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25/03/1982 | CJUE | N°126/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 25 mars 1982., Wünsche Handelsgesellschaft contre République fédérale d'Allemagne., 25/03/1982, 126/81


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 25 MARS 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis par le Bundesverwaltungsgericht d'une demande de décision préjudicielle tendant à déterminer si la Commission était en droit de maintenir, pendant le second semestre 1976, les mesures de sauvegarde qu'elle avait prises en 1974 à l'égard de l'importation de conserves de champignons de couche originaires des pays tiers, ou si, ce faisant, elle a violé les règles d'habilitation arrêtées par le Conseil.r>
I — Les faits sont les suivants: ...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 25 MARS 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis par le Bundesverwaltungsgericht d'une demande de décision préjudicielle tendant à déterminer si la Commission était en droit de maintenir, pendant le second semestre 1976, les mesures de sauvegarde qu'elle avait prises en 1974 à l'égard de l'importation de conserves de champignons de couche originaires des pays tiers, ou si, ce faisant, elle a violé les règles d'habilitation arrêtées par le Conseil.

I — Les faits sont les suivants:

La société Wünsche, requérante, entreprise spécialisée dans le commerce d'importation, commercialise notamment des conserves de champignons de couche en provenance de pays tiers. En l'espèce, le 15 juillet 1976, la république fédérale d'Allemagne, se basant sur les mesures de sauvegarde arrêtées par la Commission, lui a refusé l'autorisation, sollicitée le 9 juillet 1976, d'importer 1000 tonnes de conserves de champignons originaires de T'ai-wan. La société Wünsche a formé une réclamation qui a
été rejetée; elle a alors intenté un recours devant le Verwaltungsgericht de Francfort. Cependant, lors de la suppression des mesures de sauvegarde, elle a obtenu le titre d'importation nécessaire. Elle a néanmoins maintenu son recours au motif que la république fédérale d'Allemagne était tenue de faire droit à sa demande du 9 juillet 1976 puisque, à son avis, les conditions ayant conduit à l'adoption des mesures de sauvegarde précitées n'étaient plus réunies. Elle a fondé son intérêt à agir sur
l'existence d'un risque de répétition.

Son recours ayant été rejeté, elle a saisi directement le Bundesverwaltungsgericht qui a confirmé le jugement du juge de première instance sur le plan de la recevabilité. Au fond, à la suite d'une analyse détaillée de la réglementation communautaire, il a fait part de ses doutes sur le point de savoir si le maintien en vigueur du règlement no 2107/74 de la Commission du 8 août 1974 au-delà du deuxième trimestre 1976 pouvait encore se justifier.

En raison de la complexité des réglementations s'appliquant aux faits, il nous paraît utile d'en faire une rapide présentation avant d'aborder la discussion.

1) L'organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes est régie par le règlement no 865/68 du Conseil du 28 juin 1968, dont l'article 7 lui donne compétence pour édicter les règles relatives au régime des échanges avec les pays tiers.

a) En application de ces dispositions, le Conseil a adopté le règlement no 1927/75 du 22 juillet 1975, dont l'article 7, paragraphe 1, prévoit la possibilité de prendre des mesures appropriées «si, dans la Communauté, le marché» d'un certain nombre de produits transformés à base de fruits et de légumes, dont les conserves de champignons, «subit ou est menacé de subir, du fait des importations ou des exportations, des perturbations graves susceptibles de mettre en péril les objectifs de
l'article 39 du traité». Ces mesures «peuvent être appliquées dans les échanges avec les pays tiers jusqu'à ce que la perturbation ou la menace de perturbation ait disparu».

b) Ce règlement a été complété par un second règlement du Conseil du même jour, no 1928/75. L'article 1 définit les critères dont la Commission doit spécialement tenir compte pour déterminer si, à un moment donné, existent les perturbations graves ou les menaces de perturbations graves que requiert le règlement no 1927/75. Ce sont:

a) le «volume des importations ... réalisées ou prévisibles»;

b) les «disponibilités de produits sur le marché de la Communauté»;

c) les «prix pratiqués sur le marché de la Communauté pour les produits indigènes ou ... l'évolution prévisible de ces prix, et notamment ... leur tendance à une baisse ... excessive par rapport aux prix des dernières années»;

d) les «prix pratiqués sur le marché de la Communauté, ramenés à un stade comparable, pour les produits en provenance des pays tiers, ...».

L'article 2, paragraphe 1, définit les mesures de sauvegarde qui peuvent être prises pour certains produits, dont les conserves de champignons, soumis au régime des certificats d'importation. Ce peut être «le rejet total ou partiel des demandes de délivrance des certificats qui sont en instance» (deuxième tiret). Le paragraphe 2 contient la règle de proportionnalité suivante:

«Les mesures visées au paragraphe 1 ne peuvent être prises que dans la mesure et pour la durée strictement nécessaires.»

2) a) En exécution des pouvoirs que le Conseil lui a conférés par cette réglementation, la Commission a pris le règlement no 2107/74 du 8 août 1974, arrêtant les mesures de sauvegarde applicables à l'importation des conserves de champignons, modifié par un autre règlement no 1869/75 du 22 juillet 1975.

L'article 1, paragraphe 1, du règlement no 2107/74 instaure un système de titres d'importation, à partir du 26 août 1974, pour toute importation dans la Communauté en provenance de pays tiers. Le deuxième paragraphe, alinéa 2, précise, dans sa version modifiée, que le titre est délivré pour des opérations à réaliser au cours du trimestre pour lequel il a été établi; en d'autres termes, les titres d'importation sont délivrés à l'avance pour une durée de validité d'un trimestre.

Par l'article 2, paragraphe 2, la Commission se donne compétence pour décider, «conformément aux modalités prévues à l'article 3, des quantités de produits pour lesquelles des titres sont délivrés». Le paragraphe 1 de l'article 3, modifié par le règlement no 1869/75, dispose que les quantités admises à l'importation sont déterminées par la fixation d'un pourcentage à appliquer à une quantité de référence. Celle-ci est définie comme

la quantité de conserves de champignons introduite dans la Communauté par chaque demandeur en 1973 au cours de chacune des périodes correspondant à celles indiquées dans la demande.

b) Pour mettre en oeuvre ce règlement no 2107/74, et plus précisément son article 2, paragraphe 2, la Commission a pris, pour le second semestre 1976, deux règlements par lesquels elle a décidé, respectivement pour les troisième et quatrième trimestres, des quantités pour lesquelles des titres étaient délivrés, en fixant un pourcentage à appliquer à la quantité de référence propre à chaque demandeur. Pour le troisième trimestre 1976, le règlement no 1412/76 du 18 juin 1976 a, par son article
1, libéré les importations à concurrence de 70 % de la quantité de référence. Pour le quatrième trimestre 1976, le règlement no 2284/76 du 21 septembre 1976 a élevé la quantité libérée à 100 % de la quantité de référence (également à son article 1).

Ce régime ne fut abrogé que le 1er janvier 1977 par l'effet de l'article 1 du règlement no 3096/76 du 17 décembre 1976. Ce règlement de la Commission a mis en place le régime plus souple des certificats d'importation, visé à l'article 4 du règlement no 1927/75, à partir du 27 décembre 1976 (article 2).

Il n'est peut-être pas inutile de noter qu'en mai 1978 une hausse soudaine des demandes d'importation entraîna de nouvelles mesures de sauvegarde qui font l'objet de l'affaire 52/81, Faust, actuellement pendante devant la première chambre. D'après les indications fournies à l'audience de plaidoiries, ces mesures sont toujours en vigueur à l'heure actuelle (compte rendu en français, p. 41; le texte original allemand est moins précis: il porte «Schutzklausel ... mit langjähriger
Anhaltsdauer», soit «clause de sauvegarde d'une durée de plusieurs années», p. 38).

II — Il nous faut examiner le point suivant: la Commission a-t-elle correctement exercé son pouvoir d'appréciation à l'égard de la situation du marché des conserves de champignons?

Cet examen portera successivement sur les quatre facteurs énumérés à l'article 1 du règlement no 1928/75 (situation sur le marché intérieur de la Communauté et sur celui des importations, dans les deux cas tant du point de vue des quantités disponibles que du point de vue des prix) et tiendra en même temps compte de l'exigence de proportionnalité, visée à l'article 2, paragraphe 2, entre la situation du marché et la gravité et la durée des mesures prises.

1) Votre jurisprudence reconnaît un large pouvoir d'appréciation à l'autorité chargée de la gestion des mesures de sauvegarde. Ainsi, dans votre arrêt Schroeder du 7 février 1973 (affaire 40/72, Recueil p. 125), relatif à l'application en 1971 d'une mesure de sauvegarde à l'égard des importations de concentrés de tomates en provenance de Grèce, vous avez déclaré que:

«s'agissant en l'occurrence de mesures économiques complexes impliquant nécessairement un large pouvoir d'appréciation quant à leur opportunité et comportant par ailleurs, très fréquemment, une marge d'incertitude quant à leurs effets, il suffit qu'au moment où elles sont édictées il n'apparaisse pas avec évidence qu'elles sont inaptes à concourir à la réalisation de l'objectif visé» (attendu 14, Recueil p. 143).

Sur le plan de la charge de la preuve, il en découle que c'est à la société Wünsche qu'il incombe de mettre en lumière des circonstances qui permettraient de conclure à un dépassement manifeste par la Commission de son pouvoir d'appréciation.

Par ailleurs, il est clair que l'application des mesures de sauvegarde ne peut être déclenchée lorsque seulement un des facteurs pertinents le permet, comme le soutient la Commission. Toutefois, étant donné l'étendue du pouvoir d'appréciation de la Commission, nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire que chacun des quatre facteurs soit nettement orienté en ce sens.

Il faut en outre tenir compte de ce que le marché allemand du commerce intracommunautaire des champignons de couche s'identifie presque avec le marché communautaire, dont il représente plus de 95 %. La réglementation pertinente porte évidemment la marque de cet état de fait, et spécialement des conflits d'intérêts entre les négociants allemands, favorables aux importations d'Extrême-Orient, et les producteurs français et néerlandais qui cherchent à défendre leur part de marché en Allemagne.

Enfin, l'appréciation de la validité des règlements nos 1412 et 2284/76 et, à travers elle, du bien-fondé de l'attitude de la Commission ne peut être opérée valablement, selon nous, si l'on ne connaît pas les circonstances qui ont amené l'adoption des mesures de sauvegarde en 1974 et qui, de l'avis de la Commission, justifiaient leur maintien jusqu'au début de 1977.

Le règlement no 2107/74, d'août 1974, a été pris en vue de lutter contre des importations massives, à bas prix, de conserves de champignons d'Extrême-Orient qui provoquèrent une grave crise de la production communautaire caractérisée par un effondrement de ses prix et une augmentation massive de ses stocks. Nul ne conteste que la situation du marché en 1974 justifiait des mesures de sauvegarde si l'on voulait éviter la disparition de l'industrie communautaire.

Au deuxième semestre de 1976, ces mesures étaient encore en vigueur, mais avec des modalités plus souples puisque les pourcentages de la quantité de référence visée à l'article 3 du règlement no 2107/74 passèrent de 55 % au deuxième trimestre (règlement no 661/76 du 25. 3. 1976) à 70o/o au troisième et 100 % au quatrième trimestre.

Enfin, nous voudrions rappeler que, s'agissant de mesures économiques complexes, nous ne pouvons nous livrer à une analyse exhaustive des conditions du marché dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il suffira d'apprécier le caractère manifeste de l'erreur reprochée à la Commission.

2) Sur le volume des importations réalisées ou prévisibles (article 1, a), du règlement no 1928/75):

a) La société Wünsche affirme que, dès février 1976, la Commission savait que seules étaient possibles des importations extrêmement limitées en provenance des pays tiers concernés, soit la république populaire de Chine, T'ai-wan et la Corée du Sud.

A l'appui de cette affirmation, elle a produit des télex adressés au chef de la division des fruits et légumes de la Commission, M. Windle, émanant de M. Masuhr, de la firme Faust, pour les conserves de T'ai-wan, et de son associé, M. Bodenstab, pour les conserves de Chine. Les importateurs allemands y faisaient état de ce que, d'après leurs informations, il n'y avait plus de stocks disponibles en provenance de ces pays, non plus que de Corée, à destination de la Communauté, au deuxième
semestre 1976.

La société Wünsche s'appuie également sur les comptes-rendus de réunions du Comité consultatif des fruits et légumes — groupe de travail «fruits et légumes transformés» — et du Comité de gestion des produits transformés à base de fruits et légumes, où les représentants du négoce dans le premier cas et de la république fédérale d'Allemagne dans le second ont émis des déclarations allant dans le même sens.

D'autre part, elle voit une confirmation de la pertinence de ses informations dans les chiffres d'importations des trois grands pays fournisseurs pour l'ensemble de l'année 1976 et aussi dans le fait qu'un certain nombre d'importateurs allemands n'ont pu utiliser pleinement les quotas d'importation qui leur avaient été octroyés pour le deuxième semestre 1976. Se fondant sur les statistiques de l'Office fédéral de Wiesbaden, elle fait ainsi état d'une diminution d'importations, de 1975 à
1976, de 60 % pour T'ai-wan et de 40 % pour la Corée du Sud.

b) A l'encontre de ces éléments, la Commission rappelle en premier lieu que les importations de pays tiers en république fédérale d'Allemagne peuvent augmenter considérablement en un délai très court. Ce fut spécialement le cas entre 1972 et 1973 où, en un an, elles ont presque doublé, passant de 18389 à 37632 tonnes. Ce mouvement ascendant s'accélérait encore lorsque, le 30 août 1974, la Commission a introduit des mesures de sauvegarde. A l'époque litigieuse, le marché avait donc déjà
montré sa fragilité.

Pour la même période, elle disposait de statistiques mensuelles sur les importations en Allemagne de conserves d'Extrême-Orient. Ces données ne confirmaient pas la description faite, directement ou indirectement, par les négociants allemands; elles établissaient plutôt un approvisionnement régulier de l'ordre de 2000 tonnes. Quant aux licences d'importation non utilisées, elles n'ont représenté que 1,3 °/o des licences émises, soit une quantité négligeable.

Avec la Commission, nous pensons que le marché des conserves était encore fragile au deuxième semestre 1976. D'une part, les stocks importés les années précédentes n'étaient vraisemblablement pas épuisés, si bien qu'ils continuaient à alimenter le marché. D'autre part, il se trouvait dans les ports francs des quantités importantes que les importateurs auraient certainement dédouanées si les mesures de sauvegarde avaient été brusquement supprimées.

Les événements ultérieurs ont d'ailleurs montré que les importations de conserves de champignons s'accommodent mal d'un système moins restrictif: en mai 1978 se produisit à nouveau une hausse soudaine des demandes d'importation, qui nécessita de nouvelles mesures de sauvegarde.

Ces divers éléments prouvent, nous semble-t-il, que le marché des conserves de champignons est un marché sensible. Dès lors, il ne nous apparaît pas que la Commission ait excédé son pouvoir d'appréciation en estimant que le volume des importations, réalisées ou prévisibles, de conserves de champignons des pays tiers en Allemagne au deuxième semestre de 1976 ne permettait pas la suppression des mesures de sauvegarde, mais seulement leur assouplissement.

3) Sur la situation sur le marché communautaire au moment de l'adoption des règlements nos 1412/76 et 2284/76:

Les fournisseurs communautaires de conserves de champignons en Allemagne sont essentiellement des firmes françaises et néerlandaises. Au cours des années 1974-1976, les autres pays de la Communauté ne sont intervenus que pour moins de 4 % dans les importations allemandes. C'est pourquoi le débat peut se limiter à la situation en France et aux Pays-Bas.

a) Pour la société Wünsche, dès février 1976 ou, à tout le moins, dès le mois de juillet de cette année, la situation se caractérisait par une véritable pénurie. Même à supposer — ce qu'elle nie — que le marché allemand était normalement alimenté par les importations d'Extrême-Orient, les conserves disponibles de la Communauté étaient insuffisantes pour assurer l'approvisionnement régulier du marché allemand.

S'agissant des conserves de champignons des Pays-Bas, elle fait d'abord observer que les stocks disponibles étaient bien trop bas pour contribuer substantiellement à régler les problèmes des négociants allemands, qu'au surplus il s'agissait essentiellement de conserves sous verre de troisième catégorie ne répondant, sur le plan qualificatif, que très imparfaitement aux exigences du marché. Mais elle impute à la pénurie de produits français la difficulté de satisfaire les consommateurs
allemands, s'appuyant pour justifier ses affirmations sur la baisse sensible des stocks en France du début à la fin de 1976. Selon elle, des fabricants français ne répondirent même pas aux offres à des prix très élevés qu'elle avait formulées. Elle ajoute que la Commission était au courant de cette situation, notamment grâce aux télex qu'elle lui avait envoyés à cet effet.

b) La Commission nie qu'il y ait eu pénurie et même de véritables difficultés d'approvisionnement à cet égard.

Elle admet certes que certaines offres, quoiqu'en nombre limité, aient pu ne pas recevoir de réponse favorable de la part de producteurs français. Mais elle pense que, compte tenu des quantités disponibles, on peut expliquer ces refus par des exigences spéciales des acheteurs allemands, tenant par exemple aux délais de livraison requis ou aux qualités demandées.

S'agissant des stocks, la Commission ne conteste pas que les stocks français ont considérablement baissé du début à la fin de 1976: de plus de 10000 tonnes en janvier, ils sont tombés à 4110 tonnes en décembre, en passant par 8810 tonnes en juillet. De même, les stocks néerlandais étaient de 4500, 3000 et 2000 tonnes environ, respectivement au début, au milieu et à la fin de 1976. Mais la Commission considère, à bon droit selon nous, que l'existence même de stocks, à la fin de la période
litigieuse, empêche de parler de pénurie.

De surcroît, plus qu'aux stocks, c'est sans doute aux quantités qui ont été effectivement importées en Allemagne qu'il faut se référer. Des tableaux mensuels dont disposait la Commission au moment de prendre les règlements litigieux, il ressort que les importations de France et des Pays-Bas n'ont pas connu de chute sensible de janvier à juillet 1976, mais se sont maintenues, pour les importations françaises, entre 2422 tonnes (avril) et 3499 tonnes (mars) et, pour les importations
néerlandaises, entre 2059 tonnes (juillet) et 2998 tonnes (mars).

On peut dès lors penser que la Commission n'a pas non plus dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation en estimant, en avril et septembre 1976, que la situation du marché communautaire ne justifiait pas la suppression des mesures de sauvegarde. La pertinence de son analyse a d'ailleurs été confirmée par les chiffres annuels des importations de conserves de France et des Pays-Bas en 1976, qui sont tous deux plus élevés que les chiffres correspondants pour 1975.

4) Sur les prix pratiqués sur le marché de la Communauté pour les produits indigènes:

a) D'après les informations qu'elle a pu recueillir de la part d'autres importateurs, la société Wünsche estime que les prix des conserves de champignons français ont augmenté de 90 à 100 % entre juillet-août 1974 et juillet-août 1976 et d'environ 30 % entre novembre-décembre 1975 et juin-juillet 1976.

Cette majoration excessive lui paraît incompatible avec les objectifs que la Communauté peut légitimement poursuivre. Elle ajoute qu'il ressort clairement des procès-verbaux des réunions de 1976 du Comité de gestion des produits transformés à base de fruits et légumes que la Commission était au courant de cette hausse spectaculaire et qu'elle a, en maintenant des mesures de sauvegarde, délibérément mené une politique protectrice des producteurs communautaires et, réciproquement,
discriminatoire à l'égard des importateurs des pays tiers.

b) La Commission rétorque que les chiffres dont elle disposait au moment où elle a pris les mesures litigieuses — chiffres officiels contrairement à ceux avancés par la société Wünsche — ne font pas état d'une pareille hausse. Elle indique ainsi que le prix d'une boîte d'un kilo de conserves de champignons français est passé de 2,47 DM en juillet 1974 à 3,74 DM en juillet 1976, soit une augmentation de 45 % et non de 100 %.

Cette augmentation ne peut effectivement, à notre avis, être qualifiée de déraisonnable. D'une part et secondairement, pour obtenir le niveau réel de l'augmentation, il faut déduire de ce chiffre le taux de l'inflation en France de 1974 à 1976. D'autre part et principalement, il faut tenir compte de ce que les prix de 1974 étaient particulièrement faibles, précisément à cause des importations massives à bas prix d'Extrême-Orient. Dans ces conditions, il nous semble qu'on ne peut reprocher
à la Commission d'avoir protégé de façon abusive les productions communautaires en préférant alléger plutôt que supprimer les mesures de sauvegarde au deuxième semestre de 1976. Eu égard au niveau des prix des produits indigènes, la Commission n'est, à notre sens, pas non plus sortie des limites de son pouvoir d'appréciation.

5) Sur le niveau et l'évolution des prix pratiqués sur le marché de la Communauté pour les produits en provenance des pays tiers:

a) Pour la société Wünsche, les prix des produits t'ai-wanais auraient augmenté de 80 % entre 1974 et juillet 1976 et d'environ 40% de 1975 à 1976. Les prix des conserves coréennes et chinoises, au départ moins élevés, auraient atteint le niveau des prix des produits t'ai-wanais. D'avril à décembre 1976, la hausse serait restée très élevée, comme le montre, à titre d'exemple, l'évolution des prix de vente d'une société de Hambourg, qui étaient de 1,58 DM la demi-boîte en avril et de 2,19 DM
en décembre. Même en se basant sur les tableaux mensuels de la Commission, la société Wünsche constate que les prix des produits des pays tiers étaient plus élevés en 1976 que ceux des produits indigènes, si du moins on y inclut les droits de douane (23 %) et la rémunération de l'importateur (8 %).

b) De même que pour les prix de conserves de la Communauté, la Commission rejette, sur la base des informations officielles dont elle disposait, le chiffre de 80 % de hausse des prix des conserves de T'ai-wan de 1974 à 1976; ses sources révèlent une augmentation de 32 % seulement. Il lui paraît déterminant de savoir si, au moment où les règlements ont été pris, les prix de vente des conserves des pays tiers avaient rejoint ceux des conserves de la Communauté. Pour effectuer cette
comparaison, la Commission inclut, à juste titre selon nous, les droits de douane, mais non la rémunération de l'importateur qui est variable et existe aussi dans les échanges intracommunautaires. Or, d'après les statistiques officielles pour avril 1976, dernier mois connu au moment de l'adoption du règlement no 1412/76 du 18 juin 1976, l'écart entre ces deux prix était encore de 10 % au profit des produits des pays tiers. Leur avantage concurrentiel était resté sensiblement le même en
juillet, dernier mois de référence pour le règlement no 2284/76 du 21 septembre 1976.

Dès lors, nous estimons avec la Commission que la suppression des mesures de sauvegarde au deuxième semestre de 1976 aurait pu entraîner un afflux massif de conserves d'Extrême-Orient et accroître immédiatement un écart de prix qui, au mieux, ne se comblait que très lentement.

Aussi de l'ensemble des facteurs que nous venons d'indiquer, il n'apparaît pas qu'en allégeant plutôt qu'en supprimant, au deuxième semestre de 1976, les mesures de sauvegarde à l'égard des importations dans la Communauté de conserves de champignons, la Commission ait fait usage de son pouvoir d'appréciation d'une façon contraire à la règle de proportionnalité exprimée dans l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 1928/75 du Conseil ou à celle de l'article 7, paragraphe 1, du règlement
no 1927/75. Les éléments dont elle disposait pouvaient, à notre sens, lui faire estimer à bon droit que la suppression de ces mesures risquait de créer des perturbations graves, susceptibles de mettre en péril les objectifs de l'article 39 du traité.

Nous concluons donc à ce que vous répondiez au Bundesverwaltungsgericht que l'examen de la question qu'il a posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité des règlements nos 2107/74, 1412/76 et 2284/76 de la Commission.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 126/81
Date de la décision : 25/03/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne.

Mesures de sauvegarde - Conserves de champignons.

Mesures de sauvegarde

Agriculture et Pêche

Fruits et légumes


Parties
Demandeurs : Wünsche Handelsgesellschaft
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:112

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