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08/10/1981 | CJUE | N°125/80

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 8 octobre 1981., Günther Arning contre Commission des Communautés européennes., 08/10/1981, 125/80


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 8 OCTOBRE 1981

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les changements d'affectation et les mutations, qu'ils se situent ou non dans le cadre de la réorganisation d'un service, sont souvent, ces derniers temps, à l'origine de recours de la part des fonctionnaires qui en font l'objet. Peut-être est-ce l'indice d'un malaise, dont la présente affaire serait une illustration supplémentaire.

I —

Le 17 juillet 1979, la Commission procéda à une réor

ganisation de sa direction générale de l'emploi et des affaires sociales. Cette réorganisation comporta l...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 8 OCTOBRE 1981

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les changements d'affectation et les mutations, qu'ils se situent ou non dans le cadre de la réorganisation d'un service, sont souvent, ces derniers temps, à l'origine de recours de la part des fonctionnaires qui en font l'objet. Peut-être est-ce l'indice d'un malaise, dont la présente affaire serait une illustration supplémentaire.

I —

Le 17 juillet 1979, la Commission procéda à une réorganisation de sa direction générale de l'emploi et des affaires sociales. Cette réorganisation comporta la transformation de la division «Sécurité du travail» de la direction «Santé et sécurité», dont le chef était M. Arning, en un service spécialisé, confié à M. Lemoine qui, précédemment à la tête du service chargé des problèmes de sécurité dans le secteur carbosidérurgique, voyait donc ses attributions étendues. L'emploi de grade A 3 ainsi libéré
devint un poste de conseiller auprès de la même direction, qui fut attribué à Günther Arning. C'est contre cette décision de changement d'affectation que ce dernier a introduit le présent recours, qui est à la fois un recours en annulation et un recours en indemnité.

a) Avant d'entrer, en 1960, au service de la Commission, le requérant, qui possède une formation juridique, était employé, depuis 1953, au ministère fédéral allemand du travail et de l'ordre social et déjà spécialisé dans le domaine de la sécurité du travail. Il fut nommé pour la première fois chef de la division «Sécurité du travail» par décision du 18 décembre 1968, jusqu'à ce que cette nomination soit annulée, pour vice de forme, par votre arrêt Wonnerth du 10 décembre 1969 (affaire 12/69,
Recueil p. 577). Le 9 août 1970, la Commission prit une décision identique à la première quant à son objet et même quant à sa date d'effet, mais, cette fois, de manière régulière. L'affectation de Günther Arning à la tête de la division «Sécurité du travail» fut confirmée une dernière fois, le 31 mars 1976, dans le cadre d'une réorganisation de ce qui s'appelait alors la direction générale des affaires sociales.

En ce qui concerne du moins la direction «Santé et sécurité», cette réorganisation fut suivie par deux autres, en 1979 et 1980. Au terme de cette évolution, le nombre des divisions de cette direction passa de 7 à 4. Suivant les déclarations de son directeur à l'audience, le Dr Recht, cette réforme répondait à un besoin de rationalisation et d'utilisation optimale des effectifs disponibles. Elle était d'autant plus nécessaire que les activités en matière de sécurité du travail se développaient
avec l'élaboration, puis la mise en oeuvre du programme d'action des Communautés en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail, qui fit l'objet d'une résolution du Conseil du 29 juin 1978.

C'est dans ce contexte, nous a expliqué le Dr Recht, que s'est posée la question du maintien de Günther Arning à la tête de sa division. D'une part, celle-ci était d'une taille trop réduite pour être maintenue comme unité administrative autonome. Sa fusion avec les autres divisions compétentes en matière de sécurité du travail répondait donc à un souci de bonne gestion administrative. D'autre part, l'orientation plus technique des travaux de la Commission en la matière, qu'illustrent les
orientations du programme d'action de 1978, rendait souhaitable que l'unité administrative issue de la fusion soit dirigée par un ingénieur plutôt que par un juriste. C'est ce qui a motivé la nomination à sa tête de M. Lemoine, ingénieur des mines. Comme, par ailleurs, la direction manquait de juristes, il était naturel, a encore dit le Dr Recht, de confier au requérant des fonctions de supervision générale des activités à caractère juridique de l'ensemble des divisions, pour lesquelles un poste
de conseiller était tout indiqué. C'est ce qui explique la décision prise le 17 juillet 1979 à l'égard du requérant dans le cadre de la première réorganisation de la direction, elle-même insérée dans la réorganisation de la direction générale tout entière.

b) Günther Arning eut connaissance de cette décision le 31 juillet au cours d'un entretien que lui ménagea son directeur à cet effet. Il n'était pas possible que le requérant soit prévenu plus tôt, nous a-t-on expliqué, en raison, d'une part, de la lenteur des communications officielles entre les services de Bruxelles et ceux de Luxembourg et, d'autre part, de l'absence du Dr Recht pour raison de service, peu après que la communication de la décision litigieuse lui soit parvenue.

Le 2 août, cette décision devint publique du fait de la parution, ce jour-là, du numéro des «Informations administratives» contenant le nouvel organigramme de la direction générale, arrêté le 17 juillet. Le 21 du même mois, Günther Arning adressa une note à un membre du cabinet de M. Vredeling, membre de la Commission chargé des questions sociales, pour lui demander les raisons de la décision prise à son égard. Cette note ne suscita pas de réponse avant le 23 octobre. Entre-temps, le 3 septembre,
le requérant avait pris ses nouvelles fonctions et, le 26 du même mois, il avait pu avoir une entrevue avec son directeur général.

Ce n'est que le 25 septembre que lui fut envoyée la communication officielle de son changement d'affectation, qu'il reçut le 1er octobre. Le 25 octobre, il introduisit une réclamation formelle au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, enregistrée quatre jours plus tard au secrétariat général de la Commission. A la suite du silence de cette dernière valant rejet implicite, au terme du délai statutaire de quatre mois, il engagea le présent recours, enregistré au greffe le 23 mai 1980. Deux
jours auparavant avait été adoptée une décision formelle de rejet de sa réclamation.

II —

Günther Arning invoque tout d'abord la violation de l'article 25, alinéa 2, du statut, qui énonce:

«Toute décision individuelle prise en application du ... statut doit être communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé. Toute décision faisant grief doit être motivée.»

Il estime que ni l'exigence de communication par écrit et sans délai, ni celle de la motivation n'ont été respectées en l'espèce.

a) Sur le premier point, il est constant que la décision de changer l'affectation du requérant, qui est bien une décision individuelle, a été prise le 17 juillet 1979 et que son destinataire n'en a reçu la communication écrite prévue par le texte que le 1er octobre suivant, soit près de eux mois et demi après qu'elle ait été adoptée et près d'un mois après sa prise d'effet. A première vue, le rapprochement de ces deux dates devrait suffire à constater la violation alléguée.

Mais, pour la Commission, il ne convient pas de s'y arrêter. On ne saurait perdre de vue, estime-t-elle, que la décision litigieuse se situe dans le cadre de la réorganisation d'une direction générale tout entière. En pareil cas, la publication collective des changements d'affectation en résultant, sous la forme de l'insertion du nouvel organigramme de la direction générale concernée dans les «Informations administratives», serait suffisante. La Commission souligne que cette publication a eu lieu
le 2 août 1979, soit dans un délai extrêmement bref après la décision du 17 juillet.

Cette conception ne paraît pas pouvoir être partagée. Il nous semble que le texte de l'article 25, alinéa 2, qui exige une communication, acte par nature individuel, est dépourvu de toute ambiguïté. Dès lors, il est difficile de souscrire à la suggestion de la Commission (voir votre jurisprudence: 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e. a./Conseil, affaires 16 et 17/62, Recueil p. 917; 9 octobre 1974, Campogrande e. a./Commission, affaires 112, 144 et
145/73, Recueil p. 983, attendu 67). Dans le même ordre d'idées, il nous semble, de surcroît, que suivre l'interprétation de la Commission reviendrait à vider de son sens la règle que ce texte exprime nettement: cette règle deviendrait ainsi lettre morte (4 février 1970, van Eick/Commission, affaire 13/69, Recueil p. 11, attendu 5).

Nous objecterait-on qu'il n'est pratiquement pas possible de la respecter, nous répondrions — en transposant à la matière des changements d'affectation et des mutations les conceptions exprimées par M. l'avocat général Capotorti, dans le domaine des concours externes, dans ses conclusions du 16 novembre 1978 (affaires jointes 4, 19 et 28/78, Salerno, Authié et Massangioli, Recueil 1978, p. 2426) — que les conséquences négatives liées à l'ampleur de la réorganisation d'une direction générale ne
doivent pas être supportées par les fonctionnaires et que l'autorité qui procède à la réorganisation de ses services a le devoir de se préparer de façon telle qu'elle puisse exercer sa tâche en respectant pleinement les règles qui s'imposent à elle, même si cette réorganisation implique de nombreux changements d'affectation.

La Commission a encore avancé une seconde justification, à savoir que, pour apprécier la légalité d'une décision au regard des conditions de sa communication par écrit et sans délai, il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles elle est prise. Cet argument étant commun à la défense de la Commission vis-à-vis des deux branches du moyen, nous préférons ne nous prononcer que lors de l'examen de la deuxième branche tirée de l'absence de motivation adéquate.

b) En revanche, nous estimons que Günther Arning n'a pas d'intérêt à invoquer la violation de la règle de la communication par écrit et sans délai si, en fait, il n'a pas souffert de cette violation. Dans une jurisprudence constante, vous avez jugé, en effet, qu'«un fonctionnaire qui conteste la validité d'une décision administrative ne peut invoquer une irrégularité dans la procédure ayant conduit à l'adoption de cette décision, à moins qu'il ne puisse démontrer que, en l'absence de cete
irrégularité, il aurait pu se trouver dans une situation plus favorable» (conclusions de M. l'avocat général Warner dans l'affaire 25/77, De Roubaix, Recueil 1978, p. 1096, qui donne la liste des arrêts pertinents, liste mise à jour dans les conclusions de M. Warner dans l'affaire 30/78, Distillers, Recueil 1980, p. 2290). A notre sens, il n'y a aucune raison de ne pas étendre cette conception à la procédure postérieure à l'adoption d'une décision.

Le requérant se serait-il trouvé dans une situation plus favorable si la décision de le changer d'affectation lui avait été communiquée immédiatement? Pour répondre à cette question, il faut se référer, croyons-nous, à la raison d'être de la règle de la communication sans délai.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette règle ne répond pas à une exigence procédurale, à savoir la possibilité pour le fonctionnaire concerné d'utiliser le plus tôt possible les voies de recours prévues par le statut. En vertu de votre jurisprudence, en effet, la «notification a l'intéressé», qui fait courir le délai de recours administratif (article 90, paragraphe 2), doit s'entendre comme «la communication par écrit au fonctionnaire intéressé que l'article du statut exige dans le
cas de toute décision individuelle» (27 juin 1973, Kuhl/Conseil, affaire 71/72, attendu 3, Recueil p. 711; 16 mars 1971, Bernardi/Parlement, affaire 48/70, attendu 18, Recueil p. 184; arrêts qui mentionnent l'ancien article 91 du statut, lequel traitait du délai d'introduction de la réclamation).

Donc, si la communication individuelle d'une décision est tardive,,cela ne pourra avoir aucune conséquence contentieuse; le délai pour introduire la réclamation et, éventuellement, le recours en sera seulement reculé.

Mais les exigences d'une bonne gestion, qui impliquent que son destinataire soit le premier averti d'une décision, de même que la plus élémentaire courtoisie qui ne saurait être absente des relations entre une administration et ses fonctionnaires (voyez à ce sujet l'arrêt de la première chambre du 21 mai 1981, Kindermann/Commission, motif 21), nous apparaissent comme des justifications suffisantes pour permettre de sanctionner le respect de cette exigence.

Quant à l'obligation du caractère écrit de la communication, elle seule donne au fonctionnaire concerné la certitude qu'une décision a bien été prise à son endroit, alors qu'autrement ce ne peut être qu'une rumeur. Elle lui permet en outre — et ce n'est pas moins important — d'en connaître le contenu exact. Il s'agit donc d'une condition particulièrement fondamentale.

III —

Toutefois, si elle est nécessaire, la condition du caractère écrit d'une décision individuelle n'est pas suffisante, la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article 25 exigeant, de surcroît, que pareille décision soit motivée. Or, tel n'est pas le cas, prétend le requérant, de la décision attaquée.

Pour apprécier si cette condition est remplie, c'est à la communication écrite, en date du 25 septembre 1979, de cette décision qu'il faut se référer et non à la décision de la Commission du 17 juillet qui est un document interne dont l'exposé des motifs n'est normalement pas connu des fonctionnaires intéressés. Or, cette communication porte comme seule explication que c'est «dans le cadre des mesures de réorganisation de la direction générale V ‘de l'emploi et des affaires sociales’» que la
Commission a pris sa décision à l'égard de Günther Arning.

a) Ce dernier estime que cette référence ne lui permet pas de savoir exactement pourquoi la Commission l'a déplacé des fonctions de chef de la division «Sécurité du travail» à celles de conseiller auprès de la direction «Santé et sécurité». Il considère que seule une motivation concrète, adaptée à sa situation particulière, répondrait aux exigences de l'article 25, alinéa 2, car seule une motivation de ce type donnerait le moyen «d'apprécier si la décision est entachée d'un vice permettant d'en
contester la légalité et de rendre possible le contrôle juridictionnel» (28 mai 1980, Kuhner/Commission, motif 15, Recueil p. 1695).

Pour sa défense, la Commission rappelle votre jurisprudence en matière de motivation des décisions de mutation et de changement d'affectation, spécialement votre arrêt Kuhner (précité), qui représente son dernier état. Dans cet arrêt, la Cour a déclaré que, «s'agissant d'une mesure nécessairement liée à l'organisation du service dans l'intérêt de celui-ci, à propos duquel l'autorité compétente doit nécessairement jouir d'un large pouvoir d'appréciation» (motif 17), «l'obligation de motiver doit
être mise en rapport avec la marge de pouvoir discrétionnaire dont l'autorité investie du pouvoir de nomination jouit en la matière, ainsi qu'avec le caractère marginal des désavantages que peut présenter ce genre de mesure pour le fonctionnaire intéressé» (motif 14).

Si nous soucrivons entièrement à cette opinion en ce qui concerne l'étendue du pouvoir discrétionnaire dont l'administration doit jouir en matière d'organisation de ses services, nous sommes, en revanche, incliné à penser, en ce qui concerne le caractère marginal des désavantages d'un changement d'affectation, que cette appréciation ne paraît absolument incontestable que sur le plan matériel et non sur celui de l'intérêt et de la valeur des fonctions nouvelles, voire de l'évolution de la carrière
du fonctionnaire concerné, ni surtout sur le plan des conditions dans lesquelles pareille mesure est adoptée, qui peuvent ne pas être toujours objectivement irréprochables.

Qui plus est, même si on admet qu'elle peut être succincte, une motivation doit, en tout cas, être suffisamment précise pour permettre le contrôle du fonctionnaire intéressé, puis éventuellement celui de la Cour, comme le rappelle l'arrêt Kuhner lui-même (motif 15, précité), (voir aussi votre arrêt du 15 juillet 1960, von Lachmüller e. a./Commission, affaires jointes 43, 45 et 48/59, Recueil p. 956). Or, il ne nous semble pas que la simple référence à la réorganisation d'une direction générale
satisfasse à cette condition minimale.

b) Il est vrai que, suivant votre jurisprudence constante, le contrôle de la motivation doit être exercé en tenant compte non seulement du document par lequel la décision litigieuse est communiquée, mais en prenant également en considération les circonstances dans lesquelles elle a été prise et portée à la connaissance de l'intéressé, ainsi que les notes de service et autres communications qui en sont le support, à la condition qu'elles aient clairement informé le requérant sur les raisons et le
fondement de ladite décision (arrêt Kuhner précité, motif 15, Recueil p. 1695; voyez aussi arrêts du 14 juillet 1977, Geist/Commission, affaire 61/76, attendu 23, Recueil p. 1432, et du 12 octobre 1978, Ditterich/Commission, affaire 86/77, attendu 40, Recueil p. 1867).

Alors que, dans l'espèce Kuhner, l'application de ces principes vous avait conduits à considérer la décision attaquée comme suffisamment motivée, les circonstances de fait de la présente affaire nous amènent à la solution contraire. D'abord, à l'inverse de M. Kuhner, le requérant n'a pas «eu à plusieurs reprises l'occasion de prendre connaissance des motifs ... de la disparition projetée du service spécialisé qu'il dirigeait» (arrêt Kuhner, Recueil p. 1685) puisque c'est seulement lors de son
entretien avec le Dr Recht qu'il a appris la décision de son changement d'affectation et qu'une première motivation de cette décision lui fut donnée.

Ensuite, contrairement à ce qui était le cas pour la réorganisation de l'Office statistique, qui avait entraîné le changement d'affectation de M. Kuhner (Rec. p. 1685), les motifs de la décision attaquée n'apparaissent pas dans le procès-verbal de la réunion de la Commission du 17 juillet 1979, qui dispose seulement:

«Il a été jugé plus rationnel de regrouper dans un même service qui serait confié à M. Lemoine tous les problèmes relevant de la sécurité.»

Enfin, à l'opposé de M. Kuhner, qui faisait état, clans sa réclamation administrative, du procès-verbal de la réunion de la Commission au cours de laquelle la réorganisation de l'Office statistique a été décidée (Recueilp. 1685 et motif 16, p. 1695-1696), il n'apparaît pas du dossier que Günther Arning ait eu connaissance de ce document avant sa production par la Commission en annexe de son mémoire en défense.

Il est vrai que, pour la Commission, le requérant ne pouvait être surpris de ce que la réorganisation de la direction générale de l'emploi et des affaires sociales entraîne son changement d'affectation. En effet, comme tous les responsables de la direction «Santé et sécurité», il avait été associé à l'élaboration du programme d'action des Communautés en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail, qui devait se traduire par la résolution du Conseil du 29 juin 1978. Or, en mettant
l'accent sur l'aspect technique de ces questions, ce programme devait nécessairement se traduire par le remplacement du requérant par un ingénieur à la tête de sa division, ce dont Günther Arning ne pouvait pas ne pas se douter. Sa conviction devait être d'autant plus forte que sa division était une très petite unité et qu'il était notoire que la Commission, devançant en quelque sorte de quelques mois les conclusions du rapport Spierenburg, s'efforçait, dans un but de rationalisation
administrative, d'éliminer les très petites divisions en les regroupant avec d'autres de même taille ou en les intégrant dans des unités plus importantes.

A cela, le requérant rétorque que les discussions citées par la Commission concernaient essentiellement la division «Médecine et hygiène du travail» et spécialement sa subdivision «Toxicologie, biologie et surveillance des effets sur la santé» et non le domaine spécifique de la sécurité du travail. Il ajoute que, jamais, lors de ces discussions, il n'a été question de problèmes de structures et de personnes.

A supposer que l'argumentation de la Commission — qui exige une recherche psychologique dont on ne peut tirer aucune certitude — soit admissible, nous tirons de ce débat la conviction qu'il y a un doute sur le fait que Günther Arning devait nécessairement savoir en son for intérieur que la réorganisation projetée entrainerait la suppression de la division qu'il dirigeait. Si le doute est permis sur ce point, il doit l'être encore plus sur celui de savoir si le requérant devait nécessairement
penser qu'à la suite de cette suppression il serait nommé conseiller auprès de la direction, de qui constitue bien l'objet précis de la décision litigieuse. A notre avis, et sur la base de la jurisprudence — restrictive — de la Cour en la matière, ce doute doit profiter au requérant. Même en tenant compte des circonstances dans lesquelles la décision a été prise et protée à la connaissance du requérant, nous ne croyons pas que l'on puisse dire que celui-ci était clairement informé des raisons et
du fondement de cette décision.

IV —

Pour Günther Arning, la décision de son changement d'affectation est nulle à un deuxième titre, la Commission ayant manqué, en la prenant, au devoir de sollicitude (Fürsorgepflicht) qui s'impose à elle à l'égard de ses fonctionnaires.

Aux termes de l'arrêt Kuhner, le devoir de sollicitude (Fürsorgepflicht) a été défini comme «l'obligation ... selon laquelle, dans les mesures qu'elle édicté, l'autorité doit tenir compte non seulement de l'intérêt du service, mais également de l'intérêt du fonctionnaire à ne pas être lésé dans sa carrière» (motif 18). L'arrêt Kuhner observe encore que «cette notion, tout en n'étant pas mentionnée dans le statut des fonctionnaires, reflète l'équilibre des droits et obligations réciproques que le
statut a créé dans les relations entre l'autorité publique et les agents du service public» (motif 22). Plus précisément, «cet équilibre implique notamment que, lorsqu'elle statue à propos de la situation d'un fonctionnaire, en l'espèce de son affectation à un emploi déterminé, l'autorité prenne en considération l'ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa écision et que ce faisant elle tienne compte non seulement de l'intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire
concerné» (motif 22).

Le requérant soutient que la Commission a manqué au devoir de sollicitude qui lui incombait à son égard en ne tenant compte, au moment où elle a décidé de le relever de ses fonctions de chef de la division «Sécurité du travail», ni de sa longue expérience dans sa spécialité, ni de sa compétence en la matière, attestée par ses rapports de notation, de telle sorte que cette décision porterait atteinte à son honneur et à sa réputation professionnels.

A notre avis, ces reproches ne correspondent pas à des violations du devoir de sollicitude tel que vous l'avez défini. Tout d'abord, il est clair qu'il n'appartient pas à la Cour de se substituer à l'administration en se prononçant sur l'opportunité d'une décision de changement d'affectation, comme les arguments du requérant semblent vous y inviter (voyez en ce sens les conclusions de M. l'avocat général Reischl dans l'affaire 61/76, Geist/Commission, Recueil 1977, p. 1441, rappelées dans ses
conclusions dans l'affaire 60/80 Kindermann/Commission).

Pour le surplus, nous ne noyons pas en quoi le passage des fonctions de chef de division à celles de conseiller serait attentatoire à l'honneur et à la réputation du fonctionnaire qui en fait l'objet, à condition du moins que ce passage s'opère de manière formellement régulière.

V —

Par un troisième et dernier moyen, Günther Arning reproche à la Commission d'avoir changé son affectation sans l'avoir consulté au préalable. Dans sa requête, il considéra cette omission comme contraire aux droits de la défense, mais, à la suite de l'arrêt Kuhner, il la qualifia de violation du principe de bonne administration.

a) Dans l'arrêt Kuhner, vous avez en effet indiqué en présence d'un moyen identique :

«On ne saurait, en l'occurrence, parler des ‘droits de la défense’, mais seulement d'un principe général de bonne administration selon lequel, sauf motif grave, une administration qui est amenée à prendre, même légalement, des mesures lésant gravement les intéressés doit permettre à ceux-ci de faire connaître leur point de vue. La décision attaquée, qui maintient au requérant tous les avantages de son grade et de son emploi type, n'est pas d'une nature telle qu'elle pourrait rendre nécessaire le
respect d'autres formalités que celles que l'article 90 du statut prévoit pour la protection des intérêts des fonctionnaires et agents, auxquels s'ajoute, si besoin en est, le contrôle juridictionnel de la Cour» (motif 25, Recueil p. 1698).

Il ressort de ce motif que vous établissez une distinction entre les mesures lésant gravement un fonctionnaire et les autres. S'agissant des premières, l'administration est tenue, même si elles sont prises légalement, de permettre aux intéressés de faire connaître leur point de vue. En revanche, les autres actes faisant grief peuvent être légalement pris sans consultation préalable. Au cas donc où ses supérieurs ne l'ont pas informé de la décision qui se prépare à son égard, l'intéressé ne
pourra, même si — eût-il été mis au courant — il avait eu de bonnes raisons de penser que la décision en préparation est illégale, faire valoir son point de vue avant qu'elle intervienne. Pour faire modifier la position de l'administration, il ne pourra agir qu'a posteriori en saisissant l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation formelle au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut. En cas d'échec, il ne lui reste plus qu'à introduire un recours juridictionnel.

b) A vrai dire la distinction sur laquelle repose cette différence de régime ne nous paraît pas au-dessus de toute critique.

Comme le rappelait M. l'avocat général Mayras dans ses conclusions sur l'affaire Kühner, certains États membres — abstraction faite du Royaume-Uni et de l'Irlande qui n'ont pas de droit administratif au sens où on l'entend sur le continent — «ont prévu des procédures qui ... permettent au fonctionnaire de se faire entendre soit directement, soit par l'intermédiaire de ses représentants» (Recueil 1980, p. 1710). C'est le cas, constatait M. Mayras, en république fédérale d'Allemagne, aux Pays-Bas,
au Luxembourg et en France. Au sujet du droit français, nous nous permettons d'ajouter à la jurisprudence citée par notre prédécesseur l'arrêt d'assemblée du Conseil d'État du 4 mars 1977, Rondeau (Gazette du Palais 1978, jurisprudence p. 247-249, note Moderne) qui a étendu l'obligation de la consultation de la commission administrative paritaire aux mutations des fonctionnaires non soumis au statut général de la fonction publique quand elles entraînent une «perte très sensible de responsabilités
de l'emploi nouveau par rapport à l'emploi ancien».

Il nous semble que, dans les relations entre les administrations des institutions de la Communauté et leurs fonctionnaires, la consultation de ceux-ci préalablement à leur mutation ou à leur changement d'affectation est également une nécessité que la présente affaire donne l'occasion de sanctionner juridiquement. Comme d'autres fonctionnaires qui ont précédemment introduit des recours contre des décisions similaires, l'un des points qui a le plus choqué Günther Arning est précisément que ses
supérieurs ne se soient pas entretenus avec lui de sa situation dans le cadre de la réorganisation projetée du service auquel il appartenait. Ceci ressort à suffisance de sa note du 21 août 1979 où il a rapporté, sans que cela ait été contesté, qu'au cours de son entretien du 31 juillet avec le Dr Recht il avait demandé à ce dernier s'il n'aurait pas été plus correct qu'il s'entretienne avec lui de sa situation avant que la décision litigieuse fût prise. De même, dans sa réclamation
administrative du 26 octobre 1979, il résuma fort bien l'enjeu du débat dans les termes suivants :

«Le souci de promouvoir une relation de confiance entre la Commission et ses agents, notamment (nicht zuletzt) ses hauts fonctionnaires, devrait empêcher qu'une mesure de ce genre soit appliquée sans avoir auparavant été discutée avec l'intéressé et sans qu'une solution satisfaisante pour les deux parties ait été recherchée en commun et, si cela est possible, trouvée. Je refuse d'être considéré dans le jeu administratif interne comme une quille et d'en tenir le rôle.»

Il nous semble également que, si, parmi les droits qu'a incontestablement une administration vis-à-vis de ses fonctionnaires, il y a celui d'organiser ses services de façon à satisfaire aux missions qui lui sont assignées, en contrepartie, une administration a aussi le devoir d'essayer d'obtenir l'assentiment du fonctionnaire concerné avant de prendre une décision aussi importante pour sa carrière qu'un changement d'affectation ou qu'une mutation. Comme l'indiquait également M. Mayras dans ses
conclusions dans l'affaire Kuhner (Recueil p. 1711), on ne peut manquer d'être frappé par la différence entre les garanties, très élaborées, organisées au profit des fonctionnaires pour leurs notations et leurs promotions et l'absence totale de garantie en ce qui concerne les mutations et les changements d'affectation, alors que l'importance subjective et objective de ces derniers dans la vie professionnelle des fonctionnaires ne paraît pas justifier pareille différence de traitement.

Il faut toutefois bien préciser que l'administration, même en cas de désaccord avec un fonctionnaire, peut changer son affectation si cela est conforme à l'intérêt du service (24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, affaires jointes 161 et 162/80, motif 28); mais du moins devrait-elle l'avoir entendu préalablement en ses observations. Du dialogue qui naîtrait à cette occasion pourraient surgir éventuellement des éléments nouveaux, inconnus jusqu'alors de l'administration, pouvant
amener celle-ci à modifier la décision qu'elle envisageait. Mais, même dans la négative, nous pensons que l'obligation d'information préalable serait de nature à améliorer la qualité des relations entre l'administration et ses fonctionnaires, qui doivent être des relations de confiance, comme le soulignait récemment M. l'avocat général Reischl (conclusions du 19 mars 1981 dans l'affaire 60/80, Kindermann/Commission).

Ainsi éclairés sur les véritables motifs des décisions envisagées à leur égard et n'étant plus mis devant le fait accompli, les fonctionnaires auraient sans doute moins de raisons d'engager les procédures précontentieuses et contentieuses organisées par les articles 90 et 91 du statut. En tout cas, ils ne seraient plus obligés d'y recourir pour connaître le contenu et la motivation de ces décisions. En d'autres termes, la reconnaissance de l'obligation de consultation préalable à un changement
d'affectation ou à une mutation nous paraît de nature à éviter des litiges.

c) Ce couci de prévention nous semble entrer parfaitement dans le cadre d'un devoir de bonne administration dont votre jurisprudence a reconnu l'existence en tant que principe de droit, à défaut de règle statutaire, dans des hypothèses variées. Ce principe oblige l'administration, entre autres

— à prendre toutes mesures utiles pour constater si des accusations graves quant à l'honorabilité professionnelle d'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, formulées par son supérieur hiérarchique, sont fondées (11 juillet 1974, Cuillot/Commission, affaire 53/72, attendu 3, Recueil P 802);

— à se conformer à une note, issue d'une concertation avec les représentants du personnel, établissant des directives pour l'organisation de concours internes (29 septembre 1976, Giuffrida/Conseil, affaire 105/75, attendu 17, Recueil p. 1403);

— à prendre toutes mesures provisoires non susceptibles d'affecter d'une manière défavorable le fonctionnement de l'institution, afin de permettre à un fonctionnaire de surmonter ses difficultés personnelles (9 novembre 1978, Verhaaf/Commission, affaire 140/77, attendu 12, Recueil p. 2124).

Enfin, si l'information préalable du fonctionnaire s'impose dans tous les cas, il existe, croyons-nous, des raisons particulières de sanctionner son absence dans la présente affaire. Ces raisons tiennent à la longue expérience du requérant dans sa spécialité, à son ancienneté à la tête de la division «Sécurité du travail» et à sa valeur, attestée par ses rapports de notation, comme chef de cette dernière.

Ces circonstances, auxquelles il faut ajouter le déclassement de cette division en service spécialisé en dépit de l'extension de ses attributions, rendent d'autant plus critiquable la décision litigieuse et d'autant plus compréhensible la réaction de son destinataire.

Dans ces conditions, il nous apparaît que la décision de la Commission du 17 juillet 1979, modifiant l'affectation de Günther Arning de chef de la division «Sécurité du travail» en conseiller auprès de la direction «Santé et sécurité» de la direction générale de l'emploi et des affaires sociales, doit être annulée pour les vices de formes suivants: non-respect de l'article 25, alinéa 2, du statut en ce que cette décision, d'une part, n'a pas été communiquée par écrit et sans délai à son
destinataire et, d'autre part, ne répond pas aux exigences minimales d'une motivation adéquate; violation du principe de bonne administration en ce qu'elle n'a pas été précédée de la consultation de l'intéressé.

VI —

Il ne nous reste plus qu'à examiner le bien-fondé de la demande par laquelle le requérant vous invite à condamner la Commission à lui verser, à titre de dommages et intérêts, une unité de compte européenne (Écu) en réparation du préjudice moral qu'il prétend avoir subi. Dans son esprit, le passage de ses fonctions de chef de division, de surcroît à la tête de la même division depuis de longues années, à celles de conseiller est constitutif d'un préjudice moral pour atteinte à son honneur et à sa
considération, car il aurait été et resterait exposé de ce fait au discrédit. Il n'en serait autrement, à son sens, que s'il avait posé sa candidature à un poste de conseiller ou, à tout le moins, s'il avait marqué son accord à l'égard d'un tel changement d'affectation.

Pour que cette demande — qui doit être qualifiée de recours en indemnité — puisse être accueillie, votre jurisprudence exige qu'en prenant la décision litigieuse l'administration ait commis une faute et que cette faute ait entraîné un préjudice ans le chef du requérant (13 juillet 1972, Heinemann/Commission, affaire 79/71 attendu 9, p. 589).

Or, il va de soi que les considérations émises par le requérant ne prouvent nullement que la Commission ait commis une faute envers lui. Dans le cadre de ses pouvoirs en matière d'organisation de ses services, l'administration a parfaitement le droit de modifier l'affectation d'un fonctionnaire, même contre son gré en le faisant passer, comme en l'espèce, d'un emploi type de son grade à un autre (28 mai 1980, Kuhner, précité, motif 20, Recueil p. 1696-1697). En elle-même la décision litigieuse ne
saurait donc être qualifiée de constitutive d'une faute de service.

En revanche, par les conditions dans lesquelles elle a été prise, elle nous semble révéler un comportement fautif de l'administration. En ne donnant pas au requérant l'occasion d'exprimer son point de vue sur la décision projetée à son égard, puis en ne le mettant pas en mesure de savoir pour quels motifs exacts cette décision a été prise et en s'abstenant de la lui communiquer par écrit et immédiatement, la Commission nous semble avoir commis plusieurs négligences dont elle doit être rendue
responsable.

Ces conditions expliquent aussi que le requérant se soit senti atteint dans son honneur personnel par la décision litigieuse dont il pouvait légitimement se demander, jusqu'aux apaisements officiels contenus dans la réponse à sa réclamation, si elle n'était pas fondée sur son comportement personnel ou sur une insuffisance professionnelle. On conçoit aussi qu'il ait été affecté par les bruits de couloir et les interrogations que la décision litigieuse, dans les conditions dans lesquelles elle est
intervenue, ont entraînés. La réalité du préjudice moral que le requérant a subi ne nous paraît one pas pouvoir être niée.

La réparation symbolique qu'il demande nous semble ainsi justifiée.

En définitive, pour toutes les considérations qui précèdent, nous concluons à ce que:

— vous annuliez la décision de la Commission du 17 juillet 1979 nommant Günther Arning conseiller auprès de la direction «Santé et sécurité» de la direction générale de l'emploi et des affaires sociales;

— vous condamniez la Commission à lui verser une unité de compte en réparation du préjudice moral qu'il a subi;

— vous la condamniez aux dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 125/80
Date de la décision : 08/10/1981
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé, Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Changement d'affectation et réorganisation des services.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Günther Arning
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1981:220

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