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27/05/1982 | CJUE | N°137

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'avocat général Capotorti présentées le 27 mai 1982., Directeur des affaires maritimes du littoral du Sud-Ouest et Procureur de la République contre Javier Marticorena-Otazo et Manuel Prego Parada., 27/05/1982, 137


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 27 MAI 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le tribunal de grande instance de Bayonne a, par jugements du 23 avril et du 21 mai 1981, saisi la Cour de quatre questions préjudicielles presque littéralement identiques à celles qui avaient déjà reçu une réponse dans vos arrêts du 8 décembre 1981 rendus l'un dans les affaires jointes 180 et 266/80 (Crujeiras Tome et Yurrita) et l'autre dans l'affaire 181/80 (Arbelaiz-Emazabel).

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 27 MAI 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le tribunal de grande instance de Bayonne a, par jugements du 23 avril et du 21 mai 1981, saisi la Cour de quatre questions préjudicielles presque littéralement identiques à celles qui avaient déjà reçu une réponse dans vos arrêts du 8 décembre 1981 rendus l'un dans les affaires jointes 180 et 266/80 (Crujeiras Tome et Yurrita) et l'autre dans l'affaire 181/80 (Arbelaiz-Emazabel).

Les faits examinés dans les procédures au principal sont également comparables aux faits des affaires précitées: des bateaux de pêche espagnols ont été surpris à pêcher sans licence communautaire dans la zone maritime s'étendant jusqu'à 200 milles de la côte atlantique française et les responsables ont donc été poursuivis pour avoir violé les dispositions françaises en matière de police de la pêche qui assurent aussi le respect des règlements communautaires. Cela dit, les juges de Bayonne ont de
nouveau soulevé le problème de la validité au regard d'engagements internationaux antérieurs et, dans l'affirmative, de l'opposabilité aux ressortissants espagnols, de l'ensemble des règlements du Conseil fixant les mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche applicables aux navires battant pavillon de l'Espagne.

Nous savons que ces règlements ont non seulement subordonné à certaines conditions l'exercice de la pêche par des bateaux espagnols à l'intérieur de la zone économique exclusive de la Communauté située dans l'océan Atlantique et dans la mer du Nord au large de la limite des eaux territoriales, mais en même temps fixé de nouvelles modalités pour l'exercice de la pêche par ces navires à l'intérieur des eaux territoriales françaises et, en particulier, dans la zone de pêche réservée et comprise
entre 6 et 12 milles. Il est maintenant aisé de constater que les affaires 137 et 140/81 (Campandeguy Sagarzazu et Echevarría Sagasti) sont parallèles à celle qui a été tranchée par l'arrêt Crujeiras Tomé — Yurrita, en ce sens que la réglementation communautaire contestée entre en ligne de compte dans la mesure où elle est applicable à des actions de pêche se situant dans la zone comprise entre 12 et 200 milles, alors que les affaires 138 et 139/81 (Marticorena-Otazo et Prego Parada) trouvent un
équivalent exact dans le cas Arbelaiz-Emazabel, puisqu'elles ont trouvé leur origine dans des actions de pêche interdites dans les limites des eaux territoriales françaises.

Dans les deux arrêts précités du 8 décembre 1981, la Cour a examiné le problème de l'incidence, sur la validité des règlements communautaires en question, des «engagements internationaux antérieurs», résultant principalement de la convention de Londres sur la pêche du 9 mars 1964 ainsi que de la convention de Genève du 29 avril 1958 sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer (évoquée dans l'arrêt Crujeiras Tome — Yurrita) et de l'Accord franco-espagnol sur la
pêche du 20 mars 1967 (pris en considération dans l'arrêt Arbelaiz-Emazabel). A l'issue de cet examen exhaustif et minutieux, la Cour a déclaré qu'il n'était apparu aucun élément de nature à affecter la validité des règlements du Conseil no 2160 du 30 septembre 1977 (arrêt Arbelaiz-Emazabel) et no 1744 du 24 juillet 1978 (arrêt Crujeiras Tome — Yurrita); ces règlements devaient donc être considérés comme opposables aux ressortissants espagnols.

A notre avis, cette prise de position de la Cour est valable pour toute la réglementation intérimaire adoptée par le Conseil en matière de pêche par des bateaux battant pavillon espagnol à partir du règlement no 373 du Conseil du 24 février 1977 jusqu'à la date d'entrée en vigueur de l'accord de pêche signé le 15 avril 1980 entre la Communauté économique européenne et l'Espagne (c'est-à-dire jusqu'au 22 mai 1981), date à laquelle le règlement no 554 du 27 février 1981 était en vigueur. En effet,
les principaux arguments sur lesquels les deux arrêts du 8 décembre 1981 se fondent portent sur l'intégralité au régime inténvmire de la pêche instauré par la Communauté à l'égard des bateaux espagnols depuis 1977: nous nous référons à l'argument de la collaboration continue des autorités espagnoles à la mise en oeuvre de ce régime (points 14 à 16 de l'arrêt Crujeiras Tome — Yurrita; points 27 à 28 de l'arrêt Arbelaiz-Emazabel) et à la conclusion que «le régime intérimaire établi par la
Communauté en vertu de ses propres règles s'insère dans le cadre des rapports établis entre la Communauté et l'Espagne pour résoudre les problèmes inhérents aux mesures de conservation et à l'extension des zones de pêche, et pour assurer réciproquement l'accès des pêcheurs aux eaux faisant l'objet de telles mesures. Ces rapports se sont substitués au régime précédent applicable à ces zones, pour tenir compte de l'évolution générale du droit international dans le domaine de la pêche en haute mer,
ainsi que du besoin, de plus en plus urgent, de la conservation des ressources biologiques de la mer» (point 18 du premier arrêt; points 29 à 30 du deuxième).

Il ne nous semble donc pas nécessaire de répéter ici les réflexions que nous avons eu l'occasion de vous exposer dans nos conclusions du 15 septembre 1981 sur les affaires 180, 181 et 266/80, ni de rappeler l'intégralité du contenu des deux arrêts du 8 décembre 1981. Les circonstances de fait et les questions préjudicielles révèlent, comme nous l'avons indiqué, la coïncidence presque totale entre les affaires précitées et les espèces présentes; la décision rendue il y a cinq mois par la Cour
nous semble solidement construite; aucun élément nouveau n'a été avancé par la juridiction de renvoi; en conséquence, il n'y a pas de raison que la nouvelle décision ait un contenu différent.

2.  Il y a lieu de noter que, dans les procédures pénales dans lesquelles les affaires 138 et 139/81 trouvent leur origine, les sieurs Marticorena-Otazo et Prego Parada sont poursuivis également pour l'infraction consistant dans l'utilisation de filets à maillage non réglementaire. Cela a amené le tribunal à mentionner, parmi les dispositions applicables, celles des règlements communautaires no 2527 du 30 septembre 1980, no 3458 du 17 décembre 1980 et no 272 du 27 janvier 1981, mais cela n'a
entraîné aucune modification du contenu des questions préjudicielles qui se réfèrent d'une manière générale aux «règlements communautaires fixant certaines mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche applicables aux navires battant pavillon de l'Espagne»; il en est de même pour les questions posées dans les affaires 137 et 140/81. Les juges du fond ont donc estimé à juste titre que les trois règlements précités entraient dans le cadre des mesures de conservation et
de gestion des ressources de pêche. Et, en vérité, s'agissant de dispositions qui visent au même but de protection des ressources de pêche poursuivi par les dispositions sur les licences de pêche (comme le démontre également l'intitulé des règlements en question: «mesures techniques de conservation des ressources de pêche»), il n'y a pas de raison de penser que la comparaison avec les accords internationaux précédemment rappelés puisse avoir des résultats différents de ceux obtenus au regard des
règlements concernant la pêche. La différence signalée entre les situations de fait sur lesquelles reposent les affaires 138 et 139/81 et celles qui sont à l'origine des affaires 137 et 140/81 ne nous semble donc justifier aucune déviation de la ligne tracée dans les arrêts du 8 décembre dernier.

3.  Il reste un problème sur lequel l'attention des parties s'est concentrée (surtout au cours de la procédure orale) et qui a fourni aux avocats des prévenus dans la procédure au principal le seul élément présenunt un certain intérêt pour suggérer que trois des présentes affaires aboutissent à un résultat différent par rapport aux précédents bien connus. Il s'agit de l'aspect suivant: les activités de pêche sans licence, qui constituent la prémisse de fait de toutes ces affaires, se sont déroulées
le 2 février 1981 pour ce qui concerne les sieurs Campandeguy Sagarzazu et Marticorena-Otazo (affaires 137 et 138), le 9 février 1981 pour ce qui est du sieur Prego Parada (affaire 139) et, enfin, le 10 mars 1981 en ce qui concerne le sieur Echevarría Sagasti (affaire 140/81). Or, à cette dernière date, le règlement no 554/81 du 27 février 1981, qui autorisait jusqu'au 31 mai la capture de poisson par des bateaux espagnols titulaires d'une licence communautaire, était en vigueur: en conséquence,
les termes de l'affaire 140/81 sont identiques à ceux des affaires Crujeiras Tome — Yurrita également du point de vue du cadre juridique spécifique (en d'autres termes, l'action de pêche doit être appréciée à la lumière d'un des règlements fixant des mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche). Mais les dates des 2 et 9 février 1981 sont comprises dans une période au cours de laquelle aucun règlement de ce genre n'était en vigueur. En effet, le règlement no
3305/80 du 17 décembre 1980 avait prorogé du 31 décembre 1980 au 31 janvier 1981 la validité des licences de pêche concernant les bateaux espagnols, qui avaient déjà été accordées sur la base du règlement no 1719/80 du 30 juin 1980, et ce n'est que le règlement suivant déjà cité no 554/81 du 27 février 1981 qui a réintroduit le système des licences à partir du 4 mars (c'est-à-dire à partir de la date de sa publication). Aussi, entre le 1er février et le 3 mars 1981, des mesures destinées à
autoriser l'exercice de la pêche par des bateaux espagnols dans les zones de pêche des États membres faisant l'objet de la réglementation communautaire, manquaient.

Les avocats des pêcheurs intéressés à l'issue des affaires 137, 138 et 139/81 ont tiré argument de cette circonstance pour soutenir qu'au cours de la période indiquée d'interruption du régime communautaire des licences, les pécheurs espagnols devaient être considérés comme libres d'exercer leur activité dans les zones de pèche en cause. Cela serait confirmé par une certaine interprétation de l'accord de pêche conclu le 15 avril 1980 entre la Communauté économique européenne et l'Espagne, qui est
provisoirement applicable à partir du jour de sa signature. Pour sa part, le représentant du gouvernement français a remarqué que pendant toute la période au cours de laquelle le régime communautaire des licences est resté interrompu, les dispositions nationales existentes devaient s'appliquer.

Nous observons en premier lieu que l'on ne saurait oublier ni négliger le contenu des questions préjudicielles formulées par le tribunal de Bayonne: c'est à partir de ces questions que la Cour est appelée à «dire le droit». Or, le problème posé est limité à la validité et à l'opposabilité aux ressortissants espagnols des dispositions communautaires en matière de conservation et de gestion des ressources de pêche, dont nous savons qu'elles ont été adoptées entre 1977 et 1981. L'absence de
dispositions de ce genre ou, mieux, de dispositions spécifiques en matière de licences de pêche entre le 1er février et le 3 mars 1981 est un fait qu'il appartient au juge du fond d'apprécier: en l'espèce, il n'a pas demandé à la Cour comment il y avait lieu d'interpréter le régime juridique communautaire au regard des activités de pêche exercées au cours de cette période particulière par des bateaux espagnols. Les cas que nous sommes en train d'examiner, comme ceux qui les ont précédés, doivent
être correctement appréhendés: ils soulèvent naturellement de nombreux problèmes et présentent de multiples aspects, mais ces aspects et ces problèmes ne doivent pas tous être examinés par la Cour. Il ne s'agit pas ici de corriger ou, mieux, d'appréhender dans sa portée concrète, une question préjudicielle rédigée d'une manière imparfaite; il s'agirait au contraire de se substituer au juge national en abordant une question de recherche de dispositions applicables, alors qu'il a sollicité le
contrôle de la validité de certains règlements. A notre avis, cet élargissement du cadre des questions préjudicielles est une tentative des parties intéressées que la Cour ne devrait pas favoriser.

4.  Nous ne voulous cependant pas manquer d'exprimer notre point de vue au sujet du prétendu libre exercice de la pêche pendant la période au cours de laquelle la délivrance des licences était rendue impossible par l'absence de règlements communautaires applicables. Les avocats des pêcheurs poursuivis dans la procédure au principal ont rappelé, à juste titre, que durant la même période, l'accord de pêche entre la Communauté économique européenne et l'Espagne, du 15 avril 1980, était déjà
provisoirement applicable, accord dont l'article 4 dispose: «chaque partie peut décider que l'exercice d'activités de pêche dans la zone de pêche relevant de sa juridiction par des navires de pêche de l'autre partie sera subordonné à l'octroi de licences». Le fait que, de cette manière, l'introduction du régime des licences soit une faculté de chacune des parties, démontrerait, selon les avocats, que faute de dispositions prévoyant l'octroi de licences, les pêcheurs espagnols auraient été libres
d'exercer leurs acticités dans les eaux communautaires.

Cette thèse ne résiste pas à l'examen critique. En premier lieu, il est évident que chaque clause d'un accord doit être insérée dans le contexte de l'accord luimême; en particulier, l'article 4 précité doit être lu à la lumière des articles qui le précèdent immédiatement. L'article 2 stipule que l'accès à la zone de pêche relevant de la juridiction de chaque partie est accordé aux navires de pêche de l'autre partie «dans les conditions prévues par les articles suivants». L'article 3, paragraphe
1, dispose que chaque partie détermine chaque année, pour la zone de pêche relevant de sa juridiction, (a) «le volume total des prises autorisées pour des stocks particuliers ou des groupes de stocks ...»; (b) «le volume des prises allouées aux navires de pêche de l'autre partie et les zones dans lesquelles ces prises peuvent être effectuées ...»; et cela «après consultations mutuelles appropriées». Il est donc clair qu'il n'existe pas de libre accès des navires de pêche de chacune des parties à
la zone de pêche de l'autre; cet accès est «accordé», ce qui — avant même de se manifester par la délivrance de licences — présuppose la fixation du volume des captures que les navires de pêche de l'autre partie pourront effectuer. Ainsi s'explique le caractère facultatif du système des licences: l'essentiel est que les limites des prises allouées aux bateaux de pèche de l'autre partie soient fixées, et rien n'empêcherait la mise en œuvre de méthodes de quotas et de contrôles différents des
licences. Mais les pêcheurs de chaque partie sont en tout cas obligés d'attendre, pour exercer leur activité, que l'autre partie ait effectué les déterminations annuelles prévues à l'article 3, paragraphe 1, précité et que s'achèvent d'une manière positive les «consultations mutuelles appropriées» visées à la lettre b) de cette disposition.

Il suffit d'ailleurs de lire le préambule du règlement précité no 554/81 du 27 février 1981 pour se rendre compte que la raison de l'interruption des activités de pêche espagnoles dans les eaux communautaires à partir du 1er février 1981 résidait précisément dans le retard de ces consultations. Le troisième considérant du règlement précité indique en effet que «la Communauté et l'Espagne se sont consultées selon la procédure prévue à l'accord au sujet des conditions de l'exercice de la pêche des
navires de chacune des parties dans la zone de pêche de l'autre partie pendant l'année 1981 »et «ces consultations n'ont abouti que le 17 février 1981». Plus loin nous lisons que «à l'issue de ces consultations, la délégation de la Communauté s'est engagée à recommander à ses autorités d'adopter pour ladite période certaines mesures autorisant l'exercice de la pêche des navires espagnols dans les zones de pêche des États membres faisant l'objet de la réglementation communautaire de la pêche».
Les mesures définitives pour 1981 ont été arrêtées plus tard par le règlement précité no 1569/81 du 1er juin 1981, qui a en conséquence régi toutes les captures effectuées par les navires espagnols autorisés au cours de l'année, en excluant uniquement la période d'interruption du 1er février au 3 mars (article 10, paragraphe 3). Quant au règlement no 554/81, il avait été adopté à titre intérimaire, comme son intitulé le confirme, dans la logique de la politique de conjoncture dont il est
question à l'article 103 du traité CEE, en vue d'éviter un prolongement de l'interruption au-delà du 3 mars (voir le sixième considérant du préambule); d'une manière analogue à ce qui avait été fait avec le règlement no 3305/81 au moyen de la prorogation de la validité des licences du 31 décembre 1980 au 30 janvier 1981.

La situation décrite — retard dans les consultations et, partant, dans la fixation du régime définitif des licences; adoption tardive d'une mesure intérimaire; régularisation ultérieure par un autre règlement — s'est répétée cette année. Le 15 février dernier, constatant que les consultations entre la Communauté et l'Espagne n'étaient achevées que le 26 janvier, le Conseil a adopté le règlement no 379/82 «pour permettre une rapide reprise des activités de pêche» (troisième considérant) et a
autorisé les captures par les navires de pêche espagnols dans la zone de pêche communautaire du 15 février au 30 avril 1982. Cela impliquait qu'à partir du 1er janvier jusqu'au 15 février 1982, les activités de ces navires de pêche dans les eaux de la Communauté étaient restées paralysées. Puis, le 29 avril, le Conseil a exécuté, par le règlement no 1041/82, les engagements pris au cours de ces consultations avec l'Espagne, en autorisant l'exercice de la pêche par les navires espagnols (toujours
sous le régime des licences) pour l'année 1982; mais l'année a été réduite des 45 premiers jours, parce que l'autorisation des captures se réfère à la période du 15 février au 31 décembre 1982 (article 1). D'autre part, il est tenu compte du fait que les navires intéressés «pêcheront seulement pendant une partie de l'année 1982» (troisième considérant) et, en conséquence, le nombre des licences est resté proportionné à une année solaire entière. Cette réglementation récente confirme donc que,
dans les périodes au cours desquelles des mesures communautaires de conservation et de gestion des ressources de pêche ne sont pas en vigueur, les navires espagnols ne sont pas autorisés à pêcher dans les eaux de la CEE.

5.  Aux considération déduites du contexte de l'accord de pèche conclu entre la Communauté et l'Espagne, et de la manière dont celui-ci est appliqué, s'ajoutent les arguments que l'on peut tirer du droit international général. Nous savons que l'accord a été conclu après l'extension à 200 milles nautiques des zones de pêche des États membres dans les eaux de l'Atlantique et de la mer du Nord (intervenue le 1er janvier 1977) et l'extension analogue de la zone économique de l'Espagne (à partir du 15
mars 1978). Nous savons, en outre, que les décisions communautaire et espagnole se sont conformées à l'orientation prise par le nouveau droit de la mer au cours des années soixante-dix et qui s'est manifestée avec clarté à l'occasion de la troisième Conférence des Nations unies sur le droit de la mer: conférence au cours de laquelle la reconnaissance de la zone économique de 200 milles a constitué un des points d'accord entre les États participants. Dans son préambule, l'accord conclu entre la
Communauté économique européenne et l'Espagne affirme avoir tenu compte des travaux de la Conférence et souligne que l'extension par les États riverains des zones de ressources biologiques soumises à leur juridiction doit «respecter les principes du droit international». Les différentes clauses de cet accord doivent donc être interprétées dans le cadre de ces principes.

Or, il n'est pas douteux que la soumission à la «juridiction» de l'Eut riverain de la zone maritime comprise entre 12 et 200 milles, en ce qui concerne l'exploitation des ressources économiques et en particulier la pêche, implique le droit de cet État d'exclure les pêcheurs des autres pays et est incompatible avec la prétendue liberté de ces derniers à accéder à la zone maritime précitée lorsqu'il n'existe pas d'accord international qui les y autorise ou une autorisation spécifique des autorités
de l'Eut riverain. En substance, le régime qui s'est toujours appliqué dans les eaux territoriales des États couvre aujourd'hui également la zone économique (qualifiée à juste titre d'«exclusive»), dans les limites, toutefois, de l'exploitation de ses ressources. L'accord entre la Communauté et l'Espagne fixe donc le régime de la pêche dans les «zones de pêche relevant de la juridiction» de chaque partie, sans faire de distinction entre les eaux territoriales et la zone économique; et le
préambule parle d'exercice des «droits souverains d'exploration, d'exploitation, de conservation et de gestion»des ressources situées dans la zone des 200 milles au large des cotes, toujours sans distinguer entre les deux zones maritimes en lesquelles ces 200 milles se divisent juridiquement.

Il est vrai que le projet de convention sur le droit de la mer issu de la troisième conférence des Nations unies qui vient de s'achever, prévoit que chaque Eut riverain doit rendre disponibles pour les autres États les captures excédant sa propre capacité de pèche dans les limites qu'autorise la conservation des ressources de pêche (article 62, paragraphe 2). Mais il résulte de la même disposition que la détermination du volume global des captures admises et de la capacité de pêche de l'État
riverain relève de ce même État (dans notre cas, la Communauté) et qu'en tout cas, l'accès des pêcheurs des États tiers est subordonné à un accord. En outre, dans la partie relative aux procédures de règlement des litiges sur l'interprétation et l'application de la convention, le projet confirme (à l'article 297, paragraphe 3) la nature souveraine des droits sur les ressources biologiques de la zone économique, et le pouvoir discrétionnaire qui en découle pour l'Eut riverain de fixer le volume
des captures, sa capacité de pêche et la répartition des excédents entre les autres États; et le projet pousse la protection de ce pouvoir discrétionnaire jusqu'au point de stipuler que, pour les litiges relatifs à ces droits souverains, les États ne sont pas tenus de se soumettre aux procédures judiciaires prévues à la section 2 (article 286 et suivants).

6.  L'eut du droit international général justifie en définitive la même conclusion qui ressort déjà de l'analyse de l'accord de pêche entre la Communauté économique européenne et l'Espagne: en l'absence d'un système d'autorisations accordées par la Communauté, il est interdit aux pêcheurs étrangers de pénétrer dans la zone des 200 milles au large des côtes atlantiques des États membres. Cela explique pourquoi, dans les périodes pendant lesquelles les consulutions entre la Communauté et l'Espagne sur
le régime de pêche dans cette zone se sont prolongées au-delà de l'expiration du régime précédent, la Communauté a cherché à limiter les préjudices subis par les navires espagnols en arrêtant des mesures intérimaires comme celles qui ont fait l'objet des règlements précités nos 3305/80, 554/81, 379/82. Cela permet, en outre, de constater la nature déclarative de l'article 10, paragraphe 3, du règlement précité no 1569/81, aux termes duquel «aucune licence n'est valable pendant la période
s'étendant du 1er février au 3 mars 1981. Toute activité de pêche exercée par des navires battant pavillon de l'Espagne dans la zone visée à l'article 1 est interdite pendant cette période». En d'autres termes, cette disposition — contrairement à ce que les avocats des parties privées ont soutenu — a non pas introduit une interdiction rétroactive, mais confirmé ce qui représentait la conséquence juridique nécessaire de l'existence de la zone de pêche exclusive soumise à la réglemenution
communauuire et de l'absence d'un mécanisme d'autorisation pour la période précitée.

C'est également à la lumière du droit international général et de l'accord de pêche entre la Communauté et l'Espagne qu'il y a lieu de rejeter l'idée de la survie de «droits historiques» des pêcheurs espagnols ou de leur reviviscence dans les périodes d'absence de règles communautaires. Dans le régime juridique actuel de la mer, il semble qu'il n'y ait aucune place pour la reconnaissance d'une postion particulière au profit des pêcheurs qui fréquentent traditionnellement certaines zones de
pèche. Il a été rappelé que l'article 3 de l'accord entre la Communauté économique européenne et l'Espagne oblige les parties de tenir compte, dans la détermination des possibilités de pêche de chaque partie dans les eaux contrôlées par l'autre, «de l'intérêt de préserver les caractéristiques traditionnelles des activités de pêche dans les zones côtières frontalières». Mais on ne peut certainement pas déduire de ce passage le droit de l'un ou l'autre État contractant de voir garantir à son
bénéfice l'exercice de la pèche dans ces zones au titre de la tradition. L'article 3 se borne, dans l'alinéa dont il s'agit, à indiquer les facteurs que l'Espagne et la Communauté devront prendre en considération lorsqu'elles exerceront, chaque année, le pouvoir appartenant à l'une et à l'autre de fixer le volume des captures allouées aux navires de pèche de l'autre partie. En somme, il est entendu que la détermination périodique de ce volume est une prérogative de chaque État à l'égard de sa
propre zone de pêche (dans notre cas, de la Communauté à la place de ses membres), tant en vertu du projet de convention sur le droit de la mer arrêté par les Nations unies qu'aux termes de l'accord conclu entre la Communauté et l'Espagne; avec la conséquence que la sauvegarde des activités de pêche traditionnelles s'est limitée à être l'un des intérêts à prendre en considération aux fins de la décision (probablement également au cours de la consultation bilatérale préalable que l'accord de
pêche précité prévoit).

Il faut enfin observer que l'on pourrait peut-être parler d'une reviviscence des «droits historiques» des pêcheurs espagnols sur la base de l'accord franco-espagnol sur la pèche de 1967 si l'on supposait que, pendant une période où des règles communautaires sur les licences de pêche feraient défaut, la réglementation appliquée en France avant le mois de janvier 1977 redeviendrait applicable. Mais cette hypothèse n'a pas de sens. Il est évident que l'accord entre la Communauté et l'Espagne, dès
lors où il est provisoirement applicable — c'est-à-dire à partir de la date de sa signature —, prévaut dans les États membres sur d'éventuels accords antérieurs incompatibles, que des règlements communautaires sur les licences de pêche soient ou non en vigueur. Sur un plan plus général, nous estimons que, puisque la Communauté a commencé à exercer en 1977 sa compétence en matière de pêche également sous l'angle du régime des captures faites dans la zone atlantique des 200 milles, cette
compétence n'est pas « restituée» aux États membres par le seul fait que l'on ait négligé d'assurer la continuité du régime des licences. En réalité, l'absence d'une détermination, pendant un certain temps, du volume des captures allouées à l'Espagne, avec l'interruption du régime des licences qui en résulte, est elle-même un choix de politique communautaire, parce qu'elle interdit aux navires espagnols la zone de pêche de la Communauté économique européenne: un phénomène qui est appelé à se
vérifier à chaque fois que des mesures d'autorisation ne sont pas prises en temps utile, eu égard au caractère exclusif de la zone de pèche précitée. Au reste, tout cela était déjà inhérent à la résolution de La Haye du 3 décembre 1976 relative à l'extension à 200 milles des eaux relevant de la juridiction de la Communauté; dans cette

résolution, le Conseil européen avait établi que l'exploitation des ressources de pêche de ces eaux par des pays tiers aurait eu lieu sur la base d'accords communautaires avec ces pays et, partant, logiquement dans les limites fixées par ces accords et inhérentes à leur mécanisme d'application.

7.  Pour les raisons qui précèdent, nous concluons en proposant à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le tribunal de grande instance de Bayonne par les jugements du 23 avril et du 21 mai 1981 rendus dans les affaires 137, 138, 139 et 140/81:

a) L'examen des règlements du Conseil fixant certaines mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche applicables aux navires battant pavillon de l'Espagne, ne fait apparaître aucun motif d'invalidité.

b) Lesdits règlements sont donc opposables aux ressortissants espagnols.

Au cas où la Cour estimerait devoir se prononcer sur l'interruption du régime des licences de pêche entre le 1er février et le 3 mars 1981, nous proposons qu'elle déclare à cet égard:

Au cours de la période d'interruption du système d'octroi des licences aux pêcheurs espagnols qui s'est produite entre le 1er février et le 3 mars 1981, toute activité de pêche leur était interdite dans les eaux territoriales des États membres et dans les zones économiques exclusives respectives soumises au régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 137
Date de la décision : 27/05/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Bayonne - France.

Pêche: droits des pays tiers.

Affaires jointes 138 et 139/81.

Directeur des affaires maritimes du littoral du Sud-Ouest et Procureur de la République contre Alfonso Campandeguy Sagarzazu ; Administrateur des affaires maritimes à Bayonne et Procureur de la République contre Antonio Echevarria Sagasti.

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Bayonne - France.

Pêche: droits des pays tiers.

Environnement

Agriculture et Pêche

Relations extérieures

Politique de la pêche


Parties
Demandeurs : Directeur des affaires maritimes du littoral du Sud-Ouest et Procureur de la République
Défendeurs : Javier Marticorena-Otazo et Manuel Prego Parada.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Koopmans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:207

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