CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN-PIERRE WARNER,
PRÉSENTÉES LE 5 FÉVRIER 1981 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Introduction
La présente affaire est une séquelle de l'affaire 19/78, Authié/Commission, que la Cour a jointe aux affaires 4/78, Salerno/Commission, et 28/78, Massan-gioli/Commission (Recueil 1978, p. 2403).
Les faits sont les suivants.
M. Xavier Authié, requérant dans l'affaire 19/78 et dans la présente affaire, est né le 27 octobre 1952 et possède la nationalité française. Le 1er octobre 1977, il a posé sa candidature à un concours général organisé par la Commission en vue de la constitution d'une réserve de recrutement d'administrateurs des grades 7 et 6 de la catégorie A. Il était à l'époque, mais ne l'est plus maintenant, stagiaire à la Commission, à la Direction générale des affaires économiques et financières, direction des
affaires budgétaires et financières, division préparation des programmes de politique économique à moyen terme.
Le concours, COM/A/154, avait été publié dans un avis paru au Journal officiel (C 213 du 7. 9. 1977, p. 9) qui stipulait, dans la mesure où il intéresse les questions soulevées en l'espèce:
«I — Nature des fonctions
Accomplissement, sur base de directives générales, de tâches de conception, d'étude ou de contrôle intéressant l'activité des Communautés dans les domaines suivants:
1. administration générale,
2. administration de la recherche,
3. relations extérieures,
4. information,
5. affaires financières et budgétaires,
6. affaires sociales.
(...)
III — Conditions d'admission au concours
(...)
B — Conditions particulières
(...)
2. Titres ou diplômes requis et pratique professionnelle:
— justifier avoir accompli des études universitaires complètes sanctionnées par un diplôme en rapport avec le domaine repris sous le point I du présent avis (le jury tiendra compte à cet égard des différentes structures d'enseignement existant dans les États membres);
— justifier d'une certaine expérience professionnelle postuniversitaire d'un an au minimum en rapport avec le domaine choisi.
(...)
Le jury détermine la liste des candidats qui répondent aux conditions mentionnées au point III sous B ci-dessus.
Les candidats inscrits sur cette liste sont convoqués aux épreuves écrites.»
M. Authié a choisi l'option «Relations extérieures».
Dans son acte de candidature, il a fait état de son enseignement supérieur sous la forme du tableau suivant:
«Nom et lieu de l'établissement Années d'études Diplômes et titres universitaires obtenus Matières principales
de à
Faculté Sciences Eco, Tours 1969 1971 1re et 2e année de sciences économiques Économie, Mathématiques
Faculté Sciences Eco, Orléans 1971 1973 Licence es sciences économiques Économie, Mathématiques, option econometrie
Institut d'études politiques, Paris 1974 1975 2e année de sciences politiques Économie, droit, relations internationales
Collège d'Europe 1976 1977 Certificat des hautes études européennes Économie de l'intégration européenne et relations extérieures»
Il a joint deux certificats à son acte de candidature, ľun de la Faculté de droit et des sciences économiques de l'université d'Orléans, attestant qu'il a réussi «l'examen de quatrième année de licence es sciences économiques ‘Option économétrique’ avec la mention passable lui conférant le grade de licencié ès sciences économiques» et un deuxième du Collège d'Europe attestant qu'il a «participé aux cours et aux travaux du programme d'études européennes à dominante économique» et qu'il a obtenu le
«certificat de hautes études européennes».
Par lettre du 5 décembre 1977, la Direction générale du personnel et de l'administration de la Commission a notifié à M. Authié le refus du jury de l'inscrire sur la liste des candidats admis aux épreuves écrites. Le motif de ce refus était le suivant: «Vos titres ou diplômes n'ont pas été jugés conformes aux qualifications requises». Le 19 décembre 1977, M. Authié a écrit à la secrétaire du jury pour demander des explications supplémentaires. En réponse, il a reçu un appel téléphonique du président
du jury qui lui a indiqué que ses études n'étaient pas en rapport avec l'option choisie et qui lui a conseillé de participer à un concours pour économistes du type de celui qui avait été annoncé l'année précédente (COM/A/143 — voir JO C 217 du 16. 9. 1976, p. 8). Le président du jury était M. Yves Desbois, chef de la division recrutement, nominations, promotions, de la Direction générale du personnel et de l'administration.
L'affaire 19/78 avait pour objet un recours formé par M. Authié pour attaquer cette décision.
Lors de cette procédure, M. Desbois a fait une déposition au cours de laquelle il a souligné qu'à son avis, le concours pour lequel M. Authié avait posé sa candidature, «ne s'adressait pas aux économistes» (procès-verbal du témoignage, p. 12). Il avait déclaré, auparavant:
«Nous venions de terminer, à la Commission, un concours dans le domaine économique, et il va de soi que si un candidat pouvait faire état, entre autres, d'un doctorat en sciences économiques — je donne un exemple — avec des options telles que celles qui figuraient dans le concours qu'on venait de terminer, il y aurait un problème d'admission sur titres, simplement dans le titre. Il fallait voir ensuite l'expérience et combiner les deux pour essayer d'apprécier si, non seulement la formation de base
(une formation d'économètre pur, par exemple), mais une expérience également, confirmait cette formation. A ce moment-là, il y avait non-concordance entre la candidature et l'option ou le concours».
(procès-verbal, p. 6-7)
Par la suite, interrogé sur les titres et diplômes universitaires considérés comme ayant un rapport avec les «relations extérieures», il a répondu :
«Relations extérieures, elle est assez difficile à définir. Peut-être faut-il la définir par le négatif. Ce n'était pas les relations économiques ou commerciales. Dans ce concours, c'était plutôt l'organisation, les rapports entre les diverses organisations, la connaissance de tous les organes avec lesquels la Commission, entre autres, ou les Communautés doivent traiter, la façon dont ils fonctionnent et non pas l'esprit économique ou commercial qui figurait dans l'autre concours»,
(procès-verbal, p. 16)
A la question de savoir avec quels domaines la «licence en sciences économiques avec option économétrique» a été considérée comme présentant un rapport, il a répondu: «Aucun» (ibid).
La déposition de M. Desbois a également fait apparaître que le jury, dans le but de surmonter les difficultés linguistiques et de mettre en oeuvre la condition prescrite dans l'avis de concours, à savoir que le jury devait tenir compte des différentes structures d'enseignement dans les États membres, avait obtenu l'assistance d'assesseurs, conformément à l'article 3 de l'annexe III du statut des fonctionnaires.
Le jury était composé de trois personnes, M. Desbois lui-même, de nationalité française, M. Saville, de nationalité britannique, et M. Gherardi, dont la nationalité ne peut pas être déterminée sur la base des documents en notre possession, mais qui, en tout cas, n'est pas de nationalité allemande (cf. annexes 1, 2 et 3 de la duplique). En définitive, l'examen des actes de candidature présentés par des Allemands a été confié aux assesseurs qui n'ont apparemment pas partagé le point de vue de M.
Desbois que le concours ne s'adressait pas à des économistes, ou ne l'ont, en tout cas, pas appliqué. Quelques candidats avec des titres allemands en économie ont été admis aux épreuves écrites, bien que, selon la Commission, ils aient tous échoué à ces épreuves.
La Cour a annulé la décision pour deux motifs, premièrement parce que le jury avait attribué trop de pouvoirs aux assesseurs, dont le rôle avait dépassé les limites d'une simple assistance à titre consultatif et, deuxièmement, parce que la motivation de la décision du jury était insuffisante.
La Cour a estimé que les droits de M. Authié seraient adéquatement protégés si le jury reconsidérait sa décision, sans qu'il y ait lieu de mettre en cause l'ensemble du résultat du concours.
Le 9 janvier 1979, le jury s'est réuni à nouveau pour réexaminer la décision. Il était composé des mêmes personnes qu'en 1977. Son rapport, daté du 11 janvier 1979, est, dans la mesure où il nous intéresse ici, rédigé comme suit:
«M. Authié X. a choisi le domaine ‘relations extérieures’. Il a déclaré:
— être titulaire d'une licence es sciences économiques obtenue à l'université d'Orléans le 29 juin 1973 et d'un certificat de hautes études européennes — à dominante économique — avec le grade B, délivré le 27 mai 1977 par le Collège d'Europe;
— avoir suivi la deuxième année d'étude de l'Institut d'études politiques de Paris (1974/1975).
L'intéressé a, par ailleurs, été admis à effectuer un stage dans les services de la Commission à partir du 16 septembre 1977.
Les éléments contenus dans le dossier de candidature font ressortir que les études universitaires de M. Authié ne sont pas en rapport avec le domaine des relations extérieures du concours général COM/A/154, en ce qu'elles témoignent de connaissances acquises en matière essentiellement économique, avec une spécialisation en économétrie.»
Le jury a, en conséquence, confirmé sa décision antérieure.
M. Authié en a été informé par une lettre du 15 janvier 1979, qui reprenait le passage du rapport du jury que nous venons de lire. Le 13 avril 1979, M. Authié a écrit à la Commission pour la saisir d'une réclamation formelle au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, dirigée contre la décision du jury. La lettre est parvenue le même jour au Secrétariat général de la Commission. Le délai de quatre mois prévu à l'article 90, paragraphe 2, est donc expiré le 13 août 1979.
Mais le 23 octobre 1979, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours prescrit à l'article 91, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires, le membre de la Commission responsable pour les affaires du personnel a écrit à M. Authié pour l'informer du rejet explicite de sa réclamation, au motif que la Commission n'était pas compétente pour annuler ou modifier la décision d'un jury. Conformément à ce que stipule l'article 91, paragraphe 3, le délai de recours a donc recommencé à courir. M. Authié
résidait alors à Paris, de sorte que le délai, prolongé en raison de la distance, a couru au moins jusqu'au 29 janvier 1980. Le présent recours a été formé le 25 janvier 1980.
Par celui-ci, M. Authié demande principalement à la Cour de déclarer nulle la décision du jury du 9 janvier 1979 et d'ordonner que le concours soit recommencé pour lui.
Recevabilité
La Commission soutient que le recours est irrecevable. A cet égard, elle se fonde non pas sur le motif que les exigences de l'article 91, paragraphe 3, ne sont pas remplies, mais sur la règle bien connue, établie par la Cour dans de nombreuses décisions, que, l'autorité investie du pouvoir de nomination n'étant pas compétente pour modifier une décision d'un jury, une personne lésée par une telle décision peut former un recours devant la Cour sans présenter au préalable une réclamation au titre de
l'article 90, paragraphe 2, du statut. La Commission considère que, cela étant, M. Authié aurait dû former son recours dans les trois mois à compter de la notification qui lui a été faite de la décision du 9 janvier 1979, de sorte que le présent recours est hors délai. La Commission souligne que M. Authié n'a pas pu ignorer la règle, étant donné qu'il y a été fait référence dans l'arrêt rendu par la Cour dans les affaires 4/78, 19/78, même si ce n'était pas en rapport avec son propre recours.
Dans nos conclusions dans l'affaire 255/78, Anselme/Commission (Recueil 1979, p. 2338-2341), nous avons passé en revue la jurisprudence sur ce point, telle qu'elle était alors établie: affaire 44/71, Marcato/Commission (seconde affaire Marcato, Recueil 1972, p. 427), affaire 37/72, Marcato/Commission (troisième affaire Marcato, Recueil 1973, p. 361), affaire 31/75, Costacurta/Commission (Recueil 1975, p. 1563), affaire 9/76, Morello/Commission (Recueil 1976, p. 1415), affaire 7/77, Von Wüllerstorff
und Urbair/Commission (Recueil 1978, p. 769), affaires 4/78, 19/78 et 28/78, affaire 112/78, Kobor/Commission (Recueil 1979, p. 1573) et affaire 117/78, Orlandi/Commission (ibidem p. 1613). Nous avons déduit de cette analyse que, nonobstant la règle en question, si l'intéressé introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, le fait d'avoir agi ainsi ne peut pas avoir pour effet de forclore son action, qu'il attende ou non le résultat de la réclamation avant de former un recours
devant la Cour. Dans l'affaire Anselme elle-même, la Cour n'a pas jugé nécessaire d'examiner cette question parce que la Commission, tout en la soulevant, ne ľa pas formellement retenue. A notre connaissance, aucune décision ultérieure de la Cour n'est venue invalider cette conclusion. Et rien n'a été dit dans la présente affaire, qui puisse nous convaincre de son inexactitude.
Pour des raisons qui restent à notre avis obscures, la Commission a mis l'accent sur le fait que M. Authié n'est pas fonctionnaire. Les articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires ne se réfèrent cependant pas à «un fonctionnaire», mais à «toute personne visée au présent statut» et un candidat à un concours général organisé conformément au statut est indubitablement une personne visée par ce statut. S'il fallait se référer à la jurisprudence au regard de ce problème, elle peut être trouvé dans
l'affaire 23/64, Vandevyvere/Parlement (Recueil 1965, p. 205).
Nous en concluons donc que le présent recours est recevable.
Nous ne pouvons cependant pas en terminer avec la question de la recevabilité sans évoquer un point qui nous a frappé, bien que rien n'en ait été dit ni au nom de M. Authié, ni au nom de la Commission. L'avis de concours stipulait que la durée de validité de la liste de réserve de recrutement établie à l'issue du concours expirait le 31 décembre 1978, mais qu'elle pourrait être prolongée. Nous ignorons si la durée de validité de cette liste a été prolongée et, dans l'affirmative, jusqu'à quelle
date. Il est dès lors possible que le présent recours, bien qu'il ne soit pas irrecevable au motif soulevé par la Commission, soit inutile. Cependant, comme ce point n'a pas été soulevé par la Commission, nous n'en dirons pas davantage.
Quant au fond
En ce qui concerne le fond de l'affaire, sept moyens ont été présentés au nom de M. Authié:
(i) La motivation de la décision du jury était insuffisante en ce qu'elle n'expliquait pas pourquoi les études universitaires de M. Authié ne ressortent pas d'un domaine en rapport avec l'option des relations extérieures.
(ii) En tout cas, les études de M. Authié correspondaient en fait aux conditions de l'avis de concours pour cette option, de sorte que les raisons données par le jury ne justifiaient pas sa décision.
(iii) Le jury a commis un détournement de pouvoir dans le but de donner effet au souhait de M. Desbois d'exclure les économistes du concours.
(iv) Dans la mesure où le jury a pu considérer que les études de M. Authié étaient celles d'un économétriste alors que l'econométrie a simplement été sa spécialisation finale, sa formation de base étant beaucoup plus générale, et dans la mesure où il a pu, dans ce cas, prendre en considération son expérience, le jury a méconnu les droits de la défense, étant donné qu'il ne l'a pas avisé de ce fait ou n'en pas fait état dans la motivation.
(v) Le jury a méconnu le principe d'égalité et de non-discrimination en admettant aux épreuves écrites quelques candidats ayant des iplômes en économie.
(vi) Dans le même ordre d'idées, le jury a méconnu les termes de l'avis de concours qui demandait au jury de tenir compte des différentes structures d'enseignement existant dans les États membres.
(vii) Conformément à la maxime «nemo judex in re sua», le jury, en réexaminant la décision excluant M. Authié du concours à la suite de l'arrêt de la Cour dans l'affaire 19/78, n'aurait pas dû être composé des mêmes personnes qu'auparavant. (Ce moyen a été soulevé pour la première fois sous une forme différente et plus large dans la réplique. Il n'avait pas été invoqué dans la requête, étant donné que la composition du jury à la seconde occasion a été révélée par une annexe au mémoire en défense, à
savoir le rapport du jury du 11 janvier 1979, auquel nous avons fait référence. L'avocat de M. Authié a réduit la portée du moyen et l'a précisé à l'audience.)
Nous estimons qu'il convient d'examiner d'abord le moyen (ii).
Pour être bien précis, la question qui se pose ici est celle de savoir si le jury était libre de considérer que le diplôme délivré à M. Authié par l'université d'Orléans, tel qu'il est décrit dans le certificat joint à son acte de candidature, ne répondait pas à la condition de l'avis de concours, à savoir que le candidat devait justifier d'un enseignement universitaire dans un domaine en rapport avec l'option «Relations extérieures». On peut faire abstraction des études ultérieures de M. Authié à
l'Institut d'études politiques à Paris et au Collège d'Europe à Bruges, puisque les premières n'ont abouti à aucun titre ou diplôme et que les secondes ont été considérées par le jury comme constituant de «l'expérience professionnelle» au sens de ce terme dans l'avis de concours. Il semble que, si cette concession ne lui avait pas été faite, M. Authié n'aurait pas rempli la condition de «justifier d'une certaine expérience postuniversitaire d'un an au minimum en rapport avec le domaine choisi».
Nous n'hésitons pas à dire qu'à notre avis, M. Desbois a jugé à tort qu'un titre en économie n'était pas en rapport avec l'option «Relations extérieures». M. Desbois avait sans doute le droit, en sa qualité de chef de la division recrutement, nominations, promotions, d'estimer et de faire valoir le point de vue que le concours ne devait pas être ouvert aux économistes et que les postes à pourvoir à la suite de ce concours, en tant qu'ils devaient porter sur la conduite des affaires extérieures de la
Communauté, ne devaient pas être occupés par des économistes. Mais, en sa qualité de président du jury, il était de son devoir d'interpréter et d'appliquer les termes de l'avis de concours objectivement et indépendamment de ses idées personnelles sur ce que celui-ci aurait dû ou n'aurait pas dû contenir. L'avis de concours n'indiquait en rien que les économistes devaient être exclus. A notre avis, il ne peut pas non plus être soutenu qu'un titre en économie est nécessairement une qualification
universitaire inadéquate pour l'accomplissement de tâches dans le domaine des affaires extérieures de la Communauté — c'est tout ce que l'avis de concours, dans sa lettre, exigeait.
Le titre de M. Authié était toutefois un titre en économie avec une spécialisation en econométrie. Cela pourrait, à notre avis, faire la différence. Un jury raisonnable pouvait, à notre avis, considérer qu'une telle spécialisation rendait le titre inadéquat. Nous ne disons pas que tout jury agirait de la sorte. Mais nous estimons que ce problème est un problème de caractère marginal, sur lequel il appartient à un jury d'exercer son jugement et à l'égard duquel il n'entre pas dans les fonctions de la
Cour de substituer son propre jugement à celui du jury. L'avocat de M. Authié a insisté sur le fait que la spécialisation en économétrie n'était rien de plus qu'un complément à un titre général en économie. Nous préférons le point de vue avancé par le représentant de la Commission à l'audience en réponse à l'une de nos questions, à savoir que le jury ne peut pas fractionner un titre, mais doit le considérer dans son ensemble.
Sur cette base, nous en revenons au moyen (i).
Comme nous avons été amené à le souligner dans l'affaire Costacurta/Commission (Recueil1975, p. 1563, spécialement p. 1578), suivant à cet égard ce que l'avocat général Mayras avait exposé dans la troisième affaire Marcato (Recueil 1973, p. 361, spécialement p. 376), l'obligation imposée à un jury de concours d'énoncer les motifs fondant le rejet d'une candidature au premier stade a un double objet. Elle est tout d'abord destinée à permettre au candidat lui-même de connaître ces motifs et à le
mettre ainsi en mesure, le cas échéant, de les contester. Elle doit ensuite permettre à la Cour saisie à cet effet d'exercer ses pouvoirs de contrôle juridictionnel, ce qui, dans ce domaine, revient à la mettre en mesure de déterminer si le jury n'a pas commis une erreur substantielle de fait ou de droit ou s'il ne s'est pas éventuellement rendu coupable d'un détournement de pouvoir.
Dans la présente affaire, la partie cruciale de la motivation de la décision du jury du 9 janvier 1979 est que les études de M. Authié ne sont pas en rapport avec le domaine choisi «en ce qu'elles témoignent de connaissances acquises en matière essentiellement économique, avec une spécialisation en économétrie».
Après quelque hésitation, nous sommes parvenu à la conclusion que cette énonciation est ambiguë et ne permet pas à la Cour de dire avec certitude si la décision du jury était ou non fondée sur des motifs licites. Compte tenu, en particulier, de l'usage du terme «essentiellement», l'énonciation pouvait signifier que la raison essentielle du refus d'admission de M. Authié était son titre en économie, la spécialisation en économetrie constituant un complément — ce qui donnerait donc effet aux vues
personnelles de M. Desbois —, ou elle pouvait signifier que la raison était que M. Authié avait un titre en économie avec une spécialisation en econométrie, cette spécialisation en économetrie étant un élément du titre. La première interprétation doit, à notre avis, conduire à la nullité de la décision, alors que ce n'est pas le cas de la seconde.
Si nous avons raison à ce sujet, M. Authié a le droit d'obtenir gain de cause dans son recours, au motif que la motivation donnée par le jury était insuffisante.
Nous pouvons examiner plus sommairement les autres moyens de M. Authié, à l'exception peut-être du dernier.
Le moyen (iii) se rapporte, comme vous vous en souvenez, Messieurs, au détournement de pouvoir. Le moyen (iv) est fondé sur des suppositions concernant ce que le jury a pu penser du titre universitaire de M. Authié et suggère que le jury a pu méconnaître les droits de la défense de M. Authié. Ces moyens renforcent tout au plus, à notre avis, la conclusion que la motivation donnée par le jury était insuffisante.
Les moyens (v) et (vi) s'appuient sur le fait que quelques titulaires de diplômes allemands en économie ont été admis aux épreuves écrites. Cela pourrait être pertinent s'il était établi que la raison pour laquelle le jury a rejeté la candidature de M. Authié résidait simplement dans le fait que son titre était un titre en économie. Mais ce ne serait pas pertinent si la raison de son rejet était sa spécialisation en économetrie. En conséquence, ces moyens ne font, eux aussi, à notre avis, que
renforcer le moyen (i).
Il reste le moyen (vii), sur lequel l'avocat de M. Authié a longuement insisté à l'audience. Ce moyen revêt une grande importance, car si vous partagez notre point de vue, Messieurs, et si vous renvoyez la présente affaire devant le jury pour y être de nouveau réexaminée, la question de la composition du jury se posera.
A ce propos, l'avocat de M. Authié a cité deux affaires tranchées par la Cour, à savoir l'affaire 26/63, Pistoj/Commission (Recueil 1964, p. 673) et l'affaire 80/63, Degreef/Commission (Recueil 1964, p. 767). En ce qui concerne la deuxième de ces affaires, l'avocat a admis qu'il s'appuyait non pas sur ce qui ressortait du compte rendu de l'affaire, mais sur le souvenir qu'il avait de ce qui s'était en fait produit à la suite de l'arrêt de la Cour. A notre avis, aucune de ces affaires n'étaye le
moyen invoqué.
L'avocat de M. Authié s'est également référé à la pratique suivie par certaines juridictions supérieures lorsqu'elles infirment la décision d'une juridiction inférieure et renvoient l'affaire devant une juridiction inférieure différente ou différemment composée aux fins d'un nouveau jugement. Toutefois, cette pratique n'est en rien uniforme et, à notre avis, elle ne témoigne pas d'une règle absolue. Pour ne citer qu'un seul exemple, cette pratique est suivie par la High Court d'Angleterre et du Pays
de Galles dans certains cas, mais pas dans d'autres.
La composition d'un jury de concours dans le cadre du statut des fonctionnaires doit être déterminée conformément à l'article 3 de l'annexe III de ce statut. Sans aucun doute, il est permis, en cas d'urgence ou de force majeure, de modifier sa composition, même durant le concours, par exemple (comme nous l'a suggéré ľavocat de M. Authié), en cas de décès d'un membre du jury. Mais, à notre connaissance, ni la Cour ni l'autorité investie du pouvoir de nomination ne sont habilitées à modifier la
composition d'un jury simplement parce que l'on constate qu'il a commis une erreur et qu'il est, en conséquence, invité à réexaminer une décision qu'il a prise. Nous n'avons pas besoin d'examiner quelle serait la situation s'il était constaté qu'un membre du jury se rend coupable d'un manque d'intégrité parce qu'aucune suggestion de cette sorte n'a été avancée à l'endroit d'un membre quelconque du jury dans la présente affaire.
Conclusions
En conséquence, nous vous proposons, Messieurs, de:
(i) déclarer nulle la décision du jury du 9 janvier 1979 pour insuffisance de motifs;
(ii) condamner la Commission aux dépens de cette instance.
Nous ne pensons pas que les autres remèdes recherchés par M. Authié soient appropriés.
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( 1 ) Traduit de l'anglais.