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28/10/1982 | CJUE | N°29/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 28 octobre 1982., F. van Luipen en Zn BV contre une mesure disciplinaire prise à son égard., 28/10/1982, 29/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 28 OCTOBRE 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande émanant du College van Beroep voor het Bedrijfsleven de La Haye, tendant à obtenir, à titre préjudiciel, une décision sur l'interprétation des articles 30 à 34 du traité CEE et du règlement du 18 mai 1972 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

Les faits

Les faits sont les suivants :

La société F. van Luipen en Zn

BV, établie à La Haye, a été condamnée, le 25 septembre 1980, par le «Tuchtgerecht» (Conseil de discipline d...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 28 OCTOBRE 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande émanant du College van Beroep voor het Bedrijfsleven de La Haye, tendant à obtenir, à titre préjudiciel, une décision sur l'interprétation des articles 30 à 34 du traité CEE et du règlement du 18 mai 1972 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

Les faits

Les faits sont les suivants :

La société F. van Luipen en Zn BV, établie à La Haye, a été condamnée, le 25 septembre 1980, par le «Tuchtgerecht» (Conseil de discipline du bureau de contrôle de la qualité des fruits et des légumes) à une amende de 4000 florins pour avoir conditionné et détenu en vue de la vente un lot de tomates portant le label «Catégorie I» au motif que ce lot, en partance pour la république fédérale d'Allemagne, n'était pas conforme aux normes de qualité exigées pour cette catégorie de produits.

La société van Luipen a régulièrement fait appel de cette décision devant le College van Beroep et, sans contester la matérialité des faits ni sa qualité d'affilié au bureau de contrôle de la qualité des fruits et des légumes (KCB), a invoqué l'absence de force obligatoire de la réglementation nationale qu'elle estime contraire au droit communautaire.

Il convient donc d'examiner le contexte réglementaire de cette affaire avant d'aborder la discussion.

Le contexte réglementaire

1. Le règlement no 23 du Conseil du 4 avril 1962 porte établissement graduel d'une organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes. Il prévoit la fixation de normes communes de qualité destinées notamment à «éliminer du marché les produits de qualité non satisfaisante». A cette fin, il organise un contrôle de qualité avant que les produits destinés à l'exportation dans un autre État membre ne franchissent la frontière du territoire de l'État membre exportateur.

L'article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, dispose que «l'organisme chargé du contrôle délivre, pour chaque lot, un certificat portant mention de la catégorie de qualité et attestant que la qualité et le classement des produits correspondent au moment du contrôle aux normes de qualité. Le certificat accompagne la marchandise jusqu'au lieu de destination».

Deux textes postérieurs ont précisé ces orientations :

— Le règlement no 158/66 du Conseil du 25 octobre 1966 a fixé des normes communes de qualité pour les fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la Communauté et a stipulé que le contrôle de la qualité des produits devait s'effectuer, de préférence, avant le départ des zones de production, lors du conditionnement ou du chargement de la marchandise. Cette dernière disposition a été reprise telle quelle dans le règlement no 1035/72 du Conseil du 18 mai 1972, portant organisation commune des
marchés dans ce secteur.

— Le règlement no 2638/69 de la Commission du 24 décembre 1969 prescrit des mesures particulières tendant à permettre un contrôle «prioritaire» des produits expédiés en chargement complet d'une zone à l'autre de la Communauté. Il prévoit également la délivrance d'un certificat par l'organisme chargé par chaque État membre de procéder à l'opération de contrôle. La liste de ces organismes a été publiée par le règlement no 2150/80 du 18 juillet 1980, entré en vigueur le 1er janvier 1981.

2. Dès avant cette date, il est constant qu'aux Pays-Bas la mission de contrôle avait été confiée au KCB, association de droit privé déjà chargée de l'exécution du contrôle des produits exportés vers les pays tiers. Ses statuts lui donnent pour mission «de contribuer au relèvement du niveau de la qualité des fruits et légumes néerlandais, notamment en vue de promouvoir la qualité desdits produits en procédant à des contrôles et en veillant au respect des dispositions applicables en la matière»
(article 3, paragraphe 1).

Le KCB effectue les opérations de contrôle exclusivement chez ses affiliés; les marques, signes ou documents à usage de preuve nécessaires à l'exportation, qu'il est seul habilité à établir, ne peuvent être délivrés qu'à ses affiliés (article 4, paragraphes 1 et 2).

Il est constant que l'association admet en qualité d'affilié toute personne qui en fait la demande et qui possède un établissement aux Pays-Bas, inscrit au registre du commerce néerlandais (article 5). Il ne s'agit donc pas d'une association de producteurs au sens de l'article 13 du règlement no 1035/72 précité, comportant pour les producteurs associés l'obligation notamment «d'appliquer, en matière de production et de commercialisation, les règles adoptées par l'organisation de producteurs afin
d'améliorer la qualité des produits et d'adapter le volume de l'offre aux exigences du marché».

Tout affilié s'engage bien entendu à respecter les normes de qualité et les règlements adoptés par l'association; il est également tenu de payer les cotisations et redevances fixées annuellement conformément aux statuts.

Toute infraction à ces dispositions est soumise à une procédure disciplinaire qui fait l'objet d'un règlement pris en exécution de la loi néerlandaise de 1971 sur la qualité des produits agricoles et dont l'application est confiée à une cour de discipline; elle peut être sanctionnée par une amende.

En résumé, il résulte de ces dispositions que, pour pouvoir exporter vers les Etats membres, les intermédiaires du commerce néerlandais sont tenus de s'affilier à cette association afin d'obtenir la délivrance des certificats de qualité (obligatoires) et de la marque officielle de contrôle (facultative) prévus par la réglementation communautaire pour autoriser la circulation des produits. En fait, il convient d'observer que ces dispositions équivalent à une interdiction de faire le commerce pour
les non-affiliés.

Discussion

Saisi de l'appel dirigé par la société van Luipen contre la décision du «Tuchtgerecht» (Conseil de discipline) au sens du «Tuchtgerechtbesluit Landbouwkwaliteitswet» (décret sur le droit disciplinaire pris en exécution de la loi sur la qualité des produits agricoles), le College van Beroep vous pose la question de savoir si, comme le soutient l'appelante, sa condamnation pour infraction aux articles 2 et 3 du «Landbouwkwaliteitsbesluit Groenten en Fruit» (décret sur la qualité des produits
agricoles, secteur des fruits et légumes) et à l'article 2 du règlement relatif aux contrôles effectués par le KCB (textes nationaux) est fondée sur une réglementation n'ayant pas force obligatoire comme contraire aux articles 30 et suivants du traité CEE.

Au soutien de sa demande, la société rappelle votre jurisprudence dans l'arrêt Vriend du 26 février 1980 (affaire 94/79, Recueil 1980, p. 327) aux termes duquel a été jugée incompatible avec le droit.. communautaire une réglementation nationale «qui subordonne la liberté des opérateurs économiques de commercialiser, de revendre, d'importer et d'exporter ou d'offrir à l'exportation... à la condition pour ces opérateurs d'être affiliés à un organisme public, ou homologué par l'autorité publique...».

Effectivement, dans l'affaire Vriend, vous avez déjà eu à connaître de la légalité de l'obligation d'affiliation à une personne juridique de droit privé, chargée d'exécuter certaines tâches publiques. Vous avez jugé que cette obligation «contrevient à l'exigence d'une concurrence loyale et efficace, puisqu'en raison de sa portée générale à l'égard des produits commercialisés par des non-affiliés elle a pour effet d'éliminer du marché même les produits qui ont une qualité satisfaisante».

Dans la présente affaire, le gouvernement néerlandais ne conteste pas directement ce considérant. Il fait cependant valoir qu'il convient de donner une appréciation différente de la notion de «liberté des transactions commerciales» puisqu'en l'espèce les tomates, produits en cause, ont fait l'objet de normes de qualité fixées au niveau communautaire, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire Vriend. Il ajoute que la mise en œuvre du système communautaire de contrôle de la qualité a été assurée
régulièrement par les dispositions nationales «Tuchtgerechtbesluit Landbouwkwaliteitswet» et «Landbouwkwaliteitsbesluit Groenten en Fruit»), que l'obligation d'affiliation ne constitue qu'une simple formalité puisque la délivrance des documents nécessaires, résulte automatiquement de celle-ci et n'affecte donc pas l'exécution de la réglementation communautaire, mais bien au contraire permet d'assurer l'objectif poursuivi par le règlement no 1035/72, à savoir le respect de normes de qualité et leur
application uniforme; que, dès lors, la restriction au libre exercice par les négociants en fruits et légumes de leur activité professionnelle ne constitue pas une mesure excessive ou non justifiée par rapport à l'objectif d'intérêt général fixé.

Or, dans l'arrêt Vriend, dans le cadre des articles 30 et 34 du traité, vous n'avez pas subordonné la constatation que l'interdiction faite aux intermédiaires de commercialiser librement les produits concernés est susceptible de modifier les courants d'importation ou d'exportation et la liberté des transactions commerciales au caractère excessif ou non de l'obligation d'affiliation dont l'inobservation motivait cette interdiction.

Au surplus, observons que l'affiliation requise n'a pas seulement pour objet de permettre le contrôle des normes communautaires: dans son ensemble, la réglementation néerlandaise poursuit l'objectif d'assurer à la production nationale une réputation susceptible d'accroître les exportations. Elle constitue la condition posée par la réglementation néerlandaise pour que puisse s'exercer le contrôle de qualité et que soit apposée la marque officielle de contrôle, alors que la réglementation
communautaire ne prévoit que l'apposition facultative d'une telle marque.

A cet égard, le litige au principal n'est pas sans rappeler l'affaire Cadsky (arrêt du 26. 2. 1975, affaire 63/74, Recueil p. 281), dans laquelle le gouvernement néerlandais avait présenté des observations allant dans le même sens que celles du gouvernement italien, dont la législation était alors en cause: il était allégué par ces gouvernements qu'un régime de marque nationale obligatoire à l'exportation, s'ajoutant aux normes de qualité imposées par la réglementation communautaire, avait pour
objet de donner aux pays de destination une certaine garantie quant à certaines qualités du produit et était nécessaire pour éliminer les opérateurs douteux qui pouvaient jeter le discrédit sur les opérateurs corrects.

Or, l'obligation de recourir à une telle marque officielle de contrôle à l'exportation n'est d'aucune utilité particulière pour les exportateurs puisque les critères qualitatifs des produits maraîchers sont régis par une réglementation commune exhaustive, à la différence de l'affaire Vriend où de telles normes n'existaient pas encore dans le secteur en cause.

En effet, selon le quatrième considérant du règlement no 1035/72:

«l'application de ces normes (communes) devrait avoir pour effet d'éliminer du marché les produits de qualité non satisfaisante, d'orienter la production de façon à satisfaire aux exigences des consommateurs et de faciliter des relations commerciales sur la base d'une concurrence loyale, en contribuant ainsi à améliorer la rentabilité du produit».

Dans son état actuel, le droit communautaire n'autorise nullement un État membre à imposer aux exportateurs une obligation d'affiliation par le biais d'une délégation du contrôle de conformité à une association de droit privé.

Le caractère obligatoire de l'affiliation, condition indispensable pour obtenir la délivrance d'un certificat de conformité communautaire et d'une marque officielle de contrôle, va au-delà de ce qui est spécifiquement nécessaire pour donner effet à la réglementation communautaire; il a un effet équivalant aux restrictions quantitatives prohibées par le traité.

En réponse à la question posée, nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

— Le règlement du Conseil no 1035/72 est incompatible avec une réglementation nationale par l'effet de laquelle les accusés de réception et les certificats exigés en matière de contrôle de qualité des tomates commercialisées à l'intérieur de la Communauté ne sont délivrés qu'aux affiliés à une association de droit privé même homologuée par les autorités nationales comme organisme de contrôle au sens dudit règlement.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 29/82
Date de la décision : 28/10/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: College van Beroep voor het Bedrijfsleven - Pays-Bas.

Affiliation obligatoire des exportateurs de fruits et légumes à un organisme de contrôle relevant du droit privé.

Restrictions quantitatives

Agriculture et Pêche

Mesures d'effet équivalent

Libre circulation des marchandises

Fruits et légumes


Parties
Demandeurs : F. van Luipen en Zn BV
Défendeurs : une mesure disciplinaire prise à son égard.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:377

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