CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. FRANCESCO CAPOTORTI,
PRÉSENTÉES LE 6 OCTOBRE 1982 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Une nouvelle fois, la Cour est saisie par les juges français du problème de la validité, à la lumière des engagements internationaux antérieurs, et dans l'affirmative, de l'opposabilité aux ressortissants espagnols, des règlements communautaires qui, en introduisant des mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche applicables aux navires espagnols, ont subordonné à certaines conditions la pêche effectuée par ces navires dans la zone économique française.
En cette matière, les précédents dont il faut tenir compte sont les arrêts du 8 décembre 1981 rendus respectivement dans l'affaires 181/80 (Arbelaiz-Emazabel) et dans les affaires jointes 180 et 266/80 (Crujeiras Tome et Yurrita): (voir Recueil 1981, p. 2961 et p. 2997). Les deux groupes d'affaires jointes 137 et 140/81 (Compandeguy Sagarzazu et Echevarría Sagasti) et 138 et 139/81 (Marticorena-Otazo et Prego Parada) ont été introduites ultérieurement. Nos conclusions dans ces deux groupes
d'affaires ont été présentées à l'audience du 27 mai 1982, mais la Cour ne s'est pas encore prononcée.
Nous observons que les questions dont nous nous occuperons coïncident avec celles qui faisaient l'objet des affaires jointes 180 et 266/80. Les faits sont également parallèles. L'unique élément de nouveauté des présents litiges est constitué par certains arguments nouveaux avancés par la défense des parties privées pour soutenir la thèse de l'invalidité des règlements rappelés ci-dessus.
2. Les faits peuvent être résumés de la manière suivante:
A — Par des jugements prononcés au cours de la période 1980-1981, les tribunaux de grande instance de Lorient et de Quimper ont condamné M. Arantzamendi-Osa et d'autres pêcheurs espagnols à des peines pécuniaires de divers montants pour avoir pratiqué la pêche dans les eaux comprises entre les 12 et les 200 milles de la Côte atlantique française sans être en possession de la licence communautaire requise pour la flotte espagnole. Les accusés ont interjeté appel devant la cour d'appel de Rennes
en affirmant que les règles communautaires dont la loi pénale française entendait garantir le respect étaient invalides parce que contraires aux engagements internationaux antérieurs. Par une série d'arrêts rendus le 3 décembre 1981, la cour de Rennes a décidé de surseoir à statuer et de vous adresser la question dont nous avons mentionné le contenu.
B — Dans la seconde moitié de l'année 1981, M. Dorca Marina et d'autres pécheurs espagnols ont été cités devant le tribunal de grande instance de Bayonne pour avoir pratiqué la pêche sans licence communautaire dans la zone de mer située entre les 12 et les 200 milles de la côte atlantique française. Par une série de jugements rendus entre le 17 septembre et le 5 novembre 1981, ce tribunal a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, à titre préjudiciel, une question identique à celle
formulée par la cour d'appel de Rennes.
3. Les règlements du Conseil dont la validité est contestée prévoient tous que, pour pouvoir pratiquer la pèche dans les eaux des États membres comprises dans une zone de 200 milles nautiques de la côte, les navires battant pavillon espagnol doivent être pourvus d'une licence délivrée par la Commission des Communautés européennes et se limiter aux captures autorisées. Chacun des règlements en question a une période de validité circonscrite et par conséquent le règlement applicable varie d'un cas à
l'autre, selon le moment où les faits reprochés aux accusés se sont produits. Toutefois, du point de vue de leur contenu, ces règlements ne présentent pas de différences significatives pour les présentes affaires préjudicielles; et d'ailleurs, il ne faut pas oublier que la question posée par les juges français concerne les mesures communautaires intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche dans leur ensemble. Toutefois, certaines différences se rencontrent dans le plus
récent des règlements considérés ici (règlement 1569 du 1er juin 1981); nous aurons l'occasion de nous arrêter ultérieurement sur ce point.
En ce qui concerne les «engagements internationaux antérieurs» avec le contenu desquels les règlements précités seraient en contradiction, les ordonnances de renvoi du tribunal de grande instance de Bayonne se réfèrent dans leurs motifs à la convention de Genève sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer du 29 avril 1958, à la convention de Londres sur la pêche du 9 mars 1964 et à l'accord sur la pêche entre la France et l'Espagne du 20 mars 1967, c'est-à-dire
exactement aux mėmes sources que celles qui ont été invoquées dans les affaires précédentes et que la Cour a déjà eu l'occasion d'analyser dans les arrêts cités du 8 décembre 1981.
Qu'il nous soit permis de rappeler que, dans ces arrêts, la Cour a estimé «qu'il n'était pas nécessaire d'examiner si les dispositions de la convention de Londres, dont le texte limite le domaine d'application à la zone allant jusqu'à 12 milles des lignes de base, pouvaient éventuellement s'appliquer à la zone allant de 12 à 200 milles, ni de vérifier si le régime intérimaire de conservation établi par la Communauté réunissait les conditions, telles que la concertation préalable, prévues par la
convention de Genève. Cette orientation se fondait sur la considération que «le régime intérimaire établi par la Communauté en vertu de ses propres règles s'insère dans le cadre des rapports établis entre la Communauté et l'Espagne pour résoudre les problèmes inhérents aux mesures de conservation et à l'extension des zones de pêche et pour assurer réciproquement l'accès des pécheurs aux eaux faisant l'objet de telles mesures. Ces rapports se sont substitués au régime précédemment applicable à
ces zones, pour tenir compte de l'évolution générale du droit international dans le domaine de la pêche en haute mer, ainsi que du besoin, de plus en plus urgent, de la conservation des ressources biologiques de la mer». De tout cela la Cour a déduit qu'un régime intérimaire institué par la Communauté entrait «dans le cadre de la mise en place progressive de nouveaux rapports réciproques entre la Communauté et l'Espagne dans le domaine de la pèche maritime qui se sont substitués au régime de
pêche en haute mer précédemment applicable», avec cette conséquence que «les pécheurs espagnols ne sauraient se prévaloir des engagements internationaux antérieurs entre la France et l'Espagne contre l'application des règlements intérimaires établis par la Communauté, au cas où il y aurait eu incompatibilité entre les deux catégories de dispositions» (voir attendus 17 à 20 de l'arrêt Crujeiras Tome et Yurrita; de même l'arrêt Arbelaiz-Emazabel, attendus 29 à 31).
Compte tenu de ces précédents jurisprudentiels — qui, bien qu'ils se réfèrent à des règlements déterminés, concernent en réalité tout le régime intérimaire de la pêche instauré par la Communauté à l'égard des navires espagnols, depuis 1977 — il ne sous semble pas nécessaire de répéter les raisonnements que nous avons développés dans nos conclusions du 15 septembre 1981 relatives aux affaires 180, 181 et 266/80 (Recueil 1981, p. 2984) et que nous avons ensuite repris dans nos conclusions citées
du 27 mai 1982 concernant les affaires 137 à 140/81). D'autre part, les deux arrêts de notre Cour du 8 décembre 1981 sont solidement construits et aucun élément nouveau n'a été présenté par les juridictions demanderesses quant au rapport entre le régime communautaire de la pêche dans la période considérée et «les engagements internationaux antérieurs». Cela nous conduit à estimer que la solution des présentes affaires doit demeurer dans la ligne de la jurisprudence précédente de la Cour, tant
quant à la validité des règlements qu'à leur opposabilité aux pêcheurs espagnols.
4. Au cours des procédures nationales qui sont à l'origine des affaires 13 à 28/82, il est apparu que les activités de pêche sans licence des navires espagnols s'étaient déroulées respectivement le 2 et le 14 févier 1981, dates comprises dans une période (du 1er février au 3 mars 1981) durant laquelle aucun règlement communautaire prescrivant des mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche n'était en vigueur. En effet, le règlement no 3305 du 17 décembre 1980 avait
prorogé du 31 décembre 1980 jusqu'au 31 janvier 1981 la validité des licences de pêche relatives aux navires espagnols, déjà accordées sur la base du règlement no 1719/80 du 30 juin 1980, et ce n'est que le règlement ultérieur no 554/81 du 27 février 1981 qui a réintroduit le système des licences, à compter du 4 mars. Cette situation particulière a fait naître le problème de savoir si, durant la période indiquée d'interruption du régime communautaire des licences, les pêcheurs espagnols devaient
être considérés comme libres d'exercer leur activité dans les zones de pêche en question.
Nous avons amplement discuté la question dans nos conclusions du 27 mai dernier, relatives aux affaires 137 à 140/81 (paragraphes 3, 4, 5 et 6). Nous répétons que, à notre avis, l'absence de dispositions communautaires spécifiques en matière de licences de pêche au cours de la période allant du 1er février au 3 mars 1981«est un fait qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier: ils n'ont pas demandé à la Cour comment il y avait lieu d'interpréter le régime juridique communautaire au regard des
activités de pêche exercées au cours de cette période particulière par des bateaux espagnols». Nous restons convaincus que, si la Cour prenait position sur ce point, elle se substituerait au juge national en abordant une question de recherche de dispositions applicables alors que «ce juge a sollicité le contrôle de la validité de certains règlements»; et nous répétons que «cet élargissement du cadre des demandes préjudicielles est une tentative des parties intéressées que la Cour ne devrait pas
favoriser».
Quant au fond, nous estimons qu'au cours des périodes durant lesquelles des mesures communautaires de conservation et de gestion des ressources de pêche n'ont pas été en vigueur, les navires espagnols n'étaient de toute manière pas autorisés à pêcher dans les eaux des États membres de la CEE. Ce point de vue se fonde sur le caractère d'exclusivité de la zone de mer de 200 milles, conformément au droit international général en vigueur, et est confirmé par l'analyse de l'accord de pêche entre la
CEE et l'Espagne du 15 avril 1980. A ce propos, qu'il nous soit permis de renvoyer aux conclusions citées du 27 mai et de noter que les parties n'ont pas apporté de nouveaux éléments à l'appui de leurs thèses respectives.
5. La défense des accusés dans les procès sur le fond relatifs aux affaires 50 à 58/82 affirme que les règlements communautaires applicables aux pêcheurs espagnols seraient invalides également du point de vue de la violation de certains droits fondamentaux: le droit à l'égalité, le droit à la défense, le droit au travail et à l'exercice d'une activité professionnelle, le droit de ne pas être frappé de sanctions rétroactives.
Pour réfuter ces prétendus motifs d'invalidité, il suffirait d'observer qu'ils sont entièrement étrangers à la question formulée par les juges français, qui concerne uniquement la compatibilité du régime communautaire en question avec les engagements internationaux antérieurs. Malgré cela, il nous semble opportun de commenter brièvement les griefs indiqués, afin d'en démontrer l'absence de fondement. En réalité:
A — Le principe d'égalité est invoqué en liaison avec la thèse selon laquelle les règlements communautaires en question effectueraient une discrimination entre les pêcheurs espagnols et ceux qui sont ressortissants des États membres de la Communauté européenne, en n'imposant qu'aux premiers l'obligation d'une licence de pèche. Pour réfuter cette thèse, on a observé que la licence de pêche ne représente qu'un instrument visant à garantir le respect du système des quotas de pèche; système appliqué
également aux pécheurs communautaires, bien qu'à leur égard, le moyen pour en garantir l'observation soit le contrôle des captures dans les ports de débarquement. Mais une critique plus radicale consiste à mettre en évidence qu'aucun principe inscrit dans la liste des droits de l'homme n'oblige la Communauté à assurer aux ressortissants espagnols les mêmes droits qu'aux citoyens communautaires, quant à l'exploitation de la zone économique adjacente aux côtes des pays membres. Tant l'article
14 de la convention européenne des droits de l'homme que les règles correspondantes des deux pactes universels sur les droits de l'homme (article 2, paragraphe 1, du pacte relatif aux droits civils et politiques, article 2, paragraphe 2, du pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) prescrivent la non-discrimination dans la jouissance des droits reconnus par chacun de ces instruments juridiques internationaux; mais aucun droit d'exercer la pêche dans la zone économique de
tout pays n'est reconnu par la convention européenne ou par les pactes! Ensuite quant au principe d'égalité de tous les individus devant la loi et du droit à une égale protection par la loi (article 26 du pacte universel sur les droits civils et politiques), il est vrai qu'il garantit l'égalité formelle des individus par rapport à chaque ordre juridique considéré dans son ensemble, mais uniquement afin d'éviter que le législateur n'introduise des discriminations arbitraires, ou des
différences de traitement privées de toute justification objective.
En particulier, l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'origine nationale n'empêche pas du tout que la loi puisse prévoir un bon nombre de différences de traitement entre citoyens et étrangers, surtout dans le domaine du droit public, pourvu que les règles de ce droit aient un fondement raisonnable (comme on doit certainement l'admettre pour l'obligation des licences de pêche, dans le cadre du régime de conservation des ressources mannes, et du système connexe des contingents de
pêche).
B — La prétendue violation du droit à la défense consisterait dans le fait que les sanctions administratives appliquées par la Commission à l'égard des pécheurs espagnols (révocation de la licence et suspension de l'octroi d'une nouvelle licence pendant une période déterminée) seraient infligées sans donner aux intéressés la possibilité de faire valoir préalablement leurs raisons, ce qui serait en contradiction avec l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme qui, comme on le
sait, assure à tout accusé le droit de se défendre, luimême ou avec l'assistance d'un défenseur (paragraphe 3 c). A ce propos, on a mentionné également l'arrêt rendu par notre Cour le 27 octobre 1977 dans l'affaire 121/76, Moli (Recueil 1977, p. 1971), dans lequel elle a évoqué «le principe général selon lequel toute administration lorsqu'elle prend une mesure de nature à léser gravement des intérêts individuels est tenue de mettre l'intéressé à même de faire connaître son point de vue»
(attendu no 20).
Ce grief n'est pas fondé. En premier lieu, il convient d'expliquer que l'article 6 cité de la convention européenne ne s'applique pas aux procédures autres que les procédures judiciaires: la commission des droits de l'homme a eu l'occasion de le préciser dans son rapport du 25 janvier 1976 relatif à l'affaire Irlande contre Royaume-Uni. En second lieu, les individus frappés par des sanctions de la Commission ont toujours la possibilité d'attaquer les décisions qui s'y rapportent en vertu de
l'article 173, alinéa 2, du traité CEE: la procédure contradictoire ainsi établie assure aux intéressés la possibilité de développer leurs moyens de défense. Il s'agit d'une procédure contradictoire uniquement éventuelle, puisqu'elle est laissée à l'initiative des intéressés, et postérieure, dans la mesure où elle intervient après l'adoption de la mesure qui pone préjudice, mais cela est justifié par la nécessité pour la Commission d'intervenir avec rapidité, afin d'éviter un dommage plus
grave aux ressortissants intéressés de la Communauté. D'autre part, on sait que différentes formes d'intervention administrative (et même judiciaire) existent inaudita altera parte, de sorte que la procédure contradictoire, et donc l'exercice de la défense, est renvoyé à une seconde phase de la procédure.
Enfin, nous estimons que la référence à l'arrêt Moli est inappropriée, puisque, dans cet arrêt, la Cour a affirmé un principe valable dans les rapports entre administration et fonctionnaires, mais qu'il n'est pas possible de transposer mécaniquement à tout rapport entre l'administration et les particuliers.
C — Le droit au travail et la liberté d'initiative économique nous semblent, eux aussi, invoqués hors de propos dans le contexte des présentes affaires. Le premier a une portée très générale, consistant dans le «droit de toute individu d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté» (article 6, paragraphe 1, du pacte universel relatif aux droits économiques, sociaux et culturels). Or, il est évident que les nombreuses limitations ou conditions — matérielles
ou juridiques — qui circonscrivent cette possibilité ne peuvent pas être entendues comme autant de violations du principe! En particulier, même si la réglementation communautaire restreint l'exercice de la pêche par les pêcheurs espagnols dans certaines zones de mer, leur droit de gagner leur vie au moyen de la pêche est hors de discussion.
Un raisonnement analogue vaut pour la liberté de prendre des initiatives économiques qui — comme nous avons eu l'occasion de l'affirmer dans nos conclusions relatives à l'affaire Hauer (affaire 44/79, Recueil 1979, p. 3764, paragraphe 10) — «n'est pas garantie en ce qui concerne un domaine d'exercice déterminé». Les règlements dont nous nous occupons ont une incidence sur la faculté d'exploiter les ressources de pêche de zones de mer déterminées, mais l'activité des entreprises espagnols
dans le domaine de la pêche est libre de se dérouler soit dans les mêmes zones, en respectant les conditions établies par les règlements cités, soit ailleurs.
D — Enfin, le grief de la violation de l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme a été présenté par la défense des requérants dans les affaires qui vous ont été envoyées par le tribunal de grande instance de Bayonne parce que le règlement no 1569/81 du 1er juin 1981 aggrave rétroactivement le poids des sanctions que la Commission peut infliger à celui qui ne respecte pas la réglementation communautaire de la pêche. En effet, l'article 13 de ce règlement prévoit des sanctions
plus sévères que celles qui sont instituées par les règlements antérieurs (révocation de la licence de pêche et suspension de l'octroi de nouvelles licences: les deux sanctions pouvant être étendues à d'autres navires du même armateur); et il s'agit d'une disposition à effet rétroactif, parce que l'ensemble du règlement s'applique à compter du 1er janvier 1981, tandis que le règlement no 554/81 précédent, qui avait eu effet jusqu'au 31 mai, est expressément abrogé.
Toutefois, ces aspects de la réglementation communautaire, pour déplorables qu'ils soient, ne peuvent pas être estimés contraires à la règle citée de la Convention européenne, pour le simple motif que celle-ci concerne uniquement les sanctions pénales. Il suffit de lire l'article 7, paragraphe 1, phrase 2 («Il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise») pour se rendre compte que le principe ne peut pas être étendu à des sanctions
de caractère administratif. La Commission européenne des droits de l'homme s'est exprimée en ce sens dans les décisions relatives aux recours 4274/69 et 4519/70 (Annuaire de la convention européenne des droits de l'homme, volume 13, p. 889 et suivantes, en particulier p. 890; et ibidem volume 14, p. 616 et suivantes, en particulier p. 622).
6. Il reste à examiner un autre grief, soulevé contre la validité des règlements controversés, par la défense des pêcheurs accusés dans les procès pénaux qui sont à l'origine des affaires 50 à 58/82. Il s'agit de la prétendue contradiction entre ces règlements et les règles de l'accord sur la pèche conclu par la Communauté avec l'Espagne le 15 avril 1980, accord provisoirement applicable à compter de la même date (en vertu de son article 12) et entré définitivement en vigueur le 22 mai 1981.
La première observation à faire est que les juges français qui ont adressé à la Cour la question de la validité et de l'opposabilité aux ressortissants espagnols de la réglementation intérimaire de la Communauté sur la conservation et la gestion des ressources mannes n'ont certainement pas tenu compte de l'accord Communauté-Espagne lorsqu'ils se sont référés aux «engagements internationaux antérieurs». Cela résulte clairement de la motivation des ordonnances de renvoi; il convient d'ajouter que
l'accord cité est certainement «antérieur uniquement par rapport au règlement no 1569/81, adopté le 1er juin 1981 (c'est-à-dire neuf jours après l'entrée en vigueur de l'accord), tandis qu'il est postérieur par rapport à la plus grande partie de la réglementation communautaire dont nous discutons actuellement (la question de savoir s'il pourrait être considéré comme un paramètre de la validité des règlements adoptés durant la période de son application provisoire demeure douteuse).
En tout cas, nous ne croyons pas que la thèse mentionnee ci-dessus soit exacte. Les intéressés soutiennent que l'accord entre la Communauté et l'Espagne assurerait aux pêcheurs espagnols l'accès à la zone économique exclusive conformément à un principe d'équilibre et de non-discrimination, établi par l'article 3, paragraphe 1 sous b) et leur reconnaîtrait les droits historiques de pêche déjà institués dans les traités internationaux précédents, tandis que les règlements communautaires (et en
particulier le règlement no 554/81 du 27.2.1981) seraient en contradiction avec ces deux principes. Mais nous restons de l'avis (déjà exprimé dans nos conclusions du 27.5.1982 relatives aux affaires 137, 138, 139 et 140/81) que l'accord sur la pèche CEE-Espagne ne reconnaît pas du tout le «libre accès des navires de pèche de chacune des parties à la zone de pèche de l'autre; cet accès est accordé, ce qui ... présuppose la fixation du volume des captures que les navires de pêche de l'autre partie
pourront effectuer», ainsi que l'octroi de licences spéciales. A cet égard, il faut noter que l'équilibre satisfaisant des possibilités de pèche de chaque partie de l'accord dans la zone de pêche de l'autre est l'objectif à atteindre à l'issue de la consultation prévue par l'article 3, paragraphe 1 sous b) cité; mais que le volume des captures accordées aux bateaux de pèche d'une partie (et les zones où les captures sont licites) dépendent de la détermination unilatérale de l'autre partie,
encore que à la condition qu'il y ait eu des consultations (voir encore l'article 3, paragraphe 1 sous b).
De son côté, au cours de la procédure orale, le représentant du gouvernement français a justement observé que, sur la base de l'article 7 de l'accord «à l'intérieur de la zone de pêche relevant de sa juridiction, chaque partie peut prendre, conformément aux règles du droit international, les mesures qui peuvent être nécessaires pour assurer le respect par les navires de l'autre partie des dispositions du présent accord». Parmi les règles internationales qui entrent en jeu (en vertu également du
fait que l'article 7 renvoie à ces règles) entre sans aucun doute celle énoncée dans l'article 56, paragraphe 1 sous a) du projet de convention élaboré par la troisième conférence des Nations unies sur le droit de la mer, selon laquelle «dans la zone économique exclusive, l'État côtier a: a) des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques des fonds marins ...». Cette nette reconnaissance du
droit de l'État côtier à l'exploitation exclusive et à la conservation des ressources de la zone économique exclusive serait suffisante pour exclure la possibilité d'envisager des prétendus droits historiques des pécheurs espagnols. Sur ce point, qu'il nous soit permis de renvoyer, en outre, aux considérations développées au point 6 des conclusions citées du 27 mai 1982.
7. Pour toutes les considérations développées jusqu'ici, nous proposons que la Cour, en statuant sur les questions qui lui ont été adressées, en termes identiques, par la cour d'appel de Rennes, par arrêts du 3 décembre 1981 (affaires jointes 13 à 28/82) et par le tribunal de grande instance de Bayonne, par jugements du 17 septembre 1981 (affaire 50/82), du 22 octobre 1981 (affaires jointes 51, 52 et 58/82) et du 5 novembre 1981 (affaires jointes 53, 54, 55, 56 et 57/82), déclare ce qui suit:
a) l'examen des réglements du Conseil qui ont établi certaines mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche applicables aux bateaux qui battent pavillon espagnol n'a abouti à le constatation d'aucun motif d'invalidité;
b) ces règlements étaient opposables aux ressortissants espagnols.
Enfin, si la Cour estime devoir se prononcer sur la question de l'interruption du régime des licences de pêche entre le 1er février et le 3 mars 1981, nous proposons qu'elle déclare à ce sujet:
Au cours de la période d'interruption du système d'octroi des licences aux pêcheurs espagnols qui s'est produite entre le 1er février et le 3 mars 1981, toute activité de pêche leur était interdite dans les eaux territoriales des États membres et dans les zones économiques exclusives respectives, soumises au régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche.
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( 1 ) Traduit de l'italien.