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04/02/1982 | CJUE | N°93/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 4 février 1982., Institut national d'assurance maladie-invalidité contre Peter Knoeller., 04/02/1982, 93/81


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 4 FÉVRIER 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La question préjudicielle et un certain nombre de faits pertinents

M. Peter Knoeller a travaillé en Belgique de 1928 à 1938. Après être retourné en république fédérale d'Allemagne, il a travaillé dans ce pays jusqu'au 18 août 1967, date à laquelle il a été licencié. Du 19 août au 1er décembre de ladite année, il a bénéficié de prestations de chômage. Le 4 décem

bre 1967, une prestation d'invalidité lui a été octroyée avec effet rétroactif au 1er décembre, date à laquelle il...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 4 FÉVRIER 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La question préjudicielle et un certain nombre de faits pertinents

M. Peter Knoeller a travaillé en Belgique de 1928 à 1938. Après être retourné en république fédérale d'Allemagne, il a travaillé dans ce pays jusqu'au 18 août 1967, date à laquelle il a été licencié. Du 19 août au 1er décembre de ladite année, il a bénéficié de prestations de chômage. Le 4 décembre 1967, une prestation d'invalidité lui a été octroyée avec effet rétroactif au 1er décembre, date à laquelle il a été déclaré invalide. En application des règlements nos 3 et 4, l'institution compétente
allemande s'est adressée à l'INAMI, en vue d'obtenir pour M. Knoeller le prorata correspondant à la période de travail accomplie en Belgique. Le formulaire E 26 prévu à cet effet ne mentionnait pas cependant que M. Knoeller avait été assuré à titre obligatoire pendant la période du 19 août au 1er décembre 1967 ni que cette période aurait dû être assimilée à une telle période d'assurance. Cette omission était manifestement imputable à l'insignifiance d'un tel fait pour l'octroi d'une prestation
d'invalidité au titre du droit allemand.

L'INAMI a cependant rejeté cette demande au motif que selon le droit belge (article 66 de la loi de 1963 et article 204 de l'arrêté royal de 1963) il n'était pas établi qu'au jour de la déclaration d'invalidité, l'intéressé avait accompli, pendant les six derniers mois précédant cette date, 120 jours de travail (ou assimilés) d'assurance obligatoire. Si on considère la date du 18 août 1967 comme dernier jour d'assurance obligatoire pris en compte par l'INAMI, il n'était pas satisfait à cette
condition. Il est vrai que le dossier contenait les lettres des 5 et 21 mars 1970 adressées à l'INAMI, qui signalaient l'existence de la période de chômage au cours de laquelle M. Knoeller avait également été assuré à titre obligatoire. Toutefois, aucun nouveau formulaire E 26 n'a été envoyé. Se fondant sur une interprétation stricte de la signification de ce formulaire, l'INAMI a estimé ne pas devoir tenir compte de ces données complémentaires dans son appréciation. Après avoir succombé devant deux
instances inférieures, l'INAMI a formé un pourvoi en cassation, à la suite duquel la Cour de cassation belge a déféré à la Cour de justice la question suivante: «Pour déterminer la pension d'invalidité ‘prorata temporis’ qui serait due à un travailleur pour le travail qu'il a effectué en Belgique, y a-t-il lieu de se référer uniquement aux renseignements contenus dans le formulaire E 26 prévu par l'article 34 du règlement no 4 du 3 décembre 1958 du Conseil de la Communauté économique européenne
fixant les modalités d'application et complétant les dispositions du règlement no 3 du 25 septembre 1958 dudit Conseil concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants ou ledit formulaire E 26 peut-il être complété ou précisé ultérieurement par d'autres renseignements?»

Nous faisons remarquer incidemment que l'obstination avec laquelle l'INAMI a maintenu son point de vue, même après avoir succombé devant deux instances juridictionnelles belges, a privé M. Knoeller, depuis quinze ans déjà à l'heure actuelle, du prorata belge de sa pension d'invalidité.

2. Examen de la question posée

En vertu de l'article 2, paragraphe premier, du règlement no 4, les documents et modèles nécessaires à l'application du règlement no 3 ont été établis par la Commission administrative instituée à l'article 43 dudit règlement. L'article 33 du règlement no 4 dispose que dans les cas correspondant aux articles 26, 27 et 28 du règlement no 3, «l'institution d'instruction utilise un formulaire comportant notamment le relevé et la récapitulation des périodes d'assurance et périodes assimilées accomplies
par l'assuré en vertu de la législation de chacun des États membres à laquelle il a été soumis». L'INAMI estime que le document désigné par E 26 doit être interprété en ce sens que seules les périodes qui y sont mentionnées peuvent être prises en compte.

Il nous semble évident que, ainsi que l'avocat général Warner l'a affirmé dans une affaire précédente concernant les formalités en rapport avec le règlement no 1408/71 (affaire 41/77, la Reine/National Insurance Commissioner, ex parte Warry, Recueil 1977, p. 2095), si tout droit à une pension d'invalidité belge est dénié à M. Knoeller, le règlement no 3 aura, sous ce rapport, «lourdement» manqué son objectif. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'application des règles
communautaires en matière de sécurité sociale ne saurait jamais porter atteinte à des droits de sécurité sociale qui peuvent être acquis en vertu de la seule législation nationale. Ce principe basé sur les objectifs et l'economie de l'article 51 du traité CEE avait déjà été formulé dans l'arrêt que la Cour a rendu dans l'affaire 1/67 (5. 7. 1967, Ciechelski, Recueil 1967, p. 235 et 243-244) et que la Commission mentionne dans ses observations écrites, et il a été répété dans de nombreux arrêts
postérieurs. Plus concrètement, la Cour avait déjà considéré dans l'arrêt rendu dans l'affaire 66/74 (Farrauto/Bau-Berufsgenossenschaft, Recueil 1975, p. 157) que la réglementation communautaire relative à la sécurité sociale des travailleurs qui s'inscrit dans le cadre des mesures visant à assurer la libre circulation des travailleurs «tend à éliminer certaines entraves de caractère matériel et administratif». A ce titre, il ne serait donc pas justifié d'interpréter les règlements nos 3 et 4 de
manière à susciter de nouveau de pareils obstacles, mais cette fois-ci sous le couvert communautaire. Dans la même affaire, la Cour a considéré que la communication directe entre les institutions de sécurité sociale des États membres et les intéressés «est une pratique qui sert à simplifier les formalités administratives et à accélérer le déroulement des procédures» et qu'à cette fin «certaines formes et méthodes sont disponibles qui permettent de sauvegarder la sécurité juridique en faveur des
intéressés».

Cet arrêt milite donc aussi en faveur d'une interprétation fonctionnelle des dispositions administratives contenues dans les règlements en cause. Sous ce même rapport, la Commission cite encore l'arrêt que la Cour a rendu dans l'affaire Nonnenmacher (affaire 92/63, Recueil 1964, p. 557).

Toutefois, dans son mémoire, la Commission rejette l'interprétation défendue par l'INAMI, principalement en invoquant le sens et la portée que les règlements et la Cour ont donné aux compétences de la commission administrative. A la différence de la Commission, nous estimons cependant que le caractère facultatif des décisions de cet organe, concernant entre autres l'établissement des formulaires en cause, ne constitue pas un argument décisif dans le sens du rejet de l'interprétation défendue par
l'INAMI. L'article 33, paragraphe 1, du règlement no 4 dispose en effet clairement que l'emploi du formulaire E 26 est obligatoire. Dans le cas d'espèce, c'est précisément le «relevé» des périodes d'assurance et périodes assimilées qui ne figure pas sur ce formulaire. Aussi nous estimons qu'il est plus convaincant d'alléguer, comme l'a fait la Commission au cours de la procédure orale, que l'obligation instituée à l'article 34, paragraphe 1, concerne exclusivement les périodes d'assurance et
périodes assimilées qui ont été accomplies au titre de la législation applicable à l'institution concernée. C'est donc à juste titre que, pour compléter le formulaire, l'institution allemande s'est basée en l'espèce sur le droit allemand applicable. Les versions française, allemande et italienne de l'article 33 montrent d'ailleurs clairement que l'obligation d'employer un formulaire instituée au premier paragraphe n'implique pas que les autres pièces justificatives perdent de ce fait leur force
probante, de sorte qu'il ne serait plus possible de s'en prévaloir pour compléter ou étayer le formulaire. Le deuxième paragraphe de ladite disposition signifie simplement que la transmission des pièces justificatives n'est plus nécessaire («remplace la transmission», «sostituisce la trasmissione», «ersetzt die Übersendung»). La version néerlandaise exprime encore plus clairement ce sens et cette portée en déclarant que «dit formulier kan in de plaats van bewijsstukken aan de bevoegde organen van
een andere Lid-Staat worden gezonden» ( 2 ). La disposition visée permet donc bien la transmission de pièces justificatives, telles que, en l'espèce, les lettres écrites par l'institution d'assurance allemande, de sorte qu'il y a lieu de rejeter l'interprétation exclusive défendue par l'INAMI.

Nous vous suggérons donc de répondre à la question de la Cour de cassation de la manière suivante: «Le formulaire prévu par l'article 34 du règlement no 4 du 3 décembre 1958 du Conseil de la Communauté économique européenne peut être complété ou précisé par d'autres renseignements si, en l'absence de telles précisions, une législation nationale ne permet pas l'octroi d'une pension d'invalidité».

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( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) Ndt: La traduction littérale étant: «Ce formulaire peut être transmis aux institutions compétentes d'un autre État membre en remplacement des pièces justificatives».


Synthèse
Numéro d'arrêt : 93/81
Date de la décision : 04/02/1982
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - Belgique.

Sécurité sociale: périodes d'assurance accomplies.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Institut national d'assurance maladie-invalidité
Défendeurs : Peter Knoeller.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Bosco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:40

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