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17/03/1983 | CJUE | N°207/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 17 mars 1983., Kuno Ditterich contre Commission des Communautés européennes., 17/03/1983, 207/81


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL

PRÉSENTÉES LE 17 MARS 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant dans cette procédure, M. Kuno Ditterich, est entré au service d'Euratom en 1965 et est actuellement fonctionnaire scientifique de grade A 5/8 au Centre commun de recherche (CCR), établissement d'Ispra. Le recours qu'il a introduit est dirigé contre le rapport de notation qui a été établi à son sujet, conformément à l'article 43 du statut des fonctionnaires, pour la période allant du 1er juillet 197

5 au 30 juin 1977.

Dans ce rapport, qui a été signé par M. Bishop, directeur du depar...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL

PRÉSENTÉES LE 17 MARS 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant dans cette procédure, M. Kuno Ditterich, est entré au service d'Euratom en 1965 et est actuellement fonctionnaire scientifique de grade A 5/8 au Centre commun de recherche (CCR), établissement d'Ispra. Le recours qu'il a introduit est dirigé contre le rapport de notation qui a été établi à son sujet, conformément à l'article 43 du statut des fonctionnaires, pour la période allant du 1er juillet 1975 au 30 juin 1977.

Dans ce rapport, qui a été signé par M. Bishop, directeur du department C, auquel le requérant a été affecté jusqu'en 1976, après consultation de M. Hannáért, chef de la division chimie, et de M. Helms, directeur du département A, dont le requérant fait partie maintenant, le 20 décembre 19.79, la compétence et le rendement du requérant sont qualifiés au point 6, intitulé «appréciations analytiques», de supérieurs à la normale, tandis que sa conduite dans le service est qualifiée de normale. Le point
8 intitulé «appréciation d'ordre général», déclare:

«M. Ditterich possède certainement des compétences appropriées dans le domaine de l'analyse des systèmes qui, avec plus d'esprit de collaboration, pourraient donner un profit meilleur pour lui-même et le programme du CCR.»

A ce sujet, le requérant a rédigé en date du 17 janvier 1980, conformément à l'article 43, alinéa 2, du statut des fonctionnaires, une note d'observations par laquelle il a demandé que la dernière partie de la phrase précitée soit supprimée de l'appréciation générale. Il a fait valoir que cette affirmation ne correspondait pas aux faits susceptibles d'être établis objectivement, dès lors que pendant la période de référence il avait, à côté d'autres travaux, publié une série d'articles, en partie en
collaboration avec des collègues. L'expression «profit meilleur pour lui-même ...» serait l'opinion subjective du notateur et la remarque serait en contradiction avec la note «supérieure à la normale» attribuée à sa conduite dans le service dans le rapport de notation précédent.

Après que M. Mas, directeur général adjoint du Centre commun de recherche et directeur de l'établissement d'Ispra, eut confirmé le rapport, en tant que notateur d'appel, après un entretien en date du 26 mars 1980, le requérant s'est adressé au comité paritaire des notations, qui a émis son avis le 15 juillet 1980 et regretté que l'appréciation de la conduite du requérant dans le service, moins favorable que dans le rapport précédent, n'ait pas été justifiée expressément.

Invité à examiner une nouvelle fois le rapport en tenant compte de cette constatation, le notateur d'appel a signalé au requérant, par lettre du 22 octobre 1980, qu'après consultation de M. Bishop, il avait décidé d'ajouter au rapport, comme justification de l'appréciation de la conduite dans le service, la phrase suivante:

«Pendant cette période M. Ditterich a systématiquement contesté toute décision de ses supérieurs hiérarchiques le concernant».

Par lettre du 1er décembre, qui a été enregistrée au secrétariat général de

la Commission le 16 décembre 1980, M. Ditterich a introduit, conformément à l'article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre cette version définitive de son rapport de notation. N'ayant pas obtenu de réponse à sa réclamation dans le délai fixé dans cette disposition, il a formé un recours le 8 juillet 1981. Après que sa réclamation a été rejetée explicitement par lettre du vice-président de la Commission, M. Davignon, du 11 août 1981, le requérant conclut maintenant dans sa réplique à
ce qu'il plaise à la Cour:

— dire nuls et de nul effet le rapport de notation le concernant pour la période allant du 1er juillet 1975 au 30 juin 1977, la décision du notateur d'appel du 22 octobre 1980, ainsi que la décision de rejet contenue dans la lettre de la Commission du 11 août 1981;

— condamner la défenderesse, en raison des irrégularités et du retard intervenus, à payer au requérant, à titre de dommages et intérêts pour les préjudices matériel et moral confondus, telle somme que la Cour estimera devoir fixer ex aequo et bono;

— en tout état de cause, condamner la défenderesse aux frais et dépens de l'instance.

Voici notre point de vue sur ce litige.

1. Sur la première conclusion

Par cette conclusion le requérant demande l'annulation de son rapport de notation pour la période allant de 1975 à 1977, dans la version définitive qui lui a été donnée par la décision du notateur d'appel du 22 octobre 1980. Il critique, d'une part, l'appréciation d'ordre général selon laquelle, malgré des compétences appropriées dans le domaine de l'analyse des systèmes, il aurait pu donner un profit meilleur pour lui-même et le programme du Centre commun de recherche et, d'autre part, le fait que
sa conduite dans le service a été qualifiée de «normale», ce qui est une appréciation moins favorable que celle figurant au rapport précédent et qui a été justifiée a posteriori par une phrase disant que l'intéressé a systématiquement contesté toutes les décisions de ses supérieurs hiérarchiques le concernant.

a) Par le premier moyen le requérant fait valoir qu'il existe une contradiction manifeste entre ces appréciations et les faits qui sont à leur origine. Son esprit de collaboration résulterait déjà de la circonstance que pendant la période de référence il a écrit une série d'articles en collaboration avec des collègues. Il ne serait pas non plus possible de prétendre que pendant cette période il a critiqué toutes les instructions reçues de ses supérieurs hiérarchiques. En toute hypothèse, ce grief
aurait dû, selon lui, être étayé par des faits concrets

Pour apprécier ces assertions, il faut rappeler d'abord que pour des raisons compréhensibles, la Cour a toujours refusé jusqu'à présent de substituer sa propre appréciation des qualifications professionnelles des fonctionnaires à celle que l'administration doit effectuer en application de l'article 43 du statut (voir les affaires citées à ce propos dans la partie en fait) ( 2 )

La Cour a toujours souligné à ce sujet que les rapports de notation se composent de jugements de valeur complexes qui, par leur nature, ne sauraient faire l'objet d'un contrôle objectif, de sorte qu'elle s'est toujours bornée à vérifier simplement si l'adoption du rapport avait été entachée d'incompétence, d'une irrégularité de forme ou de procédure, d'une erreur manifeste ou d'un détournement de pouvoir d'appréciation.

Dans le cas d'espèce, il ne nous paraît toutefois pas qu'il existe — pour anticiper notre conclusion — de pareils vices graves, qui seuls pourraient entraîner l'illégalité du rapport de notation querellé. Il faut certes concéder au requérant que l'appréciation d'ordre général en question n'est pas tout à fait claire ni précise et qu'elle comporte peut-être même des éléments qui n'ont pas de rapport absolu avec les qualifications professionnelles. En revanche, nous ne saurions le suivre lorsqu'il
prétend que cette observation générale est contradictoire en soi, est en opposition avec les appréciations analytiques ou n'est absolument pas probante. Dans le contexte des appréciations analytiques, elle dit en réalité que, malgré une compétence et un rendement supérieurs à la normale, le requérant pourrait donner un meilleur profit pour le Centre commun de recherche si son esprit de collaboration était plus grand.

La portée de cette affirmation devient tout à fait claire si on tient compte de la justification a posteriori que le notateur d'appel a donnée, à la demande du comité paritaire des notations, pour expliquer que la conduite de l'intéressé dans le service avait, contrairement à l'appréciation précédente, été qualifiée simplement de normale et qui déclare que le requérant a systématiquement contesté toute décision de ses supérieurs niérarchiques le concernant. Cette constatation n'a pas pour
conséquence, contrairement à ce que pense ie requérant, que sa conduite dans ie service aurait alors dû être qualifiée, non pas de normale, mais d'inférieure à la normale, mais elle signifie seulement, en vérité, que ce comportement n'a pas été jugé assez grave pour qualifier sa conduite dans le service d'insuffisante, sans toutefois que l'attribution de la note «supérieure à la normale» à sa conduite dans le service apparaisse appropriée.

Comme cette justification est claire et précise si on tient compte des faits qui sont à sa base, il n'est pas non plus possible de faire valoir, contrairement à l'opinion du requérant, en rapport avec une appréciation à effectuer en application de l'article 43 du statut des fonctionnaires et qui doit nécessairement être succincte, que les faits qui sont à l'origine de cette justification n'ont pas été concrétisés suffisamment.

Au surplus, le requérant n'est pas parvenu à démontrer, à notre avis, que ces constatations sont contredites par les faits. C'est ainsi que spécialement la circonstance que pendant la période de référence il a participé à la rédaction de plusieurs articles ne dit rien, comme la Commission l'observe pertinemment, sur son esprit de collaboration effective dans le cadre de son emploi. De même, nous ne saurions suivre le requérant lorsqu'il estime que la justification a posteriori donnée par le
notateur d'appel est fausse parce qu'il est tout au plus possible de lui reprocher un fait se rapportant à la transmission de données élaborées par lui, tandis qu'il n'a absolument pas, déclare-t-il, critiqué systématiquement toutes les instructions reçues de ses supérieurs hiérarchiques. A cet égard, il faut de nouveau tenir compte du fait que cette constatation servait simplement à justifier la conduite dans le service, qualifiée de normale et nullement de non satisfaisante, et qu'elle ne peut
donc pas jtre considérée comme assez grave pour faire encourir au requérant le reproche d'une faute professionnelle en cas de récidive. Dans ces conditions, il y a également tout lieu de croire la Commission lorsqu'elle nous assure que le comportement du requérant à l'égard de directives verbales de ses supérieurs hiérarchiques n'a pas fait l'objet de notes écrites, et les limites du pouvoir d'appréciation appartenant au notateur ne sont pas dépassées lorsque ce comportement est un des éléments
pris en considération dans le cadre de l'appréciation de la conduite dans le service, qui est nécessairement subjective et dont la justesse ne peut pas être contrôlée par la Cour.

Enfin, le fait que le notateur d'appel est seulement entré en fonctions à l'établissement d'Ispra après la période couverte par le rapport de notation ne constitue pas non plus un vice de forme. Conformément au point B.8.3.1 du guide de la notation dans sa version applicable de novembre 1973, il incombe au notateur d'appel de tenter d'aplanir le différend entre le noté et le notateur, et d'entendre à cette fin les deux parties. Or, cela s'est incontestablement produit en l'espèce. En particulier,
le requérant a eu l'occasion, lors d'une entrevue avec le notateur d'appel le 5 mars 1980, d'exposer son point de vue et d'attirer l'attention sur d'éventuelles erreurs, avant l'insertion du passage litigieux dans l'appréciation. Également à l'égard du notateur, du reste, le requérant a eu la possibilité de veiller, lors de l'entretien qu'il a eu avec lui le 11 janvier 1980, à ce qu'une telle rectification soit opérée.

b) Ces considérations montrent clairement que le deuxième moyen non plus, par lequel le requérant fait valoir une contradiction entre l'appréciation du notateur et la justification donnée par le notateur d'appel en ce qui concerne la conduite dans le service, n'est pas de nature à justifier l'annulation du rapport de notation. Comme nous l'avons déjà expliqué, spécialement la constatation ajoutée a posteriori au rapport par le notateur d'appel, à la demande du comité paritaire des notations, ne peut
pas, contrairement à l'opinion du requérant, être considérée comme une nouvelle appréciation négative, mais il faut considérer qu'elle servait simplement à justifier la notation plus mauvaise que la précédente.

c) De ce que nous avons dit jusqu'à présent il résulte en outre qu'il faut rejeter également le troisième moyen, pris du caractère ambigu de la justification donnée par le notateur d'appel. Il ne nous semble pas possible de mettre sérieusement en doute que cette observation, qui a été ajoutée expressément pour justifier la note attribuée pour la conduite dans le service, ne saurait se rapporter ni à la compétence professionnelle ni au rendement professionnel.

d) Comme le requérant a déclaré explicitement à l'audience qu'il renonçait à faire valoir les quatrième, cinquième et huitième moyens invoqués initialement et par lesquels il alléguait que le notateur et le notateur d'appel ne pouvaient pas ajouter de commentaires à l'appréciation lorsque c'est la mention «normal» qui a été choisie, que de plus l'appréciation n'avait pas été rédigée dans la langue maternelle du requérant et que la réponse de la Commission à la réclamation précontentieuse était
nulle, il ne nous reste plus à examiner, sous ce rapport, que le septième moyen pris de l'existence d'un vice de procédure. De l'avis du requérant, il résulte de l'observation générale figurant à la page 149 du guide de la notation de 1973 qu'après l'introduction de la réclamation, la Commission est tenue de statuer avant l'expiration du délai de réponse fixé à l'article 90, paragraphe 2, du statut, après avoir consulté le comité paritaire des notations.

L'observation générale en question est libellée comme suit:

«Les fonctionnaires disposent, dès la notification de l'avis négatif du comité paritaire des notations (voir point C.3.a) ou de la décision finale prise par le notateur d'appel (voir point C.3.b) de la faculté d'une réclamation au titre de l'article 90 du statut. Le comité paritaire des notations est consulté sur cette réclamation. Il appartiendra ensuite à la Commission — en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination — de statuer sur la réclamation introduite».

A propos de cette assertion, il faut constater d'une façon générale que les prescriptions du guide de la notation sont en tout cas, quelle que soit la manière dont leur nature juridique doit être qualifiée, d'un rang inférieur à celui des dispositions du statut et qu'elles ne sont donc pas propres à déroger aux règles de procédure obligatoires de ce dernier qui prévoient qu'une réponse tardive à la réclamation vaut rejet implicite, contre lequel un recours peut être formé en vertu de l'article 91
du statut. On ne voit du reste pas bien quels pourraient être l'esprit et le but d'une telle dérogation. Correctement, cette observation générale, qui figure à la fin du chapitre relatif à la saisine du comité paritaire des notations et qui commence par une disposition sur le principe de la procédure préalable, peut seulement être comprise, ainsi que la Commission l'a souligné pertinemment, comme un renvoi au fait qu'après la notification d'un avis négatif du comité paritaire des notations ou de
la décision finale du notateur d'appel, il existe la possibilité d'introduire une réclamation au titre de l'article 90 du statut. Au total, il s'agit manifestement d'assurer que le comité paritaire des notations soit saisi au moins une fois de l'affaire avant la réponse de la Commission à la réclamation administrative. Si tel a été le cas et si le notateur d'appel a donné suite à la demande du comité paritaire, comme celui-ci n'a pas la compétence de substituer une appréciation propre à celle des
notateurs, il serait superfétatoire que ce comité soit saisi une deuxième fois de l'affaire dans le cadre de la réclamation. En conséquence, il n'est pas possible de déduire de cette «observation générale» une obligation pour la Commission de statuer sur la réclamation dans le délai prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut, après une nouvelle consultation du comité paritaire des notations, en rapport avec quoi nous voudrions toutefois souligner de nouveau qu'une pareille absence de réponse
ne correspond pas, à notre avis, aux règles d'une bonne gestion administrative.

2. Sur la demande de dommages et intérêts

Par le sixième moyen, le requérant fait valoir que la Commission a commis une faute de service en établissant le rapport de notation pour la période 1975 à 1977 seulement après l'expiration de la période de référence suivante allant de 1977 à 1979. Ce retard aurait encore été aggravé par le fait que le notateur d'appel n'a pas donné suite à la demande du comité paritaire des notations du 15 juillet 1980 dans le délai de huit jours prescrit dans le guide de la notation, mais a seulement ajouté la
justification de la note attribuée pour la conduite dans le service le 22 octobre 1980. Ce retard fautif, qui aurait eu pour conséquence que son dossier personnel est resté incomplet durant la période en cause, lui aurait causé, en raison d'une diminution de ses chances de promotion, un préjudice matériel ou moral.

La Commission rétorque que le guide de la notation ne prévoit pas de délais formels pour l'établissement des rapports et elle fait valoir, pour se disculper, que le retard a été causé par une restructuration interne, ayant exigé la consultation de plusieurs supérieurs ou anciens supérieurs hiérarchiques de M. Ditterich. En outre, le requérant ne pourrait prouver l'existence ni d'un préjudice matériel ni d'un préjudice moral, puisque pendant la période en cause seulement un nombre extrêmement réduit
de fonctionnaires susceptibles d'être promus, et dont les rapports de notation n'étaient pas globalement plus mauvais que celui du requérant, l'auraient effectivement été.

En ce qui concerne ces thèses, nous ne pouvons bien sûr nous rallier à l'opinion de la Commission selon laquelle l'établissement tardif ne représente pas une faute de service. L'article 43 du statut prescrit en effet que la compétence, le rendement et la conduite dans le service d'un fonctionnaire font l'objet d'un rapport de notation au moins tous les deux ans. Entre autres dans l'affaire Geist ( 3 ) la Cour a souligné qu'un pareil rapport «doit être établi obligatoirement pour la bonne
administration et la rationalisation des services de la Communauté et pour sauvegarder les intérêts des fonctionnaires; qu'il constitue un élément indispensable d'appréciation chaque fois que la carrière du fonctionnaire est prise en considération par le pouvoir hiérarchique; que l'un des devoirs impérieux de l'administration est donc de veiller à la rédaction périodique de ce rapport aux dates imposées par le statut et à son établissement régulier».

L'économie générale de cette prescription implique clairement, à notre avis, que le rapport de notation doit être établi dans un délai approprié après la fin de la période de référence, mais en tout cas avant l'expiration de la période de notation suivante. Si ce délai n'est pas respecté, la Commission enfreint le statut, comme la Cour l'a jugé dans l'affaire Geist ( 3 ).

Enfin, à l'instar du requérant nous sommes également d'avis que ce retard ne peut pas être justifié ou excusé en disant que l'affectation du requérant à divers emplois a exigé la consultation de plusieurs supérieurs hiérarchiques et que, de plus, le notateur d'appel, M. Mas, venait de prendre ses nouvelles fonctions à Ispra. Il est bien certain que dans une unité administrative relativement petite, et concentrée en un même lieu, comme c'est le cas pour l'établissement d'Ispra, la consultation des
différents supérieurs hiérarchiques ne doit pas prendre, avec un peu de bonne volonté, plus de deux ans et que de nouvelles affectations ne doivent pas causer une atteinte aux droits que le statut garantit aux fonctionnaires.

Ainsi se pose la question suivante de savoir si l'établissement tardif du rapport de notation a causé au requérant un préjudice matériel. L'existence d'un tel préjudice, qui présuppose, comme la Cour l'a déclaré entre autres dans l'affaire Gratreau ( 4 ), «que l'irrégularité constatée a pu avoir une incidence décisive sur la procédure de promotion», ne nous semble toutefois pas être établie à suffisance. Il faut tenir compte du fait, à cet égard, que — contrairement à l'affaire Oberthiir qu'il a
citée ( 5 ) — le requérant s'est abstenu, durant la période en cause, d'attaquer la promotion d'un autre fonctionnaire en faisant valoir que le nonétablissement du rapport en temps utile l'avait désavantagé dans le cadre de la procédure de promotion. Il ne nous a pas non plus fourni d'indices montrant que ses chances de promotion avaient réellement été affectées par la faute de service. Enfin, on notera encore, sous cet angle, les chiffres dont il apparaît clairement, selon nous, que le préjudice
invoqué par le requérant n'est pas suffisamment concrétisé. C'est ainsi que la Commission nous a dit qu'en 1979, sur 208 fonctionnaires susceptibles d'être promus, seulement 8 l'ont été. En 1980 la relation a été de 5 sur 203, en 1981 de 0 sur 201 et en 1982, enfin, de 0 sur 207. Cela signifie que pendant cette période de quatre ans, seulement 13 promotions ont été accordées pour un total de 809 fonctionnaires susceptibles de bénéficier d'une telle mesure.

Compte tenu des considérations qui sont à la base de l'arrêt Geist ( 6 )il nous paraît justifié, en revanche, d'accorder une indemnité au requérant pour le préjudice moral qu'il a subi au fait que son dossier personnel n'était pas régulier ni complet, alors que l'établissement obligatoire du rapport de notation doit garantir au fonctionnaire que sa carrière se déroule régulièrement. Même si, dans l'espèce actuelle, le retard n'a pas été aussi important que dans l'affaire précitée, il peut néanmoins
être constaté que cette absence de notation, dont la responsabilité incombe uniquement à l'autorité investie du pouvoir de nomination, a été pour le requérant une cause d'insécurité et d'incertitude en ce qui concerne son avenir professionnel. L'octroi d'une indemnité pour le préjudice moral subi nous paraît d'autant plus adéquat que le requérant, comme nous le savons par suite de l'affaire 102/74 — où le recours a toutefois été retiré par la suite — a seulement reçu notification de ses rapports de
notation pour les années 1969 à 1971 et 1971 à 1973 vers le milieu de l'année 1975. Enfin, on se souviendra des autres irrégularités, connexes à des rapports de notation antérieurs du requérant, telles qu'elles apparaissent spécialement des conclusions de l'avocat général Warner du 13 juillet 1978 sur l'affaire Ditterich précédente ( 7 ), auxquelles nous nous permettons de renvoyer. Nous pensons cependant que pour indemniser le requérant, un montant symbolique de 10000 BFR devrait suffire.

3. Sur les dépens

En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens. D'après l'article 70 du règlement de procédure, les frais exposés par les institutions dans les recours de fonctionnaires restent toutefois à la charge de celles-ci. Comme le requérant a seulement succombé en partie, selon nous, la Commission devrait être condamnée à lui payer la moitié de ses dépens.

4. En résumé, nous proposons par conséquent de condamner la Commission, tout en rejetant le premier moyen, à payer au requérant la somme de 10000 BFR à titre d'indemnité pour avoir omis d'établir à temps le rapport de notation pour la période 1975 à 1977. Si telle est l'issue du procès, ïa Commission devra supporter ses propres dépens et la moitié de ceux du requérant, pendant que celui-ci aura à supporter la moitié des siens propres.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Voir en particulier arrêt du 5 décembre 1963 dans les affaires jointes 35/62 et 16/63, André Leroy/Haute Autorité de la CECA, Recueil 1963, p. 369;

Arrêt du 12 mai 1977 dans l'affaire 31/76, Margherita Macevičius, épouse Hebrant/Parlement européen, Recueil 1977, p. 883.

( 3 ) Arrêt du 14 juillet 1977 dans l'affaire 61/76, Jean-Jacques Geist/Commission des Communautés européennes, Recueil 1977, p. 1419.

( 4 ) Arrêt du 17 décembre 1981 dans les affaires jointes 156/79 et 51/80, Pierre Gratreau/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 3139.

( 5 ) Arrêt du 5 juin 1980 dans l'affaire 24/79, Dominique Noëlle Oberthür/Commission des Communautés européennes, Recueil 1980, p. 1743.

( 6 ) Arrêt du 14 juillet 1977 dans l'affaire 61/76, Jean-Jacques Geist/Commission des Communautés européennes, Recueil 1977, p. 1419.

( 7 ) Arrêt du 12 octobre 1978 dans l'affaire 86/77, Kuno Ditterich/Commission des Communautés européennes, Recueil 1978, p. 1855.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 207/81
Date de la décision : 17/03/1983
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Recours en annulation d'un rapport de notation - Demande de dommages et intérêts - Demande subsidiaire de vérification par témoins.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Kuno Ditterich
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:80

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