CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL
SIMONE ROZÈS,
PRÉSENTÉES LE 5 MAI 1982
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
La présente affaire a pour origine une demande de décision présentée à titre préjudiciel par le Bundesfinanzhof, qui concerne, comme l'affaire Polydor que vous avez jugée très récemment (arrêt du 9.2.1982), l'interprétation d'une disposition de l'accord signé le 22 juillet 1972 à Bruxelles entre la Communauté économique européenne et la République portugaise, conclu et approuvé au nom de la Communauté par règlement no 2844/72 du Conseil du 19 décembre 1972.
Les faits sont les suivants:
La partie demanderesse au principal, la société en commandite par actions Christian Adalbert Kupferberg & Cie à Mayence, a fait dédouaner et mettre en libre pratique en république fédérale d'Allemagne, en août 1976, des vins de Porto en provenance du Portugal.
Ce produit est fabriqué en arrêtant la fermentation du produit de base qui est le vin, la teneur finale en alcool étant atteinte par addition de produits de la distillation du vin. Conformément à la définition figurant à l'article 2 du règlement 948/70 du Conseil du 26 mai 1970, le vin de Porto relève des «vins de liqueur» au sens de la Branntweinmonopolgesetz (loi allemande sur le monopole des alcools). Aux termes des articles 151 et 152 de cette loi, l'importation de vins de liqueur donne lieu à
la perception d'un droit compensatoire de monopole («Monopolausgleich») pour la teneur en alcool supérieure à 14 % en volume, ce droit correspondant respectivement, ainsi que des procédures antérieures vous l'ont appris, à la taxe sur l'alcool ou à la surtaxe sur l'alcool («Branntweinaufschlag»).
Conformément à ces dispositions, le Hauptzollamt a perçu pour la teneur en alcool des vins de Porto supérieure à 14 % en volume un droit compensatoire de 18103,80 DM, selon le taux de 1650 DM/hl d'esprit-de-vin en vigueur à l'époque.
Sur recours de la société Kupferberg, le Finanzgericht de Rhénanie-Palatinat a modifié la décision d'imposition et a ramené le droit compensatoire de monopole à 16303,80 DM. A cet effet, le Finanzgericht a tenu compte du fait que, pour l'eau-de-vie de fruits utilisée pour la fabrication de vins de liqueur nationaux, il y avait lieu de diminuer la surtaxe sur l'alcool de 21 %, conformément à l'article 79, paragraphe 2, de la Branniweinmonopolgesetz, dans la mesure ou cette eau-de-vie est produite par
des distilleries de coopératives fruitières qui ont également le droit de transformer le vin. La question de savoir si, à la date d'importation, les distilleries de coopératives fruitières nationales ont effectivement fabriqué des produits de distillation du vin est sans importance, selon le Finanzgericht, étant donné qu'en tout état de cause la Branntweinmonopolgesetz prévoit cette possibilité, ce qui entraine une discrimination légale des produits d'esprit-de-vin similaires importés.
Sur recours en «Revision» du Hauptzollamt, partie défenderesse, le Bundesfinanzhof a sursis à statuer par ordonnance du 24 mars 1981. Conformément à l'article 177 du traité CEE, il vous pose la question de savoir si l'interdiction de discrimination figurant à l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal est une disposition directement applicable, dont la requérante peut se prévaloir. Le Bundesfinanzhof estime qu'en cas de réponse affirmative se poserait la question supplémentaire de
savoir si cette disposition a le même contenu que l'article 95 du traité CEE et si elle s'applique à l'importation de vins de Porto.
Ce n'est qu'en cas de réponse affirmative à ces questions que le Bundesfinanzhof souhaite savoir si l'article 95 du traité CEE ou l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—Portugal s'applique, alors mème que l'on ne se trouve en présence que d'une discrimination potentielle, c'est-à-dire lorsqu'il existe, d'un point de vue strictement juridique, une possibilité de discrimination, mais que celle-ci est exclue en fait parce que les produits nationaux à comparer sont frappés, sans exception, de la
même imposition que les produits importés. Partant du fait que le régime fiscal allemand établit une distinction supplémentaire entre, d'une part, les vins alcoolisés et, d'autre part, les vins dont la teneur en alcool élevée provient de la fermentation naturelle, le Bundesfinanzhof vous demande si, au regard de la comparaison d'imposition à laquelle il y a lieu de procéder au titre de l'article 95 du traité, le vin de Porto est non seulement similaire aux vins de liqueur nationaux, mais doit
également être comparé aux vins dont le degré provient de la fermentation naturelle.
I —
Pour des raisons de logique, la septième chambre du Bundesfinanzhof pose à juste titre tout d'abord la question de savoir si l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—Portugal est directement applicable en ce sens que les opérateurs économiques peuvent se prévaloir, devant les juridictions nationales, de cette disposition, rédigée comme suit:
« Les parties contractantes s'abstiennent de toute mesure ou pratique de nature fiscale interne établissant directement ou indirectement une discrimination entre les produits d'une panie contractante et les produits similaires originaires de l'autre partie contractante.»
Ainsi que vous le savez, dans l'affaire Polydor, la London Court of Appeal avait déjà posé la question de l'effet direct d'une disposition de l'accord CEE—Portugal; il s'agissait, dans cette affaire, de l'obligation, prévue à l'article 14, paragraphe 2, de supprimer les restrictions quantitatives à l'importation. Dans votre arrêt du 9 février 1982, vous n'avez pas expressément abordé ce problème compte tenu de la réponse donnée aux questions posées par ailleurs. Mais, dans le présent cas d'espèce,
suivant en cela les gouvernements du Danemark, de la république fédérale d'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni ainsi que la Commission, nous sommes d'avis qu'il est difficile de ne pas prendre position sur la question de savoir si l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—Portugal confère des droits qui peuvent étre invoqués devant les juridictions nationales.
Comme nous avons déjà pris position à cet égard dans nos conclusions dans l'affaire Polydor, nous nous contenterons de rappeler les principales raisons qui sont de nature à entraîner, selon nous, une réponse négative à cette question.
Tout d'abord, on ne peut rien déduire de la forme de l'acte juridique par lequel le Conseil a conclu et approuvé l'accord au nom de la Communauté quant à l'effet des différentes dispositions de cet accord.
De même, ainsi que la juridiction de renvoi le souligne à juste titre, les arrêts rendus jusqu'ici par la Cour de justice, relatifs à l'effet direct d'accords conclus entre la Communauté et des pays tiers, ne sont pas concluants. C'est ainsi que vous avez reconnu un tel effet direct à différentes dispositions de l'accord de Yaoundé de 1973 parce que cet accord ne reposait pas sur la réciprocité, mais entendait conférer des avantages particuliers à certains États africains et à Madagascar. En
revanche, il n'est pas possible de parler d'une telle dissymétrie au sujet de l'accord CEE—Portugal qui repose sur le principe de la stricte égalité.
Dans l'affaire Haegeman (181/73, arrêt du 30.4.1974, Recueil p. 449), vous avez clairement affirmé que l'accord d'association conclu entre la Communauté et la Grèce faisait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire et vous avez donc reconnu un effet direct à cenaines dispositions de cet accord. Dans nos conclusions dans l'affaire Pabst & Richarz, nous avons donc également considéré que l'article 53, paragraphe 1, de l'accord CEE—Grèce produisait un tel effet compte tenu tant des objectifs
et du contenu de l'accord d'association que du libellé de cette disposition, comparable à celui de l'article 95, alinéa 1. Mais, dans la présente affaire, d'une pan, l'accord de libre-échange avec le Portugal est plus limité dans ses objectifs et son contenu que l'accord d'association; d'autre pan, le libellé de l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal diffère sensiblement, ainsi que nous le verrons, des dispositions correspondantes de l'anicle 95, premier alinéa, du traité.
Enfin, et contrairement à ce qu'estime la partie demanderesse au principal, on ne peut pas non plus invoquer votre arrêt du 13 mars 1979 dans l'affaire Hansen (91/78, Recueil p. 935). La disposition qui y est interprétée, à savoir l'article 5, paragraphe 1, de la décision 70/549 du 29 septembre 1970, est certes presque identique à l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—Portugal, mais elle fait partie intégrante d'un acte juridique unilatéral par lequel la Communauté a décidé d'accorder
certains avantages aux pays et territoires d'outremer associés qui y sont cités. On retrouve également dans cette décision la dissymétrie que nous avons mentionnée et qui seule permet de justifier la reconnaissance d'un effet direct.
En revanche, dans votre arrêt International Fruit Company du 12 décembre 1972 (affaires jointes 21 à 24/72, Recueil p. 1219), vous n'avez pas reconnu l'applicabilité directe à l'article XI du GATT — qui concerne la suppression des restrictions quantitatives — parce que les dispositions du GATT, expressément adressées aux États en tant que «parties contractantes», sont caractérisées par une grande souplesse.
Selon nous, il en va de même pour l'accord CEE—Portugal: ses dispositions — tout comme celles du GATT — sont moins rigides que celles du traité CEE; il contient une série de clauses dérogatoires d'une grande portée et, enfin, il peut étre dénoncé, la dénonciation prenant effet dans un délai d'un an à compter de sa notification (article 37). En ce qui concerne les différences de contenu, de structure et de finalités qui existent entre le traité CEE et l'accord CEE— Portugal, nous nous permettons de
nous référer à nos développements dans les conclusions dans l'affaire Polydor. Il nous parait particulièrement significatif à cet égard que l'accord CEE—Portugal — tout comme les autres accords de libre-échange — ne prévoit aucune instance de nature juridictionnelle pour régler les litiges, mais renvoie uniquement à la procédure politique du «comité mixte» (articles 32 et suivants). Or, reconnaître un effet direct à une disposition de cet accord sans la garantie qu'un particulier puisse invoquer
cette méme disposition au Portugal dans les mémes conditions et avec les mêmes conséquences en matière de protection juridique aboutirait, du fait de l'absence de réciprocité, à désavantager la Communauté, ce qui ne correspond pas à la volonté des parties contractantes telle qu'on peut la discerner.
Dans votre arrêt du 9 février 1982 dans l'affaire Polydor, vous avez clairement mis en évidence les finalités différentes de l'accord CEE—Portugal, lequel «vise à une libéralisation des échanges de marchandises entre la Communauté et le Portugal», et du traité CEE qui «vise à la formation d'un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d'un marché intérieur». A cette occasion, vous avez souligné qu'une distinction s'imposait d'autant plus «que les instruments dont
dispose la Communauté pour parvenir, à l'intérieur du marché commun, à l'application uniforme du droit communautaire et à l'abolition progressive des disparités législatives, ne trouvent pas d'équivalent dans le cadre des relations entre la Communauté et le Portugal». En conséquence, vous avez jugé qu'en dépit de la similitude des termes des articles 14, paragraphe 2, et 23 de l'accord CEE— Portugal d'une part, et des articles 30 et 36 du traité d'autre part, il n'existait pas de raison suffisante
pour transposer au système de l'accord CEE—Portugal la jurisprudence relative à ces dernières dispositions.
Il ne peut en aller autrement pour ce qui est de la comparaison entre l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal et l'article 95 du traité. Par une jurisprudence constante depuis l'arrêt Lütticke du 16 juin 1966 (affaire 57/65, Recueil p. 293), la Cour de justice a reconnu un effet direct à l'article 95 du traité, bien que, d'après son libellé, cette disposition ne s'adresse elle aussi qu'aux États membres. Cet arrêt souligne explicitement que ce régime de l'article 95, premier alinéa,
aux termes duquel les produits importés d'autres États membres ne peuvent pas être frappés d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires, a pour but d'assurer l'égalité des ressortissants de la Communauté à l'égard des législations nationales et qu'elle constitue à cet égard, en matière fiscale, «le fondement indispensable du marché commun». Il ressort de cette constatation que la portée de cette jurisprudence doit être appréciée en ayant à l'esprit
les objectifs et l'action de la Communauté tels qu'ils sont définis aux articles 2 et 3 du traité. Elle tient compte notamment du fait que, ainsi que vous l'avez déjà constaté dans l'affaire Costa/Enel (6/64, arrêt du 15.7.1964, Recueil p. 1158), «à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions».
Ainsi que nous l'avons montré, cette conception ne peut être transposée à l'accord avec le Portugal qui diffère, dans son objectif et son essence, du traité CEE et qui vise uniquement à créer une zone de libre-échange entre les parties contractantes.
II —
Nous en venons ainsi à la deuxième question posée par le Bundesfinanzhof, celle de savoir si l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal contient une interdiction de discrimination correspondant à l'article 95, premier alinéa, du traité. Du fait de la réponse négative apportée à la première question, la deuxième ne doit être examinée qu'à titre subsidiaire, mais sa réponse fournit un nouvel argument à l'encontre de l'effet direct de l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—
Portugal.
1) Depuis l'arrêt Lütticke, vous avez reconnu, par une jurisprudence constante, que l'article 95, premier alinéa, contient une interdiction de discrimination qui fonde une obligation claire et inconditionnelle qui n'est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte des institutions communautaires ou des États membres et qui est en conséquence susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les États membres et leurs justiciables. En
outre, dans l'arrêt rendu dans l'affaire Fink-Fruit du 4 avril 1968 (27/67, Recueil p. 327), vous avez également reconnu un tel effet à l'article 95, alinéa 2, du traité qui «énonce une interdiction pure et simple de protection qui constitue le complément nécessaire de la prohibition énoncée à l'alinéa 1». A cet égard, vous avez explicitement souligné que cette disposition comportait certes des éléments relevant de l'appréciation de faits économiques, mais que cette circonstance n'excluait pas le
droit et l'obligation du juge national d'assurer le respect des règles du traité. Enfin, dans les arrêts rendus le 27 février 1980 dans les affaires 168/78 (Commission/République française, Recueil p. 347), 169/78 (Commission/République italienne, Recueil p. 385) et 171/78 (Commission/royaume du Danemark, Recueil p. 447), qui concernaient le caractère comparable de l'imposition fiscale frappant des boissons spiritueuses, vous avez laissé en suspens, en raison des difficultés existant au regard
des critères matériels de différenciation, la question de savoir si les boissons concernées étaient ou non, en totalité ou en partie, des produits similaires au sens de l'article 95, premier alinéa; vous avez constaté que les boissons importées se trouvaient dans un rapport de concurrence à tout le moins partiel avec les produits nationaux concernés et qu'il y avait donc lieu de reconnaître l'existence d'une violation de l'article 95, alinéa 2.
Dans une autre série d'arrêts (notamment du 17.2.1976, Rewe-Zentrale, Recueil p. 181, du 22.6.1976, Bobie, Recueil p. 1079, et du 10.10.1978, Hansen & Balle, Recueil p. 1787), vous avez reconnu l'existence d'une violation de l'article 95, premier alinéa, dès lors que les système fiscal national accordait aux produits nationaux, dans certains cas, des avantages dont le produit importé ne pouvait bénéficier.
Cette jurisprudence s'explique par le but de l'article 95 qui, ainsi que la Cour de justice l'a confirmé dans l'affaire 168/78, est de «garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés».
2) Or, si l'on compare l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal à l'article 95 du traité CEE à la lumière de cette jurisprudence, il faut tout d'abord constater que l'accord CEE—Portugal n'entend pas instaurer un espace «parfaitement neutre au regard de la concurrence» dans le cadre d'une économie intégrée. En conséquence, une disposition de cet accord relative aux discriminations fiscales ne peut non plus être interprétée comme visant un tel but, quand bien même elle serait rédigée
dans les mêmes termes que l'article 95 du traité CEE ou dans des termes analogues. Compte tenu de la finalité plus limitée de cet accord, lorsqu'on se trouve en présence d'une telle clause de nondiscrimination, le seul point important est de savoir si les mesures fiscales exercent effectivement un effet protectionniste en ce qui concerne l'importation de marchandises, risquant ainsi de menacer la suppression des obstacles aux échanges.
Une telle interprétation correspond aux interdictions de discrimination prévues à l'article III, paragraphe 2, du GATT et à l'article 6 de l'accord AELE de 1959 (convention de Stockholm), qui prennent en compte l'effet protectionniste du régime fiscal.
Lorsque l'on examine la question de savoir si un tel effet protectionniste existe, il subsiste une importante marge d'appréciation qui suppose nécessairement le recours à des considérations de politique économique et fiscale. Or, reconnaître un effet direct à l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal permettrait à des décisions juridictionnelles de préjuger des décisions du comité mixte. Le processus de décision politique voulu par les parties contractantes serait dans ce cas
transposé au plan judiciaire, et des décisions différentes rendues par des juridictions nationales pourraient alors donner naissance à des déséquilibres en matière d'exécution de l'accord, ce qui ne serait pas compatible non plus avec le caractère de réciprocité de l'accord CEE—Portugal.
Même si l'on voulait soutenir l'opinion que l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—Portugal ne retient pas le critère de l'effet protectionniste des mesures fiscales et que cette disposition a un contenu identique à celui de l'article 95, premier alinéa, du traité CEE, il convient d'émettre les mêmes réserves, car, ainsi que le montre la jurisprudence relative à l'article 95, premier alinéa, du traité CEE, la notion de similarité comporte elle aussi une marge d'appréciation importante, ce
qui aboutit à ne pas reconnaître un effet direct à l'interdiction de discrimination fiscale de l'accord CEE—Portugal au sens de votre jurisprudence.
3) Si des dispositions rédigées dans les mêmes termes dans différents accords internationaux ne doivent pas nécessairement avoir la même signification, cela vaut a fortiori pour des dispositions qui, comme c'est le cas en l'espèce, présentent dans leur formulation des différences importantes. L'article 95, premier alinéa, du traité CEE vise l'égalité des impositions fiscales, alors que l'article 21 de l'accord CEE—Portugal concerne les «mesures et pratiques de nature fiscale interne» qui établissent
une «discrimination». L'accent mis sur ce dernier point indique en tout cas que les parties contractantes ont entendu attacher une importance plus grande que dans le cas de l'article 95, premier alinéa, du traité CEE à l'effet économique de la discrimination effective, au lieu de retenir la seule différence dans les impositions.
Par rapport au traité CEE, on remarque en outre qu'en renonçant à une disposition équivalant à l'article 95, alinéa 2, les parties contractantes ont manifestement entendu adopter, par l'interdiction de discrimination figurant dans l'accord CEE—Portugal, une solution de moindre portée. Par suite, la circonstance que l'article 21, premier alinéa, de cet accord se limite aux marchandises similaires revêt nécessairement une importance plus grande que ce n'est le cas pour l'article 95 pour lequel on
peut recourir, si nécessaire, à la disposition générale de l'alinéa 2.
4) Enfin, la genèse, décrite en détail par la Commission, de l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal montre que, compte tenu de la finalité plus limitée de l'accord de libre-échange, les parties contractantes ont entendu conférer à cette disposition une portée plus limitée qu'à l'interdiction de discrimination correspondante prévue à l'article 95, premier alinéa, du traité CEE.
III —
Compte tenu de ces observations, il ne devrait plus être nécessaire d'aborder les autres questions. Nous ferons cependant, à titre purement subsidiaire, les remarques suivantes à leur sujet.
1) La juridiction de renvoi vous demande si, compte tenu des modalités particulières du protocole no 8 annexé à l'accord, l'article 21, premier alinéa, de celui-ci s'applique à l'importation de vins de Porto.
La réponse à cette question résulte de l'article 2 de l'accord qui fixe de manière générale le champ d'application matériel de ce dernier. Aux termes de cette disposition, l'accord s'applique entre autres aux produits figurant aux protocoles nos 2 et 8 — produits agricoles et produits transformés — «compte tenu des modalités particulières prévues dans ces derniers». Mais l'interdiction de discrimination fiscale prévue à l'article 21, premier alinéa, de l'accord n'est pas affectée par les
modalités particulières relatives à la réduction des droits à l'importation fixées aux protocoles nos 2 et 8, ce qui a pour conséquence que les produits figurant au protocole no 8 doivent relever des dispositions générales de l'accord. Pour le reste, ce protocole ne préjuge pas de la portée qu'il convient d'attribuer à l'article 21, premier alinéa.
2) La juridiction de renvoi souhaite ensuite savoir si les marchandises importées doivent également bénéficier, conformément à l'article 95 du traité ou à l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE—Portugal, des avantages en matière d'imposition, en d'autres termes, si les avantages que la Branntweinmonopolgesetz allemande ouvre théoriquement aux produits nationaux doivent également être accordés aux produits importés similaires. A cet égard, nous sommes d'accord avec le Bundesfinanzhof pour
estimer que l'on peut déjà déduire des termes de l'article 95 du traité CEE ainsi que de votre jurisprudence — voir en particulier les arrêts rendus dans les affaires 45/75, 148/77, 26/80 (arrêt du 30.10.1980, Firma Schneider-Import GmbH & Co. KG/Hauptzollamt de Mavence, Recueil 1980, p. 3469) et 153/80 (arrêt du 7.5.1981, Rumhaus Hansen GmbH & Co. /Hauptzollamt de Flensbourg, Recueil 1981, p. 1165) — que ce n'est qu'à l'aide d'une comparaison concrète des impositions qu'il est possible de
trancher la question de savoir s'il existe ou non une discrimination fiscale au sens de cette disposition. Des avantages potentiels en matière d'imposition pour les produits nationaux similaires, qu'une loi nationale ouvre certes en théorie mais qui ne sont pas réalisables concrètement, ne doivent donc pas entrer en ligne de compter du seul fait de cette disposition.
Cela est vrai en particulier de l'article 21, premier alinéa, de l'accord CEE— Portugal, dont la portée, ainsi que nous l'avons montré, est réduite et qui tend seulement à empêcher l'octroi d'avantages protectionnistes aux produits nationaux. En conséquence, dans le cadre de cette disposition, il convient uniquement de vérifier si un avantage fiscal défavorise effectivement l'importation de produits comparables, ce qui ne peut être constaté qu'en examinant le volume effectif de la production
nationale favorisée et l'étendue des répercussions qui en découlent au regard de la concurrence. Or, ainsi que nous le savons à partir du dossier, le traitement de faveur des «vins de liqueur» produits dans la Communauté par rapport aux vins de Porto — à supposer que ces produits soient comparables — résultant de la possibilité de fabriquer ces vins de liqueur en utilisant de l'alcool bénéficiant d'exonération, est purement théorique, car le produit national qu'il y a lieu de comparer est frappé
concrètement et pratiquement de la même imposition que le produit importé, ce qui entraine l'absence de discrimination.
3) Enfin, il convient également de répondre par la négative à la dernière question qui porte sur le point de savoir si l'interdiction de discrimination prevue à l'article 21 de l'accord CEE—Portugal exclut une différenciation en fonction de la composition des produits. Le Bundesfinanzhof pose cette question eu égard au fait que le législateur allemand établit une distinction entre, d'une part, l'imposition frappant les vins alcoolisés, dont font partie les vins de liqueur et les vins de Porto, et,
d'autre part, l'imposition de vins qui ont une teneur en alcool relativement élevée, mais dont la teneur en alcool provient de la fermentation naturelle.
Or, ainsi que vous l'avez dit pour droit dans l'affaire Bobie (Recueil 1976, p. 1079) en ce qui concerne l'article 95 du traité CEE, cette disposition ne restreint pas la liberté des États membres d'établir le système de taxation qu'ils jugent le plus approprié par rapport à chaque produit. En outre, dans les affaires Schneider-Import (Recueil 1980, p. 3469), Rumhaus Hansen (Recueil 1981, p. 1165) et dans les affaires Chemial Farmaceutici (140/79, arrêt du 14.1.1981, Recueil 1981, p. 1) et Vinal
(46/80, arrêt du 14.1.1981, Recueil 1981, p. 77), vous avez clairement affirmé qu'une taxation différenciée frappant des produits pouvant avoir la mėme utilisation et pouvant être employés aux mêmes fins n'est pas en elle-même discriminatoire au sens de l'article 95 du traité CEE si la différence de traitement repose sur des critères légitimes, objectivement justifiés, tels que la différence de nature des matières premières ou du procédé de production utilisés. Cette considération doit
s'appliquer a fortiori dans le cadre de l'article 21 de l'accord CEE— Portugal. Comme le Bundesfinanzhof le constate à juste titre, compte tenu de ces critères, le traitement fiscal différencié des vins alcoolisés, d'une part, et des vins normaux, d'autre part, n'appelle aucune réserve.
IV —
En réponse aux questions posées, nous concluons à ce que vous disiez pour droit que l'article 21, premier alinéa, de l'accord du 12 juillet 1972 entre la Communauté économique européenne et la République portugaise — dont la portée est moindre que celle de l'article 95, premier alinéa, du traité CEE — n'est pas directement applicable dans l'ordre juridique communautaire et ne confère aux particuliers aucun droit qu'ils puissent invoquer devant les juridictions nationales.