1981. Vous avez jugé qu'en tant qu'introduits sur la base de l'article 179 du traité, ces recours de fonctionnaires de la Commission n'étaient pas dirigés contre l'autorité compétente dans la mesure où ils visaient le Conseil, en ajoutant que

«les règlements nos 160/80 et 161/80 ne constituant ni des décisions dont les requérants sont les destinataires, ni des décisions qui, bien que prises sous l'apparence de règlements, les concerneraient directement et individuellement, les recours sont également irrecevables en tant qu'ils seraient fondés sur l'article 173 du traité CEE.»

Des reports de dates sont intervenus notamment à la demande des requérants dans l'espoir de parvenir à un arrangement amiable. La procédure a repris son cours après l'échec des négociations.

Il importe d'examiner d'abord les problèmes de recevabilité, puis d'étudier les moyens de fond.

II — La recevabilité

1: Recevabilité des recours dirigés contre la Commission dans les affaires jointes

Le débat entre les requérants et la Commission sur cette question a été marqué jusqu'au bout par un malentendu. Alors que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission dans son mémoire en défense ne concernait les recours que pour autant qu'ils tendent à l'annulation des règlements nos 160 et 161/80 du Conseil, les requérants ont, dans leur réplique, répété les arguments qu'ils avaient fait valoir pour réfuter l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Conseil, que vous avez ensuite
rejetés dans votre ordonnance précitée. Jugeant préférable que la Cour statue sur la recevabilité avant d'aborder le fond, ils ont de plus restreint l'objet de ce mémoire aux questions de recevabilité et ont demandé de répondre au fond par mémoire séparé. Cette demande ayant été refusée, la Commission s'est également limitée de la même manière dans sa duplique, tout en soulignant qu'elle ne contestait pas entièrement la recevabilité des recours.

A notre avis, dans la mesure où ces recours ont directement pour objet l'annulation des règlements du Conseil nos 160 et 161/80, ils sont manifestement irrecevables pour les motifs déjà exprimés dans votre ordonnance du 8 juillet 1981. Mais ils sont également dirigés contre «la manière dont le traitement a été calculé en application» de ces deux règlements. Dès lors, on peut penser qu'ils tendent à l'annulation des bulletins de traitement établis en application des règlements précités, dont la
validité serait ainsi, comme dans les autres affaires, indirectement mise en cause.

2: Exception d'irrecevabilité soulevée par le Conseil et le Parlement

a) Le Conseil conteste la recevabilité du recours en ce qu'il tend à l'annulation de la décision explicite de rejet, du 7 octobre 1980, des réclamations des requérants émanant de son secrétaire général.

L'objection du Conseil nous paraît limitée. Cette institution ne nie pas la recevabilité desdits recours dans la mesure où ils contestent la légalité des bulletins de rémunération et d'arriérés et, indirectement, d'un règlement en vertu duquel ils ont été établis. Elle estime seulement que les requérants n'auraient pas d'intérêt à agir contre la décision explicite de rejet de leur réclamation. Elle fait valoir en effet que l'annulation de cette décision laisserait subsister tant les effets du
règlement à l'encontre duquel les requérants ont soulevé une exception d'illégalité que ceux des bulletins de rémunération et d'arriérés qui constituent les actes attaqués directement.

Cette position ne nous paraît pas fondée. Il nous apparaît que les fonctionnaires ont intérêt à poursuivre les décisions de rejet de réclamations portées contre des actes du type des bulletins de rémunération et d'arriérés, car de telles décisions confirment, de manière explicite et avec une motivation appropriée, la validité de ces actes. De façon générale, il serait d'ailleurs quelque peu illogique d'admettre la recevabilité d'une action en tant que dirigée contre un acte faisant grief et de la
lui refuser en tant qu'introduite contre le rejet explicite de la réclamation portée contre cet acte qui en est la suite nécessaire dans le système des voies de recours organisé par le statut.

b) Tout en s'en remettant à votre sagesse, le Parlement émet également des doutes sur la recevabilité des recours formés contre lui. Ses réserves sont de deux ordres; elles concernent le recours, d'une part, en tant qu'il vise les bulletins de rémunération et d'arriérés et, d'autre part, en tant qu'il fait usage des possibilité données par l'article 184 du traité.

Sur le premier point, le raisonnement du Parlement part de l'hypothèse qu'aux termes du statut, seule une décision de l'administration peut faire l'objet d'une réclamation et, ensuite, éventuellement, d'un recours devant vous. Or, pour le Parlement, les bulletins de rémunération et d'arriérés litigieux ne sauraient être considérés comme des décisions prises par son administration, car ils ne constituent que l'exécution des dispositions réglementaires jugées illégales par les requérants. En
d'autres termes, en adressant ces bulletins, l'administration du Parlement n'a pris aucune décision; elle s'est contentée d'exécuter un règlement du Conseil qui s'impose à elle.

Cette argumentation, a priori logique, doit néanmoins être rejetée à la lumière de votre jurisprudence. Celle-ci a reconnu à plusieurs reprises que les bulletins de paiement peuvent constituer des actes faisant grief, ouvrant les délais de recours précontentieux et contentieux ( 22 ). Il paraît difficile de suivre l'analyse que fait le Parlement des arrêts en cause, selon laquelle ces décisions se borneraient à affirmer que la réception d'un bulletin de traitement constitue le point de départ du
délai de réclamation. Le passage suivant de l'arrêt Reinarz rend impossible cette interprétation restrictive, et nous citons:

«En l'espèce, l'acte faisant grief est constitué par le premier bulletin de traitement de mai 1974 au vu duquel le requérant a pu constater quelle était la méthode de calcul utilisée» ( 23 ).

Même en l'absence de cette citation, nous pensons que, dès qu'elle a admis qu'un bulletin de traitement faisait courir les délais de recours, votre jurisprudence a implicitement accordé à cette catégorie de document la qualité d'acte faisant grief. Il nous semble qu'il ne peut en être autrement en raison des termes de l'article 90, paragraphe 2, du statut qui prévoit que les réclamations doivent être dirigées contre un acte faisant grief, lequel peut prendre la forme, comme dans les présentes
affaires, d'une mesure de caractère individuel et que ces réclamations courent du jour de la notification de la décision au destinataire.

Le Parlement conteste également l'exception d'illégalité à l'encontre du règlement no 160/80 dont la demande en annulation des bulletins est assortie. Il soutient que l'article 184 du traité, permettant à toute partie de se prévaloir, à l'occasion d'un litige mettant en cause un règlement du Conseil, des moyens prévus à l'article 173, alinéa 1, pour invoquer devant vous l'inapplicabilité de ce règlement, nonobstant l'expiration du délai d'introduction de la requête, ne dispense que du délai dans
lequel le recours direct doit être formé à peine de déchéance. Il prétend que la mise en cause de la régularité du règlement no 160/80 par voie incidente, dans les présentes procédures, serait devenue impossible depuis votre arrêt du 26 février 1980 qui déclarait irrecevable le recours en annulation dirigé contre lui, en application de l'article 173, alinéa 2, du traité. L'irrecevabilité de ce recours direct, à raison du caractère réglementaire de l'acte attaqué, entraînerait celle du recours
incident pour identité de motifs.

Comme la précédente, cette thèse se heurte à vortre jurisprudence. Dès votre arrêt du 14 décembre 1962 dans l'affaire Wöhrmann ( 24 ), vous avez relevé que

«l'article 184 a pour (...) but de protéger le justiciable contre l'application d'un règlement illégal» ( 25 ).

Vous avez ensuite explicité cette position dans votre arrêt du 6 mars 1979, Simmenthal ( 26 ) en affirmant que

«l'article 184 du traité CEE est l'expression d'un principe général assurant à toute partie le droit de contester, en vue d'obtenir l'annulation d'une décision qui la concerne directement et individuellement, la validité des actes institutionnels antérieurs, constituant la base juridique de la décision attaquée, si cette partie ne disposait pas du droit d'introduire, en vertu de l'article 173 du traité, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en
mesure d'en demander l'annulation» ( 27 ).

Ajoutons que, comme les requérants l'ont noté, dans une affaire précédente relevant du contentieux de la fonction publique, le recours était introduit contre la décision individuelle de refus d'accorder au requérant une prestation pécuniaire (l'indemnité d'expatriation) créée par un texte réglementaire ( 28 ) sans que le moindre doute fût soulevé quant à sa recevabilité ( 29 ).

III — Le fond

Ayant ainsi admis la recevabilité des recours, abordons l'étude proprement dite des moyens au fond. Mais auparavant, il nous paraît utile d'indiquer que

— certains d'entre eux ont déjà été présentés dans l'affaire Giuffrida et Campogrande, mais ont fait ici l'objet d'une discussion plus approfondie,

— certains moyens soulevés dans les affaires jointes ont un contenu substantiellement identique à celui des moyens présentés dans les autres affaires, où toutefois ils sont considérablement étoffés,

— à l'intérieur de chaque groupe d'affaires (affaires jointes et autres affaires), on peut trouver des liens parfois assez étroits entre différents moyens.

Il arrive également qu'un même argument soit présenté dans le cadre de plusieurs moyens; nous ne l'examinerons qu'une seule fois en pareil cas.

A —

Tous les requérants soutiennent que la motivation du règlement no 160/80 est erronée en ce que son deuxième considérant expose que la manière dont a été réalisée en 1976 l'incorporation des coefficients correcteurs dans les tableaux des traitements de base «donnait lieu à des majorations non voulues des droits pécuniaires».

1) De nombreux éléments prouvent, selon eux, que le Conseil a volontairement choisi une méthode d'incorporation des coefficients correcteurs conduisant à accorder des majorations nettes de traitement à certains fonctionnaires, notamment les chefs de famille et les titulaires de l'indemnité de dépaysement.

Trois mois avant l'adoption de la décision du 29 juin 1976, les représentants du personnel avaient prévenu le Conseil des distorsions qu'entraînerait la mise en œuvre du système envisagé. En tout état de cause, le Conseil ne pouvait ignorer cette conséquence, compte tenu tant du niveau de formation de ses experts que des résultats des incorporations précédentes.

De plus, la proposition de la Commission de modification du règlement no 3177/76, du 18 juillet 1977, et une note de sa direction générale du personnel et de l'administration, du 8 novembre 1977, établissent qu'effectivement, lors de l'adoption de la méthode de juin 1976 et de son premier règlement d'application, le Conseil n'ignorait pas que le système d'incorporation des coefficients correcteurs retenu provoquerait des gains pécuniaires pour certains fonctionnaires. Pour les requérants, ce
système reflète donc un choix délibéré de politique salariale.

2) Pour leur défense, les institutions admettent certes que le Conseil était conscient du risque de voir apparaître les distorsions en cause. Mais elles ajoutent avoir été surprises, en revanche, à la fois par l'ampleur des majorations dont certains fonctionnaires ont bénéficié et par les pertes enregistrées par d'autres. Pour excuser en quelque sorte cette erreur, le Conseil fait valoir la complexité de sa tâche en matière d'adaptation des rémunérations, qui tient à la nécessité de respecter le
parallélisme de l'évolution des rémunérations des fonctionnaires des Communautés et de celles des fonctionnaires des États membres. Nous remarquerons qu'à cette difficulté constante s'est ajoutée en 1976 la volonté du Conseil de profiter du changement de méthode d'adaptation annuelle des rémunérations pour ramener à 100 % le coefficient correcteur pour la Belgique et le Luxembourg et rendre ainsi à ces coefficients leur véritable rôle qui est de compenser les différences de coût de la vie dans
les différents pays d'affectation ( 30 ). Les institutions soulignent que tel était l'objectif majeur du Conseil et qu'il était accepté par toutes les parties intéressées, y compris les représentants du personnel. Dans ces conditions, les difficultés rencontrées, que le Conseil avait accepté d'assumer, n'étaient pour lui qu'un effet, certes malheureux mais secondaire, de la réalisation de son objectif principal. Il fait d'ailleurs remarquer, à cet égard, qu'il a pris la précaution de prévoir leur
correction éventuelle dans la clause de révision (point V) qu'il a insérée dans sa décision de juin 1976. En tout état de cause, le Conseil nie formellement que le mode d'incorporation des coefficients correcteurs retenu en 1976 ait été l'expression d'une politique des rémunérations consistant à favoriser, par cette voie détournée, certaines catégories de fonctionnaires.

3) A notre avis, au moment de l'adoption de la méthode d'adaptation des rémunérations de 1976, le Conseil était bien conscient que le système choisi pour neutraliser l'incorporation des coefficients correcteurs pour Bruxelles et Luxembourg dans les traitements de base en termes de rémunération nette entraînerait des majorations plus ou moins importantes au profit de tous les fonctionnaires et agents autres que les célibataires ne bénéficiant pas des indemnités diverses. Sans même faire état ici de
la clause de révision, dont la portée a été contestée à l'occasion de l'examen d'un autre moyen et que, pour cette raison, nous examinerons dans le cadre de celui-ci, les documents produits par les requérants le révèlent à suffisance.

Mais il ressort des mêmes documents, spécialement de ceux qui marquent les efforts des institutions pour éliminer les distorsions apparues, que, comme elles l'ont dit, celles-ci ont été surprises par la survenance de pertes dans certaines hypothèses et par l'ampleur des gains constatés dans de très nombreux autres cas.

Un autre indice nous paraît encore étayer cette conclusion. Dès qu'il a constaté l'ampleur des majorations provoquées par le système choisi, le Conseil a entrepris de les supprimer. Par le règlement du 19 décembre 1977 (no 2859/77), portant adaptation des rémunérations et des pensions des fonctionnaires et autres agents ainsi que des coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions, il a abandonné, à titre provisoire et pour un an, le système qui avait conduit aux
distorsions constatées l'année précédente. Il a adopté définitivement la technique neutre de l'indexation des tranches d'impôt sur les coefficients correcteurs en modifiant, le 26 juin 1978, la méthode arrêtée deux ans plus tôt et en adoptant, le même jour, le règlement no 1461/78 portant adaptation des coefficients correcteurs, «dont l'article 2 affecte, sans limitation de durée, les tranches de l'impôt d'un coefficient correcteur pour la Belgique et le Luxembourg» ( 31 ). Enfin, la cause
originaire des distorsions, qui subsistait jusqu'alors, fut éliminée par l'article 1 du règlement no160/80.

Au vu de ces éléments , il nous semble excessif de prétendre que les majorations intervenues avaient été voulues par le Conseil et encore plus qu'elles étaient la marque d'une politique salariale délibérée de sa part. Les termes «majorations non voulues des droits pécuniaires» retenus dans le deuxième considérant de l'exposé des motifs du règlement no 160/80 ne nous semblent donc pas erronés.

B —

Le deuxième moyen dans les affaires Advernier et Andersen est pris de la violation des règles de droit, à savoir, en fait, de la décision du Conseil, du 29 juin 1976, sur la méthode d'adaptation des rémunérations et de l'article 65 du statut. Nous rattacherons à l'étude de ce moyen celle du sixième moyen dans les affaires jointes, tiré de la violation du principe exprimé par l'adage «patere legem quam ipse fecisti».

1) Le moyen tiré de la violation de la méthode de 1976 et, par-delà cette méthode, de l'article 65 du statut peut être exposé comme suit:

L'article 1 du règlement no 160/80 remplace les tableaux de traitements de base fixés par le règlement no 3084/78, valable jusqu'au 30 juin 1979, par des tableaux où ces traitements sont moins élevés, à compter du 1er juillet 1979. Or, les tableaux du règlement no 3084/78 ont eux-mêmes été édictés sur la base de ceux contenus dans le règlement no 3177/76, qui constitue la première application de la méthode définie par la décision du Conseil du 29 juin 1976. Dès lors, en les remplaçant, le
règlement attaqué viole la méthode de 1976 et, celle-ci étant prise pour l'application de l'article 65 du statut, cette dernière disposition elle-même. Plus précisément, la violation alléguée tient à ce que le règlement no 160/80, en fixant des tableaux où les traitements de base sont en baisse par rapport à l'année précédente, ne tient pas compte de l'évolution des rémunérations dans les fonctions publiques nationales pendant la période de référence (1er juillet 1978 — 30 juin 1979), qui
constitue le point II, 2, de la décision sur la méthode, relatif à l'indicateur spécifique.

2) Ce moyen nous semble devoir être écarté au motif qu'il méconnaît le fondement juridique, l'objet propre et la place dans la hiérarchie des normes pertinentes du règlement no 160/80.

Le raisonnement vaudrait s'il concernait le règlement no 161/80 qui a adapté, pour la période du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980, les rémunérations des fonctionnaires et autres agents. Pris sur la base notamment de l'article 65 du statut, il devait le respecter, ainsi que la décision du 29 juin 1976, sur sa méthode d'application. Au demeurant, ce respect, qu'atteste son exposé des motifs, n'est pas contesté par les requérants.

Le règlement attaqué est d'un autre type. Fondé directement sur l'article 24 du traité dit de fusion des exécutifs ( 32 ), il a pour objet de réformer le statut lui-même ainsi que le régime applicable aux autres agents. Ainsi, il se situe à un rang supérieur au règlement no 161/80 dans la hiérarchie des normes du droit de la fonction publique communautaire. Il n'avait donc à respecter ni l'article 65 du statut qui occupe le même rang que lui et a un objet différent, ni, a fortiori, la décision du
29 juin 1976.

A l'encontre de cette analyse, on pourrait toutefois rétorquer que son article 1 modifie les barèmes des traitements de base arrêtés par le règlement no 3084/78 ayant adapté les rémunérations pour la période du 1er juillet 1978 au 30 juin 1979 d'après les barèmes fixés par le règlement no 3177/76. Mais cette disposition n'a pas, répétons-le, pour objet d'adapter les rémunérations pour la période du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980; elle vise à extirper la racine des distorsions nées en 1976. Ce
faisant, viole-t-elle la décision de 1976?

La réponse est négative. D'une part, pour l'avenir, nous l'avons vu, le système d'incorporation des coefficients correcteurs retenu dans la décision avait déjà été auparavant réformé, d'abord de manière provisoire par le règlement no 2857/77, puis à titre définitif par la décision du 29 juin 1978, modifiant le point II, 2, c), de la décision du 29 juin 1976, et le règlement no 1471/78 de la même date. D'autre part, ni la décision de 1976, ni l'article 65 du statut, ni aucun principe général de
droit n'interdisaient de supprimer les distorsions passées, à condition que ce ne fût pas de manière rétroactive. Au contraire, lors de l'adoption de la décision de 1976, le Conseil a précisé qu'il n'entendait pas «restreindre sa liberté d'appréciation au-delà de ce qui résulte de l'application de l'article 65 du statut». La clause de révision dont il a assorti cette décision lui permet, de plus, de corriger d'éventuelles distorsions.

Par suite, vos arrêts cités par les requérants, qui font obligation au Conseil de respecter la méthode d'adaptation des rémunérations qu'il s'est engagé à suivre ( 33 ), sont dénués de pertinence.

3) Pour les mêmes motifs, la violation du principe contenu dans l'adage «patere legem quam ipse fecisti» n'est pas davantage établie.

Dans les affaires jointes, les requérants allèguent qu'en adoptant le système de neutralisation de l'incorporation des coefficients correcteurs choisi en 1976 le Conseil s'obligeait à le respecter. Or, il s'en serait écarté en adoptant les règlements nos 160 et 161/80 et aurait donc violé le principe précité.

Mais, comme nous l'avons déjà dit, le règlement no 161/80 a bien été pris en application de la méthode de 1976. Quant au règlement no 160/80, il n'avait pas à se conformer à un système étranger à son objet.

C —

1) Dans toutes les affaires, les requérants invoquent la violation du principe de prudence, découlant de l'obligation générale de bonne gestion et de saine administration s'imposant aux institutions communautaires, dont celles-ci doivent faire preuve dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire.

Or, malgré les mises en garde des représentants du personnel notamment, le Conseil a adopté en 1976 une méthode d'adaptation des rémunérations et un règlement basé sur elle dont il savait qu'il en résulterait des avantages pécuniaires pour certains fonctionnaires.

Il ne peut, dès lors, tirer prétexte d'une prétendue erreur pour imposer, plusieurs années plus tard, des mesures correctrices qui, de surcroît, s'appliquent avec effet rétroactif.

2) De nombreuses raisons nous portent à écarter ce moyen. Si une faute d'imprudence commise dans l'exercice du pouvoir réglementaire peut, à coup sûr, être invoquée à l'appui d'un recours en indemnité, nous éprouvons des doutes à voir en elle un motif d'illégalité susceptible d'être avancé au soutien d'un recours en annulation. De toute manière, en irait-il autrement, ce moyen ne pourrait être utilement soulevé qu'à l'encontre du règlement imprudemment pris, soit le règlement no 3177/76, mais
certainement pas à l'égard du règlement ayant pour objet de réparer l'imprudence. Les bulletins de rémunération et d'arriérés dont l'annulation est recherchée ayant été établis sur la base des règlements nos 160 et 161/80 du Conseil, les requérants ne peuvent faire valoir à l'appui de leur exception d'illégalité dirigée contre ces règlements que des vices qui sont propres à ceux-ci. Ils ne sauraient exciper d'une faute d'imprudence commise à l'occasion de l'adoption d'un acte réglementaire
antérieur ne servant pas de base légale aux décisions individuelles qu'ils cherchent à faire annuler.

Par ailleurs, à suivre les requérants, toute autorité s'exposerait à voir ses décisions annulées au motif qu'elles s'écartent des avis, voire des opinions, exprimés au cours de leur procédure d'élaboration, alors que, de manière générale, les avis sont, comme en l'espèce, dépourvus de tout caractère contraignant.

D —

Tous les requérants ont avancé la violation du principe de confiance légitime.

Ce principe, qui a rang de principe général du droit et dès lors valeur supérieure aux règles de droit communautaire dérivé telles que les règlements du Conseil, exprime l'idée que les administrés et leurs représentants sont en droit d'avoir confiance dans le respect par l'autorité communautaire de ses engagements.

Les requérants considèrent qu'il a été violé de plusieurs manières qu'il convient d'envisager successivement.

1) S'ils admettent que la clause de révision de la décision de 1976 sur la méthode autorise la modification de celle-ci, ils dénient au Conseil le pouvoir d'opérer cette modification de manière unilatérale. Ils estiment que la décision sur la méthode a été établie dans un cadre conventionnel et donc que ses révisions ne doivent intervenir que sous la même forme.

Or, si les représentants du personnel ont donné leur accord en 1977 (lors de l'adoption du règlement no 2859/77) et en 1978 (lors du changement de la méthode elle-même et de l'adoption du règlement no 1461/78) à la modification pour l'avenir du système d'incorporation des coefficients correcteurs dans les barèmes de traitement, il est constant qu'ils l'ont refusé en ce qui concerne la modification opérée par le règlement no 160/80.

Ce grief doit être écarté.

Nous insistons sur le fait que le règlement no 160/80 n'opère pas une modification du système d'incorporation des coefficients correcteurs dans les barèmes de traitement, arrêté par la décision du 29 juin 1976; cette modification a été l'œuvre de la décision rectificative du 26 juin 1978. Son objet est de supprimer les effets, générateurs de distorsions, du système de 1976, lesquels se maintenaient depuis sa mise en œuvre dans le règlement no 3177/76 et que la décision de 1978, n'agissant que
pour l'avenir, n'avait pas éliminés.

En tout état de cause, dans le système d'élaboration des actes normatifs en vigueur, l'autorité titulaire du pouvoir réglementaire est en droit de modifier unilatéralement ses actes précédents. Le Conseil avait donc le pouvoir d'adopter le règlement no 160/80 qui supprime définitivement les effets contestables du règlement no 3177/76, malgré les réserves des représentants du personnel.

2) Les requérants estiment également que la clause de révision contenue dans la décision du Conseil du 29 juin 1976 ne justifie pas l'atteinte portée à la confiance légitime qu'ils avaient dans la pérennité du système d'incorporation des coefficients correcteurs choisi lors de l'adoption de cette décision. Cette clause n'aurait pour but que de créer un cadre approprié pour parvenir à la révision de la méthode elle-même, valable pour une durée indéterminée. En l'utilisant pour revenir sur le système
d'incorporation des coefficients correcteurs adopté en 1976, le Conseil lui aurait donné une portée qui n'est pas la sienne. A aucun moment, en effet, tout au long de la procédure de dialogue avec les représentants du personnel, le Conseil ne les aurait informés de son intention d'utiliser de la sorte la clause de révision. Ainsi, même les plus avertis de tous les fonctionnaires étaient autorisés de croire que cette clause ne couvrait certainement pas les effets du système d'incorporation des
coefficients correcteurs.

Ce grief est également mal dirigé. S'il était fondé, il entraînerait en effet, pour les raisons que nous avons déjà exposées, l'illégalité non du règlement no 160/80, mais de la décision modificative de 1978. De plus, même en faisant abstraction de ce qui précède, il convient de constater que l'interprétation des requérants est incompatible avec le texte de la clause de révision qui inclut l'examen par le Conseil des «résultats de l'application de la méthode, en vue ... de corriger d'éventuelles
distorsions».

3) Enfin, les requérants soutiennent, à titre subsidiaire, qu'ils pouvaient légitimement avoir confiance dans le maintien par le Conseil des bases de calcul contenues dans le règlement no 3177/76 sinon depuis 1976, du moins à compter de l'adoption de la décision du 26 juin 1978, qui institue un nouveau mode d'incorporation des coefficients correcteurs, et du règlement no 1461/78 de la même date qui le met en œuvre pour la première fois. En effet, dans l'exposé des motifs de sa proposition de
règlement — qui allait devenir le règlement cité — la Commission avait précisé qu'elle considérait «comme non opportune une remise en cause de la base de calcul retenue précédemment par le Conseil». De leur côté, au cours de la procédure de dialogue préalable à l'adoption de la nouvelle formule d'incorporation, les représentants du personnel tinrent à souligner que, «en ce qui concerne le passé, les décisions intervenues doivent être maintenues telles quelles. En effet, il serait inconcevable que
le Conseil remette en cause ses propres décisions qu'il a prises en toute connaissance de cause et malgré l'avertissement (...) quant aux inconvénients qui pourraient en résulter» ( 34 ) et le Conseil n'avait émis aucune réserve à cet égard.

A notre sens, cette argumentation ne résiste pas à l'examen. Que révèlent en effet les éléments dont les requérants font état? Concernant la Commission, une conclusion s'impose: elle n'avait pas en 1979 la même appréciation qu'en 1978 puisqu'elle a proposé au Conseil le texte qui allait devenir le règlement no 160/80. Cette constatation n'est cependant pas déterminante. Certes, le Conseil ne peut adopter de règlement que sur proposition de la Commission, mais il n'est pas tenu de la suivre. Il
aurait donc pu adopter le règlement en cause, même si la Commission n'avait pas changé d'avis.

Quant au Conseil, rien ne prouve que son absence de réaction à la déclaration citée des représentants du personnel doive être considérée comme un acquiescement. Les distorsions engendrées dans les barèmes de traitement par l'ancien mode d'incorporation des coefficients correcteurs n'étant pas affacées par l'adoption des mesures prises en 1978, il n'y a au contraire rien d'étonnant à ce qu'il ne se soit pas résolu au maintien définitif de cette inégalité de traitement. De toute manière, les
assurances précises fournies par l'administration aux intéressés, exigées par votre jurisprudence pour que la violation du principe de confiance légitime puisse être invoquée avec succès, font ici défaut ( 35 ).

Dans ces conditions, ce moyen doit être rejeté dans son ensemble.

E —

Dans toutes les affaires, également, les requérants invoquent l'atteinte que le règlement no 160/80 aurait portée à leurs droits acquis.

En étudiant ce moyen nous traiterons en même temps deux moyens particuliers aux affaires jointes. Tel qu'il est formulé, le moyen tiré du non-respect du principe d'équité recoupe en effet largement celui pris de la violation des droits acquis puisqu'il consiste à soutenir qu'«il est choquant pour l'équité de permettre à une administration de revenir sur des situations acquises, ..., qui ont produit leurs effets pendant de nombreux mois, voire des années». Nous donnerons également notre avis sur la
violation alléguée de l'article 85 du statut.

1) Pour les requéants, le règlement no 3177/76 a fait naître pour ses destinataires des droits à ce que les traitements de base qui leur sont applicables soient calculés conformément au système d'incorporation des coefficients correcteurs choisi en 1976, du moins tant que la méthode de 1976 était en vigueur.

Or, le règlement no 160/80, pris durant la période de validité de la méthode, porte atteinte à ces droits à la fois en rétroagissant à la date du 1er juillet 1979 et en fixant, à partir de cette date, le montant des rémunérations à un niveau inférieur à celui applicable au 30 juin de la même année.

2) Ce moyen n'est pas davantage fondé, car il revient à méconnaître la nature juridique des liens qui unissent les fonctionnaires aux institutions communautaires. Ces liens ne sont pas d'essence contractuelle; ils sont purement réglementaires, statutaires. Dès lors, le Conseil, autorité investie du pouvoir réglementaire, est en droit d'apporter à tout moment aux règles du statut les modifications qu'il estime conformes à l'intérêt du service ( 36 ). Or, comme la Commission l'a très justement
observé, le montant des rémunérations des fonctionnaires est fixé par le statut ( 37 ). Ce montant peut donc être modifié à tout moment pour l'avenir, sans que les intéressés puissent prétendre à son maintien au niveau précédemment fixé.

Toutefois, conformément à votre jurisprudence, la nouvelle réglementation ne peut rétroagir sur les arrérages de traitements déjà échus sous l'empire de la norme antérieure. Les fonctionnaires disposent sur ceux-ci d'un droit acquis, le fait générateur de ce droit s'étant produit sous l'empire d'un statut déterminé, antérieur à la modification décidée par l'autorité compétente ( 38 ).

En l'espèce, le règlement no 160/80 ne porte pas atteinte aux droits acquis des fonctionnaires sur les arrérages de traitements ou de pensions déjà échus. En effet, d'une part, il prévoit qu'aucune répétition ne sera opérée sur les droits pécuniaires perçus durant la période comprise entre le 1er juillet 1979 et sa date d'entrée en vigueur ( 39 ) et, d'autre part, il instaure au profit des fonctionnaires et agents ayant bénéficié de majorations de droits pécuniaires un régime transitoire leur
garantissant, pour l'avenir, au moins le maintien de leurs rémunérations nettes antérieures ( 40 ).

Notons enfin que ces dispositions transitoires, qui excluent expressément toute répétition, établissent que les requérants dans les affaires jointes invoquent manifestement à tort la violation de l'article 85 du statut relatif à la répétition de l'indu.

F —

Les deux derniers moyens relatifs à la légalité interne du règlement adopté, soutenus par les seuls requérants dans les affaires jointes, pourront également être rapidement rejetés.

1) Le principe d'égalité entre fonctionnaires pour le calcul de leurs traitements, garanti par le statut, aurait été méconnu du fait que, semble-t-il, l'article 1 du règlement no 160/80 ne diminuerait les traitements de base qu'à l'égard des fonctionnaires recrutés avant le 1er janvier 1977.

Il suffira d'observer à cet égard que le règlement est applicable à tous les fonctionnaires et agents, quelle que soit la date de leur recrutement, et ce en principe à partir du 1er juillet 1979. S'il établit une distinction, c'est en édictant des mesures transitoires en faveur des seuls fonctionnaires dont les droits pécuniaires sont réduits pour l'avenir par suite de l'application des nouveaux tableaux de traitements de base ( 41 ). Ces fonctionnaires sont dès lors sans intérêt à invoquer le
principe d'égalité qui, du reste, n'a aucunement été méconnu, car le Conseil a pu légitimement considérer qu'ils ne se trouvaient pas dans la même situation que les autres fonctionnaires, qu'ils formaient donc une catégorie distincte, objectivement determinable.

2) Enfin, on ne peut à l'évidence reprocher aux actes critiqués d'avoir fait des coefficients correcteurs un instrument de politique salariale, alors qu'ils ont pour objet d'assurer l'égalité de traitement entre tous les fonctionnaires indépendamment de leur lieu d'affectation ( 42 ) et d'assurer une adaption rapide des traitements en cas de variation sensible du coût de la vie dans un lieu d'affectation ( 43 ), ce qui serait constitutif d'un détournement de pouvoir.

Pareil moyen ne peut en effet être utilement invoqué ni à l'encontre des règlements pris en 1980 ni, par ailleurs, à l'égard de la décision du 29 juin 1976 et du règlement no 3177/76. Comme on l'a vu, ces derniers ont visé à rendre aux coefficients correcteurs leur rôle statutaire, tel que décrit par les requérants, et le règlement no 160/80 n'a fait qu'éliminer les distorsions nées du système choisi à cette fin. Ce grief aurait dû être dirigé contre la politique de rémunérations que la décision
de 1976 a précisément abandonnée, adoptée par le Conseil en 1972, dans laquelle le relèvement des rémunérations, plutôt que de se faire par l'adaptation des traitements de base figurant à l'article 66, s'opérait par le jeu des coefficients correcteurs.

G —

Il nous reste à examiner les moyens de légalité externe qu'invoquent les requérants, tirés de la violation des formes substantielles ( 44 ) et de l'incompétence du Conseil à prendre le règlement no 160/80 ( 45 ).

1) Nous pourrons écarter rapidement ce dernier moyen.

Pour les requérants, le règlement no 160/80 aurait dû être pris par le Conseil en application de l'article 65 du statut, et non de l'article 24 du traité de fusion, car son article 1 abroge les tableaux des traitements arrêtés par voie de règlement pris par le Conseil sur la base de l'article 65 pour les remplacer par de nouveaux tableaux.

Mais cette argumentation néglige le fait que, outre son article 1, le règlement en question comporte un article 2 instituant des dispositions transitoires pour lesquelles l'article 65 constitue un fondement juridique insuffisant et que ces dispositions ne peuvent être dissociées de celles de l'article 1 dont elles ont pour effet d'atténuer les conséquences négatives pour les fonctionnaires qui bénéficiaient jusqu'alors des distorsions créées en 1976.

2) Pour les requérants dans les autres affaires, le règlement no 160/80 aurait été pris en violation de formes susbtantielles à trois égards: absence de prise en considération de l'avis du Parlement, violation de la déclaration commune sur la concertation interinstitutionnelle du 4 mars 1975, violation de la décision sur le dialogue avec le personnel.

a) Deux circonstances établiraient qu'en adoptant, le 21 janvier 1980, le règlement no 160/80, le Conseil n'a pas véritablement examiné l'avis du Parlement rendu le 18 janvier. D'une part, dès le 17 janvier, le Conseil aurait formellement fait part aux représentants du personnel de sa décision d'adopter le texte qui devait devenir le règlement no 160/80. Ce serait donc à la date du 17 janvier qu'il faudrait se placer pour apprécier si le Conseil a effectivement respecté la procédure de
consultation du Parlement. D'autre part, le 18 janvier 1980 était un vendredi et le 21 janvier un lundi. Le rapprochement de ces deux dates, séparées par un samedi et un dimanche, et le rejet absolu des critiques émises dans cet avis négatif prouveraient que le Conseil n'a pas été en mesure et qu'il n'a pas eu l'intention de le prendre sérieusement en considération.

Il résulte de vos arrêts du 20 octobre 1980 dans les affaires dites d'isoglucose ( 46 ) que le respect de la formalité substantielle que constitue, à peine de nullité, la consultation régulière du Parlement implique l'expression par celui-ci de son opinion, la simple demande de l'avis étant insuffisante à cet égard, à moins que toutes les possibilités procédurales pour l'obtenir aient été épuisées. De surcroît, nous pensons, comme les requérants, qu'un acte doit être considéré comme nul pour
violation d'une forme substantielle s'il est établi que son auteur a omis d'examiner un avis dont l'adoption est nécessaire à sa légalité.

b) Mais la présente espèce se distingue à deux égards des affaires d'isoglucose. Il est d'abord constant que le règlement no 160/80 a été adopté après que le Parlement a rendu son avis. Il convient de noter ensuite que le Conseil avait non seulement demandé l'avis du Parlement dès le 29 juin 1979, mais en outre sollicité ultérieurement l'application de la procédure d'urgence ( 47 ).

Les documents fournis par le Conseil après l'audience prouvent encore qu'au cours de sa session des 15 et 16 janvier 1980 (620e session du Conseil), ses membres n'avaient pu arriver à un accord sur l'adoption du futur règlement no 160/80. La réunion suivante du Conseil étant celle du 21 janvier (621e session), un de ses représentants ne pouvait avoir émis, le 17 janvier, la déclaration formelle dont se prévalent les requérants. Enfin, ces mêmes documents établissent que le Comité des
réprésentants permanents a, dès le 18 janvier, repris l'examen du dossier concernant les rémunérations des fonctionnaires au vu de l'avis de Parlement et qu'il a pu, le même jour, recommander au Conseil l'adoption des règlements litigieux.

Il apparaît donc que l'avis du Parlement a été valablement pris en considération par le Conseil.

3) Les deux dernières branches du moyen nous retiendront moins longtemps.

a) Comme vous le savez, la procédure de concertation entre l'Assemblée et le Conseil, instituée par la déclaration commune du 4 mars 1975, est «susceptible de s'appliquer pour les actes communautaires de portée générale qui ont des implications financières notables et dont l'adoption n'est pas imposée par des actes préexistants» (point 2) ( 48 ).

Les requérants estiment que cette procédure a été violée parce que le Parlement avait, dans sa résolution du 18 janvier, considéré que les conditions de son application étaient remplies en l'espèce et demandé expressément sa mise en oeuvre au Conseil au cas où ce dernier entendrait s'écarter de son avis.

Sans qu'il soit nécessaire de juger si la déclaration en cause constitue seulement un engagement de caractère politique ou si elle possède des effets juridiques, il suffit d'observer que le règlement no 160/80 ne saurait être qualifié d'acte ayant des implications financières notables puisque son article 1 a été abrogé le jour de son entrée en vigueur par le règlement no 161/80 et que son article 2 n'a été appliqué qu'à environ 5 % des bénéficiaires des distorsions. Cette condition ayant un
caractère objectif, dès lors qu'il était patent qu'elle n'était pas remplie, il n'appartenait pas à l'une des institutions concernées d'imposer aux autres le recours à une procédure qui y est subordonnée.

b) L'argumentation des requérants relative à la dernière branche du moyen, sur la procédure de dialogue avec les représentants du personnel, étant identique à celle développée par MM. Giuffrida et Campogrande dans l'affaire 64/80, nous ferons nôtre le point de vue exprimé sur ces questions par M. l'avocat général Reischl dans ses conclusions dans cette affaire ( 49 ). Comme M. Reischl, et pour les raisons qu'il exprime, nous considérons également cette dernière branche du moyen comme non fondée.

Par l'ensemble de ces motifs, nous concluons à ce que vous déclariez:

— que les recours soient rejetés comme non fondés,

— que les frais exposés par les institutions défenderesses restent à leur charge en application de l'article 70 du règlement de procédure.

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( 1 ) Affaire 211/8C, Michel Advernier e.a., et affaires jointes 219 à 228, 230 à 235, 237, 238 et 240 à 242/80, Maurice André e.a.

( 2 ) Affaire 260/80, Ivar Andersen e.a.

( 3 ) Affaire 262/80, Kirsten Andersen e.a.

( 4 ) Affaires jointes, André e. a.

( 5 ) Autres affaires.

( 6 ) Recueil 1981, p. 693.

( 7 ) Autres affaires que les affaires jointes.

( 8 ) Affaires jointes.

( 9 ) Dans les autres affaires que les affaires jointes, seule la légalité du règlement no 160/80 est mise en doute.

( 10 ) Affaire 261/80, Jan Lens/Cour de justice.

( 11 ) Affaire 259/80, Caroline Buick-Lucas e. a./Cour des comptes.

( 12 ) Affaire 263/80, John Baker e. a./Comité économique et social.

( 13 ) En fait — I. Faits et procédure, Recueil 1981, p. 695 et 696.

( 14 ) Recueil, p. 704 à 708.

( 15 ) Par le règlement no 3177/76 du Conseil, du 21 décembre 1976, premier règlement d'application de la méthode de calcul pour l'examen périodique du niveau des rémunérations décidée par le Conseil, le 29 juin 1976.

( 16 ) Article 1 du règlement.

( 17 ) Sur la base de la grille «nettoyée» de l'article 1 du règlement no 160/80.

( 18 ) Article 90, paragraphe 2, in fine.

( 19 ) Affaire 211/80, contre la Commission.

( 20 ) Affaires jointes.

( 21 ) Affaires 260 et 262/80 contre, respectivement, le Conseil et le Parlement.

( 22 ) Deuxième chambre, 21 février 1974, Roswitha Kortner, épouse Schots, e. a./Conseil et Commission des Communautés européennes et Parlement européen, affaires jointes 15 à 33, 52, 53, 57 à 109, 116, 117, 123, 132 et 135 à 137/73, Recueil p. 177, en particulier attendus 14 à 19, p. 189; deuxième chambre, 21 mai 1981, Andreas Reinarz/Commission, Recueil p. 1311, motif 10, Recueil p. 1321.

( 23 ) Recueil 1981, p. 1321.

( 24 ) Wöhrmann KG et Lütticke GmbH/Commission, Recueil 1962, p. 965.

( 25 ) Recueil p. 979.

( 26 ) SpA Simmenthal/Commission, affaire 92/78 (Simmenthal IV), Recueil p. 777.

( 27 ) Simmenthal, attendu 39, Recueil p. 800 (c'est nous qui soulignons); voir aussi, dans le même sens, les conclusions de M. l'avocat genéral Dutheillet de Lamothe dans les affaires jointes 9 et 11/71, Compagnie d'Approvisionnement et Grands Moulins de Paris, Recueil 1972, p. 413.

( 28 ) Article 21, paragraphe 2, point 2, du règlement no 912/78 du Conseil.

( 29 ) Deuxième chambre, 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice, soutenue par Conseil et Commission, affaire 147/79, Recueil p. 3005.

( 30 ) Articles 64 et 65, paragraphe 2, du statut.

( 31 ) Conclusions de M. l'avocat général Reischl dans l'affaire Giuffrida et Campogrande, Recueil 1981, p. 706.

( 32 ) Traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, signé à Bruxelles le 8 avril 1965.

( 33 ) 5 juin 1973, Commission/Conseil, affaire 81/72, Recueil p. 575, et 26 juin 1975, Commission/Conseil, affaire 70/74, Recueil p. 795, auxquels il faut ajouter: le 6 octobre 1982, Commission/Conseil, affaire 59/81, Recueil p. 3329.

( 34 ) La demande du Conseil d'écarter des débats le document dont est extraite cette citation, au motif qu'il serait confidentiel, est manifestement irrecevable, ce même document ayant été produit dans l'affaire Giuffrida et Campogrande/Conseil sans réaction de ce dernier.

( 35 ) En ce sens, voir les conclusions de M. l'avocat général Capotorti dans l'affaire 268/80, Guglielmi/Parlement, Recueil 1981, p. 2307.

( 36 ) En ce sens, voir les conclusions de M. l'avocat général Mayras dans l'affaire 28/74, F. Gillet/Commission, Recueil 1975, p. 477-478.

( 37 ) Article 66 pour les traitements de base.

( 38 ) Deuxième chambre, 19 mars 1975, Gillet, affaire citée, attendu 5, Recueil p. 473; dans le même sens, conclusions de M. l'avocat général Mayras dans cette affaire, Recueil p. 478.

( 39 ) Article 2, paragraphe 1, a).

( 40 ) Article 2, paragraphe 1, b).

( 41 ) Article 2.

( 42 ) Article 64.

( 43 ) Article 65, paragraphe 2.

( 44 ) Affaires 211, 260 et 262/80.

( 45 ) Affaires jointes.

( 46 ) SA Roquette frères/Conseil, affaire 138/79, motifs 32 à 37, Recueil p. 3360 et 3361, et Maizena GmbH/Conseil, affaire 139/79, motifs 33 à 38, Recueil p. 3424 et 3425.

( 47 ) Les 23 août, 29 octobre et 27 novembre 1979.

( 48 ) Conclusions de M. l'avocat général Reischl dans l'affaire Giuffrida et Campogrande, Recueil 1981, p. 713 et 714.

( 49 ) Recueil 1981, p. 713,714.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 211/80.
Date de la décision : 10/11/1983
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Affaire 211/80.

Maurice André et autres contre Commission et Conseil des Communautés européennes.

Affaires jointes 219 à 228, 230 à 235, 237, 238 et 240 à 242/80.

Ivar Andersen et autres contre Conseil des Communautés européennes.

Affaire 260/80.

Kirsten Andersen et autres contre Parlement européen.

Affaire 262/80.

Fonctionnaire - Nettoyage de la grille.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Michel Advernier et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:323

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